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Chapitre III.

DES FAUX SYSTÈMES SUR LA LOI MORALE.

Après tout ce que nous avons dit jusqu'ici, on doit avoir maintenant des notions assez nettes et assez complètes sur le fondement, la nature et les caractères de la loi morale; on sait quels sont les vrais principes sur tout ce qui concerne la loi. Il sera donc facile d'apprécier et de juger désormais les systèmes erronés qui se sont produits sur ce sujet au sein des écoles philosophiques : toute théorie qui contredira les principes établis précédemment sera jugée contraire à la vérité.

Nous avons un double but en exposant les principales théories fausses ou inexactes qui se sont produites sur la loi morale. Notre premier but est sans doute de combattre et de réfuter ces théories, dont quelques-unes sont subversives de tout ordre moral, et qui presque toutes sont de nature à compromettre gravement cet ordre, base et couronnement de toutes choses. Mais nous avons en outre un but secondaire, c'est, par l'exposition et la réfutation de ces théories, de faire comprendre de plus en plus les vrais principes, le seul système en harmonie avec la nature des choses.

De ces faux systèmes les uns détruisent directement la loi morale, les autres la détruisent indirectement, soit en méconnaissant ses caractères essentiels, soit en lui assignant un fondement qui ne peut pas la porter.

Nous distinguons cinq systèmes principaux ; 1o le système égoïste ou de la morale de l'intérêt; 2o le système sentimental ou de la morale du sentiment; 3o le système rationaliste ou de

la morale abstraite; 4o la doctrine qui fait dériver la loi morale de la libre volonté de Dieu; 5o le panthéisme. Nous allons traiter successivement de ces diverses théories.

SI. Du système égoïste ou de la morale de l'intérêt.

On a donné le nom de morale égoïste morale de l'intérêt ou encore d'utilitarisme à cette doctrine qui pose en principe que rien n'est par soi et de sa nature bien ou mal, juste ou injuste; mais que le bien c'est tout ce qui contribue à notre avantage, le mal ce qui nous est nuisible. Dans ce système il n'y a ni bien ni mal en soi, c'est-à-dire indépendamment de l'avantage ou du désavantage qui en résulte pour l'homme : si une chose est dite bonne, c'est uniquement à raison de son utilité; elle est bonne, parce qu'elle est utile; supposez que cette même chose devienne nuisible, préjudiciable, dès lors elle cesse d'être bonne, elle est mauvaise. Voilà le principe commun de tous les partisans de ce système, ils ne diffèrent entre eux que dans la manière d'appliquer ce principe.

Cette doctrine immorale et abjecte a eu, à toutes les époques de l'histoire, un certain nombre de défenseurs. Parmi les philosophes anciens, Aristippe et Épicure doivent être rangés au nombre de ses principaux représentants. Le nom d'Epicure est demeuré attaché à cette philosophie ignoble qui ne reconnaît d'autre bien que le plaisir, d'autre mal que la douleur. Au reste Épicure et Aristippe ne faisaient qu'élever à la hauteur d'une doctrine philosophique les maximes que la société païenne exprimait dans ses mœurs et dans sa vie. La doctrine d'Épicure prévalut à Rome à la fin de la république. Lucrèce la professa dans son poëme sur la nature des choses (De rerum natura). Horace, qui accorde souvent ses sympathies à l'épicuréisme, a exprimé dans ces deux vers les principes de morale de ce système :

Atque ipsa utilitas justi prope mater et æqui.
Nec natura potest justo secernere iniquum (1).no

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Dans les temps modernes, surtout depuis que les croyances. chrétiennes se furent affaiblies: dans beaucoup d'esprits, la morale de l'intérêt à trouvé un assez grand nombre d'interprètes et de défenseurs. Thomas Hobbes (né en 1588, et mort en 1679) occupe une place distinguée parmi ces philosophes. Il a exposé et développé cette doctrine abjecte avec une rigueur de logique qui fait plus honneur à son intelligence qu'à son caractère (1).

-La théorie du philosophe anglais sur la morale peut se ramener aux points suivants: Rien n'est de sa nature bien ou mal, juste ou injuste, le bien et le mal sont des choses purement relatives au bonheur de l'homme; le bien moral c'est ce qui conduit directement ou indirectement au bonheur, le mal ce qui en éloigne. Voilà le principe qui sert de base au système moral et politique de Hobbes.

Naturellement donc il n'y a point de distinction entre le bien et le mal moral; là-dessus Hobbes est d'accord avec Épicure et les autres représentants du matérialisme. Mais il àdmet dans la société une distinction entre le bien et le mal, fondée sur des conventions positives. Voici comment il raisonne.

L'homme ne vit point seul, isolé de ses semblables; les individus sont nécessairement en rapport les uns avec les autres. Comme chacun n'a d'autre règle de conduite que son bien-être individuel (c'est le principe de l'auteur) chacun en particulier cherche à se procurer ce bien-être sans s'embarrasser de son voisin.is

Mais tous ces individus étant sans cesse en contact les uns avec les autres, il arrive, nécessairement que leurs intérêts se croisent, que leurs plaisirs se limitent et se détruisent réciproquement. Il s'ensuit que, dans une pareille société, chaque homme doit être ennemi né de tous les autres, et que le seul état possible entre eux c'est l'état de guerre. Mais cet état de guerre continuelle, de lutte de tous contre tous, compro3,enbizibri zuc

(1) Hobbes a exposé ses principes sur la morale et sur la politique dans deux ouvrages célèbres dont voici les titres De cive, sive Elementa philosophica de eivé (1642). Leviathan, sive de materia, forma et potestate civitatis ecclesiastica et aivilis (1651).

met les intérêts et le bonheur de chaque individu. Aussi les hommes n'ont point tardé de reconnaître que cet état, loin de les conduire à leur plus grand bonheur, les en éloignait sans cesse. Qu'ont-ils fait pour porter remède à cet inconvénient? Chacun a consenti à faire quelque concession, dans l'intérêt de sa propre tranquillité, de son propre bonheur. Il est intervenu entre tous ces individus des conventions, en vertu desquelles chacun a cédé quelque chose de son droit, s'est imposé ainsi des devoirs et a reconnu des droits aux autres. Or ces conventions faites, c'est un bien d'y être fidèle, c'est un mal de les violer; et dès lors naît la loi morale. Un pacte, une convention librement consentie entre les hommes, et cela dans l'intérêt du plus grand bien-être de chacun, tel est, suivant Hobbes, le fondement de la distinction entre le bien et le mal moral.

Je ne ferai, pour le moment, qu'une seule observation, c'est que les conventions dont parle Hobbes ne reposant point sur une base morale, elles sont nécessairement destituées ellesmêmes de toute valeur morale; par conséquent la théorie de ce philosophe se réduit toujours à ce seul principe, que l'intérêt individuel est l'unique fondement de la distinction entre le bien et le mal.

La morale de l'intérêt, qui compta de nombreux partisans en Angleterre, prévalut en France dans l'école incrédule et matérialiste du dix-huitième siècle. Helvétius se chargea d'en formuler les principes; il le fit dans son livre de l'Esprit. M. Cousin résume ainsi la doctrine morale de cet écrivain superficiel en qui la frivolité du dernier siècle a voulu voir un philosophe : « L'homme, n'étant qu'un être sensible, ne peut poursuivre qu'un but dans le cours de sa vie, le plaisir, et encore le plaisir des sens. Le plaisir est donc l'unique motif et la seule loi de nos actions. Après avoir ainsi déduit son principe moral de la définition même de l'homme, Helvétius consulte l'expérience. Il interroge à la fois les jugements et les actes humains; il fait successivement appel aux individus, à une petite société, à une nation, à une époque, à l'humanité tout entière. De toute part lui vient cette réponse, que l'utile est le bien, que l'intérêt est la vraie mesure de nos jugements et le seul principe de nos actes. L'individu comme la société,

les méchants comme les bons, jugent et agissent conformément à ce qu'ils croient leur intérêt. Les vertus et les vices ne sont que différentes manières d'entendre l'intérêt. Les unes sont bonnes en tant qu'utiles, les autres sont mauvaises en tant que nuisibles, soit à l'individu, soit à la société, C'est là la seule distinction à faire entre le bien et le mal (1).

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Cette doctrine fut généralement adoptée par l'école voltairienne. Volney chercha à la populariser en publiant son Catéchisme du citoyen français (1795); Saint-Lambert poursuivit le méme but par la publication de son Catéchisme universel, dans lequel il tenta d'appliquer les principes de cette détestable théorie aux divers cas de la vie humaine.

La même doctrine a été soutenue, de nos jours, en Angleterre par le célèbre légiste Bentham, qui l'a transportée sur le terrain du droit civil et du droit pénal; en France, DestuttTracy l'introduisit dans le droit politique.

Le même principe se retrouve au fond des théories de la plupart des socialistes contemporains : l'utile et le nuisible, telle est pour eux la seule règle, l'unique mesure du bien et du mal.

Cette désolante doctrine a sa source dans le sensualisme; et, telle qu'elle s'est produite dans les temps modernes, elle procède en ligne directe de Bacon, de Locke ou de Condillac, les trois grands représentants du sensualisme moderne. Le sensualisme conséquent se confond avec le matérialisme, et cette doctrine est l'expression la plus pure du matérialisme dans le domaine de la morale.

Dans le sensualisme toute idée dérive en définitive de la sensation; car la réflexion ou l'attention, admises par Locke et Condillac, ne s'exercent que sur les données des sens, et par conséquent elles ne peuvent qu'extraire de ces données ce qui y est contenu. La sensation demeure donc la seule source réelle de nos idées. Or les sens ne nous attestent aucune vérité nécessaire, absolue, immuable, universelle. Donc il n'y a point de vérités de ce genre. Il n'y a de réel que ce qui tombe

(1) Cours d'Histoire de la philosophie morale au dix-huitième siècle, 1e part., leç. ive.

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