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cat de Grégoire VII, et ces sentences d'excommunication lancées contre les princes des différents États de l'Europe qui étaient signalés aux rigueurs du saint-siège par le scandale de leurs mœurs privées et par leurs crimes publics! Mais dans ces démêlés orageux et sanglants les droits rivaux qui se trouvaient aux prises n'avaient pas été clairement définis. Le souverain, qui résistait au pape, suivait son intérêt ou sa passion, sans s'inquiéter si sa résistance pouvait ou non être justifiée doctrinalement. Le pape, de son côté, montrait plus d'empressement à maintenir ou à ramener les princes temporels dans son obéissance qu'à énoncer, sous une forme générale et absolue, les maximes qui étaient le fondement théorique de sa suprématie. Mais, au temps de Boniface VIII et de Philippe le Bel, le conflit entre les deux puissances change de caractère et tend à devenir, sinon plus modéré, du moins plus savant les universités y prennent une part aussi grande que les armées; de côté et d'autre, on se combat avec la plume et la parole autant qu'avec le glaive; la prérogative royale a ses apologistes comme la papauté a les siens; la question de la souveraineté, si longtemps négligée, apparaît dans toute sa gravité, et, résolue tour à tour dans le sens de l'autorité sacerdotale et dans celui de l'autorité laïque, elle soulève entre les théologiens et les juristes une controverse opiniâtre qui devait se continuer longtemps après que ses premiers acteurs auraient disparu de la scène.

Parmi les personnages que leurs antécédents, leur position élevée et leur mérite personnel appelaient à intervenir dans le débat, se trouvait l'archevêque de Bourges, Ægidius ou Gilles de Rome, nommé aussi Gilles Colonna. Italien par le lieu de sa naissance et par sa famille, il était entré, jeune encore, dans la communauté des Ermites de Saint-Augustin. Bien qu'il ne portât pas le même habit que saint Thomas d'Aquin, il suivit ses leçons pendant treize années, disent les historiens. Au sortir des mains de cet illustre maître, il s'élança lui-même dans la lice avec une vive ardeur et une hardiesse de sentiments qui paraît avoir ému l'autorité ecclésiastique; car il dut bientôt rétracter quelques-unes des opinions qu'il avait d'abord soutenues (1). Moins sévère envers

(1) Fleury, Hist. ecclésiastique, liv. LXXXIII, c. XVIII.

lui que ses rivaux et ses juges, sa communauté le choisit pour provincial, et peu après, en 1287, elle lui donna le témoignage le plus éclatant de confiance et d'admiration en décidant que désormais sa doctrine serait seule suivie dans les maisons de l'ordre, dont tous les membres devaient s'engager à la recevoir et à l'enseigner.

Le renom que Gilles de Rome s'était acquis dans l'Université de Paris l'avait fait choisir par le roi de France Philippe le Hardi pour être le précepteur de son fils aîné, de celui qui dans la suite s'appela Philippe le Bel. Ce fut à la demande de son royal disciple qu'Egidius composa le traité célèbre du Gouvernement des princes, de Regimine principum, dans lequel il trace le code détaillé des devoirs d'un souverain (1). En 1285, lorsque Philippe le Bel, élevé au trône par la mort récente de son père, fit son entrée dans Paris, nous retrouvons Ægidius aux portes de la ville, venant haranguer le nouveau roi au nom des maîtres de l'Université. Son discours nous a été conservé par les historiens; malgré les défauts dont il est semé, il respire un sentiment si vif de la justice, il renferme de si nobles pensées, qu'on oublie le ton un peu déclamatoire dans lequel il est écrit, pour ne songer qu'aux fortes maximes de cette admirable morale que l'Église s'efforçait de faire pénétrer dans le cœur des rois.

Après l'abdication de Célestin III, en 1294, lorsque Boniface VIII eut été désigné pour le remplacer, Gilles de Rome, alors général des Augustiniens, composa un traité de Renuntiatione papa (2), dans lequel il soutenait, contre les adversaires du nouveau pontife, que les lois de l'Église n'interdisaient pas au pape de résigner ses fonctions; que, par la retraite volontaire de Célestin, le saint-siège était devenu vacant, et qu'ainsi le choix de son successeur était régulier et légitime. L'ouvrage ne fut accueilli nulle part avec plus de faveur qu'en Italie, à la cour de Boniface VIII dont l'élection était contestée par un nombreux parti. Voulant témoigner sa gratitude comme son estime au docte

(1) Le traité de Regimine principum est habilement analysé dans la thèse latine que M. Courdaveaux, professeur de rhétorique au lycée de Troyes, a soumise tout récemment à la Faculté de Paris et qui lui a mérité le titre de docteur.

(2) Ce traité a été publié par Roccaberti, au tome II de sa Bibliotheca pontificia, in-fol.

EXCURSIONS HISTORIQUES.

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théologien, le souverain pontife le promut, en 1295, au siège de Bourges avec l'assentiment de Philippe le Bel, qui n'eut garde d'écarter son ancien précepteur. Gilles de Rome, porté par un double suffrage aux premiers honneurs de l'Église, quitta dès lors et sa communauté et l'école pour aller gouverner l'un des plus grands diocèses de France.

Il n'est pas téméraire de conjecturer que le différend survenu peu de temps après entre le pape et le roi de France causa une vive affliction à l'archevêque de Bourges et le jeta dans une grande perplexité. Théologien consommé, prélat éminent, aussi versé dans la pratique des affaires que dans les controverses scolastiques, ni son rang, ni ses antécédents, ni sa juste renommée ne lui permettaient de se tenir à l'écart. Mais quel parti prendrait-il dans le conflit douloureux qui allait diviser l'Église? Il se trouvait placé entre un prince dont il avait élevé la jeunesse, et un pontife dont il avait déjà soutenu les droits; il avait reçu de tous deux des bienfaits, et il ne pouvait se prononcer pour l'un ou pour l'autre sans paraître infidèle ou ingrat.

L'opinion la plus accréditée, c'est que Gilles de Rome embrassa le parti du roi et qu'il composa même en sa faveur un traité, dans la forme scolastique, sur les rapports des deux puissances, de Utraque Potestate. Ce traité est bien connu; il figure dans le recueil célèbre où Goldast a réuni tout ce qui a été écrit de plus fort contre la suprématie pontificale (1). Bossuet le cite sous le nom de l'archevêque de Bourges dans sa Défense du clergé de France (2). Tous les écrivains modernes que nous avons consultés ont plus ou moins fidèlement suivi la tradition. Parmi eux, un savant magistrat, historien du Berry, rattache notre personnage à la famille des Colonna, si tristement fameuse par leur hostilité et leurs violences contre Boniface VIII; il le représente comme animé des mèmes sentiments que toute sa parenté, et il semble attribuer à ce motif presque personnel et son attitude dans la querelle entre le pape et le roi, et la composition de l'opuscule recueilli par Goldast (3).

(1) Monarchia sancti Romani imperii, Francofordiæ, 1614, in-fol. t. II, p. 96 et 199. (2) Lib. III, c. xxv, Euv. compl., édit. de Versailles, t. XXXI, p. 685. (3) Raynal, Hist. du Berry, Bourges, 1846, in-8°, II, p. 259 et 260. aussi Rohrbacher, Histoire univ. de l'Église, 2o édit., t. XIX, p. 473.

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Voyez

Que cette conjecture soit ingénieuse et que la tradition qui l'a suggérée compte en sa faveur de graves autorités, nous n'éprouvons aucun embarras à l'avouer. Toutefois, en nous renfermant dans l'étude des documents contemporains, nous croyons être en mesure d'établir: 1° que le traité de Utraque Potestate n'est pas de Gilles de Rome; 2° que l'archevêque de Bourges, loin d'embrasser le parti du roi, se rangea du côté du saint-siège; 3° qu'il peut être considéré comme ayant inspiré, peut-être comme ayant rédigé la célèbre bulle Unam sanctam, qui causa une si vive émotion à la cour de Philippe le Bel, et contre laquelle les défenseurs de la prérogative royale se sont si souvent élevés.

Il y a dans le traité de Utraque Potestate un passage remarquable dont l'élévation contraste avec la sécheresse toute scolastique du reste de l'ouvrage : c'est celui où l'écrivain anonyme rappelle les grands exemples de vertus chrétiennes et de dévouement à l'Église donnés par la maison royale de France, et, invoquant les souvenirs du roi Louis IX que le pape venait de canoniser, place les droits de Philippe le Bel sous la protection de ce grand et saint monarque (1). J'ai peine à me persuader qu'un Italien se fût exprimé dans ces termes et que, pour louer des souverains dont il n'était pas le sujet, il eût trouvé des accents aussi pénétrés et aussi attendris. Il importerait du moins que l'authenticité du livre où se rencontre ce beau passage fût pleinement établie. Or, ni les plus anciens manuscrits ni les contemporains ne l'attribuent à Ægidius, tandis que les faits historiques les mieux constatés se réunissent pour démontrer le caractère apocryphe de la composition.

Lorsque le dissentiment entre le pape et le roi eut dégénéré en lutte ouverte, Boniface VIII publia une bulle portant commandement à tous les prélats de France, docteurs en théologie et autres, de se rendre auprès de lui pour aviser de concert aux moyens de réprimer les entreprises de l'autorité séculière contre les biens et les personnes ecclésiastiques, d'assurer la liberté de l'Église et de

(1) Goldast, l. 1, p. 102 : « Probat bonitas vitæ, claritas famæ, devotionis fervor, sinceritas fidei christianæ, quæ semper in regibus nostris viguit et in regno, præ cæteris regibus et regnis hujus mundi... Dominus noster rex eodem titulo et eodem jure tenet regnum suum et possidet, quo tenuit beatus Ludovicus... Pro nobis respondeat beatus Ludovicus, respondeat ejus vita sanctissima, quam crebra miracula protestantur. >>

réformer le royaume et le roi. Philippe le Bel, de son côté, fit convoquer à Paris une assemblée des états du royaume, la première où les députés de la bourgeoisie aient été admis, pour délibérer sur les mesures à prendre dans l'intérêt de la couronne. En même temps, voulant s'opposer à la réunion ordonnée par le saint-siège, il interdit, sous des peines sévères, à tous ecclésiastiques de se rendre en pays étranger.

Ces invitations et ces défenses contradictoires émanées de deux puissances, l'une et l'autre respectées et redoutées, placèrent le clergé dans une situation pleine d'embarras. Une partie, et ce ne fut pas la moins nombreuse, accourut à Paris porter au prince des protestations de fidélité et de dévouement; mais six abbés, trentecinq évêques et quatre archevêques, bravant les menaces du pouvoir temporel, passèrent les monts et s'en vinrent offrir à Boniface VIII l'appui de leur autorité et de leur expérience. L'histoire a conservé les noms de ces courageux prélats, consignés dans les actes par lesquels le roi ordonnait la saisie de leurs biens (1). Or, parmi eux figure l'archevêque de Bourges, celui-là même qui passe pour s'être constitué l'apologiste officieux de la puissance royale. Et il faut bien que, dès l'origine de la querelle, Gilles de Rome n'ait pas caché ses véritables sentiments et que son attitude ait surpris et irrité profondément Philippe le Bel, car sa promotion à l'épiscopat fut l'un des griefs allégués contre Boniface VIII devant les états généraux. « Les bénéfices de l'Église de France, s'écriaient les orateurs du roi, sont livrés par le pape à des étrangers, à des Italiens qui en recueillent les revenus et qui appauvrissent le pays.» Bien que Gilles de Rome ne fût pas nommé, les cardinaux romains ne se trompèrent pas sur le sens de cette apostrophe, et dans les lettres qu'ils adressèrent tant aux députés de la noblesse qu'à ceux de la bourgeoisie, ils répondirent que les seuls Italiens pourvus de bénéfices en France étaient l'archevêque de Bourges et l'évêque d'Arras, qui ne pouvaient être suspects au prince et dont l'éminent savoir et les autres qualités étaient bien connus (2). Le cardinal de Porto, devant le consistoire qui se tint

(1) Dupuy, Histoire du différend d'entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel, roy de France, Paris, 1655, in-fol., p. 86.

(2) Voyez dans Dupuy la lettre des cardinaux aux barons du royaume, 1. 1, p. 64: « Nostræ quoque memoriæ non occurrit quod cathedralibus ecclesiis dicti regni provi

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