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il faut plus de santé que d'esprit, plus de travail que de capacité, plus d'habitude que de génie. Si elle vient d'un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu'elle s'exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l'écrivain.

Je conseille à un auteur né copiste, et qui a l'extrême modestie de travailler d'après quelqu'un, de ne se choisir pour exemplaires que ces sortes d'ouvrages où il entre de l'esprit, de l'imagination, ou même de l'érudition : s'il n'atteint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se fait lire. Il doit au contraire éviter comme un écueil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu'ils expriment sur le papier dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas et dans le ridicule ceux qui s'ingèrent de les suivre. En effet, je rirois d'un homme qui voudroit sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage.

Un homme né chrétien et François se trouve contraint dans la satire : les grands sujets lui sont défendus; il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses, qu'il relève par la beauté de son génie et de son style.

Il faut éviter le style vain et puéril, de peur de ressembler à Dorilas et Handburg'. L'on peut au contraire en une sorte d'écrits hasarder de certaines expressions, user de termes transposés et qui peignent vivement, et plaindre ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en servir ou à les entendre.

Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût de son siècle songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut toujours tendre à la perfection; et alors celte justice qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre.

Il ne faut point mettre un ridicule où il n'y en a point : c'est se gåter le goût, c'est corrompre son jugement et celui des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y voir, l'en tirer avec grace, et d'une manière qui plaise et qui instruise.

HORACE, OU DESPRÉAUX l'a dit avant vous. Je le crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, et que d'autres encore penseront après moi?

' On prétend que, par le nom de Dorilas, La Bruyère désigne Varillas, historien assez agréable, mais fort inexact. Quant au nom de Handburg, il n'y a pas la moindre incertitude : il est la parodie exacte de Maimbourg; hand voulant dire main en allemand et en anglois. Madame de Sévigné a dit du P. Maimbourg qu'il a ramassé le délicat des mauvaises ruelles. Ce jugement s'accorde fort bien avec celui de La Bruyère.

DU MÉRITE PERSONNEL.

Qui peut, avec les plus rares talents et le plus excellent mérite, n'être pas convaincu de son inutilité, quand il considère qu'il laisse, en mourant, un monde qui ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer?

De bien des gens il n'y a que le nom qui vaille quelque chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que rien de loin ils imposent.

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Tout persuadé que je suis que ceux que l'on choisit pour de différents emplois, chacun selon son génie et sa profession, font bien, je me hasarde de dire qu'il se peut faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes connues ou inconnues, que l'on n'emploie pas, qui feroient très bien; et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès de certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui jusques alors on n'avoit pas attendu de fort grandes choses.

Combien d'hommes admirables, et qui avoient de très beaux génies, sont morts sans qu'on en ait parlé ! Combien vivent encore dont on ne parle point, et dont on ne parlera jamais!

Quelle horrible peine à un homme qui est sans proneurs et sans cabale, qui n'est engagé dans aucun corps, mais qui est seul, et qui n'a que beaucoup de mérite pour toute recommandation, de se faire jour à travers l'obscurité où il se trouve, et de venir au niveau d'un fat qui est en crédit !

Personne presque ne s'avise de lui-même du mérite d'un autre. Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes pour avoir le loisir de pénétrer ou de discerner les autres: de là vient qu'avec un grand mérite et une plus grande modestie l'on peut être longtemps ignoré.

Le génie et les grands talents manquent souvent, quelquefois aussi les seules occasions: tels peuvent être loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auroient fait.

Il est moins rare de trouver de l'esprit que des gens qui se servent du leur, ou qui fassent valoir celui des autres, et le mettent à quelque usage.

Il y a plus d'outils que d'ouvriers, et de ces derniers plus de mauvais que d'excellents : que pensez-vous de celui qui veut scier avec un rabot, et qui prend sa scie pour raboter?

Il n'y a point au monde un si pénible métier que celui de se faire un grand nom : la vie s'achève que l'on a à peine ébauché son ouvrage.

Que faire d'Égésippe qui demande un emploi? Le mettra-t-on dans les finances ou dans les troupes? Cela est indifférent, et il faut que ce soit l'intérêt seul qui en décide; car il est aussi capable de manier de l'argent, ou de dresser des comptes, que de porter les armes. Il est propre à tout, disent ses amis: ce qui signifie toujours qu'il n'a pas plus de talent pour une chose que pour une autre; ou, en d'autres termes, qu'il n'est propre à rien. Ainsi la plupart des hommes, occupés d'eux seuls dans leur jeunesse, corrompus par la paresse ou par le plaisir, croient faussement dans un åge plus avancé qu'il leur suffit d'être inutiles ou dans l'indigence, afin que la république soit engagée à les placer ou à les secourir; et ils profitent rarement de cette leçon si importante que les hommes devroient employer les premières années de leur vie à devenir tels par leurs études et par leur travail, que la république elle-même eût besoin de leur industrie et de leurs lumières; qu'ils fussent comme une pièce nécessaire à tout son édifice, et qu'elle se trouvât portée par ses propres avantages à faire leur fortune ou à l'embellir.

Nous devons travailler à nous rendre très dignes de quelque emploi; le reste ne nous regarde point, c'est l'affaire des autres.

Se faire valoir par des choses qui ne dépendent point des autres, mais de soi seul, ou renoncer à se faire valoir: maxime inestimable et d'une ressource infinie dans la pratique, utile aux foibles, aux vertueux, à ceux qui ont de l'esprit, qu'elle rend maîtres de leur fortune ou de leur repos: pernicieuse pour les grands; qui diminueroit leur cour, ou plutôt le nombre de leurs esclaves; qui feroit tomber leur morgue avec une partie de leur autorité, et les réduiroit presque à leurs entremets et à leurs équipages; qui les priveroit du plaisir qu'ils sentent à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner; qui les traverseroit dans le goût qu'ils ont quelquefois à mettre les sots en vue, et à anéantir le mérite quand il leur arrive de le discerner; qui banniroit des cours les brigues, les cabales, les mauvais offices, la bassesse, la flatterie, la fourberie; qui feroit d'une cour orageuse, pleine de mouvements et d'intrigues, comme une pièce comique ou même tragique, dont les sages ne seroient que les spectateurs; qui remettroit

de la dignité dans les différentes conditions des hommes, de la sérénité sur leur visage; qui étendroit leur liberté; qui réveilleroit en eux, avec les talents naturels, l'habitude du travail et de l'exercice; qui les exciteroit à l'émulation, au desir de la gloire, à l'amour de la vertu; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, souvent onéreux à la républiqne, en feroit ou de sages économes, ou d'excellents pères de famille, ou des juges intègres, ou de bons officiers, ou de grands capitaines, ou des orateurs, ou des philosophes, et qui ne leur attireroit à tous nul autre inconvénient que celui peut-être de laisser à leurs héritiers moins de trésors que de bons exemples.

Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire. Personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fonds pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l'oisiveté du sage qu'un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât travailler.

Un homme de mérite, et qui est en place, n'est jamais incommode par sa vanité; il s'étourdit moins du poste qu'il occupe qu'il n'est humilié par un plus grand qu'il ne remplit pas, et dont il se croit digne plus capable d'inquiétude que de fierté ou de mépris pour les autres, il ne pèse qu'à soi-même.

Il coûte à un homme de mérite de faire assidument sa cour, mais par une raison bien opposée à celle que l'on pourroit croire. Il n'est point tel sans une grande modestie, qui l'éloigne de penser qu'il fasse le moindre plaisir aux princes s'il se trouve sur leur passage, se poste devant leurs yeux, et leur montre son visage. Il est plus proche de se persuader qu'il les importune; et il a besoin de toutes les raisons tirées de l'usage et de son devoir pour se résoudre à se montrer. Celui, au contraire, qui a bonne opinion de soi, et que le vulgaire appelle un glorieux, a du goût à se faire voir; et il fait sa cour avec d'autant plus de confiance, qu'il est incapable de s'imaginer que les grands dont il est vu pensent autrement de sa personne qu'il fait lui-même.

Un honnête homme se paie par ses mains de l'application qu'il a à son devoir par le plaisir qu'il sent à le faire, et se désintéresse sur les éloges, l'estime et la reconnoissance, qui lui manquent quelquefois.

Si j'osois faire une comparaison entre deux conditions tout-àfait inégales, je dirois qu'un homme de cœur pense à remplir ses devoirs à peu près comme le couvreur songe à couvrir : ni l'un ́ ni l'autre ne cherchent à exposer leur vie, ni ne sont détournés par le péril; la mort pour eux est un inconvénient dans le métier, et jamais un obstacle. Le premier aussi n'est guère plus vain d'avoir paru à la tranchée, emporté un ouvrage ou forcé un retranchement, que celui-ci d'avoir monté sur de hauts combles ou sur la pointe d'un clocher. Ils ne sont tous deux appliqués qu'à bien faire, pendant que le fanfaron travaille à ce qu'on dise de lui qu'il a bien fait.

La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief.

Un extérieur simple est l'habit des hommes vulgaires; il est taillé pour eux et sur leur mesure mais c'est une parure pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions; je les compare à une beauté négligée, mais plus piquante.

Certains hommes, contents d'eux-mêmes, de quelque action ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réussi, ayant ouï dire que la modestie sied bien aux grands hommes, osent être modestes, contrefont les simples et les naturels; semblables à ces gens d'une taille médiocre qui se baissent aux portes de peur de se heurter.

Votre fils est bègue; ne le faites pas monter sur la tribune. Votre fille est née pour le monde; ne l'enfermez pas parmi les vestales. Xantus, votre affranchi, est foible et timide; ne différez pas, retirez le des légions et de la milice. Je veux l'avancer, ditesvous: comblez-le de biens, surchargez-le de terres, de titres et de possessions; servez-vous du temps; nous vivons dans un siècle où elles lui feront plus d'honneur que la vertu. Il m'en coûteroit trop, ajoutez-vous. Parlez-vous sérieusement, Crassus? Songezvous que c'est une goutte d'eau que vous puisez du Tibre pour enrichir Xantus que vous aimez, et pour prévenir les honteuses suites d'un engagement où il n'est pas propre?

Il ne faut regarder dans ses amis que la seule vertu qui nous attache à eux, sans aucun examen de leur bonne ou de leur mauvaise fortune; et quand on se sent capable de les suivre dans leur disgrace, il faut les cultiver bardiment et avec confiance jusque dans leur plus grande prospérité.

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