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compte d'aucun droit; nulle créature ne saurait être la base ou la raison dernière d'un droit.

La propriété étant un droit réel, tout attentat contre elle est une injustice. Le vol, sous quelque forme qu'il se fasse, est donc contraire à la morale, puisqu'il est la violation d'un droit.

§ II. Des devoirs positifs de l'homme envers ses semblables.

Nous avons parlé jusqu'ici des devoirs négatifs, appelés encore devoirs stricts ou parfaits, lesquels consistent à ne pas nuire à nos semblables, à ne pas blesser leurs droits. Mais l'homme a aussi des devoirs positifs envers ses semblables: il doit les aimer et manifester cet amour en leur faisant du bien. Vous aimerez votre prochain comme vous-même, dit la loi chrétienne; et comme l'amour doit se révéler par des actes, de là cette formule qui exprime nos devoirs positifs : Faites pour autrui ce que vous voudriez qui fût fait pour vous

même.

Nos devoirs positifs envers nos semblables consistent donc en général à faire pour eux ce que nous devons faire pour nous nos devoirs envers nous-mêmes sont la règle et en un certain sens la mesure de nos devoirs envers le prochain ; ceux-ci sont calqués sur ceux-là. Il est donc facile de les déduire des principes que nous avons posés sur les devoirs de l'homme envers lui-même. Je me contenterai d'ajouter ici quelques considérations générales.

Aimer ses semblables et manifester cet amour par des actes de bienfaisance, voilà, avons-nous dit, l'abrégé des devoirs positifs. Mais quel est l'objet de cette bienfaisance? Comment et dans quel ordre doit-elle s'exercer?

Cette bienfaisance a évidemment pour objet l'homme tout entier, et par conséquent le corps et l'âme du prochain. Et d'abord la charité nous fait un devoir de soutenir l'existence physique de nos semblables : vivre est le premier bien temporel de l'homme, et lorsqu'il ne peut le conserver par lui

même, c'est à ses frères à suppléer à ce qui lui manque, å venir à son aide et à le sauver. Telle est la loi de la charité. Quand un homme est dans l'impuissance de se suffire à luimême, ses frères sont tenus de le secourir. Lors donc que nos semblables se trouvent dans quelque besoin grave, c'est un devoir pour nous de les soulager autant que nos ressources nous le permettent; celui qui néglige de le faire, viole, non pas, il est vrai, la loi de la justice, mais la loi de la charité, qui engendre une obligation morale aussi rigoureuse. Tout homme doit même, autant qu'il le peut, travailler au soulagement de toutes les misères et de tous les besoins de ses semblables. Cette tâche, méconnue par la civilisation païenne, a été noblement comprise par le christianisme. Il exerce la bienfaisance sous toutes les formes et dans tous les genres; il a créé des institutions pour toutes les misères humaines, et dans ce nombre infini de maux qui affligent l'humanité, il n'est pas une plaie qui n'ait produit une œuvre destinée à la panser et à la cicatriser.

Le soulagement des besoins et des souffrances physiques n'est point le seul objet de la bienfaisance. L'âme du prochain réclame aussi et même plus que le corps notre sollicitude. Nos devoirs envers l'âme du prochain sont semblables à ceux que la loi morale nous prescrit envers notre âme propre. De même que nous devons travailler à notre perfectionnement intellectuel et moral, ainsi c'est un devoir pour nous de chercher à perfectionner nos semblables selon nos moyens et autant qu'ils en ont besoin eux-mêmes. Ce perfectionnement concerne l'intelligence et la volonté. L'homme doit chercher à procurer à ses semblables la connaissance de la vérité et à les affranchir du joug de l'erreur. La vérité est la nourriture de l'intelligence, c'est la possession de la vérité qui la fait vivre et qui, en la perfectionnant, la rend forte et vigoureuse. Si donc la charité demande que nous procurions au prochain la nourriture du corps, à plus forte raison commande-t-elle de lui fournir la nourriture de l'intelligence. L'aumône spirituelle l'emporte autant sur l'aumône corporelle que l'âme l'emporte sur le corps; et ceux qui croient que l'homme a accompli toute sa tâche, lorsqu'il a soulagé les besoins physi

ques de ses semblables, préconisent en pratique du moins le matérialisme le plus abject, puisqu'ils ne voient dans l'homme que le côté matériel de son être.

C'est par l'enseignement envisagé sous ses formes diverses que l'homme qui est en possession de la vérité la communique à ses semblables. Nous entendons surtout parler ici de la vérité religieuse et morale, de la vérité qui doit éclairer l'homme sur la nature de sa fin dernière et sur les moyens de l'atteindre (1).

Il ne suffit pas d'aider ses semblables à connaître la vérité, on doit en outre travailler à leur faire aimer et pratiquer le bien. Le perfectionnement de la volonté est celui qui importe le plus, il est la fin à laquelle tout autre perfectionnement doit tendre. Or le perfectionnement de la volonté consiste à approcher de plus en plus du type suprême de la perfection morale, à se conformer chaque jour davantage au Bien absolu ou à la volonté divine; ce qui se réalise par l'amour et la pratique du bien.

Dans les sociétés païennes on pratiquait moins encore la charité dans l'ordre intellectuel et moral que dans l'ordre matériel; il fallait que la vérité éternelle descendît sur la terre et vînt se mêler aux enfants des hommes pour leur faire comprendre et pratiquer cette vertu. Depuis l'avénement de JésusChrist, l'obligation d'enseigner et de moraliser l'homme, le pauvre comme le riche, est admirablement comprise; et partout où l'Église catholique peut agir, ce devoir est rempli. Qu'on nous permette de reproduire sur ce sujet une page que nous avons écrite ailleurs. « Au moment où le Christ parut, le peuple n'était point enseigné. Le paganisme croyait tout au plus devoir au peuple un morceau de pain trempé dans le mépris et l'insulte; jamais il n'a songé à lui dispenser le pain de l'intelligence. Au sein des sociétés grecque et romaine, vous apercevez bien quelques intelligences cultivées, développées, en possession d'une certaine somme de connaissances; mais cette presque totalité du genre humain, qu'on appelle le peu

(1) Voyez ce que nous avons établi plus haut sur l'ordre à observer dans la connaissance, chap. II, § I, art. I.

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ple, a-t-elle quelque part à ce trésor des sages et des savants? Reçoit-elle quelques rayons de cette lumière qui les éclaire? Aucun; un mur d'airain sépare les sages du peuple et du pauvre, point de communication entre eux; et ces mots du poëte peuvent être gravés sur le fronton du temple de toute la sagesse antique: Odi profanum vulgus et arceo. Se retirer à l'écart, loin de la foule; discourir, en présence de quelques disciples choisis, sur quelque sujet de philosophie, voilà le rôle de ceux à qui le paganisme a décerné le nom de sages. Le peuple était oublié, on le laissait croupir dans une ignorance voisine de la stupidité; et pour s'autoriser dans cet ignoble et brutal égoïsme, les sages et les heureux du siècle se disaient d'une nature différente de celle du peuple! Le Christ parait, et le peuple est enseigné! Il ne dira point à ses apôtres, à l'exemple des sages du paganisme : Je vous confie ma doctrine, tenez-vous à l'écart du vulgaire, enfermez-vous entre les quatre murs d'une académie, et discourez tranquillement entre vous: non, Jésus-Christ ne connaît point de castes dans l'humanité, il est le Dieu de l'intelligence du pauvre comme de l'intelligence du riche, il embrasse dans son amour l'humanité tout entière: Allez, dira-t-il à ceux à qui il confiera sa doctrine, enseignez toutes les nations, prêchez l'Évangile à toute créature qui se trouve sous le ciel. Les disciples du Fils de l'homme accompliront à la lettre cet admirable précepte, ils se partageront la conquête intellectuelle et morale du monde, et, grâce à leur parole régénératrice, partout où la croix sera plantée, le peuple sera enseigné (1).

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(1) Études sur la civilisation européenne considérée dans ses rapports avec le christianisme, chap. IV, § II.

Chapitre V.

DE L'HOMME EN REGARD DES PRESCRIPTIONS

PARTICULIÈRES DE LA LOI MORALE.

Qu'avons-nous fait dans les trois chapitres précédents? Nous avons exposé brièvement les devoirs de l'homme envers Dieu, envers lui-même et envers ses semblables dans les rapports divers qu'il soutient à leur égard. Et ces devoirs, nous les avons vus émaner de prescriptions particulières, spéciales de la loi morale. Nous avons done vu la loi morale se particulariser en s'appliquant aux divers rapports de l'homme, se diviser en prescriptions particulières et engendrer ainsi des devoirs particuliers.

Après avoir étudié la loi morale dans ses prescriptions diverses et dans les devoirs qui en résultent, il nous reste à considérer de plus près l'homme lui-même en tant qu'il est en rapport avec ces prescriptions de la loi. Et ici nous l'envisageons, non plus dans ses rapports généraux avec la loi, nous l'avons fait dans la première partie (1); mais dans ses rapports particuliers et pratiques, nous le considérons en présence des prescriptions spéciales, individuelles de la loi.

Or l'homme est mis en rapport pratique avec la loi par la conscience et par l'arbitre ou la libre volonté. Nous devons donc traiter brièvement de ces deux facultés, en ne considé

(1) Voyez 1 part. chap. V.

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