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Ce n'est pas ici le lieu de réfuter cette erreur ex professo. Nous nous contenterons de faire observer que la philosophie, en général, ne saurait avoir pour but de découvrir les grandes vérités de l'ordre moral et religieux; ces vérités sont données à l'homme avant qu'il soit philosophe, et la philosophie n'est point appelée à détruire l'œuvre de la nature ou de la religion, elle doit seulement l'expliquer et la développer.

Pour nous, nous ne connaissons point d'autre morale que la morale chrétienne, et nous croirions manquer non-seulement à la religion, mais encore à la philosophie, si nous commencions par mettre en doute la vérité des règles et des préceptes moraux qui nous sont donnés dans l'enseignement chrétien.

5. Après avoir dit quel ne peut être le but de la philosophie morale, il nous reste à dire quel il est en réalité.

Cette branche de la philosophie a pour but d'acquérir la science de l'ordre moral; elle doit chercher à exposer la vraie théorie des rapports qui le constituent et réfuter en même temps les systèmes erronés que l'on oppose à cette théorie. Tel est, selon nous, le véritable but de la philosophie morale. Elle doit donc rechercher le principe suprême qui domine tout l'ordre moral, classer méthodiquement les idées particulières dont cet ordre se compose, et montrer comment toutes ces idées se rattachent au principe suprême. C'est à cette condition seule qu'elle atteindra son but, parce que c'est à ce prix seulement qu'elle sera une véritable science.

4. L'objet et le but de la morale étant ainsi déterminés, il nous est facile maintenant de la définir d'une manière exacte et précise. Elle est la science de l'ordre moral. Et comme cet ordre a pour principe suprême le Bien considéré dans ses rapports avec la volonté ou le libre arbitre créé, nous aurons une définition vraiment philosophique en disant que la morale est la science du Bien gouvernant le libre arbitre créé et le conduisant à sa fin ou au bonheur.

La plupart des définitions que l'on rencontre dans les traités de morale pèchent ou parce qu'elles ne mettent pas assez en relief l'idée du Bien, qui est l'idée fondamentale, ou parce qu'elles présentent la philosophie morale sous un aspect trop pratique.

S III. Du fondement de la philosophie morale.

On entend, en général, par fondement d'une science ces vérités-principes sans lesquelles l'objet de cette science ne peut subsister. Ainsi, sous le nom de fondement de la morale, on veut désigner ces vérités sans lesquelles le Bien ne pourrait gouverner la volonté créée, ou, en d'autres termes, sans lesquelles les notions de loi morale et de devoir ne sauraient se concevoir.

Ces vérités sont d'un côté, l'existence d'un Dieu personnel, qui ait librement créé le monde et qui le gouverne par sa providence, et, de l'autre côté, en ce qui concerne l'homme : la liberté, la personnalité et l'immortalité de l'àme.

Il n'est point difficile de comprendre que la négation de l'une ou l'autre de ces vérités entraîne la ruine complète de l'ordre moral.

S IV. Du rapport de la morale avec les autres branches

de la philosophie.

Pour déterminer ce rapport, il suffit de considérer attentivement l'objet de la morale et de le comparer avec l'objet des autres branches de la philosophie. L'objet de la morale est, comme nous l'avons vu, le Bien gouvernant la volonté créée. Il y a donc deux termes à envisager d'un côté le Bien, qui s'identifie avec Dieu, et de l'autre la volonté créée ou la volonté de l'homme. On aperçoit dès-lors que la morale sera étroitement liée à la branche de la philosophie qui traite de Dieu, et à celle qui s'occupe de l'esprit humain et de ses différentes facultés. Or ces deux branches sont : la première, la métaphysique, la seconde, la psychologie (1).

L'objet principal de la métaphysique c'est Dieu avec les idées nécessaires et absolues qui subsistent dans son entende

(1) Nous ne traitous pas en particulier du rapport de la morale avec la logique, parce que celle-ci, ayant pour objet l'exposition des lois générales de la pensée et de la connaissance, a par là même un rapport évident avec toutes les branches de la philosophie.

ment. Cette branche de la philosophie est la science générale de Dieu. Quant à la morale, elle étudie Dieu aussi, mais sous un point de vue particulier; elle le considère en tant que, comme Bien absolu, il est la règle de la volonté créée. D'où l'on voit que la morale est comme une dérivation et une sorte d'application particulière de la métaphysique. C'est celle-ci qui doit lui fournir ses principes.

D'après cela, il est permis d'affirmer à priori que tout écrivain qui n'est pas bon métaphysicien ne saurait jamais être que très-médiocre moraliste. Nous aurons plus d'une fois l'occasion dans le cours de cet ouvrage de signaler chez des moralistes, d'ailleurs recommandables, des défauts très-graves provenant de l'absence d'idées métaphysiques suffisamment approfondies.

La psychologie est la science générale de l'âme : elle étudie l'âme dans sa nature, dans ses propriétés, dans ses différents états. La morale étudie l'âme aussi, mais elle ne la considère que sous un aspect particulier, elle ne l'envisage que dans ses relations avec le Bien.

On voit ainsi que la morale se rattache à la psychologie par un lien non moins étroit que celui qui l'unit à la métaphysique. Néanmoins, il ne faut pas s'y méprendre, on ne saurait asseoir la morale sur la psychologie comme sur sa véritable base, il n'est pas possible de faire dériver de la psychologie les principes qui servent de fondement à la morale. La psychologie, considérée en soi, n'étudie que l'âme humaine avec ses différentes propriétés; or notre âme est créée, elle est contingente, relative, changeante, tandis que les principes de la morale sont éternels, nécessaires, absolus, immuables. Il est donc de toute impossibilité que la morale ait son fondement dans la psychologie.

Beaucoup d'auteurs modernes n'ont pas compris cette vérité si simple. C'est ainsi que M. Damiron va jusqu'à se glorifier hautement d'avoir donné la psychologie pour base à la morale (1). « Je n'ai eu, dit cet écrivain, après avoir exposé sa méthode, qu'à tailler, pour ainsi dire, la morale sur la psy

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(1) Cours de philosophie, Morale, préf. p. x11 et suiv. — Paris 1834.

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chologie, qu'à faire sortir successivement des principes de celleci les préceptes de celle-là, qu'à ébrancher la théorie en ses diverses applications; c'était pure affaire de raisonnement, déduction simple et facile (1). » — Un pareil point de départ plaçait M. Damiron dans l'impossibilité de rien établir de solide et d'inébranlable; aussi tout son cours de morale, quoiqu'il offre parfois des aperçus ingénieux, nous semble complètement dénué de valeur philosophique.

S V. Différence et rapport entre la philosophie morale
et la théologie morale.

Afin de comprendre de plus en plus la véritable nature et le caractère propre de la science dont nous allons nous occuper, il n'est pas sans importance de chercher à résoudre avec netteté et précision la question posée en tête de ce paragraphe. Nous croyons d'autant plus devoir nous y arrêter un instant, que beaucoup d'idées fausses ou peu exactes ont cours sur ce sujet.

Commençons par constater une différence générale entre la théologie et la philosophie; il nous sera facile ensuite, en appliquant ces principes à la philosophie et à la théologie morales, de reconnaître ce qui distingue ces deux sciences particulières.

La théologie et la philosophie diffèrent entre elles et par la base sur laquelle elles s'appuient et par l'objet dont elles s'occupent. La base propre de la théologie est la révélation; c'est dans la révélation qu'elle a tout ensemble son point de départ et son principe, c'est sur son autorité qu'elle s'appuie, c'est d'elle qu'elle relève directement et essentiellement. La philosophie au contraire a sa base propre, sa base prochaine et immédiate dans la raison. Il est vrai que la révélation peut être une condition essentielle de l'existence et du développement de la philosophie; mais jamais elle ne devient le fondement propre et direct sur lequel celle-ci repose.

(1) Ibid., p. xvi.

La philosophie et la théologie ont une base distincte, précisément parce que l'objet dont elles s'occupent est différent. La théologie a pour objet propre et direct les vérités révélées comme telles; elle opère sur les données de la révélation, lesquelles appartiennent pour la plupart à l'ordre surnaturel et positif-divin. Il en est sans doute aussi qui rentrent dans le domaine des vérités rationnelles; mais celles-là même, la théologie les traite en tant qu'elles sont révélées ou font partie du système général de la religion chrétienne. Au contraire, l'ordre naturel, pris en soi, les vérités intelligibles et rationnelles constituent l'objet propre de la philosophie. Elle vit avant tout et principalement dans le cercle des idées rationnelles en tant que rationnelles, tandis que la théologie plane surtout dans la sphère plus élevée de l'autorité divine. Il y a donc entre la philosophie et la théologie une différence réelle et fondamentale.

Appliquons maintenant ces notions générales à la théologie et à la philosophie morales.

Nous dirons donc premièrement que la théologie morale a sa base propre dans la révélation, et dans l'enseignement de l'Église qui interprète, développe et applique la révélation; tandis que la philosophie morale a sa base dans la raison. En second lieu il est vrai que l'objet général de la science morale, tant philosophique que théologique, est le Bien considéré dans ses rapports avec la volonté créée; mais cet objet général a deux faces particulières qu'il n'est pas permis de confondre. On peut considérer le Bien comme gouvernant la volonté créée par des liens purement naturels, dérivant immédiatement et nécessairement de la nature même des êtres; en d'autres termes on peut, dans l'ordre moral, envisager uniquement les rapports qui découlent avec une nécessité absolue de la nature même de Dieu et de celle des créatures c'est l'ordre moral naturel et rationnel, et c'est cet ordre qui forme l'objet propre de la philosophie morale. On peut ensuite considérer le Bien dirigeant le libre arbitre créé par des rapports plus élevés que ceux que réclame nécessairement la nature des êtres, par des rapports surnaturels, et par des règles positives émanant de la libre volonté de Dieu.

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