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NICOLAS-CHARLES-JOSEPH TRUBLET,

né à Saint-Malo en 1697, mort dans la même ville en 1770.

Parallèle d'Homère et de Virgile.

Homère est plus poète, Virgile est un poète plus parfait. Le premier possède, dans un degré plus éminent, quelques-unes des qualités que demande la poésie ; le second réunit un plus grand nombre de ces qualités, et elles se trouvent chez lui dans la proportion la plus exacte. L’un cause un plaisir plus vif, l'autre un plaisir plus doux. Il est encore plus vrai de la beauté de l'esprit que de celle du visage, qu’une sorte d'irrégularité la rend plus piquante. L'homme de génie est plus frappé d'Homère, l'homme de goût est plus touché de Virgile. On admire plus le premier, on estime plus le second. Il y a plus d'or dans Homère ; ce qu'il y en a dans Virgile est plus pur et plus poli. Celui-ci a voulu être poète, et il l'a pu ; celui-là n'aurait pas pu ne le point être. Si Virgile ne s'était point adonné à la poésie, on n'aurait peutêtre point soupçonné qu'il était très-capable d'y réussir. Si, par impossible, Homère, méconnaissant son talent pour la poésie, eût d'abord travaillé dans un autre genre, la voix publique l'aurait bientôt averti de sa méprise, ou peut-être seulement de sa modestie : on lui eût dit qu'il était capable de quelque chose de plus. Homère est un des plus grands génies qui aient jamais été ; Virgile est un des plus accomplis. L'Enéide vaut mieux que l'Iliade, mais Homère valait mieux que Virgile. Une grande partie des défauts de l'Iliade sont ceux du siècle d'Homère ; les défauts de l'Enéide sont ceux de Virgile. Il y a plus de fautes dans l'Iliade, et plus de défauts dans ľĚnéide. S'ils écrivaient aujourd'hui, Homère ne ferait pas les fautes qu'il a faites ; Virgile aurait peut-être encore ses défauts. On doit Virgile à Homère. On ignore si celui-ci a eu des modèles, mais on sent qu'il pouvait s'en

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passer. Il y a plus de talent et d'abondance dans Homère, plus d'art et de choix dans Virgile. L'un et l'autre sont peintres ; ils peignent toute la nature, et le choix est admirable dans tous les deux ; mais il est plus gracieux dans Virgile, et plus vif dans Homère. Homère s'est plus attaché que Virgile à peindre ses caractères, les meurs des hommes ; il est plus moral: et c'est là, à mon gré, le principal avantage du poète grec sur le poète latin. La morale de Virgile est meilleure: c'est le mérite de son siècle, et l'effet des lumières acquises d'âge en âge ; mais Homère a plus de morale : c'est en lui un mérite propre et personnel, l'effet de son tour d'esprit particulier.

Virgile a surpassé Homère dans le dessein et dans l'ordonnance. Il viendra plutôt un Virgile qu’un Homère ; nous ne devons point craindre que les fautes d'Homère se renouvellent, un écolier les éviterait ; mais qui nous rendra ses beautés ?

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PENSÉES DIVERSES.

Quelle consolation pour ceux qui aiment les lettres, quel secours pour les autres, si les grands hommes qui sont morts, sans avoir composé les ouvrages qu'ils méditaient, avaient jeté sur le papier, comme M. Pascal, quelques-unes des pensées qu'ils devaient y faire entrer, et surtout ces principales pensées qui devaient être la base de tout l'édifice!

Souvent ce qu'il y a de meilleur dans un ouvrage, ce sont ces premières idées, ces pensées qu'on a trouvées en soi sans les chercher, et qui ont été l'occasion de l'entreprendre.

En général, ne serait-il pas bien à souhaiter que tous ceux qui savent penser, ne laissassent perdre aucune des bonnes pensées qui s'offrent à eux dans la lecture, dans la méditation, dans la conversation ? Ceux qui composent des ouvrages suivis, trouveraient d'amples provisions dans ce qu'ils auraient ainsi recueilli peu à peu, et presque sans effort.

Combien le hasard n'amène-t-il pas de pensées sur une matière, qu'on ne peut plus retrouver, quand on veut écrire sur cette matière ! Il y a d'heureux momens dans

la vie qui ne reviennent point. D'ailleurs, la chaleur de la conversation et les idées des autres font quelquefois naître des pensées qu'on chercherait inutilement dans le cabinet, et à tête reposée.

La manière d'écrire par pensées détachées est, à certains égards, d'un grand secours pour la mémoire. Le moyen de bien retenir ce qu'il y a de plus essentiel dans un ouvrage d'une certaine étendue, c'est de le réduire en maximes, en sentences, en plusieurs articles. .... On quitte et l'on reprend un livre de pensées détachées quand on veut; c'est une commodité.

Il n'y a point d'ouvrages exempts de fautes, mais ceux des poètes le sont encore moins que les autres. Ce qui domine et doit dominer en effet dans les vrais poètes, c'est l'imagination; source par elle-méme de grandes beautés et de grands défauts.

Quelqu'un disait assez plaisamment, “ Dieu nous garde d'un poème parfait !”

Où il n'y a rien à reprendre, il n'y a rien à admirer.

Nous n'avons point de poète qui ait plus de génie, plus de force, plus d'élévation que Corneille; plus d'harmonie et d'images que Despréaux et Rousseau ; plus de goût, plus de justesse et plus de sentiment que Racine; plus d'imagination, plus de feu et plus de grâces que Voltaire.

Si j'avais à nommer celui de nos poètes que j'aime, que j'estime et que j'admire le plus, je nommerais La Fontaine, et j'en donnerais pour raison, qu'à autant de naïveté, de gaîté et de bon sens, aucun autre poète n'a joint autant de délicatesse et de finesse.

L'abbé Trublet débuta dans la carrière des lettres par des réflexions sur Télémaque, qui le firent connaître de la Mothe et de Fonte. nelle. Sans ambition, il préféra la culture des lettre à l'avancement que le cardinal Tencin lui promettait. Trublet a publié des essais de Littérature et de morale, qui méritent d'être connus par l'esprit d'an alyse, la sagacité, la finesse et la précision qui y règnent: il y a néan moins de temps en temps des choses un peu communes, et peut être même qui ne sont pas justes. Ses Panegyriques et ses Mémoires sur la Mothe et sur Fontenelle, sont peu estimés Ayant inséré dans ses Réflexions sur l'éloquenct, des jugemens sur quelques ouvrages de Voltaire, Trublet s'attira la haine de ce poète qui ne cessa depuis de l'accabler de critiques.

L'ABBÉ PRÉVOST,

né a Hesdin (Pas-de-Calais) en 1697; mort d'une attaque d'apoplexie, sur la route de Chantilly, près de Paris, en se rendant à sa

campagne, l'an 1763.

Nous avons malheureusement égaré le morceau que nous devions insérer ici de cet auteur, et, n'ayant aucun de ses ouvrages avec nous, les embarras de la presse nous mettent dans l'impossibilité de réparer cet accident.

L'abbé Prévost fit ses premières études chez les jésuites de sa ville natale, et plus tard il alla au collège d'Harcourt, à Paris. On le soig. na fort à cause des rares talens qu'il produisit de bonne heure, et à la sollicitation des jésuites, il avait déjà commencé son noviciat, lorsqu'. un jour il sortit brusquement, et entra dans un régiment en qualité de simple volontaire: il avait alors 16 ans. Las du service militaire, il abandonna cette carrière, et rentra chez les jésuites de la Flèche, qui le reçurent avec toutes sortes de caresses, et l'engagèrent presque définitivement. Toutefois, ennuyé encore de la retraito, il entra de nouveau dans l'armée, d'où il sortit a l'age de 24 ans, pour s'enfermer dans le cloître des Bénédictins de St. Maur; il y resta 5 ou 6 ans dans l'étude et la pratique de la religion. Enfin il fut ordonné pre. tre et envoyé dans diverses villes où il prêcha avec succès. Il se brouilla avec sa congrégation et se sauva en Hollande vers 1728, âgé de 31 ans. C'est là qu'il commença la publication de ses ouvrages; il en donna six en très-peu de temps. De Hollande il passa en An. gleterre, et puis rentra en France, après une absence d'environ six années.

On a de cet infatigable écrivain, une foule d'ouvrages qu'il serait trop long d'énumérer ici. Ses euvres, qui se composent principalement d'histoires, de romans, de revues, etc. vont beaucoup au-delà de cent volumes ; et dans un temps elles eurent une telle vogue, qu'on cherchait partout a les contrefaire. Parmi ce grand nombre d'ouvrages, il y en a quelques-uns qu'on lit encore aujourd'hui avec plaisir, tels que Cléveland, le Doyen de Killerine, les Mémoires d'un homme de qualité, le Pour et Contre, Manon Lescaut, l'Histoire d'une Grecque moderne, l'Histoire générale des voyages en 18 vol. in quarto, etc. “A son retour en France, l'abbé Prévost fut nommé aumônier et historiographe de la maison de Conti, et vécut paisiblement occupé de la composition de ses nombreux ouvrages, dont il donnait tous les pro. fits à son libraire, car il était lui-même sans ambition : il disait "qu'une petite maison, un jardin, une vache et deux poules lui suffisaient;" et il possédait en effet tout cela à une petite distance do Paris, près de Chantilly.

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La passion de la gloire et la passion des science se ressemblent dans leur principe ; car elles viennent l'une et l'autre du sentiment de notre vide et de notre imperfection. Mais l'une voudrait se former comme un nouvel être hors de nous ; et l'autre s'attache à étendre et à cultiver notre fonds. Ainsi la passion de la gloire veut nous agrandir au dehors, et celle des sciences au-dedans.

On ne peut avoir l'âme grande, ou l'esprit un peu pénétrant, sans quelque passion pour les lettres. Les arts sont consacrés à peindre les traits de la belle nature ; les sciences à enseigner la vérité. Les arts ou les sciences embrassent tout ce qu'il y a dans la pensée de noble ou d'utile ; de sorte qu'il ne reste à ceux qui les rejètent, que ce qui est indigne d'être peint ou enseigné.

La plupart des hommes honorent les lettres comme la religion et la vertu, c'est-à-dire, comme une chose qu'ils ne peuvent ni connaître, ni pratiquer, ni aimer.

Personne néanmoins n'ignore que les bons livres sont l'essence des meilleurs esprits, le précis de leur connaissances et le fruit de leurs longues veilles. L'étude d'une vie entière s'y peut recueillir dans quelques heures ; c'est un grand secours.

Deux inconvéniens sont à craindre dans cette passion : le mauvais choix et l'excès. Quant au mauvais choix, il est probable que ceux qui s'attachent à des connaissances peu utiles, ne seraient pas propres aux autres ; mais l'excès se peut corriger.

Si nous étions sages, nous nous bornerions à un petit nombre de connaissances, afin de les mieux posséder. Nons tâcherions de nous les rendre familières et de les réduire en pratique ; la plus longue et la plus laborieuse théorie n'éclaire qu'imparfaitement. Un homme qui

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