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JEAN-CHARLES-LOUIS MALFILATRE,

né à Caen en 1733, mort à Paris en 1767 ou 1769.

Les deux Serpens.

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Un bruit s'entend, l'air siffle, l'autel tremble,
Du fond des bois, du pied des arbrisseaux.
Les fiers serpens soudain sortent ensemble,
Rampent de front, vont à replis égaux ;
L'un près de l'autre ils glissent, et sur l'herbe
Laissent loin deux de tortueux sillons;
Les yeux en feu, lèvent d'un air superbe
Leur cou mouvant, gonflé de noirs poisons,
Et vers le ciel deux menaçantes crêtes,
Rouges de sang, se dressent sur leur têtes.
Sans s'arrèter, sans jeter un regard
Sur mille enfans fuyant de toute part,
Le couple affreux d'une ardeur unanime
Suit son objet va droit à la victime,
L'atteint, recule, et de terre élancé,
Forme cent neuds autour d'elle enlacé,
La tient, la serre, avec fureur s'obstine
A l'enchaîner, malgré ses vains efforts,
Dans les liens de deux flexible corps,
Perce des traits d'une langue assassine
Son cou nerveux, les veines de son flanc

;
Poursuit, s'attache à sa forte poitrine,
Mord et déchire, et s'enivre de sang.
Mais l'animal que leur souffle empoisonne,
Pour s'arracher à ce double ennemi,
Qui constamment sur son corps affermi,
Comme un réseau l'enferme et l'emprisonne,
Combat, s'épuise en mouvemens divers,
S’arme contre eux de sa dent menaçante,
Perce les vents d'une corne impuissante,
Bat de sa queue et ses flancs et les airs,
Il court, bondit, se roule, se relève;

Le feu jaillit de ses larges naseaux ;
A sa douleur, à ses horribles maux,
Les deux dragons ne laissent point de trêve;
Sa voix, perdue en longs mugissemens,
Des vastes mers fait retentir les ondes,
Les antres creux et les forêts profondes.
Il tombe enfin, il meurt dans les tourmens.
Il meurt : alors les énormes reptiles
Tranquillement rentrent dans leurs asiles.

Né véritablement avec du génie pour la poésie, Malfilåtre suivit cette carrière et vécut dans la plus grande indigence. Il publia de temps en temps des vers qui lui fesaient honneur. Mais l'ouvrage dans lequel il a déployé le plus de talent, c'est son poème de Narcisse, sujet tiré des métamorphoses d'Ovide. Quoique le fonds en soit peu intéres. sant, il a eu l'art de faire oublier ce vice radical, par des tableaux de la plus grande beauté, et dignes des maîtres les plus célèbres. Si une mort prématurée ne l'eut pas enlevé, il n'est pas douteux que Malfilatre n'eut été placé au premier rang des poètes français.

ANTOINE-MARIE LEMIERRE,

né à Paris en 1733, mort à Saint-Germain-en-Laie en 1793.

FRAGMENS DU POÈME SUR LA PEINTURE.

Invocation au soleil.

Globe resplendissant, océan de lumière, De vie et de chaleur source immense et première, Qui lances tes rayons par les plaines des airs, De la hauteur des cieux aux profondeurs des mers, Et seul fais circuler cette matière pure, Cette sève de feu qui nourrit la nature ; Soleil, par tes rayons l'univers fécondé, Devant toi s'embellit, de splendeur inondé. Le mouvement renaît, les distances, l'espace: Tu te lèves, tout luit; tu nous fuis, tout s'efface. Le poète sans toi fait entendre ses vers : Sans toi la voix d'Orphée a modulé des airs : Le peintre ne peut rien qu'aux rayons de ta sphère, Père de la chaleur, auteur de la lumière, Sans les jets éclatans de tes feux répandus, L'artiste, le tableau, l'art lui-même n'est plus.

a

Expression des passions. Peins sous un air pensif l'ardente ambition. Donne à l'effroi l'eil trouble, et que son teint pâlisse. Mets comme un double fond dans l'æil de l'artifice. Que le front de l'espoir paraisse s'éclaircir; Fais pétiller l'ardeur dans les yeux du désir. Compose le visage et l'air de l'hypocrite ; Que l'æil de l'envieux s'enfonce en son orbite. Elève le sourcil de l'indomptable orgueil ; Abaisse le regard de la tristesse en deuil. Peins la colère en feu, la surprise immobile, Et la douce innocence avec un front tranquille.

Lemierre nous a laissé des Tragédies assez médiocres ; trois poèmes, la Peinture, le Commerce, et les Fastes : le premier passe pour le meilleur. “ Lemierre est un des poètes

que La Harpe a le moins ménagés. C'est surtout en parlant des Fastes que la sévérité de ce critique paraît exagérée ; ce poème renferme de mauvais vers, mais on y trouve des épisodes excellens; tels sont, entre autres, les Jardins, le Landit, la Fête-Dieu, le Jour des morts, Syrinx ou l'Invention de la Flute, et le Clair de Lune. Même quand l'oiseau marche, on sent qu'il a des ailes ... L'Allégorie habite un palais diaphane . Le trident de Neptune est le sceptre du monde ....

sont des vers devenus proverbes ; et plusieurs fragmens des poèmes de cet auteur sont l'ornement de la mémoire des hommes de godt” (M. Brès).

Lémierre a été de l'Académie française.

Nous empruntons à M. Berryer l'anecdote suivante avec d'autant plus de plaisir, qu'elle nous fournit en même temps l'occasion de faire connaître au lecteur un grand homme de plus, et même trois.

“ Les premiers souvenirs d'Antoine-Louis Séguier, avocat-général au parlement de Paris, sont relatifs à la prodigieuse mémoire qu'il possédait. Après avoir entendu un discours dont le manuscrit vint à se perdre, Antoine Séguier le rétablit tout entier dans l'espace d'une nuit. Il fit une autre fois un effort de ce genre aussi extraordinaire. A la fin de la première représentation d'Hypermnes. tre, l'auteur, qui était son ami, vint le trouver pour recevoir les complimens usités en pareil cas: Séguier ne s'y refusa point; mais il glissa malignement dans l'oreille de LEMIERRE quelques reproches de plagiat, et, pour preuve, il lui récita sur-le-champ les plus belles tirades de sa tragédie. Le pauvre poète était dans un embarras difficile à dépeindre, lorsqu'un éclat de rire lui découvrit tout le mys. tère, et rendit à son amour-propre les jouissances auxquelles aucun écrivain ne fut jamais plus sensible.

“ Né en 1726, ANTOINE SÉGUIER, protégé par Louis XV, fit un chemin rapide Par son éloquence, par sa dignité, par toutes ces qualités éminentes qui distinguent et l'orateur et le magistrat, Séguier s'est placé à côté des Talon et des d'Aguesseau. Son nom appartient à l'Académie, comme l'Académie lui appartient, en quelque sorte, par des souvenirs impérissables de gloire, de bienfaits et de reconnaissance

Antoine Séguier est mort en 1792.”

OMER Talon, célèbre orateur, savant magistrat, grand hom. me d'état, vertueux citoyen, mourut en 1652. Dans un de ses dis. cours, le dernier qu'il prononça (1651) dans une occasion mémora. ble et en présence du roi, on trouve ce passage très remarquable : Sire, tous les hommes naissent pour commander sur la terre, ou du moins pour être libres. Ces noms de domination et d'obéissance sont barbares dans leur origine et contraires aux principes et à le’ssence de notre nature ; l'audace des hommes les plus forts les a introduits ....."

Denis Talon, fils du précédent, mourut en 1698. A l'âge de 24 ans, il avait succédé à son père dans les fonctions d'avocat-général au parlement de Paris ; il eut les mêmes talens et les mêmes vertus.

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