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l'éducation de l'Europe : c'est là que le grand Condé pleurait aux vers du grand Corneille, et que Racine corrigeait Louis XIV. Rome toute entière parut sur la scène française, et les passions parlèrent leur langage. Nous eûmes et ce Molière plus comique que les Grecs, et le Télémaque plus antique que les ouvrages des anciens, et ce La Fontaine qui ne donnant pas à la langue des formes si pures, lui prêtait des beautés plus incommunicables. Nos livres rapidement traduits en Europe et mème en Asie, devinrent les livres de tous les pays, de tous les gouts et de tous les âges. La Grèce vaincue sur le théâtre, le fut encore dans les pièces fugitives qui volèrent de bouche en bouche, et donnèrent des ailes à la langue française. Les premiers journaux qu'on vit circuler en Europe étaient français, et ne racontaient que nos victoires et nos chefs-d'æuvre. C'est de nos académies qu'on s'entretenait, et la langue s'étendait par leurs correspondances. On ne parlait enfin que des grâces et de l'esprit français : tout se fesait au nom de la France, et notre réputation s'accroissait de notre réputation.

Aux productions de l'esprit se joignaient encore celles de l'industrie: des pompons et des modes accompagnaient nos meilleurs livres chez l'étranger, parce qu'on voulait être partout raisonnable et frivole comme en France. Il arriva donc que nos voisins recevant sans cesse des meubles, des étoffes et des modes qui se renouvelaient sans cesse, manquèrent de termes pour les exprimer : ils furent comme accablés sous l'exubérance de l'industrie française : si bien qu'il prit comme une impatience générale à l’Europe, et que pour n'être plus séparé de nous, on étudia notre langue de tous côtés.

Depuis cette explosion, la France à continué de donner un théâtre, des habits, du goût, des manières, une langue, un nouvel art de vivre et des jouissances inconnues états qui l'entourent: sorte d'empire qu'aucun peuple n'a jamais exercé. Et comparez-lui, je vous prie, celui des Romains qui semèrent partout leur langue et l'esclavage, s'engraissèrent de sang, et détruisirent jusqu'à ce qu'ils fussent détruits.

On a beaucoup parlé de Louis XIV ; je n'en dirai qu'un mot. Il n'avait ni le génie d'Alexandre, ni la puissance et l'esprit d'Auguste ; mais pour avoir su régner, pour avoir connu l'art d'accorder ce coup-d’æil, ces faibles récompenses dont le talent veut bien se payer, Louis XIV marche dans l'histoire de l'esprit humain, à côté d'Auguste et d'Alexandre. Il !ut le véritable Apollon du Parnasse français ; les poèmes, les tableaux, les marbres ne respirerent que pour lui. Ce qu'un autre eût fait par politique, il le fit par goût. Il avait de la grâce ; il aimait la gloire et les plaisirs ; et je ne sais quelle tournure romanesque qu'il eut dans sa jeunesse, remplit les Français d'un enthousiasme qui gagna toute l'Europe. Il fullut voir ces bâtimens et ses fetes ; et souvent la curiosité des étrangers soudoya la vanité française. En fondant à Rome une colonie de peintres et de sculpteurs, il fesait signer à la France une alliance perpétuelle avec les arts. Quelquefois son humeur magnifique allait avertir les princes étrangers du mérite d'un savant ou d'un artiste caché dans leurs états, et il en fesait l'honorable conquête. Aussi le nom français et le sien pénétrèrent jusqu'aux extrémités orientales de l'Asie. Notre langue domina comme lui dans tous les traités ; et quand il cessa de dicter des lois, elle garda si bien l'empire qu'elle avait acquis, que ce fut dans cette même langue, organe de son ancien despotisme que ce prince fut humilié vers la fin de ses jours. Ses prospérités. ses fautes et ses malheurs servirent également à la langue ; elle s'enrichit à la révocation de l'édit de Nantes, de tout ce que perdait l'état. Les réfugiés emportèrent dans le nord leur haine pour le prince et leurs regrets pour la pa. trie, et ces regreis et cette heine s'exhalèrent en Français.

Il semble que c'est vers le milieu du règne de Louis XIV, que le royaume se trouva à son plus haut point de grandeur reletive. L'Allemagne avait des princes nuls, l'Espagne était divisée et languissante, l'Italie avait tout à

indre, l'Angleterre et l'Ecosse n'étaient pas encore unies, la Prusse et la Russie n'existaient pas. Aussi l'heureuse France, profitant de ce silence de tous les peuples, triompha dans la paix, dans la guerre et dans les arts. Elle occupa le monde de ses entreprises et de sa gloire. Pendant près d'un siècle elle donna à ses rivaux et les jalousies littéraires, et les alarmes politiques, et la fatigue de l'admiration. Enfin l'Europe lasse d'admirer et d'en

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vier, voulut imiter : c'était un nouvel hommage. Des essaims d'ouvriers entrèrent en France, et en rapportèrent notre langue et nos arts qu'ils propagèrent.

Son vrai Caractère.

Ce qui distingue notre langue des anciennes et des modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le Français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe, qui est l'action ; et enfin l'objet de cette action: voilà la logique naturelle à tous les hommes; voilà ce qui constitue le sens commun. Or, cet ordre si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l'objet qui frappe le premier : c'est pourquoi tous les peuples, abandonnant l'ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie des mots l'exigeaient; et l'inversion a prévalu sur la terre, parce que l'homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la raison.

Le Français, par un privilége unique, est seul resté fidèle à l'ordre direct, comme s'il était tout raison ; et l'on a beau, par les mouvemens les plus variés et toutes les ressources du style, déguiser cet ordre, il faut toujours qu'il existe : et c'est en vain que les passions nous bouleversent et nous sollicitent de suivre l'ordre des sensations; la syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas Français ; ce qui n'est pas clair est encore Anglais, Italien, Grec ou Latin. Pour apprendre les langues à inversions, il suffit de connaître les mots et leur regimes ; pour apprendre la langue française, il faut encore retentir l'arrangeme. des mots.

On dirait que c'est d'une géométrie tout élémentaire, de la simple ligne droite que s'est formée la langue française ; et que ce sont les courbes et leurs variétés infinies qui ont présidé aux langues grecque et latine. La notre règle et conduit la pensée ; celles-là se précipitent et s'égarent avec elle dans le labyrinthe des sensations, et suivent tous les caprices de l'harmonie :

aussi furent-elles merveilleuses pour les oracles, et la nôtre les eût absolument décriés.

Un des plus grands problêmes qu'on puisse proposer aux hommes, est cette constance de l'ordre régulier dans notre langue. Je conçois bien que les Grecs et même les Latins, ayant donné une famille à chaque mot, et de riches modifications à leurs finales, se soient livrés aux plus hardies tournures pour obéir aux impressions qu'ils recevaient des objets ; tandis que dans nos langues modernes, l'embarras des conjugaisons et l'attirail des articles, la présence d'un nom mal apparenté ou d'un verbe défectueux, nous font tenir sur nos gardes, pour éviter l'obscurité. Mais pourquoi, entre les langues modernes, la nôtre s'estelle trouvée seule si rigoureusement asservie à l'ordre direct; serait-il vrai que par son caractère la nation française eût souverainement besoin de clarté ?

Tous les hommes ont ce besoin sans doute ; et je ne croirai jamais que dans Athènes et dans Rome les gens du peuple aient usé de fortes inversions. On voit même leurs plus grand écrivains se plaindre de l'abus qu'on en fesait en vers et en prose. Ils sentaient que l'inversion était l'unique source des difficultés et des équivoques dont leurs langues fourmillent; parce qu'une fois l'ordre du raisonnement sacrifié, l'oreille et l'imagination, ce qu'il y a de plus capricieux dans l'homme, restent maîtresses du discours. Aussi, quand on lit Démétrius de Phalère, estun frappé des éloges qu'il donne à Thucydide, pour avoir débuté dans son histoire, par une phrase de con struction toute française. Cette Phrase était élégante et directe à la fois ; ce qui arrivait rarement; car toute langue accoutumée à la licence des inversions, ne peut plus porter le joug de l'ordre, sans perdre ses mouvemens

sa grâce.

Mais la langue française ayant la clarté par excellence, a dû chercher toute son élégance et sa force dans l'ordre direct; l'ordre et la clarté ont dû surtout dominer dans la prose, et la prose a dû lui donner l'empire. Cette marche est dans la nature : rien n'est en effet comparable à la prose française.

Il y a des piéges et des surprises dans les langues à inversions : le lecteur reste suspendu dans une phrase latine, comme un voyageur devant des routes qui se croi

sent; il attend que toutes les finales l'aient averti de la correspondance des mots; son oreille reçoit; et son esprit, qui n'a cessé de décomposer pour composer encore, résout enfin le sens de la phrase comme un problême. La prose française se développe en marchant et se déroule avec grâce et noblesse. Toujours sure de la construction des phrases, elle entre avec plus de bonheur dans la discussions des choses abstraites, et sa sagesse donne de la confiance à la pensée. Les philosophes l'ont adoptée, parce qu'elle sert de flambeau aux sciences qu'elle traite ; et qu'elle s'accommode également, et de la frugalité didactique, et de la magnificence qui convient à l'histoire de la nature.

On ne dit rien en vers qu'on ne puisse très-souvent exprimer aussi bien dans notre prose; et cela n'est pas toujours réciproque. Le prosateur tient plus étroitement sa pensée et la conduit par le plus court chemin; tandis que le versificateur laisse flotter les rênes, et va où la rime le pousse.

Notre

prose s'enrichit de tous les trésors de l'expression ; elle poursuit les vers dans toutes ses hauteurs, et ne laisse entre elle et lui que la rime. Etànt com

à tous les hommes, elle a plus de juges que la versification, et sa difficulté se cache sous une extrême facilité. La versification enfle sa voix, s'arme de la rime et de la mesure, et tire une pensée commune du sentier vulgaire: mais aussi que de faiblesse ne cache pas l'art des vers ! La prose accuse le nu de la pensée ; il n'est pas permis d'être faible avec elle. Selon Denis d’Halycarnasse, il y a une prose qui vaut mieux que les meilleurs vers, et c'est elle qui fait lire les ouvrages de longue haleine, parce qu'elle seule peut se charger des détails, et la variété de ses périodes lasse moins que le charme continu de la rime et de la mesure. Et qu'on ne crni pas que je veuille par là dégrader les beaux vers ; l'irr tion pare la prose, mais la poésie pare l'imagination. i. raison elle-même a plus d'une route, et la raison en vers est admirable ; mais le mécanisme du vers fatigue, sans offrir à l'esprit des tournures plus hardies : dans notre langue surtout, où les vers semblent être les débris de la prose, qui les a précédes ; tandis que chez les Grecs, sau

mune

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