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MÉMOIRE

SUR LES

COMMENCEMENTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

DANS LES ÉCOLES DU MOYEN AGE.

MÉMOIRE

SUR LES

COMMENCEMENTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

DANS LES ÉCOLES DU MOYEN AGE.

A quelle époque et par quelles voies la science de l'économie politique a-t-elle pénétré, au moyen age, dans les écoles d'Occident? Sous quelles influences et dans quelle mesure s'y est-elle développée? Quels résultats a-t-elle produits dès son apparition? Tel est le point peu connu de critique philosophique et d'histoire que je me propose d'examiner. La question n'est pas sans intérêt; et, pourvu que celui qui la traite s'appuie sur des textes authentiques, elle est susceptible d'une solution certaine et précise.

L'économie politique est la science des faits sociaux qui se rattachent à la production et à la circulation de la richesse. Ces faits ne nous sont pas moins familiers que les phénomènes les plus vulgaires de la nature physique; ils se reproduisent partout où les hommes réunis en société s'adonnent à des professions différentes et échangent entre eux les produits de la terre et ceux de leur industrie, en se servant d'un moyen d'échange qui est la monnaie. Il semble donc que l'économie politique, trouvant chez tous les peuples un champ plus ou moins vaste d'observation, ait dù atteindre de bonne heure, dans chaque pays civilisé, un certain degré de développement. Mais l'expérience démontre que les faits qui sont mêlés le plus intimement à l'existence de l'homme n'attirent, en général, qu'à la longue l'attention des philosophes; et, de même

que, parmi tant de merveilles de la nature extérieure, les premières qui ont été observées ne sont pas celles qui nous touchent de plus près, comme les animaux et les plantes, mais celles qui sont le plus éloignées de nous, comme le spectacle des cieux; de même, dans l'ordre moral, les spéculations métaphysiques sur l'être et le non-être, sur l'origine et la fin des choses, ont devancé plus d'une fois l'étude de l'âme elle-même et des lois de la pensée. Ainsi, chez les Grecs, Xénophane et Parménide ont précédé Socrate.

C'est, au reste, un point de fait dont tous les historiens conviennent, que durant la première période du moyen âge, du viro siècle, par exemple, jusqu'au XIII°, on n'aperçoit chez les écrivains la trace d'aucune préoccupation, quelle qu'elle soit, des questions sociales qui sont le domaine de la science que nous appelons aujourd'hui l'économie politique. Le prêt à intérêt figure dans un capitulaire de 789 (1), qui l'interdit, et dans les décrets de plusieurs conciles, dans les lettres de plusieurs papes qui le condamnent (2). Charlemagne va même jusqu'à prohiber comme usuraire, et dès lors comme criminelle, la vente d'un muid de blé ou de vin à un prix plus élevé que celui qui a été payé au temps de la vendange ou de la moisson (3). Mais ni les motifs de ces prohibitions sévères, ni les raisons qui pourraient être alléguées en sens contraire, ne fournissent la matière d'aucune controverse. Les villes de Champagne voient s'ouvrir des marchés et des foires qui sont, durant près de trois siècles, le centre habituel des transactions commerciales d'une partie de l'Occident (4); mais le commerce en luimême, l'influence qu'il exerce et les services qu'il rend à la so

(1) Baluze, Capitularia regum Francorum, Parisiis, 1780, t. I, col. 215. (2) Decret., P. II, c. xiv, q. 3. Cf. Decretal. Greg. IX, 1. V, t. xix, de Usuris. (3) Capit., V, ann. 806, xv, t. I, col. 455 : « Quicumque tempore messis vel vinde<< miæ, non necessitate, sed propter cupiditatem, comparat annonam aut vinum, verbi gratia, de duobus denariis comparat modium unum, et servat usquedum venundari « possit contra denarios quatuor, aut sex, seu amplius: hoc turpe lucrum dicimus. Ibid., t. 1, col. 468, Capil. I, ann. 809 « Ut nemo propter cupiditatem pecuniæ « et propter avaritiam suam prius det pretium et futuram coemptionem sibi præparet, « ut duplum vel triplum tunc recipiat, sed tantum quando fructus præsens est, illos comparet... >>

(4) Voyez le savant mémoire de M. Bourquelot sur les foires de Champagne, inséré dans le recueil des Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 2° série, t. V.

ciété, sont des sujets d'étude qui passent inaperçus. Il en est de même de la monnaie; elle circule de mains en mains, comme la garantie nécessaire de toutes les valeurs et comme l'instrument de tous les échanges, sans qu'on songe à en expliquer l'origine, le rôle social et les lois nécessaires.

Pour constater d'une manière irrécusable l'indifférence des précurseurs de la scolastique à l'égard des questions économiques, il suffit d'ouvrir leurs ouvrages. Nous avons compulsé tour à tour les œuvres d'Alcuin, de Raban Maur, de Scot Érigène, d'Hincmar, de Gerbert, de saint Anselme, d'Abélard. Ce sont assurément là les plus grands noms qui aient illustré la théologie et la philosophie du moyen âge avant le x siècle; ceux qui les ont portés ont tous, à des titres divers, joué un rôle éclatant et exercé une influence manifeste sur leurs contemporains lequel d'entre eux pourrait être, avec quelque apparence de raison, revendiqué par les économistes? La plupart ont approché des princes et ont été mêlés au maniement des affaires humaines; ceux qui ont vécu, comme Abélard, loin des cours, et qui n'ont pris aucune part au gouvernement, avaient médité du moins sur les devoirs de l'homme, et ils ont laissé des traités de morale dans lesquels sont ingénieusement débattus quelques-uns des points les plus délicats de la science des mœurs. Mais, quelles que fussent leur pénétration habituelle et l'expérience qu'ils avaient acquise, trop enfoncés, comme écrivains, dans l'interprétation de la Bible et de quelques parties de l'Organon d'Aristote, ni les uns ni les autres ne paraissent avoir soupçonné que la poursuite de la richesse, qu'ils méprisent, occupe trop de place dans la vie des nations comme dans celle des individus pour ne pas offrir au philosophe un sujet fécond de recherches et de réflexions pratiques, utiles à cette poursuite même.

Nous opposerait-on le Polycraticus de Jean de Salisbury? Mais, malgré quelques réflexions morales sur le luxe et sur la fiscalité, éparses dans cet ouvrage, Jean de Salisbury n'a évidemment nul souci des questions qui préoccupent de nos jours les économistes.

Indépendamment du caractère complexe des phénomènes que l'économie politique étudie, deux causes principales devaient contribuer à la laisser dans l'oubli durant les premiers siècles

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