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sous les sens, ce qui peut être aperçu par les sens ou ce qui se rattache à eux de quelque façon; tout le reste n'est que chimère et illusion. La sensation est ainsi le seul juge de la vérité et de la bonté des choses: tout se rapporte à elle et doit s'apprécier relativement à elle. Par conséquent ce qui affecte agréablement les sens sera déclaré bon, ce qui les affecte péniblement sera jugé mauvais. Tel est le terme nécessaire où doivent aboutir tous les systèmes qui ne reconnaissent d'autre principe de connaissance que la sensation. La morale du plaisir, envisagée sous ses formes diverses, est la seule qu'autorisent de pareils systèmes.

On voit que cette théorie détruit directement la loi morale en niant qu'il existe une différence essentielle entre le bien et le mal. Pour la réfuter directement, il suffit d'établir l'existence d'une loi morale immuable et absolue, règle et mesure de la bonté et de la malice des actions libres de l'homme. Nous l'avons fait précédemment. Nous ne rappellerons ici que quelques points.

1o L'idée du bien nous apparaît comme entièrement distincte de l'idée de l'utile, et, en vertu de cette idée, il y a des choses que nous jugeons bonnes, d'autres mauvaises, indépendamment du rapport qu'elles ont à notre intérêt.

2o L'idée du bien se montre à nous comme nécessairę, immuable, absolue; l'utile varie avec le temps, le lieu, les personnes.

3o Le bien se révèle à nous comme la règle que la volonté est tenue de suivre (1); l'utile ou le plaisir n'a point ce caractère.

4o Il est vrai que le bien et l'utile se rencontrent fréquemment; mais il ne s'ensuit point que jamais ils se confondent. Tel acte de justice ou de bienfaisance peut être utile ou agréable à celui qui le pose; mais cet acte est-il bon, parce qu'il est utile? Évidemment non. Il est bon par lui-même et indé- * . pendamment de son utilité : l'utilité s'attache à la bonté, elle ne la constitue point.

(1) Cf. chap. II, § 1.

S II. Du système sentimental ou de la morale du sentiment.

Les principaux représentants de la morale du sentiment appartiennent aux Iles Britanniques. Ces philosophes rompent ouvertement avec les principes de l'école matérialiste dont nous venons de parler; leur doctrine se montre dans l'histoire de la philosophie moderne comme une noble protestation contre les dégradantes théories de cette école. Ils admettent en principe une distinction essentielle entre le bien et le mal, indépendamment de l'avantage ou du désavantage qui peut en résulter; seulement ils se trompent quand il s'agit de déterminer le fondement et la règle de cette distinction. Tout en combattant la doctrine morale engendrée par le sensualisme, ils n'ont pas pu se soustraire complètement eux-mêmes à la funeste influence de ce système. Leur théorie n'est plus le sensualisme proprement dit, mais elle n'est pas davantage une théorie rationnelle : si l'on nous permet cette expression, nous la nommerions volontiers le sensisme (1).

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Dans ce système, la distinction entre le bien et le mal ne se fonde point sur des principes absolus et immuables aperçus par la raison, elle se fonde sur le sentiment, sur la sensibilité de l'âme le sentiment ou la sensibilité interne est pour les fauteurs de cette nouvelle doctrine le seul fondement, l'unique règle de la distinction entre le bien et le mal. La morale du sentiment a revêtu des formes diverses selon le caractère particulier des philosophes qui s'en sont faits les interprètes; mais le principe que nous venons d'énoncer est le fonds commun sur lequel tous ces écrivains ont élevé leurs théories. Voici comment s'exprime sur ce sujet M. Jouffroy :

« Le sentiment ou l'instinct, telle est, selon tous ces systèmes, la source d'où émanent et les distinctions et les déterminations morales; mais tandis que les uns se bornent à adopter comme le principe des premières et le mobile des secondes, une des tendances primitives de notre nature, telles que la bien

(1) La morale du sentiment se rattache toujours au sensualisme, et les plus illustres représentants de cette doctrine tiennent Locke pour leur maître en philosophie.

veillance ou la sympathie, les autres introduisent dans notre sensibilité, pour remplir cette double fonction, et spécialement la première, un instinct nouveau, qu'ils se donnent la liberté de créer, et qu'ils appellent, d'après sa mission, le sentiment ou le sens moral. Telle est la seule nuance considérable qui distingue les systèmes instinctifs et qui les sépare en deux classes (1). »

Nous exposerons brièvement les doctrines des deux philosophes qui ont exprimé avec le plus de netteté et de talent ces deux nuances du système sentimental. Ces deux philosophes sont Hutcheson et Adam Smith.

Ce fut Richard Cumberland (1622-1718) qui, dans la vue de réfuter les désolantes doctrines de Hobbes, tenta le premier d'asseoir la morale sur la base du sentiment. Le comte de Schaftesbury entra dans la même voie; c'est lui qui introduisit l'expression de sens moral. Mais la doctrine du sens moral a été systématisée par François Hutcheson, que l'on considère comme le fondateur de l'école morale écossaise (2).

La théorie morale de Hutcheson peut se ramener aux points suivants. Il y a dans notre nature deux espèces de tendances, les unes personnelles et intéressées, les autres bienveillantes et désintéressées. Le bien moral ne réside que dans les affections bienveillantes et les actes qui en dérivent de quelque manière. Mais quelle est la règle d'après laquelle nous jugeons que là est le bien, et que le mal réside, au contraire, dans les affections personnelles? Cette règle, qui sera le fondement de la distinction entre le bien et le mal, c'est un sens spécial que l'auteur nomme sens moral. Les affections bienveillantes sont moralement bonnes, parce qu'elles agréent à ce sens; les affections intéressées sont moralement mauvaises, parce qu'elles lui répugnent.

Le sens moral est appelé ainsi, dit Hutcheson, parce qu'il est affecté immédiatement par la qualité morale, comme le goût par les saveurs; il en résulte, dans un cas comme dans l'autre, des sensations agréables ou désagréables.

(1) Cours de droit naturel, 19 leç., tom. II, p. 65-66. Paris 1843. (2) Il naquit en Irlande en 1694, devint professeur à Glascow en 1729, et mourut en 1747.

M. Jouffroy fait parfaitement ressortir dans ces quelques lignes le caractère purement relatif de l'idée du bien dans le système de Hutcheson. « Qu'avait prétendu Hutcheson? Trois choses qui résument toute sa doctrine. La première, que les idées du bien et du mal sont en nous des idées simples et originales. La seconde, qu'étant simples et originales, elles dérivent nécessairement d'un sens. La troisième, que tout sens étant un principe arbitraire de notre constitution, le bien et le mal sont relatifs à notre constitution, n'ont pas plus de réalité objective que le doux et l'amer, et changeraient de nature, si nous en changions nous-mêmes. Voilà ce que Hutcheson avait explicitement professé ou implicitement admis; son système, rigoureusement interprété, rendait la conséquence que les mots bien et mal ne signifient pas pour nous ce que sont réellement les actions, mais simplement quelles sensations elles nous font éprouver. Or, s'il en est ainsi, il n'y a plus de morale (1).

Adam Smith (2) est le plus célèbre moraliste de l'école sentimentale. Il a exposé sa doctrine dans un ouvrage intitulé : Théorie des sentiments moraux.

Pour Smith, comme pour Hutcheson, le principe de la moralité réside dans la sensibilité, dans le sentiment; mais il a imprimé à son système un caractère qui le distingue de celui du fondateur de l'école morale écossaise. Smith n'introduit point, comme Hutcheson, un nouveau sens dans notre sensibilité; il adopte comme principe de la distinction entre le bien et le mal une tendance primitive de notre nature, et cette tendance c'est la sympathie. La doctrine morale de ce philosophe est connue sous le nom de doctrine de la sympathie. Voici le résumé de cette théorie réduite à ses éléments les plus essentiels.

Toute action a pour mobile un sentiment de l'âme, et elle s'apprécie, non en elle-même, mais d'après le sentiment qui l'a inspirée. Or celui qui est témoin de l'action sympathise à tel ou tel degré, ou ne sympathise pas avec le sentiment dont

(1) Cours de droit naturel, 19e leg., tom. II, p. 152-155. (2) Né à Kirkaldy en Écosse en 1723, mort en 1790.

elle émane, et il juge en conséquence l'action bonne ou mauvaise. De là l'idée du bien et du mal. Ainsi, par exemple, je vois un riche faire l'aumône à un pauvre; j'éprouve le même sentiment de compassion qui a inspiré cet acte, je sympathise avec ce sentiment, et j'approuve l'acte qu'il a produit, je le juge bon. Si, au contraire, je vois un malfaiteur commettre un meurtre, aussitôt j'éprouve la plus profonde antipathie pour le sentiment qui a inspiré cette action, et je la condamne comme mauvaise. La sympathie est donc la règle, la mesure du bien; l'antipathie est la mesure du mal moral.

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Cependant jusque-là l'auteur ne nous a donné que le moyen de juger de la bonté morale des actions d'autrui. Que faire quand il s'agit d'apprécier la moralité de ses propres actions? Il n'est pas besoin, dit Smith, d'avoir recours pour cela à un principe différent. Voici comment il l'explique. Quand vous posez un acte, dit-il, il faut, pour le juger, vous mettre par la pensée à la place d'un témoin, d'un spectateur impartial, et prononcer ensuite comme s'il s'agissait d'une action d'autrui. << Lors donc que je suis animé d'un certain sentiment, si je veux juger de la convenance ou de l'inconvenance, du mérite ou du démérite de ce sentiment, voici ce que je fais je me place, par hypothèse, dans la situation du spectateur impartial, et dans cette position, grâce à la propriété que j'ai de partager le sentiment des autres, j'éprouve, au spectacle du sentiment qui m'anime, précisément ce qu'éprouverait le spectateur impartial lui-même, Je suis donc en mesure de juger de la convenance ou de l'inconvenance, du mérite ou du démérite de mon sentiment, précisément comme il en jugerait, ou comme j'en jugerais moi-même, s'il s'agissait du sentiment d'un autre (1). »

Ainsi, qu'il s'agisse de nos propres actions ou de celles d'autrui, c'est toujours la sympathie du spectateur impartial qui décide de leur moralité.

Lors même que nous jugeons un acte par des règles générales que la raison nous dicte, et sans consulter la sympathie, celle-ci n'en demeure pas moins le véritable fondement de notre appréciation. Voici comment.

(1) Jouffroy, ouv. cit. leç. xvir, tom. II, p. 11.

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