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la réputation populaire dont jouissoit le célèbre prédicateur; elle disoit à sa fille: Je m'en vais en Bourdaloue, comme elle auroit dit: Je m'en vais en cour.

C'est encore M.me de Sévigné qui rapporte l'anecdote suivante: « Le maréchal de Grammont étoit l'au>>tre jour si transporté de la beauté d'un sermon du » P. Bourdaloue, qu'il s'écria tout haut, en un endroit >>> qui le toucha: Morb........ il a raison! Madame éclata » de rire, et le sermon en fut tellement interrompu, >> qu'on ne savoit ce qui en arriveroit ».

La vertu de Bourdaloue égaloit son beau talent. Il étoit admiré de tous ceux qui l'entendoient, respecté. même de ceux qui ne cherchoient point à l'entendre. Sa conduite, disoit un de ses contemporains, est la meilleure réponse que l'on puisse faire aux Lettres provinciales. Il prêchoit un carême à Saint-Sulpice: un jour que le grand Condé s'y étoit rendu, on causoit dans l'église avant que l'orateur montât dans la chaire sacrée, et comme le concours du peuple étoit grand, le bruit l'étoit aussi. Dès que le prince aperçut Bourdaloue, il s'écria: Voici les ennemis! et le silence et l'ordre furent soudain rétablis, autant par le respect qu'inspiroient sa présence et l'autorité de sa vertu, que par l'empressement de l'entendre.

Bourdaloue fut jugé par ses contemporains, comme il l'a été dans le 18. siècle, et comme il l'est de nos jours: La Bruyère, dans ses Caractères, le comparoit à Cicéron; le P. Sanlecque l'appeloit le Chrysostome français (1); Boileau le proclamoit dans ses vers le plus grand orateur.

(1) Dans sa Satire contre les directeurs, adressée à Bourdaloue.

Dans le siècle suivant, d'Aguesseau (1) préfère Bourdaloue à Bossuet et à Fléchier, comme modèle de celui qui se destine à parler pour prouver et pour convaincre. L'abbé d'Olivet en fait deux fois l'éloge dans sa continuation de l'Histoire de l'Académie française. Trublet l'élève au-dessus de Massillon (2). L'auteur des Trois Siècles reconnoît en lui le plus parfait modèle de cette éloquence forte, convaincante et rapide, qui entraîne l'esprit et triomphe de la résistance.

Enfin, de nos jours, un de nos plus célèbres orateurs, après avoir admiré les divers genres de mérite et de beautés qu'on trouve dans Bourdaloue, s'écrie: Voilà donc jusqu'où le génie peut s'élever, quand il est soule travail (3)!

tenu par

Les ennemis même de la religion n'ont pu s'empêcher de rendre hommage au mérite de Bourdaloue. Après avoir lu une de ses oraisons funèbres, Bayle s'écrioit : Que tout cela est beau!...... Bourdaloue m'a charmé (4). L'auteur du Siècle de Louis XIV l'appelle le premier modèle des bons prédicateurs en Europe, et il reconnoît, comme déjà l'avoit avoué Burnet, évêque anglican de Salisbury, que Bourdaloue est aussi le réformateur de l'éloquence en Angleterre (5). Enfin,

(1) Dans les Instructions sur les études propres à former un magistrat. Voyez le tom. 1 de ses œuvres, in-4°.

(2) Voyez ses Essais de littérature et de morale. Amst., 1755, 4 vol.

in-12.

(3) Principes de l'éloquence de la chaire, par S. E. le card. Maury.

(4) Lettres contre le P. Maimbourg; œuvres diverses, tom. 1.

(5) Gilbert Burnet dit, dans ses Mémoires, qu'en voyageant en France, il fut étonné de l'éloquence de Bourdaloue, et que le prédicateur français réforma les prédicateurs d'Angleterre comme ceux de France.

d'Alembert a dit, dans son Eloge de Massillon: « La plus grande gloire de Bourdaloue est que la supé»riorité de Massillon soit encore disputée ».

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Bourdaloue ne trouva point les règles établies; il les fit, ou du moins on les a faites d'après lui: car, en tout genre de littérature, les modèles ont commencé, les préceptes ont suivi.

Les sermons de Bourdaloue renferment tout le dogme et toute la morale, tout ce qu'il faut croire et tout ce qu'il faut pratiquer. On voit partout qu'il est versé dans l'intelligence des livres saints, dans l'étude des Pères, dans la connoissance du cœur humain; et c'est à ces trois sources qu'il puise l'abondance et la solidité de ses preuves. Ses idées se développent dans un ordre parfait. D'une vérité établie naissent une foule d'autres vérités qui se soutiennent ensemble et se fortifient mutuellement. Il est profond, mais sans obscurité : il éclaire quand il discute, et quand il raisonne il prouve. On diroit que les mystères mêmes de la religion semblent cesser d'être des mystères quand il les développe. Il attaque, il subjugue l'esprit; il exhorte moins qu'il n'ordonne, il entraîne plutôt qu'il ne séduit. Une logique puissante le fait toujours arriver jusqu'à l'évidence. Détours, subtilités, sophismes, erreurs, tout est suivi, saisi, renversé, détruit; et les raisonnemens sont disposés dans un tel ordre, que, suivant cette belle comparaison de Quintilien, ils semblent commander la victoire: Velut imperatoria virtus.

Aucun des nombreux sermons de Bourdaloue ne ressemble à un autre, quoiqu'il en ait composé trois et quatre sur le même sujet. L'inépuisable fécondité de

ses plans, toujours variés, toujours différens, fait connoître toute la richesse de son génie, et sera toujours un objet d'admiration et d'étonnement.

Son style, clair, nombreux, périodique, est tantôt élevé, tantôt simple; toujours noble, jamais familier: il est nerveux, sans sécheresse; concis, sans affectation; sévère, mais sans exclure ni les fleurs, ni les ornemens, qui s'y placent d'eux-mêmes et présentent ainsi la grâce réunie à l'austérité (1). Les lieux communs n'en sont plus dans les écrits de Bourdaloue. Tout est plein et solide dans ses discours : rien n'est omis, mais rien n'est inutile. Son éloquence est celle des Chrysostôme et des Augustin: il s'exprime avec force sur la morale, avec netteté sur les mystères, avec dignité dans les panégyriques, avec sentiment et avec art dans les oraisons funèbres. Bourdaloue s'étoit formé par un long silence au grand art de parler, et il savoit se mettre à la portée de tous les hommes qu'il avoit ainsi observés et étudiés: tel fut le secret de Fénélon, de Racine et de nos plus grands écrivains.

Bourdaloue est le premier qui ait introduit dans ses discours la peinture des mœurs. « Il commençoit tou» jours, dit l'abbé d'Olivet, par établir sur des principes bien liés et bien déduits, une proposition mo» rale; et après, de peur que l'auditeur ne se fit point

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(1) « Les preuves quoique victorieuses par leur force, dit l'abbé Mongin, depuis évêque de Bazas, doivent être rendues brillantes par le nouvel éclat qu'on leur donne: si elles n'étoient qu'invincibles, et qu'on les exposât sans ornement, la paresse ou l'indolence les rejetteroit, comme ces armes antiques que leur pesanteur fait abandonner, et dont on ne peut plus se servir sans ôter la rouille, et sans les rendre plus légères et plus tranchantes >>.

l'application de ces principes, il la faisoit lui-même >> par un détail merveilleux où la vie des hommes étoit » peinte au naturel. Or, ce détail étant ce qu'il y avoit » de plus neuf, et ce qui, par conséquent, frappa d'a>> bord le plus dans le P. Bourdaloue, ce fut aussi ce que les jeunes prédicateurs tâchèrent le plus d'imiter. » On ne vit plus que portraits, que caractères dans leurs » sermons. Ils ne songèrent pas que, dans le P. Bour>> daloue, ces peintures de mœurs viennent toujours, » ou comme preuves, ou comme conséquences; que » sans cela elles y seroient hors-d'oeuvre ; et qu'un ser» mon qui n'est qu'un tissu de caractères ne prouve >> rien: de l'accessoire ils firent le principal, et d'une très-petite partie, le tout (1) ».

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On a souvent comparé ensemble Bourdaloue et Massillon; mais, quelques rapports que puissent avoir entr'eux deux grands orateurs, par la force de leur talent, la vivacité de leur esprit, l'étendue de leurs connoissances, ils ont chacun un caractère propre, distinctif, original, qui empêche de les confondre, et rendroit une comparaison entr'eux tout à fait inutile. Ce que Massillon dut au sentiment, Bourdaloue le dut à la force de son génie; on a dit que l'un prêcha pour les hommes d'un siècle vigoureux, l'autre pour les hommes d'un siècle efféminé: il est certain que les contemporains de Massillon ne lui assignèrent que la seconde place.

La Motte disoit qu'un sermon excellent à tous égards

(1) Hist. de l'Acad. française, Paris, 1730, tom. 2, p. 355. — Madame de Termes disoit, en parlant du talent de Bourdaloue pour les portraits: Il est inimitable; et les prédicateurs qui l'ont voulu copier sur cela, n'ont fait que des marmousets (Ménagiana, tom. 2, p. 228).

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