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doivent commander, on dit que cette puissance vient de Dieu, par cela que la société elle-même est obligée, de droit naturel et divin, d'obéir à celui qui commande. Dieu, en effet, a ordonné que la société fût gouvernée par un ou par plusieurs. Ainsi se concilient toutes les opinions et se révèlent dans leur véritable sens les oracles de l'Écriture : « Qui résiste à la puissance, résiste à l'ordre de Dieu. » « Tout pouvoir vient de Dieu. » " Soyez soumis à toute créature, à cause de Dieu, soit au roi, etc... Ces témoignages et d'autres semblables doivent nous convaincre que Dieu, comme suprême modérateur de toutes choses, dispose et ordonne tout. Mais cela n'exclut point les opérations et les conseils humains, ainsi que l'interprètent sagement saint Augustin et saint Jean Chrysostôme (1). ›

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On le voit donc, les deux opinions en présence, sainement entendues, aboutissent au même résultat. Ce n'est pas ici le lieu de les examiner en détail; qu'il nous suffise de les avoir exposées. Nous ajouterons seulement que, suivant la doctrine du plus grand nombre des docteurs catholiques, le pouvoir est communiqué de Dieu d'une manière médiate, c'est-à-dire par le canal du peuple ou de la société. Nous croyons toutefois que la plupart de nos théologiens, en défendant cette communication purement médiate du pouvoir, ont eu surtout en vue de combattre cette théorie ridiculement despotique qui, écartant toute intervention de la société, représentait le roi comme recevant directement et personnellement de Dieu seul la collation du pouvoir suprême. On sait que cette étrange théorie, mise en avant par le roi d'Angleterre Jacques Ier, fut combattue avec beaucoup d'éclat par un Jésuite espagnol, le célèbre Suarez.

Le caractère de ce livre ne nous permet pas d'en dire davantage sur l'origine du pouvoir civil. Une seule chose est certaine, c'est que ce pouvoir vient de Dieu, parce qu'il est le résultat d'une loi de la nature, dont Dieu est l'auteur et le suprême ordonnateur. Tout le reste est discutable et en soi assez peu important. En fait, le pouvoir peut naître et se consti

(1) Theologia christ. dogmatico-mor., lib. I. De jure natur. et gent., etc. Dissert. 4 de leg. hum., c. 2. Ap. Balmès, loc. cit., p. 36—37.

tuer de différentes manières, il n'y a rien d'absolu à cet égard.

Section III. Critique des théories de Hobbes et de J. J. Rousseau.

Nous allons maintenant apprécier très-rapidement les théories de Hobbes et de J. J. Rousseau sur l'origine du pouvoir. Ces deux sophistes ont répudié le droit divin et n'ont réussi qu'à lui substituer le droit de la force.

Caractérisons d'abord nettement leur point de départ.

:

Hobbes et Rousseau partent 1o de cette hypothèse chimérique, que la société n'est pas dans la nature de l'homme, et qu'ainsi elle n'existe pas nécessairement à leurs yeux, la société est chose purement accidentelle, arbitraire; et ils lui opposent ce qu'ils nomment l'état de nature, c'est-à-dire, l'état sauvage, où chaque homme vit au gré de ses caprices, sans liens et sans devoirs. 2o Ils écartent complètement l'idée de Dieu, l'idée d'une loi morale supérieure à l'homme, d'une loi qui lie sa conscience en lui imposant des devoirs (1). Avant la formation et la constitution de la société, l'homme n'est lié par aucun devoir. Tel est le point de départ de ces deux écrivains qu'on nous donne gravement pour des philosophes.

Voyons à présent comment ils expliquent l'origine de la société, et avec elle l'origine du pouvoir.

Il y a cela de commun dans les théories de ces deux auteurs, qu'elles donnent l'une et l'autre pour origine et pour fondement à la société et au pouvoir des conventions ou des contrats librement consentis entre des individus naturellement indépendants. La société et le pouvoir ne sont pas le résultat d'une loi de la nature, ils sont établis arbitrairement par la volonté des hommes : une convention ou un contrat, voilà la seule base sur laquelle reposent et la société et le pouvoir, voilà le seul fondement de tous les droits et de tous les devoirs sociaux.

(1) Je sais que Rousseau admettait l'existence de Dieu et une certaine loi morale naturelle, mais il n'en tient pas compte lorsqu'il s'agit de déterminer l'origine du pouvoir; il fait tout dériver de la volonté arbitraire et indépendante des hommes.

Hobbes et Rousseau sont pleinement d'accord sur ce point: de part et d'autre c'est absolument le même principe; ils ne se divisent que dans les questions de détail et d'application.

Et d'abord ils envisagent différemment ce qu'ils appellent l'état de nature. Pour Hobbes l'état de nature était un état de guerre incessante, un état de lutte de tous contre tous (1). Rousseau croit au contraire que cet état était un état de bienveillance mutuelle entre les hommes, un état de paix, de calme et de bonheur : l'homme naît bon, a écrit ce sophiste, c'est la société qui le déprave. Comment donc les hommes sont-ils sortis de cet état de nature? D'après le philosophe anglais comme d'après le sophiste de Genève, ils en sont sortis uniquement parce qu'ils l'ont bien voulu, rien ne les obligeait à le faire. Le premier nous apprend que les hommes, se voyant très-malheureux dans ce singulier état de nature, furent facilement amenés à chercher un autre état; chacun d'eux consentit donc à faire quelque concession, à céder quelque chose de son droit naturel (2). Ainsi naquirent entre ces individus des conventions, qui constituèrent la société et devinrent le principe de tout devoir et de tout droit social. Le pouvoir fut créé pour maintenir cette société toute artificielle. Ce pouvoir, une fois constitué, est absolu; il peut faire tout ce qu'il veut, tous ses actes sont légitimes: son droit est égal à sa force, Hobbes ne reconnaît pas de loi supérieure au pouvoir, à laquelle celui-ci serait teņu de se conformer; Dieu et la loi morale sont exclus de son système politique. Il nie le droit divin pour établir le droit de la force et consacrer le despotisme le plus brutal qu'il soit possible d'imaginer.

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Rousseau procède un peu différemment. A l'en croire, les hommes, quoique parfaitement heureux dans l'état de nature, voulurent, on ne sait trop pourquoi, sortir de ce merveilleux état; il leur prit envie de fonder l'état social. Ils firent donc entre eux un pacte, que Rousseau nomme le contrat social (5),

(1) Voyez la Ire part. ch. III, § I.

(2) Pour Hobbes le droit naturel n'est pas une qualité morale, il dérive uniquement de la force et des besoins de chaque individu.

(3) On sait que tel est le titre du trop fameux ouvrage où ce sophiste expose sa théorie sociale et politique.

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et par lequel ils constituèrent et la société et le pouvoir. Rousseau semble avoir plus de souci de la liberté que Hobbes. Voici comme il énonce le problème que doit résoudre le pacte social : «Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant. Tel est, ajoute-t-il, le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. Les clauses de ce contrat, poursuit-il, sont tellement déterminées par la nature de l'acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet; en sorte que, bien qu'elles n'aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues, jusqu'à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça (1). » L'homme, dans sa liberté naturelle, n'est lié par aucun devoir à l'égard de ses semblables les idées de devoir, de droit, de justice, de moralité ne naissent, comme Rousseau l'affirme expressément (2), qu'avec la société, elles dérivent du pacte qui la constitue.

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Mais où est le pouvoir dans une société ainsi constituée ? Qu'est-il et en qui réside-t-il? Le pouvoir n'est autre chose que la collection des pouvoirs particuliers abdiqués par chacun des contractants : « Chacun de nous, dit l'auteur, met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale, et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout (3). » Les contractants, ayant mis en commun leur personne et leur puissance, constituent ainsi un corps moral et collectif, « lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables. » La souveraineté ou le pouvoir réside donc dans la volonté générale, qui résulte de l'abdication de toutes les volontés particulières. Et comme

(1) Contrat social, chap. VI.

(2) Chap. VIII.

(3) Chap. VI.

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la volonté générale représente toutes les volontés particulières, il s'ensuit que le pouvoir ne peut jamais nuire à aucun des membres de la société : « Le souverain, par cela seul qu'il est, est toujours tout ce qu'il doit être (1). » Les sujets n'ont donc besoin d'aucune garantie contre les empiétements du pouvoir celui-ci ne veut jamais que ce que chacun est censé vouloir. De plus, la volonté générale, qui est la volonté du peuple ou de la communauté, n'ayant rien au-dessus d'elle, n'étant soumise à aucune loi supérieure, elle est infaillible, elle ne saurait mal faire, et tout ce qu'elle commande est légitime: «La volonté générale est toujours droite.» — C'est pour cela que toutes les fois que la volonté générale se fait entendre, il n'y a plus à examiner ni à discuter, il faut obéir; la conscience n'a plus le droit de parler, et tout citoyen peut être contraint par la force à se soumettre aux prescriptions du pouvoir. « Afin donc, dit Rousseau, que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps ce qui ne signifie autre chose, sinon qu'on le forcera d'être libre (!) car telle est la condition qui donnant chaque citoyen à la patrie le garantit de toute dépendance personnelle (2). » A la bonne heure, voilà certes une liberté bien digne de ceux qu'effraie la doctrine du droit divin! C'est la liberté entendue à la façon de Sparte, c'est-à-dire le sacrifice de l'homme, de la personnalité humaine au profit de l'État.

:

On le voit, Rousseau aboutit en définitive au même résultat que Hobbes : en voulant substituer au droit divin un droit purement humain, il ne parvient qu'à fonder le despotisme; seulement il y a cette différence entre ces deux sophistes, que le second établit le despotisme monarchique, tandis que le premier consacre le despotisme républicain; ce n'est qu'une différence de forme.

Il est évident que les conventions de Hobbes et le contrat

(1) Chap. VII.

(2) Ibid.

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