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erreur provient de ce que le philosophe de Koenigsberg sépare l'ordre moral de l'ordre religieux et regarde la loi morale comme indépendante du dogme de l'existence de Dieu opinion insoutenable, que nous avons signalée et réfutée dans la première partie. Tous les principes que nous établissons sur l'ordre moral démontrent trèsclairement que les devoirs de l'homme envers Dieu nesauraient être exclus d'un traité de philosophie morale.

Il y a aussi dans notre seconde partie certains points qui, si l'on adopte la différence radicale établie par Kant entre le droit naturel et la morale, ne devraient pas figurer dans un cours de philosophie morale; mais, nous l'avons dit, nous n'admettons point cette différence qui ne nous semble reposer sur aucune base rationnelle. Nous avons donc cru devoir maintenir en morale quelques questions importantes que plusieurs auteurs, conformément aux principes établis par Kant, renvoient à la philosophie du droit soit privé soit public.

Quant à la première partie, nous la reproduisons à peu près telle que nous l'avons publiée d'abord; nous y avons fait seulement quelques additions dont la plus importante est un nouveau paragraphe de l'Introduction sur la différence et le rapport entre la philosophie et la théologie morales.

Louvain, 15 Août, Fête de l'Assomption de la SainteVierge 1855.

INTRODUCTION.

SI. Notion générale de la morale. Son objet.

A s'en tenir au sens littéral et étymologique du mot qui la nomme, la morale, appelée par les Grecs Ethique, nous apparaît en général comme la science qui traite des mœurs. Máis cette notion, quoique vraie en soi, est incomplète, peu précise et surtout très-peu philosophique. Pour avoir une idée juste et véritablement philosophique d'une science, il faut que l'on remonte au principe général qui la domine et auquel toutes les parties de cette science se rapportent comme à leur centre commun. Quant à la morale, il est évident à priori que ce principe devra se confondre avec la règle même des mœurs; il ne s'agit que de déterminer cette règle considérée dans sa plus haute expression.

Or cette règle c'est le Bien ou le Bon. Le Bien, voilà donc, en principe, le véritable objet de la morale. Ce point ne tardera pas à être éclairci.

Le Bien en soi, nous le prouverons plus loin, est quelque chose d'absolu, de nécessaire, d'immuable, d'éternel; par conséquent, il n'est point distinct de Dieu même. C'est pour cette raison que la morale peut revendiquer une place parmi les sciences philosophiques : l'objet dont elle s'occupe rentre entièrement dans le cadre des idées philosophiques. Qu'est-ce en effet qui constitue l'objet de la philosophie proprement dite, sinon les idées universelles, nécessaires, absolues, immuables et éternelles? Sans doute la philosophie ne se borne point à l'étude des idées absolues considérées en elles-mêmes, elle les étudie aussi dans leurs rapports avec les choses et les idées relatives, avec l'homme, avec le monde, avec la création tout entière; mais alors même que le philosophe descend à l'étude des choses relatives et contingentes, ce sont encore ces idées absolues et nécessaires qui doivent dominer toutes ses investigations, elles doivent être tout ensemble le point de départ, le centre et le terme de ses recherches.

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Une vérité importante ressort de ces observations. Les idées nécessaires et absolues n'étant autre chose que l'idée divine elle-même envisagée sous différents aspects, il s'ensuit que toutes les parties de la philosophie se rattachent à Dieu de la façon la plus étroite: Dieu est, en rigueur de termes, le commencement, le milieu et la fin de toutes les branches philosophiques; et une philosophie qui ne part pas de Dieu et ne ramène pas tout à Dieu est nécessairement une philosophie manquée.

A ce point de vue, qui est le seul vrai, la morale, telle qu'elle est traitée par un assez grand nombre d'auteurs, ne mérite guère, il faut le dire, de figurer au rang des sciences philosophiques; séparée de Dieu et détachée par là du centre des idées absolues, elle en est réduite à se traîner péniblement dans l'humble sphère des sciences empiriques, impuissante à résoudre d'une manière complète aucun des grands problèmes de l'ordre moral.

Comme nous l'avons dit, la morale a donc pour objet l'étude

du Bien. Mais elle ne s'arrête pas à l'étude du Bien considéré en soi, elle l'étudie dans ses rapports avec la volonté créée, en tant qu'il est la règle ou la loi de cette volonté. C'est le Bon qui est la règle suprême de la volonté humaine. En se conformant à cette règle, l'homme se perfectionne, il devient bon lui-même et marche sûrement au terme de sa destinée ou à la possession complète du Bon, laquelle constitue le souverain bonheur. L'homme, au contraire, s'écarte-t-il du Bon, il se détériore, devient mauvais, s'éloigne de sa fin et se précipite dans le malheur suprême, dont la racine est la privation même du Bon ou de Dieu. Le Bon possédé ou perdu librement, voilà ce qui constitue le souverain bonheur ou le malheur suprême de l'homme. C'est ainsi que le Bien. considéré dans ses relations diverses avec la volonté, forme l'objet total de la morale.

§ II. Du but de la philosophie morale.

Il y a deux erreurs à éviter dans la détermination du but de la philosophie morale. La première erreur consiste à confondre le but de cette science avec celui de la religion; la seconde est celle où tombe le rationalisme en assignant pour but à la philosophie morale la découverte des règles et des préceptes de l'ordre moral. Nous commencerons par dire un mot de ces deux erreurs.

1. Il est manifeste que le but prochain de la philosophie morale ne saurait être, comme celui de la religion, un but pratique; elle ne peut pas avoir pour but de régler les mœurs de l'homme, de le diriger dans sa vie pratique; car elle est une science, et le but de toute science est nécessairement théorique, spéculatif : la science s'adresse à l'intelligence et non à la volonté. L'erreur que nous signalons se rencontre dans beaucoup de traités de philosophie morale. Elle provient souvent de ce que des auteurs, d'ailleurs recommandables, ne s'attachent pas assez à préciser avec rigueur l'objet de la branche dont ils traitent.

Plusieurs écrivains ont pu s'égarer sur ce point en voulant

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suivre la route tracée par Socrate, qui est regardé comme le restaurateur des sciences morales chez les Grecs. En philosophie morale, l'illustre sage d'Athènes poursuit avant tout un but pratique, parce que dans son esprit la vraie philosophie se confond avec la vraie religion. Dans la société païenne on ne rencontre point d'enseignement religieux convenablement organisé, et destiné à régler les mœurs, à former la conduite pratique de l'homme; la philosophie sérieuse s'efforçait de suppléer à cette lacune, et de là ses tendances pratiques. Mais aujourd'hui tout est changé. Au sein de nos sociétés chrétiennes, la religion s'attache à enseigner aux hommes les lois et les préceptes qui doivent les diriger dans leur conduite; elle s'occupe principalement à former le côté moral et pratique de la vie humaine. Il ne faut donc plus que la philosophie veuille prendre la place de la religion : elles ont un but distinct; et si d'un côté il n'est pas permis de les séparer, de l'autre, il ne saurait être permis non plus de les confondre.

Faisons remarquer en passant que quand nous distinguons le but de la philosophie morale de celui de la religion, nous ne parlons que du but prochain, direct, immédiat; car le but suprême de toute science doit toujours être le perfectionnement moral de l'homme.

2. La seconde erreur que nous avons signalée au début de ce paragraphe est propre aux rationalistes. Elle a sa source dans les principes mêmes du rationalisme. En effet, le dogme fondamental du rationalisme consiste à prétendre que la raison humaine peut et doit découvrir par elle-même toute vérité, et surtout les vérités de l'ordre moral et religieux; elle ne peut pas les recevoir d'un enseignement extérieur, elle ne doit se fier qu'à elle-même, à ses propres lumières, et n'accepter que le résultat de ses propres investigations. Tel est le fondement du rationalisme rigoureux. L'erreur que nous avons signalée n'est que l'application de ce principe à la morale. Tout rationaliste conséquent qui aborde l'étude de la morale doit se proposer pour but de découvrir par lui-même les règles et les préceptes moraux, les grandes vérités de l'ordre moral; tout ce qu'il en connaît déjà, il doit l'effacer de son esprit et le reléguer au rang des fables.

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