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Chapitre IV.

DU DROIT ET DU DEVOIR.

NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

La loi engendre le devoir dans la volonté créée : elle commande, elle ordonne avec une autorité souveraine, absolue; de là l'obligation pour la volonté créée d'obéir à ce commandement souverain, de se conformer aux prescriptions du Bien. Ce que nous allons dire du devoir se rattache donc étroitement aux chapitres précédents : le commandement étant donné, il en résulte aussitôt l'obligation d'obéir, le devoir. Ainsi, après avoir étudié la loi morale, la première chose qui se présente, c'est l'étude du devoir.

Toutefois nous rencontrons ici un point nouveau à éclaircir. Il est hors de doute que le devoir émane immédiatement et nécessairement de la loi, que, par conséquent, le concept de loi implique celui de devoir. Cependant il y a un autre concept encore que l'on donne communément pour corrélatif du concept de devoir, c'est le concept de droit; et cette manière d'envisager les choses est vraie.

Pour le faire comprendre, disons d'abord un mot de la notion générale du droit.

Le mot droit s'applique parfois aux choses, et alors il désigne ce qui est juste, ce qui est conforme à l'ordre, à la raison, à la loi. Mais ce terme de droit, dans son acception ordinaire et

philosophique, marque une qualité propre à un être intelligent et libre, et par conséquent à une personne. C'est ainsi que l'on dit d'un homme qu'il a le droit de pourvoir à sa conservation, d'un père qu'il a le droit d'élever ses enfants. La notion de droit emporte assurément celle d'un certain pouvoir, d'une certaine puissance; mais quelle est la nature de ce pouvoir? Évidemment ce ne peut pas être un pouvoir purement physique, la force par elle-même ne donne aucun droit, ce doit être un pouvoir moral.

«Il ne faut donc pas confondre, dit fort bien Burlamaqui, le simple pouvoir avec le droit. Le simple pouvoir est une qualité physique c'est la puissance d'agir dans toute l'étendue des forces naturelles et de la liberté; mais l'idée du droit est plus restreinte. Elle renferme un rapport de convenance avec une règle qui modifie le pouvoir physique, et qui en dirige les opérations d'une manière propre à conduire l'homme à un certain but. C'est pourquoi l'on dit que le droit est une qualité morale. Il est vrai, ajoute l'auteur, que quelques-uns mettent le pouvoir, aussi bien que le droit, au rang des qualités morales; mais il n'y a rien en cela d'essentiellement opposé à la distinction que nous en faisons. Ceux qui comptent ces deux idées entre les êtres moraux entendent par le pouvoir à peu près la même chose que nous entendons par le droit; et l'usage même semble autoriser cette confusion: car on dit également, par exemple, le pouvoir paternel et le droit paternel. Quoi qu'il en soit, il ne faut point disputer des mots. L'essentiel est de distinguer ici le physique du moral; et il semble que le terme de droit est par lui-même plus propre à désigner l'idée morale, que celui de pouvoir (1). »

Le droit est donc, en général, le pouvoir moral d'agir ou de ne pas agir, de faire ou d'exiger quelque chose.

L'idée de droit a pour idée corrélative l'idée de devoir ou d'obligation. Tout droit proprement dit chez une personne suppose chez les autres l'obligation de le respecter. Dès qu'un droit est reconnu soit en Dieu soit dans l'homme, il faut reconnaitre aussi l'obligation de respecter ce droit.

(1) Principes du droit naturel, Ire part., ch. vui, § 111.

S'il en est ainsi, nous devons, sous peine d'être incomplet, traiter, du moins brièvement, de l'idée du droit; sinon, il restera quelque obscurité dans tout ce qui touche à l'idée du devoir. D'un autre côté, ce que nous dirons du droit servira aussi à éclaircir et à compléter ce qui concerne la loi morale. Nous parlerons donc dans ce chapitre des rapports du droit et du devoir en général.

§ I. Du droit absolu et du devoir absolu.

I. Du droit absolu.

Lorsqu'on traite du droit en général, il convient de parler d'abord du droit dans sa plus pure expression, du droit qui est le principe et le fondement nécessaire de tout autre droit, c'est-à-dire, du droit absolu.

Le droit absolu peut être envisagé d'une manière abstraite ou d'une manière concrète; dans le premier cas on ne considère point le sujet ou l'être dans lequel il réside, dans le second au contraire on l'envisage en tant qu'il s'identifie avec le sujet qui le porte.

Considéré d'une manière générale et abstraite, le droit absolu est celui qui a en soi sa raison d'être, et qui n'est point limité par des droits différents. Tel est le véritable concept du droit pur et absolu. Pour peu qu'on veuille y réfléchir, on verra que cette définition traduit exactement l'idée du droit qui est dans notre esprit. Que si maintenant nous considérons le droit d'une manière concrète, nous pourrons le définir : le pouvoir souverain et en soi illimité de Dieu sur les créatures. Il est évident que le droit absolu ne peut résider qu'en Dieu, parce que seul il a en soi sa raison d'être, et que seul aussi il est, comme créateur, maître absolu de tout ce qui existe. Les créatures, en tant que créatures, tiennent de Dieu tout ce qu'elles ont; elles sont dans une dépendance complète, entière, absolue, vis-à-vis de Dieu. Il a donc sur elles un pouvoir sans limites. Ce pouvoir de Dieu n'est point limité par un pouvoir quelconque des créatures; celles-ci n'ont par elles-mêmes au

cun droit sur Dieu, elles n'ont aucun titre à exiger de lui quoi que ce soit. Ce qui ne veut pas dire que Dieu, suivant l'absurde opinion de Hobbes, puisse agir à leur égard d'une manière arbitraire, contre les règles éternelles du juste et du bien ; ces règles c'est Dieu lui-même, et il ne peut les violer sans détruire sa propre essence. Mais il les observe pour lui-même ; ce n'est point le droit des créatures qui l'y oblige. Dieu n'a donc point de devoir dans le sens rigoureux du mot; il n'est point lié par un droit qui existerait hors de lui.

Il est facile de comprendre l'étroite liaison qui existe entre le droit absolu et la loi morale. Le droit est en général le pouvoir de Dieu sur les créatures; envisagé par rapport à l'homme et dans l'ordre moral, c'est le pouvoir qu'a la volonté divine de commander à l'homme et de disposer de lui. Or la loi morale n'est que l'exercice de ce pouvoir, c'est la volonté absolue de Dieu commandant à l'homme.

Le droit, ainsi envisagé, préexiste au devoir, comme Dieu préexiste à la créature libre.

II. Du devoir absolu.

Le droit absolu, en s'exerçant, engendre le devoir absolu dans les esprits créés. Devoir et obligation sont synonymes (1). Le devoir suppose deux conditions: 1° un commandement légitime, un ordre imposé; 2o un être, une cause libre liée par cet ordre. Le devoir ne peut exister que dans un être libre: « Il répugne de dire, observe M. Saisset, qu'il y ait obligation pour un arbre de croitre, pour un animal de se reproduire; l'arbre et l'animal, en effet, obéissent fatalement à l'impulsion de leur nature. L'obligation nait (cette expression n'est point juste) de la liberté de l'agent et elle la suppose (2).»

Le devoir ou l'obligation lie la volonté créée, et ce lien produit en elle une certaine contrainte, mais une contrainte pu

(1) Nous n'ignorons point que Kant et d'autres moralistes après lui établissent une distinction entre l'obligation et le devoir; mais nous ne voyons pas la raison d'une pareille distinction.

(2) Morale, v. 53.

rement morale, c'est-à-dire à laquelle la volonté peut résister, quoiqu'elle se reconnaisse tenue de s'y soumettre. Le devoir peut donc se définir : un lien moral en vertu duquel un être libre est tenu d'agir.

Le devoir absolu est le devoir dans son expression la plus pure, le devoir qui n'est accompagné d'aucun droit; il correspond au droit absolu. De même que Dieu a sur les créatures des droits sans devoirs, ainsi les esprits créés ont envers lui des devoirs sans droits.

§ II. Du devoir relatif et du droit relatif.

A considérer le droit et le devoir d'une manière générale et absolue, le droit est antérieur au devoir, il en est le principe et le fondement: le concept du droit est donc primitif, il précède logiquement le concept du devoir, qui n'est que secondaire et dérivé. Mais dans la sphère des existences créées, dans l'ordre relatif et contingent, le devoir préexiste au droit : l'homme a des devoirs avant d'avoir des droits. En effet, du moment où l'homme est créé, il est, en vertu de sa création même, soumis au Créateur, il est sujet du droit absolu de Dieu, il est lié par le devoir absolu. C'est là ce qui apparaît d'abord en lui.

Considérons maintenant comment s'engendrent parmi les hommes les devoirs et les droits relatifs.

I. Du devoir relatif.

Le devoir absolu atteint également tous les hommes, quels qu'ils soient, personne n'y échappe ; parce que tous sont soumis au droit absolu, tous sont soumis à la loi morale, dans laquelle s'exerce le droit absolu. Cette sujétion commune, ce devoir absolu, engendre des devoirs relatifs, c'est-à-dire des devoirs envers des créatures. En effet, pour accomplir la loi morale, les hommes sont obligés à une foule de choses envers leurs semblables, ils ont une multitude d'obligations à remplir les uns à l'égard des autres. C'est ainsi que naissent les devoirs

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