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De là un ordre moral surnaturel et positif, qui constitue l'objet propre de la théologie morale. Toutefois comme ces rapports surnaturels se rattachent étroitement aux rapports purement naturels, et que ces deux ordres de rapports, tout en demeurant distincts, se touchent, s'enlacent ou même se pénètrent mutuellement, il faut bien que la théologie s'occupe aussi de l'ordre naturel; mais elle ne traite de cet ordre qu'autant qu'il rentre dans le système général de la religion chrétienne ou en forme une annexe inséparable. Par conséquent la théologie morale s'occupe de l'ordre naturel à un autre point de vue que la philosophie.

La philosophie et la théologie morales sont donc deux sciences réellement distinctes. Mais de ce qu'elles sont distinctes, s'ensuit-il qu'elles soient ennemies ou même qu'elles doivent vivre complètement isolées, de façon que l'une ne veuille rien emprunter à l'autre? Ces deux sciences ne sauraient être ennemies, puisque leur objet et leur base remontent en définitive à une source commune et identique : l'ordre naturel et l'ordre surnaturel, la raison et la révélation, viennent également de Dieu. Mais il ne suffit pas que la philosophie et la théologie ne se traitent point en ennemies, il doit y avoir entre elles une union positive et intime, il faut qu'elles se regardent comme deux sœurs et qu'ainsi elles s'entr'aident et se soutiennent mutuellement.

Trop souvent il arrive que, sous prétexte de respecter la distinction qui existe réellement entre la philosophie et la théologie en général, on sépare et on isole tout à fait ces deux branches du savoir. Or rien de plus funeste que cette séparation. Il ne faut pas confondre la philosophie et la théologie, mais il ne faut pas non plus les séparer. Une distinction n'est point une séparation. Distinguer deux sciences, c'est reconnaître leur différence réelle et les traiter conséquemment à cette différence; les séparer, c'est les mettre en opposition l'une avec l'autre ou méconnaître leurs rapports mutuels. Qu'on ne se fasse pas illusion, cette séparation que prêche généralement le rationalisme serait beaucoup plus funeste à la philosophie qu'à la théologie. Toutes les fois que la philosophie, craignant de compromettre son rang, a refusé de

demander des lumières à la théologie, elle a payé bien cher son orgueilleuse suffisance; elle s'est vue condamnée à demeurer muette devant des problèmes qui intéressent au plus haut point les destinées de l'homme; et si parfois elle a hasardé une solution timide, cela n'a servi le plus souvent qu'à trahir son impuissance, rarement elle a pu s'applaudir de ces sortes de tentatives. La philosophie ne saurait fleurir si elle n'est pas étroitement unie à la théologie. Celle-ci de son côté, pour être forte et vigoureuse, ne peut se passer du concours de la philosophie: ces deux sciences doivent toujours marcher ensemble, elles doivent se prêter un mutuel appui (1).

S VI. De la dignité et de l'importance de la philosophie morale.

L'importance et la dignité d'une science se mesurent à la valeur de son objet. On comprend donc aisément l'importance de cette branche de la philosophie qui traite de l'ordre moral; car cet ordre est l'ordre le plus élevé, il est la fin suprême de toutes choses, c'est le centre absolu vers lequel tout doit graviter. En outre l'ordre moral, considéré par rapport à chacun de nous, est ce qui nous importe le plus; car c'est par lui, c'est par le perfectionnement moral que nous allons à notre fin. Donc la science des principes qui gouvernent ce perfectionnement doit avoir le plus haut prix aux yeux de tout homme sérieux.

La philosophie morale tire une nouvelle importance de l'état actuel des esprits. Depuis près d'un siècle, l'ordre moral est profondément ébranlé en Europe, les principes les plus sacrés sont altérés, défigurés, corrompus. Et que fait la philosophie dominante pour remédier à ce déplorable état de choses? Absolument rien. Il est le produit de la fausse et frivole philosophie du dix-huitième siècle, et le rationalisme contemporain n'a guère fait que l'aggraver: les rationalistes les plus sérieux et les plus honnêtes ont eux-mêmes corrompu des vérités fondamentales de l'ordre moral, et ils sont impuissants à

(1) Voir mon Coup-d'œil sur l'histoire de la théologie dogmatique, p. 55-55.

défendre celles qu'ils veulent conserver, parce qu'ils manquent de principes ou plutôt parce qu'ils ne gardent ces vérités qu'en dépit de leurs propres principes. Il est donc de la plus haute importance de chercher, à l'aide de la science, à restituer aux principes sacrés des mœurs leur véritable caractère et à les asseoir sur une base scientifique inébranlable. Telle est aujourd'hui la mission d'une bonne philosophie morale.

S VII. Division de la morale.

Nous divisons la morale en deux parties, dont la première pourra se nommer morale générale ou théorique, la seconde morale spéciale ou pratique ; celle-la établit et discute les rapports généraux et théoriques du Bien avec la volonté créée, celle-cí particularise et applique ces principes aux différents ordres de relations que l'homme soutient. La seconde partie n'est qu'une application de la première.

PREMIÈRE PARTIE.

Chapitre I.

DU BIEN CONSIDÉRÉ (EN SOT Jafni Hoffman {Ex8rmei /G/4

Nemo bonus nisi solus Deus.

Luc. XVIII, 19.

S1. Notion générale du Bien.

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L'idée du bon ou du bien est toujours présente à l'esprit de l'homme, elle luit incessamment aux regards de sa raison. Quel est l'homme, en effet, à qui il n'arrive chaque jour de prononcer en lui-même ce jugement moral cette action est bonne, voilà une bonne action, ou encore: cette action est mauvaise, voilà une mauvaise action? Or il ne serait pas possible de parler ainsi et de s'entendre soi-même, si l'on n'avait présente à l'esprit l'idée du bon, à laquelle on compare, comme à sa règle suprême, cette action que l'on apprécie; on la déclare bonne ou mauvaise suivant qu'elle paraît conforme ou opposée à cette bonté que la raison aperçoit sans cesse et que tous les esprits voient partout la même.

Mais quelle est cette bonté que mon esprit aperçoit constamment et à laquelle il mesure tous les actes libres de l'homme? Quelle est la nature de cette idée du bon? Quels en sont les caractères? D'abord il est manifeste que l'idée du bien est une idée sui generis, laquelle se distingue de toute autre idée. Le bien ne peut se confondre ni avec l'agréable, ni avec l'utile,

ni avec le beau, ni avec le vrai. L'agréable est ce qui plaît aux sens; il a sa mesure dans la partie sensible de notre être, il n'existe même que dans la sensibilité, il change, varie et passe avec elle le bien est supérieur à la sphère de la sensibilité tant interne qu'externe. L'utile n'a pas sa fin en soi, il est toujours rapporté à autre chose, tandis que le bien veut être aimé pour lui-même (1). Le beau n'a point, comme le bien, un rapport direct et nécessaire à la volonté; nous en dirons autant du vrai, qui, en tant que vrai, est l'objet, non de la volonté, mais de l'intelligence.

Le bien est donc vraiment une idée sui generis.

Mais quels sont les traits généraux sous lesquels le bien se révèle à notre esprit? L'examen attentif de ces traits va nous montrer que le bien considéré en soi n'est point distinct de Dieu lui-même.

Le bien se présente-t-il à notre raison comme quelque chose de changeant, de passager, de temporaire, de contingent, de relatif, pouvant exister en Europe et non en Asie, en deçà et non au delà du Rhin? Rien de semblable ne se remarque dans l'idée du bien; il nous apparaît immuable, absolu, nécessaire et éternel. Cette proposition est de la dernière évidence aux yeux de quiconque réfléchit un instant. Il est visible que le bien ne dépend ni des temps, ni des lieux, qu'il ne varie ni avec les climats, ni avec les âges. Au fond, tout le monde est d'accord à cet égard, C'est pour cela que ce qui est regardé comme essentiellement conforme à la règle du bien est proclamé bon dans tous les pays et dans tous les siècles. Ce qui est intrinsèquement bon ici est bon partout. Obéir aux lois justes, honorer ses parents, soulager ceux qui souffrent, voilà des actes que mon esprit proclame bons dans tous les lieux du monde. Le bien ne change pas plus avec les temps qu'avec les lieux. Dites-vous jamais en parlant d'un acte que vous jugez bon intrinsèquement cet acte fut bon cet acte sera bon?

(1) « Quamquam, dit S. Augustin, omne honestum utile, et omne utile honestum esse, subtiliter defendi queat; tamen quia magis proprie et usitatius honestum dicitur quod propter seipsum expetendum est, utile autem quod ad aliud aliquid referendum est..... » De diversis quæstt. 83, q. 30.

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