Abbildungen der Seite
PDF
EPUB
[ocr errors]

Voici comme s'exprime à cet égard le judicieux évêque d'Arras «La première chose qu'on est obligé de faire avant de recourir à ce moyen terrible que l'on appelle l'insurrection, et dont une révolution doit être la conséquence, c'est d'examiner sérieusement, longtemps, et avec le concours de toutes les lumières dont on peut disposer, si vraiment la situation l'exige. Or, pour que la situation l'exige, et par conséquent pour que cette tentative formidable puisse être permise, il faut être moralement sûr, 1° que, tout bien compensé, le pouvoir établi fait plus de mal que de bien, et que, par cela même, il n'est plus selon Dieu (c'est-à-dire qu'il est vraiment tyrannique); 2° Que les inconvénients toujours très-graves d'une révolution seront notablement moindres que ceux de la situation déjà faite; 5° Qu'il n'y a pas d'autre moyen que l'insurrection pour sortir suffisamment de cet état de souffrance et de péril; 4o enfin, que telle est la conviction des hommes les plus capables de bien juger la question, et de ceux surtout qui occupent dans l'État la place la plus rapprochée des pouvoirs suprêmes (1). »

-

Ces conditions sont absolument requises; mais une fois qu'elles existent, nous croyons que la morale ne condamne pas l'insurrection. Tel est le sentiment commun des théologiens.

Toutefois il se présente ici une difficulté soulevée à l'occa∙sion d'un acte récent du Saint Siége, et il est de notre devoir de l'éclaircir.

Le 15 août 1852, le Souverain-Pontife Grégoire XVI adressa au monde chrétien une Encyclique où il condamne des doctrines soutenues par le trop fameux abbé F. de Lamenais dans le journal l'Avenir. Or quelques catholiques croient que par cette Encyclique Grégoire XVI a condamné d'une manière absolue toute insurrection contre le pouvoir établi, quelque tyrannique qu'il soit; à leur avis, cette décision du Pontife suprême a définitivement tranché la question, et il n'est plus permis à aucun catholique de défendre le droit d'insurrection en aucun cas. Nous ne pouvions passer cette difficulté sous silence. Tâchons de l'éclaircir en peu de mots.

(1) Ouv. cit., loc. cit.

Nous ferons d'abord observer que Balmès et Mgr Parisis, qui sont assurément deux théologiens de mérite, et qui ont écrit depuis l'apparition de l'Encyclique, n'ont pas vu dans cette pièce la décision qu'on prétend y trouver; car ils défendent l'un et l'autre le droit d'insurrection en certains cas. Il serait au moins étrange que ces deux auteurs n'eussent pas même soupçonné cette décision que l'on dit être si clairement formulée dans l'Encyclique.

Mais abordons directement l'Encyclique elle-même et voyons si vraiment elle contient une décision dogmatique sur la question dont il s'agit. Nous n'hésitons pas à affirmer qu'elle ne contient rien de semblable, et que les écrivains qui ont dit le contraire se sont écartés de toutes les règles reçues en théologie pour l'interprétation de décrets de ce genre. Comme la nature de ce livre nous interdit tout détail, nous devons nous borner à signaler en deux mots ce qu'il y a de plus essentiel dans ces règles théologiques; cela suffira du reste pour montrer sur-le-champ quelle est la portée dogmatique de l'Encyclique.

Dans un décret doctrinal, émanant du chef suprême de l'Église ou d'un concile général, il y a deux parties à distinguer: 1o le but spécial du décret ou sa conclusion; 2o les raisons et les considérations alléguées dans le corps du décret. Le décret n'a une autorité doctrinale absolue que dans sa conclusion, parce qu'en effet la conclusion seule montre ce qu'on a voulu réellement définir; tout le reste du décret est dépourvu de cette autorité (1). Voilà ce qu'admettent tous les théologiens. Or, cette règle posée, il est aisé de voir si l'Encyclique dont il s'agit ici contient une décision dogmatique,

(1) Voici comment s'exprime là-dessus Melchior Cano, l'un des princes de la théologie catholique : « Et quidem in decretis pontificiis duo cum primis distinguenda sunt. Unum est, tanquam intentio conclusioque decreti : alterum quasi ratio et causa a Pontifice reddita ejus rei quam constituerit. Atque in conclusione Pontifices summi errare nequeunt, si fidei quæstionem ex apostolico tribunali decernant. Sin vero Pontificum rationes necessariæ non sunt, ne dicam aptæ, probabiles, idoneæ, in his nihil est videlicet immorandum. Non enim pro causis nos a Pontificibus redditis, tanquam pro aris et focis depugnamus. Loc. theol., lib. VI, c. 8.

c'est-à-dire une définition de foi sur la question qui nous occupe; il suffit pour cela d'examiner quel est son but direct, quelle est sa conclusion. Quel est donc ce but? Quelle est cette conclusion? Le but direct de l'Encyclique, tel qu'il ressort de toute sa teneur ainsi que des circonstances où elle fut donnée, c'est de condamner certaines doctrines politiques émises par M. de Lamennais; tout le monde est d'accord à cet égard. Mais quelles étaient ces doctrines? C'étaient des doctrines toutes révolutionnaires auxquelles, par une inexplicable aberration d'esprit, on s'efforçait de donner une couleur religieuse et catholique on excitait tous les peuples à s'insurger pour détruire les gouvernements et changer l'organisation sociale. « La théorie de M. de Lamennais, dit le judicieux abbé Balmės, peut se résumer dans les termes suivants : Égalité de nature entre tous les hommes, et comme conséquences nécessaires: 1° égalité de droits, y compris les droits politiques; 2o injustice de toute organisation sociale et politique qui n'établit point cette égalité complète, ce qui a lieu en Europe et dans tout l'univers; 3o convenance et légitimité de l'insurrection pour détruire les gouvernements et changer l'organisation sociale; 4° abolition de tout gouvernement, pour terme du progrès du genre humain (1). » Telles étaient les doctrines. anarchiques que Grégoire XVI voulut flétrir solennellement. « Comme nous avons appris, dit-il en marquant lui-même l'ob. jet propre de son Encyclique, que des écrits, semés parmi le peuple, proclament certaines doctrines qui ébranlent la fidélité et la soumission dues aux princes, et qui allument partout les flambeaux de la révolte, il faudra empêcher avec soin que les peuples ainsi trompés ne soient entraînés hors de la ligne de leurs devoirs. Que tous considèrent, poursuit le saint Pontife, que, suivant l'avis de l'Apôtre, il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu; celles qui existent ont été établies de Dieu. Ainsi celui qui résiste à la puissance résiste à l'ordre de Dieu, et ceux qui résistent s'attirent la condamnation à eux-mêmes. C'est pourquoi les lois divines et humaines s'élèvent contre ceux qui s'efforçent d'ébranler, par des trames honteuses de

(1) Le Protestantisme, etc. chap. LVI.

révolte et de sédition, la fidélité aux princes, et de les précipiter du trône.» On voit dans ces paroles l'énoncé du principe révolutionnaire que le Pape veut condamner en proclamant de nouveau d'une manière solennelle le principe catholique de la soumission due au pouvoir. Et telle est aussi la conclusion de l'Encyclique. Elle condamne ceux qui, « tout enflammés de l'ardeur immodérée d'une liberté audacieuse, s'appliquent de toutes leurs forces à ébranler et renverser tous les droits des puissances, tandis qu'au fond ils n'apportent aux peuples que la servitude sous le masque de la liberté. C'est là, ajoute le Pape, que tendaient les coupables rêveries et les desseins des Vaudois, des Béguards, des Wicléfites et des autres enfants de Bélial, qui furent l'opprobre du genre humain, et qui furent pour cela si souvent et si justement frappés d'anathème par le Siége Apostolique.

[ocr errors]

Il est donc clair que l'Encyclique ne condamne que des doctrines révolutionnaires. La doctrine de S. Thomas et de la plupart de nos grands théologiens, telle que nous l'avons exposée plus haut, demeure entière : cette doctrine n'a rien de commun avec les principes de M. de Lamennais ni de Wiclef ou des autres révolutionnaires frappés d'anathème par l'Église.

Article IV. Des devoirs de l'homme envers sa patrie.

Le corps de la nation, formé par l'union du pouvoir et des sujets, constitue la patrie. Après avoir vu les rapports directs du pouvoir et des sujets et marqué les droits et les devoirs généraux qui en résultent, nous devons considérer rapidement les obligations de tout citoyen vis-à-vis de la société politique dont il est membre...

La patrie est une communauté, une association morale et matérielle tout ensemble qui ne subsiste que par le concours des divers membres dont elle est composée; elle réclame donc de la part de ses membres d'abord le concours matériel dont elle a besoin pour vivre et pour prospérer, puis un concours moral qui atteste qu'elle n'est pas seulement une association de corps, mais une association d'âmes. « Le citoyen, dit M. Bau

་་

tain, ne doit pas seulement contribuer de son corps et de ses biens à la conservation et à la prospérité matérielle de la société; il doit encore coopérer autant qu'il est en lui à son perfectionnement moral et à sa gloire par tout ce qui peut la rendre meilleure, plus éclairée, plus civilisée (1). »

Il y a différentes manières de contribuer au bien-être et au perfectionnement moral de la patrie; il n'est pas nécessaire pour cela d'avoir constamment le nom de la patrie à la bouche ou son image devant les yeux: en répandant le bien autour de soi, en tâchant de se perfectionner soi-même et de perfectionner ses concitoyens, on est sûr de travailler au bien-être et à la véritable gloire de la patrie. « Il y a, dit encore M. Bautain, bien des manières de contribuer au perfectionnement et à la gloire de la société. La principale et qui est à la portée de tous, c'est la conduite régulière et honorable des particuliers, la moralité des citoyens. Quand il y a de bonnes mœurs dans le peuple, quand le plus grand nombre travaille, accomplit ses devoirs et vit dans l'ordre, l'État ne peut manquer de prospérer et de se consolider. Par là il acquerra une véritable gloire, moins brillante que celle des conquêtes ou de la magnificence des arts, mais plus durable, parce qu'elle est toute morale, et que, tournant à l'avantage de tous, elle ne porte ombrage ni préjudice à personne. C'est à cette espèce de gloire que les nations doivent aspirer aujourd'hui. Puis quand on descend dans les détails, on trouve toutes sortes de moyens par lesquels les bons citoyens peuvent se rendre utiles à leur pays moyens religieux et moraux, scientifiques et littéraires, artistiques, industriels, commerciaux, etc. Ainsi celui qui a institué cet ordre admirable de femmes qui se dévouent à soulager les plus grandes misères de la société dans les hôpitaux et ailleurs, celui-là, s'il n'était pas un saint, serait certainement encore un grand citoyen; car en travaillant pour le ciel, il a aussi bien mérité de la patrie. Il en est de même de la fondation et du soin de tous les établissements de charité. Les maisons d'orphelins, d'enfants trouvés, les écoles gratui

:

(1) Philos. mor., chap. VII, § 90.

« ZurückWeiter »