Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Dans les dernières années de sa vie, en 1700, lorsque sa réputation ne pouvoit plus monter, et que ses contemporains parloient d'avance pour lui le langage de la postérité; lorsqu'on le proclamoit le chef et le maître de l'éloquence chrétienne, il n'étoit ébloui ni de la considération dont il jouissoit, ni des suffrages de Louis XIV et de sa cour, ni de l'éclat attaché à son nom. Il rapportoit tout à Dieu. Le P. Martineau (1), nous apprend qu'il disoit un jour : « Dieu m'a fait la >> grâce de connoître le néant de ce qui brille le plus >> aux yeux des hommes, et il me fait encore celle de >> n'en être point touché ». Il disoit encore dans une autre circonstance, être « si parfaitement convaincu de >> son incapacité pour tout bien, que, malgré tous ses >> succès, il avoit beaucoup plus à se défendre du dé>>couragement que de la présomption »; en sorte que rien n'étoit plus remarquable, au milieu de tant de gloire, que tant d'humilité.

Il soupiroit après la solitude. Courbé depuis un demi siècle sous le noble fardeau du ministère, il voulut quitter Paris, se retirer à la Flèche, et se préparer, dans la retraite, à la mort. Mais cette résolution qu'il avoit prise devoit rencontrer bien des obstacles. Les jésuites, dont il étoit le plus bel ornement, ne pouvoient consentir à sa demande, et le P. provincial refusa de l'accueillir. Bourdaloue sentit lui-même qu'elle seroit toujours re

(1) Isaac MARTINEAU, jésuite, né à Angers en 1640, mourut en 1720. Il professa dans son ordre, et y occupa les premières places. Il fut choisi pour être le confesseur de l'illustre élève de Fénélon. On a du P. Martineau les Pseaumes de la pénitence, avec des réflexions; des Méditations pour une reiraite; et le Recueil des vertus de Louis de France, duc de Bourgogne, Paris, 1712, in-4°. Ce dernier ouvrage fut aussi imprimé in-12 la même

année.

jetée en France par sés supérieurs, et il s'adressa directement à Rome, au général de la Société. Mais à Rome on savoit aussi quelle illustration Bourdaloue prêchant conservoit à son ordre. Le général le remit à une autre année, en l'invitant à réfléchir encore sur le parti qu'il vouloit prendre. Bourdaloue attendit; mais l'année suivante il redoubla ses instances auprès de son général, et il lui écrivit en latin une lettre dont le P. Bretonneau (1) a donné la traduction. Bourdaloue supplie le général de lui accorder ce qu'il n'a pu, dit-il, malgré tous ses efforts, obtenir du P. provincial. Il rappelle que, depuis cinquante-deux ans, il vit dans la société des jésuites, non pour lui, mais pour les autres; du moins, plus pour les autres que pour lui. « Je sens, ajoute-t-il, que mon » corps s'affoiblit et tend vers sa fin. J'ai achevé ma » course.... je suis dans un âge où je ne me trouve plus

guère en état de prêcher ». Et il demande qu'il lui soit permis de se retirer à la Flèche ou dans toute autre maison, pourvu qu'il soit éloigné de Paris: là, dit-il en finissant, «< sera le lieu de mon repos.... voilà le sujet » de tous mes vœux ».

Le général se rendit enfin à ses instantes prières. Bourdaloue obtint la permission qu'il demandoit depuis si long-temps. Il lui fut libre de se choisir une retraite ; et,

(1) François BRETONNEAU, jésuite, mort à Paris le 29 mai 1741, âgé de quatre-vingt-un ans, en consacra trente-quatre au ministère de la chaire. Le P. Berruyer fat l'éditeur de ses sermons, imprimés à Paris en 1743, 7 vol. in-12. Le P. Bretonneau traite ses sujets avec méthode et exactitude. Il va toujours directement au but. Son style est clair, pur et simple, sans être négligé. On estime surtout son sermon sur l'Établissement de la religion. Il ne fut peut-être inférieur à La Rue, à Cheminais et à Giroust, dont il publia les sermons, que parce qu'il n'avoit pas, comme eux, les talens et les grâces de l'action.

dès qu'il eut reçu la réponse de Rome, il disposa tout pour son départ de Paris. Le jour même fut fixé. Mais ses supérieurs crurent pouvoir interposer encore leur autorité. Ils exigèrent que le départ fût différé jusqu'à' ce qu'ils eussent pu faire à Rome de nouvelles représentations. La permission fut suspendue, et bientôt après révoquée. Les jésuites firent valoir sans doute des considérations tirées de l'intérêt de la religion, de la France, de la Société ; et il fut décidé à Rome que Bourdaloue resteroit à Paris, et qu'il continueroit de remplir les fonctions de son ministère.

Il n'insista plus, et crut obéir à l'ordre du ciel même en se soumettant à la volonté de ses supérieurs. Ainsi il eut, sans l'exécuter, le mérite du sacrifice qu'il vouloit faire à Dieu. Il n'en parla qu'à ses amis les plus intimes, et le public n'en fut instruit qu'après sa

mort.

Il reprit ses fonctions avec un nouveau zèle. Son activité parut plus grande, son ardeur augmentée. Depuis quelque temps il étoit atteint d'un rhume opiniâtre et dangereux, lorsqu'une abbesse illustre lui demanda un sermon pour une prise d'habit. Il prêcha avec la même chaleur, le même succès, que lorsqu'il étoit dans toute la force de son âge et de son talent. Le mal augmenta sans qu'il cessât d'aller visiter les malades et de se rendre à son confessionnal.

Le dimanche de la Pentecôte, II mai 1704, il dit la messe avec beaucoup de peine. Une fièvre interne et maligne se déclaroit avec les symptômes les plus alarmans. Quoiqu'il connût la gravité du mal dont il étoit subitement frappé, il voulut qu'on lui parlât sans déguisement de son état. On le fit; et, sans attendre qu'on

eût

eût fini: C'est assez, dit-il, je vous entends. Il faut maintenant que je fasse ce que j'ai tant de fois préché et conseillé aux autres. Celui qui avoit exhorté tant de grands personnages dans leurs derniers momens, montra, lorsque son heure fut arrivée, combien il étoit animé lui-même par ces grandes pensées dont il consoloit les mourans, par cette foi salutaire qui est le courage du chrétien, quand tout ce qui attache l'homme à la terre va disparoître et déjà s'efface devant lui: «< Je » vois bien que je ne puis guérir sans miracle, dit-il à >> ceux qui l'entouroient. Mais qui suis-je, pour que >> Dieu daigne faire un miracle en ma faveur? Que sa » sainte volonté s'accomplisse aux dépens de ma vie, >> s'il l'ordonne ainsi; qu'il me sépare de ce monde où » je n'ai été que trop long-temps, et qu'il m'unisse » pour jamais à lui ».

Le lundi matin, il fit la confession de toute sa vie, et reçut les derniers sacremens avec ce recueillement intérieur, cette vive pensée de l'éternité, qui soutient l'ame prête à rompre ses derniers liens.

Il mit ordre ensuite à divers papiers dont il étoit dépositaire, avec la présence et la tranquillité d'esprit d'un homme qui croit avoir encore de longs jours devant lui. Il n'oublia point les illustres amis que son mérite lui avoit faits dans les premiers rangs de la société et parmi les gens de lettres qui honoroient le siècle de Louis XIV par leur génie et par leurs vertus. Il désira qu'on leur apprît qu'il regardoit sa séparation d'avec eux sur la terre comme une partie du sacrifice qu'il faisoit à Dieu de sa vie. Il s'entretint ensuite en particulier sur quelques affaires avec son directeur, et voulut recevoir sa bénédiction.

TOME 1.

Il se sentoit moins souffrant ; il donnoit même quelque espérance de guérison: mais ce ne fut qu'une lueur bientôt évanouie. Le soir du même jour, il fut saisi par un accès violent; il tomba dans le délire, et expira le mardi 13 mai, sur les cinq heures du matin.

Bourdaloue étoit dans la soixante-douzième année de son âge. Il avoit passé cinquante-six ans dans son ordre. Il avoit brillé dans la chaire, au premier rang des orateurs, pendant trente-quatre ans. Il mourut, pour ainsi dire, au champ d'honneur : il avoit prêché dix jours avant sa mort; et, dans l'exercice des fonctions de son ministère, il n'y eut d'autre intervalle que celui de deux jours de maladie.

Vingt-neuf jours auparavant (le 12 avril 1704) étoit mort Bossuet (1). Ainsi la France, la Religion et les lettres perdirent à la même époque, la même année, et presque le même mois, les deux plus grands orateurs de la chaire chrétienne, qui n'avoient point eu de modèles, et qui sont destinés à en servir toujours.

(1) Mascaron étoit mort cinq mois avant Bourdaloue, le 16 décembre 1703. Massillon parut pour la seconde fois dans la chaire de Versailles, l'année qui vit mourir Bourdaloue et Bossuet.

M.-G.-T. VILLENAVE.

« ZurückWeiter »