ployée à repousser l'injustice, s'épanche bien plus volontiers dans l'expression des sentimens doux et dans le récit des bienfaits ? Qu'il est rare, messieurs, que la culture des lettres soit aussi paisible qu'elle est honorable ! Qu'il est difficile d'illustrer sa vie sans la troubler, et d'élever pour les gé. nérations futures l'édifice du génie, sans qu'il soit ou retardé, ou inconnu, ou insulté par la génération présente ! Qu'il est doux d'obtenir la réputation en échappant à l'envie! Ce privilége si peu commun fut celui de l'académicien à qui j'ai l'honneur de succéder. M. Colardeau. .. La Harpe commença à se faire un nom dans les lettres par les différens prix qu'il remporta à l'Académie française. Un style pur et élégant, un goût sur, une critique judicieuse, un jugement sain, une grande connaissance des différens genres de littérature, caractérisent ses premiers ouvrages qui ne tardèrent pas à lui ouvrir les portes de l'Académie. Son attachement au parti philosophique lui suscita des ennemis qui le déchirèrent sans pitié et très-injustement. Il se défen. dit quelquefois dans le Mercure qu'il rédigeait, et poursuivit tranquillement son honorable carrière. Tout le monde connaît le nom et les ouvrages de ce celèbre littérateur: on sait que vers la fin de ses jours, li reçut le nom de Quintilien Français, nom que, selon toutes les apparences, la postérité confirmera. En effet, son Lycée est le cours de littérature le plus complet qui existe dans aucune langue moderne, et dans lequel les jugemens sur les écrivains tant anciens que modernes, sont les plus clairs et les plus justes. On ne lui a reproché que quelques longueurs. La Harpe possédait un cæur sensible, généreux et plein de droiture. Il avait une grande connaissance de la littérature de toutes les nations tant anciennes que modernes, et il a beaucoup écrit en prose et en vers. Son Cours de Littérature se compose de dix-huit volumes in octavo. Le cruel, hélas ! il me quitte, Tu ne peux concevoir encore Dors, &c. Mêlons nos tristes destinées, En 1774, Berquin publia des idylles qui eurent du succès à cause de leur nouveauté, mais aujourd'hui elles sont presque oubliées. Ses Romances se sont mieux soutenues : la poésie en est faible, monotone et prosaïque, mais il y règne un ton de sensibilité qui fait qu'on les lit avec plaisir. Son Ami des enfans, quoique faible de pensée et d'expression, est plus connu, et mérite de l'étre; on l'a traduit dans plusieurs langues modernes. On aurait désiré que Berquin eut con. tinué d'écrire pour la jeunesse, car il était véritablement l'ami des enfans : mais l'orage de la révolution l'entraina vers les affaires politiques. Il fut chargé de la rédaction du Moniteur, et celle tâche pé. nible le conduisit bientôt au tombeau. SÉBASTIEN-ROC-NICOLAS CHAMFORT, né en 1741 et mort en 1794, à Paris. Pensées et Maximes. Il faut convenir qu'il est impossible de vivre dans le monde, sans jouer de temps en temps la comédie. Ce qui distingue l'honnête homme du fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés et pour échapper au péril, au lieu que l'autre va au devant des occasions. La pensée console de tout et remédie à tout. Si quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui le remède du mal qu'elle vous a fait, et elle vous le donnera. On souhaite la paresse d'un méchant et le silence d'un sot. Il y a des sottises bien habilées, comme il y des sots très-bien vêtus. Un sot qui a un moment d'esprit, étonne et scandalise, comme des chevaux de fiacre au galop. Ne tenir dans la main de personne, être l'homme de son cæur, de ses principes, de ses sentimens, c'est ce que j'ai vu de plus rare. L'ambition prend aux petites ames plus facilement qu'aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières, qu'aux palais. La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri. L'opinion publique est une juridiction que l'honnête homme ne doit jamais reconnaître parfaitement, et qu'il ne doit jamais décliner. L'estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée, et l'honneur vaut mieux que la gloire. Il faut être juste avant d'être généreux, comme on a des chemises avant d'avoir des dentelles. Le changement de modes est l'impôt que l'industrie du pauvre met sur la vanité du riche. Le plus riche des hommes, c'est l'économe; le plus pauvre, c'est l'avare.. Les courtisans sont des pauvres par la mendi. cité. Dans la naïvete d'un enfant bien né, il y a quelquefois y une philosophie bien aimable. En voyant quelquefois les friponneries des petits et les brigandages des hommes en place, on est tenté de regarder la société comme un bois rempli de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers, préposés pour arrêter les autres. Il y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver la vie insupportable : ce sont les injures du temps, et les injustices des hommes. ... Homme d'esprit, de talent et de beaucoup de goût, Chamfort se fit rapidement un nom dans la république des lettres par ses Eloges de Molière et de La Fontaine, par sa jeune Indienne, par quelques pièces de poésie, et plusieurs autres ouvrages en prose qui ne sont pas moins estimés que ceux qu'on vient de citer. Son style est rapide, élégant et correct. Plusieurs de ses phrases ont passé en proverbe. Chamfort remporta le prix proposé par l'Académie française, en 1769, pour l'éloge de Molière. Ayant pris part aux affaires de la révolution, il y trouva une mort prématurée. |