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le bien moral. Ses actes sont bons, non plus seulement de cette bonté qui accompagne tout acte matériellement conforme à l'ordre établi de Dieu, mais d'une bonté morale; et la créature libre devient elle-même par là moralement bonne.

Il est facile d'apercevoir le lien qui rattache ce chapitre à ceux qui précèdent. Nous avons d'abord étudié le Bien en lui-même, puis nous l'avons vu devenant loi morale; à ce titre, il engendre, il crée dans la volonté humaine le devoir, l'obligation morale: or c'est l'accomplissement libre du devoir qui constitue le bien moral, comme aussi c'est la transgression libre du devoir qui constitue le mal moral. Nous allons traiter un peu plus longuement dans ce chapitre de ces notions, ainsi que de celles de mérite et de démérite, qui en sont la conséquence immédiate.

SI. De la vertu.

Vertu signifie force, vigueur; et l'on a justement donné ce nom à la pratique du bien, parce que, depuis la chute, il faut à l'homme une certaine force pour faire le bien. D'ailleurs c'est l'accomplissement du devoir qui fait la véritable force de l'âme.

Par vertu on entend généralement une habitude du bien; et l'on appelle homme vertueux celui qui fait habituellement le bien. Cependant les actes bons posés librement par la volonté se nomment aussi actes vertueux, et, de cette manière, l'acte vertueux ne se distingue point de l'acte moralement bon.

La vertu, considérée comme une habitude de l'àme, peut se définir en général, une perfection de l'âme qui la dispose à faire le bien plus facilement. Cette habitude est ou acquise ou infuse. Elle est acquise, lorsqu'elle a été produite dans l'âme par la répétition fréquente d'actes bons. Elle est dite infuse, lorsque Dieu l'a mise en nous sans notre coopération : c'est ainsi que la foi, l'espérance et la charité sont des habitudes infuses dans l'âme de l'enfant qui vient d'être baptisé; elles le prédisposent à croire. à espérer, à aimer, d'une foi, d'une espérance et d'un amour surnaturels. Mais ces vertus, appar

tenant à l'ordre surnaturel, sont du ressort de la théologie et non de la philosophie.

Que si l'on considère la vertu plus particulièrement en rapport avec l'action, on pourra l'appeler avec Kant la force morale de la volonté d'un homme dans l'accomplissement de son devoir.

Aristote et bon nombre de moralistes à sa suite enseignent que la vertu consiste dans le milieu entre deux vices (1); en sorte que, pour ces philosophes, ce milieu devrait être regardé comme une sorte de règle et de mesure de la vertu. La loi de la vertu, dit Aristote, est de marcher constamment entre le trop et le trop peu (2). C'est donc par ce juste milieu que l'on doit décider si une action est vertueuse ou non. De là ces formules In medio virtus medio tutissimus ibis tenuere beati.

medium

Observons seulement qu'Aristote entend par milieu non le milieu en soi ou le milieu de la chose (το τοῦ πραγματος μέσον), mais le milieu par rapport à nous (to μEGOV πρos rμas), c'est-àdire ce qui pour nous, eu égard à notre état et aux circonstances, n'est ni trop ni trop peu (5).

Cette manière d'envisager la vertu est fausse. Ce milieu dont on parle n'est point un principe, et jamais il ne peut servir de règle absolue pour établir la différence entre le vice et la vertu. « La différence entre le vice et la vertu, comme Kant le remarque avec beaucoup de justesse, ne peut jamais se trouver dans les degrés de l'accomplissement de certaines maximes à suivre; elle ne doit être cherchée que dans leur qualité spécifique (leur rapport à la loi) (4). ›

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En d'autres termes, ce qui constitue la vertu, ce qui fait ou qu'un acte est vertueux, ou qu'une habitude est vertueuse, c'est uniquement la conformité à la loi morale et non pas ce

(1) « μεσότης δὲ δυο κακιῶν, τῆς μεν καθ ̓ ὑπερβολὴν τῆς δε κατ ̓ ἔλλειψιν. » Eth. Nicom. I, 6.

(2) Ibid.

(3) Ibid. 5.

(4) Introd. à la morale; V. Principes métaph. de la morale, trad. de Tissot, 2e éd., p. 52.

milieu entre deux vices. Il est vrai que d'ordinaire la vertu tient ce qu'on appelle le juste milieu; ainsi, par exemple, la vertu de force tient le milieu entre l'audace et la lâcheté. Et c'est là sans doute ce qui a conduit Aristote à faire consister la vertu dans le milieu entre deux vices (1). Mais il a pris pour un principe et pour une règle absolue quelque chose de purement accidentel. La vertu n'est point vertu, parce qu'elle tient ce milieu, mais uniquement parce qu'elle est conforme à la loi. D'ailleurs il est des vertus où il n'y a point de milieu possible, parce qu'il n'y a point d'excès possible : par exemple, dans l'amour de Dieu. Mais enfin, quand même ce milieu existerait toujours, la théorie d'Aristote n'en demeurerait pas moins fausse et anti-philosophique, parce que ce n'est point là ce qui donne à la vertu son caractère (2).

Entrons maintenant dans quelques développements pour placer dans un plus grand jour le véritable concept de vertu.

Ce qui constitue la vertu, avons-nous dit, c'est la conformité avec la loi morale, base et règle absolue de tout bien. S'il en est ainsi, il s'ensuit que la vertu réside dans la conformité de la volonté avec l'ordre qu'est-ce en effet que la loi morale, sinon le commandement qui prescrit l'observation des rapports conçus et voulus par Dieu? Or c'est précisément cet ensemble de rapports qui constitue l'ordre général. Les observer, les maintenir, c'est donc se conformer à l'ordre, c'est être dans l'ordre. Voilà pourquoi S. Augustin a pu définir avec une profonde vérité la vertu, l'amour de l'ordre. L'homme vertueux, comme tel, aime l'ordre, il agit en conformité avec l'ordre; et de cette manière il est lui-même dans l'ordre.

De l'ordre naissent l'harmonie et la beauté. La vertu est harmonieuse et belle, parce qu'elle est l'expression de l'ordre; tandis que le vice est discordant et laid, parce qu'il est l'image

(1) Aristote était toujours guidé par des notions empiriques; il ne voyait guère que l'expérience, et les faits ordinaires et communs lui fournissaient ses principes de philosophie. Aussi n'y a-t-il rien de vraiment philosophique dans tout ce qu'il a écrit sur la morale.

(2) Grotius a déjà combattu cette théorie d'Aristote sur la vertu, De jure belli et pacis, Proleg. art. 39. Voir aussi Gerdil, Philos. mor. institut., disp. IV.

du désordre. De là donc l'idée du beau moral. Le beau moral dans l'homme est cette harmonie qui résulte de la libre observation de l'ordre. Cette beauté croît à mesure que l'observation de l'ordre est plus parfaite et qu'elle demande en même temps plus de sacrifice de la part de l'arbitre. Elle peut s'élever ainsi jusqu'au sublime, qui le plus souvent se confond avec l'héroïsme.

Ces idées, considérées de près, nous conduisent jusqu'à Dieu. On peut dire que la vertu consiste dans la ressemblance de l'homme avec Dieu. Car en se conformant à l'ordre, que fait-on? On se conforme aux conceptions, aux pensées de Dieu, et par conséquent à ses perfections, à sa propre nature, dont l'ordre n'est que le reflet: imiter l'ordre, c'est imiter Dieu. Donc l'homme, par la pratique de la vertu, devient semblable à Dieu (1). Que si l'on considère la vertu plus particulièrement sous son côté actif, c'est-à-dire en tant qu'elle agit dans la volonté humaine, on pourra dire qu'elle consiste, en général, dans l'amour de Dieu. En aimant l'ordre, on aime les conceptions de Dieu, on aime ses pensées, ses perfections, sa nature, on l'aime lui-même : donc, si la vertu consiste dans l'amour de l'ordre, il est vrai de dire aussi qu'elle consiste dans l'amour de Dieu (2).

Il suit de là que toute vertu renferme, du moins implicitement, l'amour de Dieu. Je dis implicitement et non explicitement, car peu d'hommes ont l'intention formelle de faire un acte d'amour de Dieu, lorsque, par exemple, ils secourent un malheureux ou remplissent un devoir quelconque à l'égard de leurs semblables. Si pourtant ils agissent par amour du bien, ils agissent aussi, quoique sans le remarquer, par amour de Dieu; et leur acte est un acte d'amour de Dieu.

(1) Platon a déjà défini la vertu, la ressemblance avec Dieu, ápolócic Asw.

Cicéron traduit et commente en ces termes la définition de Platon : « Est autem virtus nihil aliud quam in se perfecta et ad summum perducta natura; est igitur homini cum Deo similitudo. » De legibus, lib. I. c. 8. Je crois toutefois qui ni Platon ni Cicéron ne voyaient clairement par quoi et comment la vertu est la ressemblance de l'homme avec Dieu.

(2) S. Augustin dit aussi : « Quod si virtus ab beatam vitam nos ducit, Dibil omnino esse virtutem affirmaverim, nisi summum amorem Dei. » De moribus eccl. cath. c. xv, n. 25.

Ce que nous avons dit jusqu'ici montre suffisamment combien la vertu élève et perfectionne l'homme. Le perfectionnement moral de l'homme consiste dans la pratique de plus en plus parfaite du bien, de même que son perfectionnement intellectuel consiste dans l'accroissement progressif de la connaissance. La vertu est donc la perfection morale de l'homme. Mais dans cette vie il n'y a point de perfection absolue; l'homme est toujours perfectible, il n'est jamais parfait. Plus l'homme est vertueux, plus il se perfectionne, plus il approche du type suprême de la perfection, vers lequel il doit tendre sans cesse, et qui n'est autre que Dieu lui-même, le Bien absolu. Jésus-Christ dans l'Évangile nous invite à aspirer sans relâche à cette perfection dont Dieu est le type souverain : Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait.

L'ordre moral ou l'ordre du bien étant l'ordre le plus élevé, l'ordre suprême auquel tous les autres se rapportent, il s'ensuit que le perfectionnement moral est le plus important, et que par conséquent la vertu est supérieure à tout le reste. Donc plus l'homme est vertueux, plus il est noble, plus il est digne d'être honoré et respecté. La vertu est la première des noblesses.

Nous ferons une dernière remarque avant de terminer ce paragraphe.

L'homme ne pratique point le bien par la seule énergie de sa volonté, il a besoin pour le faire d'être attiré et soutenu par le Bien suprême, qui est Dieu. Étant une créature, l'homme doit toujours ètre aidé et soutenu par le Créateur, dans son action aussi bien que dans son existence tout son être, toute son activité réclament à tous les instants l'appui de Dieu. Mais en outre l'action de l'homme a besoin d'être élevée, ennoblie par l'action divine pour devenir proportionnée au bonheur surnaturel qui nous est destiné. Enfin dans l'état actuel de notre nature déchue, le secours incessant et particulier de Dieu nous est plus nécessaire encore pour la pratique de la vertu. C'est ce secours particulier, c'est cette action spéciale de Dieu, dont la nécessité ne saurait être niée que par ceux qui n'ont jamais approfondi les mystères de l'ordre moral, que les théologiens appellent du nom de grâce.

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