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en rien ses sentences, comme s'ils l'abjuraient de fait et en public? Il ne reste plus, sinon qu'ils renient totalement la foi du Christ. Alors elle dit: Père, voilà ce que font dès maintenant des laïques; mais vous verrez bientôt combien pire encore est ce que feront des clercs. Etonné de plus en plus, je m'écriai: 0 malheureux que je suis! Est-ce que les clercs eux-mêmes se révolteront contre le Pontife romain? Vous le verrez bien, répondit-elle, lorsqu'il voudra corriger leurs mauvaises mœurs; car ils feront alors à toute la sainte Eglise de Dieu un scandale universel, qui la divisera, l'affligera comme une pestilence hérétique. Sur quoi, devenu comme hors de moi-même, j'ajoutai: Et nous aurons une hérésie, ô ma mère, et nous aurons de nouveaux hérétiques? Elle répliqua Ce ne sera pas proprement une hérésie, mais ce sera comme une hérésie et une certaine division de l'Eglise et de toute la chrétienté. Ainsi préparez-vous à la patience, car il vous faudra voir ces choses1.

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Raymond de Capoue vit en effet l'accomplissement de cette prophétie quelques années plus tard, et entendit alors de la bouche de la sainte des prédictions plus consolantes pour les siècles à venir. Nous les verrons en leur temps.

Le pape Grégoire XI, qui résidait à Avignon, écrivit aux Florentins; mais ils n'eurent aucun égard à ses lettres. Il jeta un interdit sur le diocèse de Florence, et y envoya le cardinal Robert de Genève avec une puissante armée. Le parti du Pape remporta plusieurs avantages. Les rebelles, ennuyés des maux que la guerre a coutume d'entraîner avec elle, déchirés d'ailleurs par des divisions intestines, résolurent de mettre bas les armes et d'implorer la clémence du souverain Pontife. Les magistrats de Florence envoyèrent des députés à Sienne, afin d'engager Catherine à se faire leur médiatrice. La sainte fut obligée de se rendre à leurs instances; elle se mit aussitôt en chemin pour aller à Florence. Les principaux d'entre les magistrats vinrent au-devant d'elle. On lui donna plein pouvoir de traiter avec le Pape; on lui dit qu'on s'en rapportait entièrement à elle pour les conditions de l'accommodement, et on lui promit d'envoyer à Avignon des ambassadeurs qui signeraient et ratifieraient tout ce qu'elle aurait jugé à propos de conclure.

Catherine, qui brûlait du désir de ramener la paix, partit pour Avignon, où elle arriva le dix-huit juin 1376. Elle y fut reçue avec de grandes marques de distinction. Le pape Grégoire XI, dans une conférence qu'il eut avec elle, admira sa prudence et sa sain-

Vita, n. 285 et 286.

TOME XX.

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teté. La paix, lui dit-il, est l'unique objet de mes désirs. Je remets toute l'affaire entre vos mains, je vous recommande seulement l'honneur de l'Eglise. Nous verrons plus tard la suite de cette négociation.

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Mais Catherine avait les vues encore plus grandes; elle aspirait à procurer la paix universelle de la chrétienté, moyennant une croisade générale, qui eût jeté et utilisé contre les infidèles les ferments de discorde et de guerre qui troublaient l'Italie et l'Eu-rope. Comme elle en parlait à Grégoire XI, en présence de Raymond de Capoue, le Pape dit: Il nous faudrait d'abord faire la paix entre les chrétiens, et puis nous ordonnerions la guerre sainte. Elle répliqua Saint-Père, pour pacifier les chrétiens, vous ne pourrez trouver de meilleur moyen que d'ordonner la sainte expédition. Car tous ces hommes d'armes, qui fomentent la guerre parmi les fidèles, iront volontiers servir Dieu de leur art. Il y en a très-peu d'assez méchants pour ne point aimer à servir Dieu d'un métier qui leur plaît, et à racheter par là leurs péchés; or, ôter les tisons, c'est ôter le feu. Et ainsi, très-Saint-Père, d'un seul coup vous ferez plusieurs biens. Vous pacifierez les chrétiens qui cherchent le repos, et, pour ces gens habitués au crime, vous les gagnerez en les perdant. S'ils remportent quelque victoire, vous irez plus avant que les princes de la chrétienté. Que s'ils y meurent, vous aurez gagné leurs âmes qui étaient comme perdues. Trois biens suivront ainsi de là, savoir: la paix des chrétiens, la pénitence de ces hommes d'armes et le salut de beaucoup de Sarrasins1.

En vérité, la sainte fille de Sienne avait une politique plus grande et plus haute que tous les rois d'alors et depuis, que tous les auteurs modernes de politique et d'histoire; elle comprenait beaucoup mieux l'intérêt véritable de l'humanité entière et de ses diverses parties: employer au dehors la portion turbulente de la chrétienté, afin d'améliorer le dedans, et faire servir le dedans et le dehors à la civilisation chrétiennne et progressive de l'univers. Elle revient sur cet ensemble d'idées dans plusieurs lettres au même Pontife; elle le presse, de la part de notre Seigneur, d'arborer l'étendard de la croix contre les infidèles, l'assurant qu'aussitôt les guerres intestines cesseront, les loups deviendront des agneaux, et le peuple infidèle sèra délivré de son infidélité.

Quant aux rebelles de Florence, de Bologne, de Pérouse et d'ailleurs, elle le conjure de suivre l'exemple de Dieu et de son

Vita, n. 291.

Fils. Les hommes coupables par leur rébellion avaient mérité une peine infinie. Dieu cependant, les voyant portés à aimer, leur jette l'appât de l'amour : il nous envoie son Fils unique, qui prend notre nature, pour faire une grande paix. Mais il faut que l'offense soit expiée et la justice satisfaite. La miséricorde condamne le Fils à la mort de la croix pour nous tous, et il satisfait tout ensemble et à la justice et à la miséricorde. Voilà comme Dieu a retiré les hommes de l'enfer, voilà comme, par sa bonté, il a vaincu notre malice, voilà comme il nous attire par l'amour.

O! très-saint et très-doux Père, je ne vois pas d'autre moyen ni d'autre remède pour ravoir vos brebis, qui, comme rebelles, se sont écartées du bercail de la sainte Eglise. C'est pourquoi je vous prie, de la part de Jésus crucifié, faites-moi cette miséricorde de vaincre leur malice par votre bonté. Nous sommes à vous, ô Père ! et je sais que, généralement tous, ils pensent avoir mal fait. Supposons même qu'ils n'ont point d'excuse; toutefois, par suite du grand nombre de peines, d'injustices et d'iniquités qu'ils avaient à souffrir à cause des mauvais pasteurs et gouverneurs, il leur a semblé qu'ils ne pouvaient pas faire autrement; car, voyant la vie corrompue de beaucoup de recteurs, qui, vous le savez, sont des démons incarnés, ils sont venus à cet excès de mauvaise crainte, qu'ils ont fait comme Pilate: pour ne pas perdre sa dignité, Pi– late a fait mourir le Christ; eux, pour ne pas perdre leur état, vous ont persécuté. Je vous demande donc miséricorde pour eux, ô Père; ne regardez pas à l'ignorance et à l'orgueil de vos enfants; mais, avec l'appât de l'amour et de votre bonté, leur donnant telle douce correction qu'il plaira à votre Sainteté, rendez-nous la paix, à nous, vos malheureux enfants qui vous avons offensé. Je vous le dis, bien-aimé christ sur la terre, je vous le dis de la part du Christ dans le ciel, si vous agissez ainsi sans politique ni tempête, ils viendront tous, avec un grand regret de vous avoir offensé, et mettront leur tête dans votre giron. Alors vous vous réjouirez, et nous nous réjouirons, parce que vous aurez remis avec amour la brebis égarée dans le bercail de la sainte Eglise. Alors, bien-aimé Père, vous accomplirez votre saint désir et la volonté de Dieu; vous ferez la sainte expédition que je vous invite, de sa part, à faire bientôt et sans négligence; eux, de leur côté, s'y disposeront de grand cœur : ils sont prêts à donner leur vie pour JésusChrist. Ah! pour l'amour de Dieu, arborez, ô Père! arborez l'étendard de la très-sainte croix, et vous verrez les loups devenir des agneaux. La paix, la paix, la paix, afin que la guerre ne se prolonge pas dans cet heureux temps. Que si vous voulez faire ven

geance et justice, prenez-la sur moi, misérable, et imposez-moi toutes les peines et tous les tourments qu'il vous plaira, jusqu'à la mort. Je crois que c'est par l'excès de mes iniquités que sont ar— rivés tant de manquements, d'inconvénients et de discordes; prenez donc sur moi, votre malheureuse fille, toute la vengeance que vous voudrez. O mon Père ! je meurs de douleur et ne puis mourir 1.

Cette lettre, ainsi que les autres, commence en ces termes: Au nom de Jésus crucifié et de Marie pleine de douceur. Mon trèssaint et très-révérend Père dans le Christ, doux Jésus, moi Catherine, votre indigne et misérable fille, servante et esclave des serviteurs de Jésus-Christ, je vous écris dans son précieux sang, avec le désir de vous voir un bon pasteur. La lettre se termine de la manière suivante : Je vous demande humblement votre bénédiction, et pour moi et pour tous mes enfants, et je vous prie de me pardonner ma présomption. Je ne dis pas autre chose: demeurez dans la sainte et douce dilection. Doux Jésus, Jésus amour. Ces derniers mots étaient comme son cachet et sa signature.

Un second article sur lequel sainte Catherine insiste beaucoup auprès du Pape, c'est la nécessité de remplacer les mauvais pasteurs par de bons, les premiers étant la cause de tous les maux. Je yous dis de la part de Jésus crucifié, lui écrit-elle: Il y a trois choses que vous devez exécuter par votre puissance. L'une, c'est que dans le jardin de la sainte Eglise vous arrachiez les fleurs puantes, pleines d'immondices et de cupidité, enflées d'orgueil, c'est-à-dire les mauvais pasteurs et recteurs, qui empoisonnent et infectent ce jardin. O vous! notre gouverneur, employez votre puissance à extirper ces fleurs; jetez-les dehors, afin qu'ils n'aient plus à gouverner les autres, mais qu'ils apprennent à se gouverner eux-mêmes dans une sainte et bonne vie. Plantez dans ce jardin des fleurs odoriférantes, des pasteurs et des prélats qui soient de vrais serviteurs de Jésus-Christ, qui ne s'appliquent qu'à l'honneur de Dieu et au salut des âmes, et soient les pères des pauvres. Hélas! quelle confusion n'est-ce pas de voir ceux qui doivent être un miroir de pauvreté volontaire, d'humbles agneaux, faire part aux pauvres des biens de la sainte Eglise, de les voir dans les délices, les pompes et les vanités du monde, mille fois plus que s'ils étaient dans le siècle; au contraire, beaucoup de séculiers leur font honte, en vivant dans une bonne et sainte vie. Mais il paraît que la souveraine et éternelle bonté fera faire par force ce qu'on ne fait point par amour. Elle semble permettre que les états

1 Opere scelte di S. Caterina da Siena. Parma, 1843, t. 2, lettre 4.

et les délices soient ôtés à son épouse, comme pour montrer qu'il veut que la sainte Eglise retourne à son premier état de pauvreté, d'humilité, de mansuétude, comme elle était au saint temps où l'on ne s'appliquait qu'à l'honneur de Dieu et au salut des âmes, ayant soin des choses spirituelles et non des choses temporelles, attendu que, depuis qu'elle a visé plus au temporel qu'au spirituel, les choses sont allées de mal en pis. Aussi voyez que Dieu, par suite de ce jugement, a permis contre elle une grande persé→ cution et tribulation '.

Parmi les différents degrés de la hiérarchie ecclésiastique, où il y avait des abus à réformer, sainte Catherine de Sienne signala particulièrement à Grégoire XI la cour pontificale d'Avignon. Entre les grâces extraordinaires qu'elle avait reçues de Dieu était celle de connaître le mauvais état des âmes par une certaine infection qu'elle ressentait à leur approche. Etant donc à Avignon à l'audience du Pape, à qui elle parlait par le moyen de Raymond de Capoue, qui rendait en latin ce qu'elle disait en toscan, elle se plaignit que, dans la cour romaine, où devait être le paradis des vertus célestes, elle trouvait la puanteur des vices infernaux. Le Pape, ayant su de Raymond qu'elle n'était arrivée que depuis peu de jours, lui demanda: Comment, en si peu de temps, avez-vous pu rechercher les mœurs de la cour romaine? Catherine, qui baissait humblement la tête, se dressa tout d'un coup avec majesté et s'écria Pour l'honneur du Dieu tout-puissant, j'ose dire que, étant encore dans ma ville natale, j'ai ressenti une plus grande infection des péchés qui se commettent dans la cour romaine que n'en ressentent ceux mêmes qui les ont commis et les commettent chaque jour. Le Pontife garda le silence, et Raymond demeura stupéfait de la hardiesse avec laquelle Catherine lui parlait 2.

Elle disait au même Pape dans une lettre : J'ai entendu ici que vous avez fait des cardinaux ; je crois qu'il serait de l'honneur de Dieu et de votre avantage que vous prissiez garde à n'en faire jamais que 'd'hommes vertueux. Si on fait le contraire, ce sera au grand déshonneur de Dieu et au grand malheur de la sainte Eglise. Ne nous étonnons plus si Dieu nous envoie ses corrections et ses fléaux, parce que la chose est juste. Je vous prie de faire courageusement et dans la crainte de Dieu ce que vous avez à faire3. Grégoire XI fit deux promotions de cardinaux : l'une de douze, en 1371, dont dix Français, un Italien et un Espagnol; l'autre de neuf, en

1 Opere scelte di S. Caterina da Siena. Parma, 1843, t. 2, lettre 5. n. 152.

3 Lettre 1, n. 6.

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