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Votre raison vous permet-elle de dire sérieusement il était bon hier d'être juste il sera bon demain d'être bienfaisant? Votre esprit se refuse à admettre un tel langage, et il vous oblige à dire il est bon d'être juste, il est impossible qu'il n'en soit pas ainsi. Et pourquoi parlez-vous de la sorte? Parce que cette idée, ce type du bien, que votre raison aperçoit, se révèle à vous revêtu des caractères de la nécessité et de l'immutabilité, et tout ce qui est conforme à ce type, vous êtes contraint de le nommer bon. Il vous est tout aussi impossible d'exprimer par le passé ou le futur les principes que je viens d'énoncer, qu'il le serait de le faire de cette vérité mathématique sept et trois font dix; de part et d'autre ce sont des vérités nécessaires et absolues, supérieures à la loi du temps et de la succession.

Nul doute sur ce point, ce type du bon toujours présent à notre intelligence est immuable, nécessaire, absolu; il subsiste indépendant de tous les temps, il est éternel. Entraîné par une évidence irrésistible, j'affirme sans crainte que ce type absolu était avant ma naissance, qu'il était il y a trente siècles, qu'il existerait lors même qu'il n'y aurait aucune intelligence humaine pour le voir et le comprendre. Qui donc me persuadera que cette bonté absolue que mon esprit aperçoit sans cesse dépend de moi, a son siége propre en moi et qu'elle n'est qu'une propriété ou un produit de mon âme? Mais loin de se confondre avec moi et de dépendre en quelque chose de ma pensée, c'est elle qui me domine, me corrige et me redresse quand je m'égare: elle est la bonté, et moi je ne suis point la bonté; je ne puis être que bon, et même pour être bon, je sens que je dois me conformer à elle. Je vois donc très-clairement qu'elle est au-dessus de moi, indépendante de moi, et que, fussé-je anéanti, elle ne périrait point avec moi. Elle se révèle à mon esprit comme une chose qui ne dépend ni de lui ni d'aucun esprit semblable, mais de laquelle au contraire tout esprit dépend et relève dans ses jugements moraux. Elle m'apparaît comme nécessaire, immuable, supérieure aux révolutions de l'espace et du temps; et je vois que, quand même tous les esprits semblables au mien cesseraient d'exister, elle ne disparaîtrait pas avec eux, parce qu'il est trop évident pour

moi qu'elle ne peut pas ne pas exister. Nous pouvons appliquer à l'idée du bien ces paroles par lesquelles Bossuet définit les vérités nécessaires : « J'entends, dit-il, par ces principes de vérités éternelles, que quand aucun autre être, que l'homme et moi-même ne serions pas actuellement, quand Dieu aurait résolu de n'en créer aucun autre, le devoir essentiel de l'homme, dès là qu'il est capable de raisonner, est de vivre selon la raison, et de chercher son auteur, de peur de lui manquer de reconnaissance, si, faute de le chercher, il l'ignorait. Toutes ces vérités, et toutes celles que j'en déduis par un raisonnement certain, subsistent indépendamment de tous les temps: en quelque temps que je mette un entendement humain, il les connaitra, mais en les connaissant, il les trouvera vérités, il ne les fera pas telles; car ce ne sont pas nos connaissances qui font leurs objets, elles les supposent. Ainsi ces vérités subsistent devant tous les siècles, et devant qu'il y ait eu un entendement humain; et quand tout ce qui se fait par les règles des proportions, c'est-à-dire, tout ce que je vois dans la nature, serait détruit, excepté moi, ces règles se conserveraient dans ma pensée; et je verrais clairement qu'elles seraient toujours bonnes et toujours véritables, quand moi-même je serais détruit, et quand il n'y aurait personne qui serait capable de les comprendre (1). >>

Il nous reste maintenant à tirer la conclusion qui ressort immédiatement des prémisses que nous venons d'établir.

Si ce type du bon d'après lequel nous jugeons tous les actes qui émanent de la libre volonté est immuable, absolu, nécessaire, éternel, il doit résider dans un être également absolu, nécessaire et éternel; et cet être c'est Dieu. « Si je cherche maintenant, dit Bossuet en parlant des idées nécessaires en général, où et en quel sujet elles subsistent éternelles et immuables, comme elles sont, je suis obligé d'avouer un être, où la vérité est éternellement subsistante, et où elle est toujours

(1) De la connaissance de Dieu et de soi-même, ch. iv, § 5. - Voyez aussi dans le Traité de l'existence et des attributs de Dieu, de Fénelon, la théorie des idées et de la raison, part. I, chap. II et part. II, chap. IV. Édit. de M. Gosselin, Lyon-Paris 1843.

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entendue; et cet être doit être la vérité même, et doit être toute vérité... C'est donc en lui, d'une certaine manière qui m'est incompréhensible (1), c'est en lui, dis-je, que je vois ces vérités éternelles; et les voir, c'est me tourner à celui qui est immuablement toute vérité et recevoir ses lumières... Ces vérités éternelles, que tout entendement aperçoit toujours les mêmes, par lesquelles tout entendement est réglé; sont quelque chose de Dieu ou plutôt sont Dieu même (2).

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Ainsi le bien en soi, tel qu'il se révèle à notre esprit, n'est point distinct de Dieu, c'est un attribut de Dieu lui-même : "Deus bonum, dit S. Augustin, in quo et a quo et per quem bona... sunt, quæ bona... sunt omnia (5). » Il nous arrive souvent de dire, remarque avec beaucoup de sagacité le même Père: Tel bien et tel autre bien. Retranchez, poursuit-il, tel et tel, et regardez, si vous le pouvez, le bien en lui-même, ainsi vous verrez Dieu... Au reste, dans l'appréciation de tous ces biens particuliers, nous ne pourrions pas dire que l'un vaut mieux que l'autre, si nous n'avions présente à l'esprit l'idée du bien en soi, qui nous sert de règle et dans l'approbation des choses et dans la préférence que nous accordons à l'une sur l'autre (4).

S. Bonaventure exprime à peu près la même pensée au chapitre III de l'Itinerarium, où, analysant les principales opérations de l'âme, il montre combien celle-ci est étroitement unie à Dieu. Voici comme l'illustre docteur prouve que l'esprit humain voit toujours le bien absolu. « L'opération de la puissance élective, dit-il, consiste dans la consultation, le jugement et le désir. Or consulter c'est rechercher ce qui est meilleur, ceci ou cela; mais rien n'est dit meilleur qu'en tant

(1) Ces mots d'une certaine manière qui m'est incompréhensible, c'est en lui, dis-je, ne sont pas dans la première édition de 1722.

(2) Loc. cit.

(3) Soliloq. lib. I, c. I, n. 3.

(4) Bonum hoc et illud bonum. Tolle hoc et illud, et vide ipsum bonum, si potes, et ita Deum videbis, non alio bono bonum, sed bonum omnis boni. Neque enim in his omnibus bonis... diceremus aliud alio melius, cum vere judicamus, nisi esset nobis impressa notio ipsius boni, secundum quod et probaremus aliquid, et aliud alii præponeremus. » De Trinit., lib. vi, c. 3.

qu'il approche de ce qui est tout à fait bon, et le degré de proximité consiste dans une plus grande ressemblance; donc personne ne sait que telle chose est meilleure que telle autre s'il ne sait qu'elle ressemble davantage à ce qui est tout à fait bon; mais personne ne sait qu'une chose ressemble davantage à une autre, si celle-ci ne lui est pas connue, car je ne sais pas que tel homme ressemble à Pierre si je ne sais ou si je ne connais pas Pierre. Par conséquent il est nécessaire que la connaissance du bien suprême soit imprimée dans tous ceux qui consultent (1).

S II. Notion plus spéciale du Bien.

Le bien, considéré en soi, s'identifie avec Dieu. Mais Dieu est intelligence et volonté; et quoique l'intelligence et la volonté se confondent dans l'unité radicale de l'être divin, cependant elles sont virtuellement distinctes et elles se montrent à nous sous des traits qui les différencient à nos yeux. Est-ce donc sous le rapport de l'intelligence, est-ce sous le rapport de la volonté que Dieu nous apparait le bien absolu? Dans l'homme, qui est fait à l'image de Dieu, le vrai se rapporte à l'intelligence, le bien à la volonté. Il doit en être de même en Dieu, modèle suprême et nécessaire de notre esprit et de toutes ses perfections.

Observons seulement la différence essentielle qui sépare sur ce point l'intelligence et la volonté créées de l'intelligence et de la volonté divines. L'intelligence créée a pour objet le vrai, mais elle n'est point le vrai; celui-ci lui est extérieur, il la domine et la gouverne, et pour être elle-même dans le vrai, elle est tenue de se conformer à quelque chose qui lui est su

(1) << Operatio autem virtutis electivæ attenditur in consilio, judicio et desiderio. Consilium autem est in inquirendo quid sit melius, hoc an illud. Sed melius non dicitur nisi per accessum ad optimum. Accessus autem est secundum majorem assimilationem. Nullus igitur scit utrum hoc sit illo melius, nisi sciat illud optimo magis assimilari. Nullus autem scit aliquid alii magis assimilari, nisi illud cognoscat. Non enim scio huuc similem esse Petro, nisi sciam vel cognoscam Petrum. Omni ergo consilianti necessario est impressa notitia summi boņi. » Itiner. mentis in Deum, cap. m, u. 43. Édit. et trad. de M. Ubaghs. Bruxelles 1854.

périeur. La volonté créée est dans la même situation à l'égard du bien. En Dieu il en est tout autrement. Son intelligence n'a point, comme la nôtre, sa règle et sa mesure hors d'elle-même, elle est au contraire la règle et la mesure de toutes choses; les choses ne sont vraies qu'en tant qu'elles correspondent fidèlement à la conception, à la pensée de Dieu. L'intelligence divine, ou, en d'autres termes, Dieu se connaissant lui-même, est la vérité en soi, et par conséquent la règle absolue de toute vérité (1).

Nous devons en dire autant du bien par rapport à la volonté. La règle et la mesure de la bonté des volitions et des actes de Dieu ne lui sont point extérieures, elles ne subsistent point hors de lui; la bonté absolue, règle et mesure de tout bien, se confond avec sa propre nature; Dieu, en tant qu'il s'aime lui-même d'un amour nécesssaire et essentiel, nous apparaît comme le bien en soi et comme la sainteté absolue.

Ainsi la Vérité en soi c'est l'Être absolu en tant qu'il se connaît et s'affirme lui-même; la Bonté en soi c'est l'Etre absolu en tant qu'il s'aime et se veut lui-même d'une volonté nécessaire et essentielle..

C'est ici le lieu de distinguer entre la volonté absolue de Dieu et la volonté que l'on pourrait appeler relative. Cette distinction nous semble très-importante pour l'éclaircissement de certains points sur lesquels il arrive fréquemment aux moralistes de disputer sans s'entendre. Elle nous fera comprendre dès maintenant en quel sens il est permis de fonder la morale sur la volonté de Dieu. La morale a pour fondement la volonté absolue de Dieu, mais non sa volonté relative. L'occasion s'offrira plus tard de discuter ce dernier point.

Nous appelons volonté absolue cette volonté par laquelle

(1) S. Thomas s'exprime ainsi sur ce sujet : « Veritas invenitur in intellectu, secundum quod apprehendit rem ut est, et in re, secundum quod habet esse conformabile intellectui. Hoc autem maxime invenitur in Deo. Nam esse ejus non solum est conforme suo intellectui, sed etiam est ipsum suum intelligere; et suum intelligere est mensura et causa omnis alterius esse et omnis alterius intellectus; et ipse est suum esse et intelligere. Unde sequitur quod non solum in ipso sit veritas, sed quod ipse sit ipsa summa et prima veritas. Summa theol. p. 1, q. 16, a. 5.

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