Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

comme la joie est un amour qui s'attache au bien qu'il a. La fuite et la tristesse sont un amour qui s'éloigne du mal par lequel il est privé de son bien, et qui s'en afflige. L'audace est un amour qui entreprend, pour posséder l'objet aimé, ce qu'il y a de plus difficile ; et la crainte, un amour qui, se voyant menacé de perdre ce qu'il recherche, est troublé de ce péril. L'espérance est un amour qui se flatte qu'il possédera l'objet aimé; et le désespoir est un amour désolé de ce qu'il s'en voit privé à jamais; ce qui cause un abattement dont on ne peut se relever. La colère est un amour irrité de ce qu'on lui veut ôter son bien, et s'efforce de le défendre. Enfin, ôtez l'amour, il n'y a plus de passsions; et posez l'amour, vous les faites naitre toutes (1). »

S II. Des devoirs relatifs au corps.

L'homme n'est point un pur esprit, c'est un esprit associé à un organisme : c'est un être composé d'une àme et d'un corps. Il est lié par des devoirs particuliers envers son corps comme il l'est envers son âme, dans le sens où nous l'avons défini précédemment. Ici comme partout il est tenu d'observer les prescriptions de la loi morale, de maintenir l'ordre voulu et établi de Dieu.

Quel est donc cet ordre? et quels sont par conséquent les devoirs de l'homme à l'égard de son corps? Le corps est un élément intégrant de la vie humaine, c'est un instrument dont le concours est nécessaire à l'accomplissement de notre destinée. Le premier devoir de l'homme est donc de conserver son corps, et de le conserver pur et intègre. De là résulte tout d'abord la défense du suicide. Arrêtons-nous un moment à discuter cette thèse. Nous devrons nous borner à cette question.

[ocr errors]

i

Nous entendons par suicide le suicide direct et proprement dit, et nous le définissons l'acte d'un homme qui se donne volontairement la mort.

[ocr errors]

Dans l'antiquité les Epicuriens et les Stoïciens ont considéré

(1) De la connaissance de Dieu et de soi-même, chap. I,

VI.

le suicide comme permis. Quoi d'étonnant? Les premiers, ne s'inspirant que de l'idée du plaisir, méconnaissaient la notion du devoir; les seconds de leur côté, niant l'existence d'un Dieu personnel, proclamaient l'indépendance absolue du sage et le laissaient libre de prononcer lui-même sur ce qui convenait à sa nature. « Le stoïcien, dit Kant, considérait comme une prérogative de sa personnalité (du sage) de sortir tranquillement de la vie, quand il le voudrait, comme on sort d'une chambre pleine de fumée, sans y être forcé du reste par aucun mal présent ou futur, mais par la raison qu'il ne pouvait plus être utile à rien dans ce monde (1).

Parmi les modernes, quelques écrivains ont cherché aussi à légitimer le suicide. Mais ces écrivains sont, pour la plupart, matérialistes et athées. Les philosophes spiritualistes, quels que soient d'ailleurs leurs principes religieux, se prononcent généralement contre le suicide.

Nous posons en thèse que le suicide est contraire à la loi morale et que jamais il ne peut devenir licite.

L'homme en effet n'est point un être indépendant, ne relevant que de lui-même, et pouvant disposer à son gré de sa personne. Il est une créature. Il tient sa vie de Dieu; il l'a reçue pour accomplir une certaine fin qu'il est obligé de poursuivre sans cesse; il ne peut donc pas en user selon son caprice et son bon plaisir, il doit l'employer selon la loi de Dieu, d'une manière conforme à l'ordre moral.

Le suicide usurpe les droits du créateur. Dieu seul est le maître de notre vie; il nous l'a confiée comme un dépôt dont il nous demandera compte : nous n'avons pas le droit d'en disposer de nous-mêmes. Nous devons accomplir notre destinée selon les lois de la Providence; il n'est pas en notre pouvoir de quitter le poste qui nous est confié, nous sommes tenus de le garder jusqu'à ce que Dieu en dispose autrement. Platon fait excellemment valoir cette raison contre le suicide dans le Phédon. Il la donne d'abord comme une tradition sacrée : « Je n'ose alléguer ici cette maxime enseignée dans les mystères, que nous sommes ici-bas comme dans un poste, et qu'il nous

(1) Principes métaphysiques de la morale, trad. de Tissot,

p. 78.

[ocr errors]

est défendu de le quitter sans permission. Socrate discourt ensuite contre le suicide, en prouve l'illégitimité et insiste sur cette vérité, que les hommes appartiennent aux dieux. C'est pourquoi tout homme est tenu de conserver sa vie et d'en user conformément à la loi morale jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de la lui ôter.

Si l'on veut y prendre garde, on remarquera sur-le-champ que les arguments invoqués par les apologistes du suicide supposent tous que l'homme est le maître de sa vie, et qu'ainsi il peut en disposer à son gré. C'est qu'en effet, dès qu'on ne part pas de là, il n'est pas possible de songer à justifier le suicide. Il est donc extrêmement important de mettre tout d'abord en lumière le principe opposé, qui est à lui seul la condamnation absolue du suicide. C'est dans ce principe, tel que nous l'avons énoncé, que réside la raison véritable de l'illégitimité du suicide. Les autres raisons que l'on a coutume d'invoquer pour établir l'immoralité de cet acte sont tout à fait secondaires, elles sont purement accessoires et n'ont de valeur qu'en tant qu'elles s'appuient sur la base vraiment rationnelle que nous venons de poser.

Toutefois, cette base posée, on peut très-légitimement faire valoir contre le suicide plusieurs motifs particuliers qui sont d'un très-grand poids. Rappelons-en quelques-uns.

1o Le suicide est contraire à la voix de la nature. En effet, l'instinct de la conservation, l'amour de la vie, sont bien certainement la voix de la nature; cette voix retentit au fond du cœur de l'homme, et il n'est personne qui n'en discerne les pénétrants accents (1). Eh bien ! cette voix de la nature doit être respectée aussi longtemps qu'elle n'est pas en opposition avec une loi du monde moral; or ici pas d'opposition, les partisans du suicide n'invoquent contre elle aucun principe de l'ordre moral, et loin d'être en opposition, elle est au contraire en pleine harmonie avec la grande voix de la morale.

2o Le suicide est contraire à la société. Il arrache violem

(1) C'est que l'homme n'était point fait pour mourir; Dieu n'a point créé la mort suivant l'expression de l'Écriture, et l'homme ne meurt que parce qu'il est coupable: la mort est la solde du péché,

ment et contre l'ordre un membre utile à la société; car tout membre est utile lorsqu'il est bon or tous les hommes peuvent être bons, et c'est pour eux une obligation de l'être. En outre, l'homme qui se donne volontairement la mort corrompt la société par un exemple dangereux et travaille implicitement à sa ruine. La société est un corps qui ne subsiste que par la vie et l'union de ses divers membres : tout membre qui se détache de cet ordre fait une blessure au corps social, le bouleverse et le détruit autant qu'il est en lui.

3o Ajoutons que le suicide est une absurdité que nulle raison n'explique. « Un être raisonnable, dirons-nous avec M. Bautain, n'agit point sans motif, et, dans les déterminations de sa liberté, il y a toujours une pensée, un désir qui le décide. Quel peut être le désir, la pensée de celui qui médite le suicide? Sans doute, c'est d'échapper à sa situation présente, qui lui semble insupportable; c'est de fuir une douleur, un mal, ce qui implique l'espérance d'un état meilleur ou d'un bien contraire au mal qu'il veut éviter. Or, a-t-il quelques données qui puissent justifier cette espérance, motiver ce désir? Sait-il donc le moins du monde ce qui l'attend de l'autre côté de la vie? Comment le saurait-il ? Dans le désespoir où son âme est tombée, la foi religieuse lui manque, et cette foi seule peut donner à l'homme la conviction de son avenir audelà du tombeau (1). S'il avait encore de la foi, ou si la foi avait quelque empire sur lui, il ne songerait point à se détruire. Jamais on ne verra un homme pieux, un vrai chrétien se donner la mort. La foi en Jésus-Christ inspire toujours le courage de la vie, si dure qu'elle soit; souvent même elle fait trouver bonne l'existence la plus chargée de tribulations. Celui qui pense à s'ôter la vie ne sait donc en aucune manière ce qu'il deviendra, ce qu'il trouvera après la consommation de son crime. Ce soulagement, ce bien-être qu'il désire ou espère, est une chimère de son imagination malade. Rien ne peut le lui garantir, et cependant il passe outre, il se précipite en aveugle dans un abîme dont il ne voit pas le fond. Il agit donc

(1) De fait, une âme où il n'y a plus de croyances religieuses a perdu toute conviction ferme et inébranlable.

de la manière la plus déraisonnable, sans motif, sans but, par un entraînement aveugle et comme à l'aventure (1).

[ocr errors]
[ocr errors]

De quelque côté qu'on envisage le suicide, il nous apparaît donc toujours comme un crime monstrueux et en même temps comme une effrayante folie; tout concourt à nous le montrer comme une action à la fois coupable et forcenée, digne d'exciter l'horreur de quiconque porte un cœur d'homme. Aussi presque tous les peuples se sont-ils accordés à le flétrir. Nous avons tout-à-l'heure entendu Platon en appeler à la tradition contre le meurtre de soi-même. Ce passage de l'Énéide témoigne à son tour du sentiment des peuples à cet égard : « Plus loin on reconnaît à leur tristesse profonde les malheureux dont une mort volontaire a tranché les jours jusqu'alors innocents, et qui, prenant en haine la lumière, ont rejeté avec horreur le fardeau de la vie. Qu'ils voudraient maintenant souffrir encore sur la terre, et la pauvreté, et les plus pénibles travaux! Les destins s'y opposent; un odieux marais les enchaîne de ses eaux fangeuses; le Styx, neuf fois replié sur lui-même. les enferme à jamais dans le sombre séjour (2). »

Il est à peine nécessaire de dire que tous les peuples chrétiens condamnent le suicide...

Répondons brièvement à quelques objections qui nous sont faites par les apologistes du suicide.

On objecte 1o. La nature nous porte invinciblement à chercher notre bonheur, et, par conséquent, à éviter notre malheur; or il arrive souvent que la vie présente est un malheur pour nous : donc, en nous l'ôtant, nous ne faisons qu'obéir à la voix de la nature.

?

Réponse. Il est très-vrai de dire que la nature nous porte invinciblement à chercher notre bonheur; c'est là une loi à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, et il est dans l'ordre

(1) Philos. mor., chap. X, § 113.

Insontes pepe

(2) << Proxima deinde tenent mosti loca, qui sibi lethum rere manu, lucemque perosi Projecere animas. Quam vellent æthere in alto Nunc et pauperiem et duros perferre labores!... » VI, W. 434 sqq.

« ZurückWeiter »