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CHARLES LE BATTEUX,

né en 1713 au village d'Allandhui, sur les bords de la rivière d'Aisne,

et mort à Paris en 1780.

Du bon Goût.

:

C'est au goût seul qu'il appartient de faire des chefsd'œuvre, et de donner aux ouvrages de l'art cet air de liberté et d'aisance qui en fait toujours le plus grand mérite.

Le goût est dans les arts, ce que l'intelligence est dans les sciences. Leurs objets sont différens à la vérité, mais leurs fonctions ont entre elles une si grande analogie, que l'une peut servir à expliquer l'autre.

Le vrai est l'objet des sciences : celui des arts est le bon et le beau : deux termes qui rentrent presque dans la même signification, quand on les examine de près.

L'intelligence considère ce que les objets sont en euxmêmes, selon leur essence, sans aucun rapport avec nous. Le goût, au contraire, ne s'occupe de ces mêmes objets que par rapport à nous.

Il y a des personnes dont l'esprit est faux, parce qu'elles croient voir la vérité où elle n'est point réellement. Il y en a aussi qui ont le goût faux, parce qu'elles croient sentir le bon ou le mauvais, où ils ne sont point effet.

Une intelligence est donc parfaite, quand elle voit sans nuage, et qu'elle distingue sans erreur le vrai d'avec le faux, la probabilité d'avec l'évidence. De même le goût est parfait aussi, quand, par une impression distincte, il sent le bon et le mauvais, l'excellent et le médiocre, sans jamais les confondre, ni les prendre l'un pour l'autre.

Je puis donc définir l'intelligence, la facilité de connaitre le vrai et le fanx, et de les distinguer l'un de l'autre: et le goût, la facitité de sentir le bon, le mauvais, le médiocre, et de les distinguer avec certitude.

Ainsi, vrai et bon, connaissance et goût, voilà nos objets, et toutes nosopérations. Voilà les sciences et les arts.

Je laisse à la métaphysique profonde à débrouiller tous les ressorts secrets de notre ame, et à creuser les principes de ses opérations. Je n'ai pas besoin d'entrer ici dans ces discussions spéculatives où l'on est aussi obscur que sub lime. Je pars d'un principe que personne ne conteste. Notre ame connaît, et ce quelle connait produit en elle un sentiment. La connaissance est une lumière répandue dans notre ame : le sentiment est un mouvement qui l'agite. L'une éclaire, l'autre échauffe. L'une nous fait voir l'objet ; l'autre nous y porte, ou nous en détourne.

Le goût est donc un sentiment, et comme dans la matière dont il s'agit ici, ce sentiment a pour object les ouvrages de l'art, et que les beaux-arts, comme nous l'avons prouvé, ne sont que des imitations de la belle nature, le goût doit être un sentiment qui nous avertit si la belle nature est bien ou mal imitée.

Quoique ce sentiment paraisse partir brusquement et en aveugle, il est cependant toujours précédé au moins d'un éclair de lumière, à la faveur duquel nous découvrons les qualités de l'object. Il faut que la corde ait été frappé avant de rendre le son. Mais cette opération est si rapide que souvent on ne s'en aperçoit point, et que la raison, quand elle revient sur le sentiment, a beaucoup de peine à en reconnaître la cause. C'est pour cela peut-être que la supériorité des anciens sur les modernes est si difficile à décider. C'est le goût qui en doit juger ; et à son tribunal on sent plus qu'on ne prouve.

L'abbé Batteux alla de bonne heure à Paris où il fut professeur de philosophie au collége royal, membre de l'Académie française et de celle des inscriptions.

Quoique aucun des ses ouvrages ne l'élève au premier rang, ce fut un littérateur estimable. On trouve dans son Cours de belles-lettres de la clarté et de la méthode, mais il y a peu de vues nouvelles. Quelques personnes ont préféré cet ouvrage à celui de Rollin, sur le même sujet, mais ce jugement a toujours été contesté. La traduction d'Horace par Batteux, est assez fidèle, mais le stlye en est froid et sans grace. Ses quatre poétiques sont plus estimées. Quant à son Cours élémentaire à l'usage de l'Ecole militaire, fait par ordre du gouvernement, on sait qu'il ne répondit pas à l'attente du public. On dit que le chagrin qu'il eut de peu du succès de cet ouvrage, fut la cause de sa mort,

DENIS DIDEROT,

né à Langres (H. Marne) en 1713, mort à Paris en 1784.

Pensées Philosophiques.

On déclame sans fin cɔntre les passions ; on leur impute toutes les peines de l'homme ; et l'on oublie qu'elles sont aussi la source de tous ses plaisirs. C'est, dans sa constitution, un élément dont on ne peut dire ni trop de bien ni trop de mal. Mais, ce qui me donne de l'humeur, c'est qu'on ne les regarde jamais que du mauvais côté. On croirait faire injure à la raison, si l'on disait un mot en faveur de ses rivales. Cependant, il n'y a que les passions, et les grandes passions, qui puissent élever l'ame aux grandes choses. Sans elles, plus de sublime, soit dans les meurs, soit dans les ouvrages ; les beaux-arts retournent en enfance, et la vertu devient minutieuse.

Les passions sobres font les hommes communs. Si j'attends l'ennemi, quand il s'agit du salut de ma patrie, je ne suis qu’un citoyen ordinaire. Mon amitié n'est que circonspecte, si le péril d’un ami me laisse les yeux ouverts sur le mien. La vie m'est-elle plus chère que ma maî. tresse, je ne suis qu’un amant comme un autre.

Les passions amorties dégradent les hommes extraordinaires. La contrainte anéantit la grandeur et l'énergie de la nature. Voyez cet arbre ; c'est au luxe de ses branches

; que vous devez la fraicheur et l'étendue de ses ombres : vous en jouirez jusqu'à ce que l'hiver vienne le dépouiller de sa chevelure. Plus d'excellence en poésie, en peinture, en musique, lorsque la superstition aura fait sur le tempérament l'ouvrage de la vieillesse.

Ce serait donc un bonheur, me dira-t-on, d'avoir les passions fortes. Oui, sans doute, si toutes sont à l'unisson. Etablissez entre elles une juste 'harmonie, et n'en appréhendez point de désordres. Si l'espérance est balancée par la crainte ; le point-d'honneur, par l'amour de la vie ; le penchant au plaisir, par l'intérêt de la santé : vous ne verrez ni libertins, ni téméraires, ni lâches.

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ne faut

C'est le comble de la folie, que de se proposer la ruine des passions. Le beau projet, que celui d'un dévot, qui se tourmente comme un forcené, pour ne rien désirer, ne rien aimer, ne rien sentir ; et qui finirait par devenir un monstre, s'il réussissait !

Il ferait beau voir une province entière, effrayée des dangers de la société, se disperser dans les forêts; ses habitans vivre en bêtes farouches pour se sanctifier ; mille colonnes élevées sur les ruines de toutes affections sociales ; un nouveau peuple de Stylites se dépouiller, par religion, des sentimens de la nature, cesser d'être hommes, et faire les statues pour être vrais chrétiens ! Il y a des gens dont il

pas

dire qu'ils craignent Dieu; mais bien qu'ils en ont peur.

Pascal (1) avait de la droiture ; mais il était peureux et crédule. Elégant écrivain et raisonneur profond, il eût sans doute éclairé l'univers, si la providence ne l'eût abandonné à des gens qui sacrifièrent ses talens à leurs haines. Qu'il serait à souhaiter qu'il eût laissé aux théologiens de son temps le soin de vider leurs querelles ; qu'il se fût livré à la recherche de la vérité, sans réserve et sans crainte d'offenser Dieu, en se servant de tout l'esprit qu'il en avait reçu ; et surtout, qu'il eût refusé pour maîtres, des hommes qui n'étaient pas dignes d'être ses disciples ! On pourrait bien lui appliquer ce que l'ingénieux La Mothe disait de La Fontaine : qu'il fut assez sot pour croire qu'Arnauld, de Sacy et Nicole (2) valaient mieux que lui.

... L'intelligence d'un premier Etre ne m'est-elle pas mieux démontrée dans la nature, par ses ouvrages, que la faculté de penser dans un philosophe, par ses écrits? songez donc que je ne vous objectais qu'une aile de papillon, qu'un vil de ciron, quand je pouvais vous écraser du poids de l'univers. Ou je me trompe lourdement, ou cette preuve vaut bien la meilleure qu'on ait encore dictée dans les écoles. C'est sur ce raisonnement, et quelques autres de la même simplicité, que j'admets l'existence d'un Dieu, et non sur ces tissus d'idées sèches et métaphysiques,

(1). Voyez Pascal, parmi les écrivains du 17me. siècle, troisième partie, page 43.

(2). Tous jansenistes célèbres, retirés a Port-Royal, où Pascal écrivit ses Provinciales,

moins propres à dévoiler la vérité qu'à lui donner l'air du mensonge.

Je distingue les athées en trois classes. Il y en a quelques-uns qui vous disent nettement qu'il n'y a point de Dieu, et qui le pensent; ce sont les vrais athées : un assez grand nombre, qui ne savent qu'en penser, et qui décideraient volontiers la question à croix ou pile ; ce sont les athées sceptiques : beaucoup plus qui voudraient qu'il n'y en eût point, qui font semblant d'en être persuadés, qui vivent comme s'ils l'étaient; ce sont les fanfarons du parti. Je déteste les fanfarons ; ils sont faux : je plains les vrais athées ; toute consolation me semble morte pour eux: et je prie Dieu pour les sceptiques ; ils manquent de lumières.

Le déiste assure l'existance d'un Dieu, l'immortalité de l'ame et ses suites : le sceptique n'est point décidé sur ces articles ; l'athée les nie. Le sceptique a donc pour être vertueux, un motif de plus que l'athée, et quelque raison de moins que le déiste. Sans la crainte du législateur, la pente du tempérament, et la connaissance des avantages actuels de la vertu, la probité de l'athée manquerait de fondement, et celle du sceptique serait fondée sur un peutêtre.

Si j'avais un enfant à dresser, moi, je lui ferais de la Divinité une compagnie réelle.

Les jeunes gens veulent être pris par les sens. Je multiplierais donc autour de lui les signes indicatifs de la présence divine. S'il se fesait, par exemple, un cercle chez moi, j'y marquerais une place à Dieu, et j'accoutumerais mon élève à dire : nous étions

quatre, Dieu, mon ami, mon gouverneur et moi."

A mon Frère.

... Oui, mon frère, la religion bien entendue et pratiquée avec un zèle éclairé ne peut manquer d'élever les vertus morales. Elle s'allie même avec les connaissances naturelles ; et quand elle est solide, les progrès de celles-ci ne l'allarment point pour ses droits. Quelque difficile qu'il soit de discerner les limites qui séparent 'empire de la foi de celui de la raison, le philosophe n'en con

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