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c'est que les unes tendent à l'utilité publique, et que les autres ne peuvent être expliquées que par un caprice du prince: celles-ci ne sont jamais permises; celles-là peuvent être licites. Ainsi quand la matière qui composait la monnaie, le fer, par exemple, est devenue très commune, il est avantageux au public et, par conséquent, il est permis d'y substituer une autre matière plus rare. Le prince peut également, et par le même motif, changer ou le poids ou le titre, ou même tout à la fois le titre et le poids d'une pièce de monnaie (1). Ainsi l'on peut frapper de nouvelles pièces du même métal qui aient moins de poids et, par conséquent, moins de valeur que les anciennes. Mais ce qui n'est pas permis, c'est d'attribuer la même valeur à des monnaies qui n'ont pas le même poids ni le même titre, et c'est d'opérer de pareils changements d'une manière arbitraire, sans qu'il doive en résulter aucun avantage pour la communauté.

Telle est la doctrine qui était enseignée par Buridan aux écoliers de Paris, et qu'il a résumée dans un chapitre de ses Questions sur la Politique d'Aristote. Il est, à notre connaissance, le premier des écrivains de cet âge qui ait protesté, au nom de la science et du droit, contre les variations de la monnaie. Quoique nous n'ayons relevé dans ses commentaires aucune allusion aux événements contemporains, ne sommes-nous pas en droit de regarder la discussion à laquelle il se livrait devant ses disciples comme le contre-coup de l'émotion causée, jusque dans l'Université de Paris, par l'incessante mobilité des valeurs monétaires?

Si nous voulons suivre maintenant le progrès des maximes énoncées par Buridan, nous les reverrons reparaître, mais largement développées, et revêtues cette fois d'une forme systématique, dans le traité de Nicolas Oresme sur les monnaies, traité qu'un écrivain érudit signalait, il y a quelques années aux économistes, et dont plus récemment notre savant confrère de l'Académie des sciences morales et politiques M. Wolowski a publié une remarquable édition (2).

(1) Quæst., etc. : « In nullo casu propter bonum privatum, nulla mutatio monetæ « est licita... Propter commune bonum in multis casibus licita est mutatio monetæ. » (2) Traictie de la première invention des monnoies de Nicole Oresme, textes français et latin, etc., et traité de la monnaie de Copernic, publiés et annotės par M. L. Wolowski, Paris, 1864, in-8°. Voyez aussi l'Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme, par Francis Meunier, Paris, 1857, in-8°.

Nicolas Oresme, mort évêque de Lisieux en 1382, est au nombre des esprits les plus savants et les plus judicieux que le xive siècle ait vus paraître. On lui doit des traductions en langue vulgaire de plusieurs ouvrages d'Aristote, et quelques écrits originaux qui témoignent à la fois de son érudition et de son habileté comme écrivain. L'ouvrage qu'il nous a laissé sur la monnaie est un traité complet de la question. L'auteur y expose d'abord, d'après Aristote, la manière dont la monnaie fut inventée et les services qu'elle rend aux hommes. Il distingue ensuite, comme l'avait fait Buridan, les différents aspects sous lesquels on peut l'envisager et les variations correspondantes dont elle est susceptible, par rapport à la matière, au poids, à la forme, au nom, etc. Mais ce que Nicolas Oresme s'attache surtout à bien établir, c'est que la monnaie ne doit pas être changée, sans motif sérieux d'utilité publique, par un simple caprice ou par un calcul intéressé du prince. En effet, la monnaie n'appartient pas au prince, quoiqu'elle porte son effigie; elle appartient à la communauté et aux particuliers dont elle est la propriété, et il n'est pas permis d'y toucher arbitrairement. Ainsi, à moins que les pièces qui ont cours n'aient été falsifiées par des contrefacteurs ou que le métal n'en soit usé, le prince n'a pas le droit de les retirer de la circulation, ni d'en faire frapper de nouvelles portant son effigie. A plus forte raison, le prince ne doit-il pas abaisser injustement le taux de la monnaie quand il s'agit de la faire entrer dans ses caisses, ni l'élever quand elle doit en sortir, ni en altérer le poids ou la matière; ce qui serait une violation de la foi publique, une fraude détestable, et, pour tout dire, l'acte d'un faussaire. Nicolas Oresme n'avait pas de peine à démontrer, mais il démontre avec une émotion éloquente, dans une suite de chapitres excellents, les tristes effets des variations de la monnaie, lorsque ces variations ne sont pas commandées par la nécessité la plus urgente et lorsqu'elles n'ont pour but que de grossir le trésor royal. Elles sont alors pour les particuliers une véritable spoliation, et pour la communauté une cause d'appauvrissement; car elles tendent à diminuer dans le royaume la bonne monnaie, celle qui contient le plus de métaux précieux, et que les étrangers et les changeurs accaparent pour y substituer une monnaie plus faible en or et en argent. En faisant le malheur de l'État, ces variations de la monnaie préju

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dicient au prince lui-même; elles nuisent à sa renommée, ébranlent son pouvoir et compromettent le sort et la fortune de ses enfants; «< car, dit Oresme (1), oncques la très noble séquelle des rois << de France n'apprint à tyranniser, et aussi le peuple gallican ne << s'accoustume pas à sujétion servile; et pour ce, se la royalle séquelle de France délinque de sa première vertu, sans nulle doubte << elle perdra son royaume, et sera translaté en d'autres mains. >> A lire ce fier et douloureux avertissement qui termine le docte traité de Nicolas Oresme, il est difficile de ne pas rapporter la composition de l'ouvrage aux années les plus calamiteuses et les plus oppressives du règne de Jean Ier, lorsque, par la faute des conseillers du malheureux monarque, la perpétuelle mobilité que nous avons signalée dans le taux monétaire aggravait de mois en mois la détresse du royaume et les souffrances du peuple. Sous le sage gouvernement de Charles V, la situation s'améliora comme par miracle; et, bien que Nicolas Oresme n'ait pas été, comme on l'a souvent écrit (2), le précepteur de ce prince, et qu'il ait seulement vécu à sa cour, l'influence des fermes avis, des patriotiques protestations de l'évêque de Lisieux, ne fut sans doute pas étrangère à la régularité que le système monétaire présenta durant quelques années. Mais bientôt les désastres du règne de Charles VI amenèrent de nouvelles perturbations qui ruinèrent le pays. Cette fois, l'Université en corps se rendit l'interprète du mécontentement général dans les remontrances qu'elle adressa au roi, en 1412. « Et n'est point à oublier, disait-elle (3), comment depuis «ung peu de temps en ca vostre monnoye est grandement dimi<«< nuée en poix et en valeur, en tant qu'un escu est de mendre << valeur qu'il ne souloit, de deux sols, et les blans de deux blans, <«< chascun de trois mailles; laquelle chose est ou préjudice de <«< vostre peuple et de vous premièrement. Et par ainsi est la <<< bonne monnoie expurgée; car les changes et les Lombars cueil<«<lent tout le bon or, et font payement de nouvelle monnoie. »

Est-ce la lecture du traité de Nicolas Oresme qui avait inspiré aux maîtres de l'Université cette protestation? Un fait constant,

(1) Traictie, etc., p. 84.

(2) M. Fr. Meunier réfute solidement cette erreur, l. l. p. 23 et suiv.

(3) Chronique de Monstrelet, édit. donnée par la Société de l'histoire de France, t. II, p. 325.

et que nous croyons avoir mis pleinement en lumière, c'est que, dès le xive siècle, les délicates questions qui se rattachent à l'institution et au rôle de la monnaie pénétraient dans l'enseignement des écoles et étaient débattues tantôt dans des écrits spéciaux, tantôt sous la forme d'un simple commentaire de la Morale ou de la Politique d'Aristote. Ce qu'on peut encore affirmer sans crainte, c'est que l'ouvrage de Nicolas Oresme n'était point passé inaperçu, mais que ses contemporains le tenaient en grande estime, et qu'après la mort de l'auteur il ne tomba point dans l'oubli, mais trouva des lecteurs et même des imitateurs. Nous n'en voulons d'autre preuve que preuve que le petit traité de l'Allemand Gabriel Biel sur le même sujet (1). Biel est un des derniers maîtres de la scolastique, et il a longtemps conservé dans les écoles d'outre-Rhin une certaine renommée. Or, en écrivant sur les monnaies, il avait sous les yeux, comme il est facile de s'en assurer, l'ouvrage de Nicolas Oresme. On retrouve en effet dans son opuscule les mêmes divisions, les mêmes idées et jusqu'aux mêmes expressions que chez l'évêque de Lisieux. Ce dernier n'était pas indigne de servir de modèle à ses successeurs. Les juges les plus compétents tombent d'accord qu'il a connu les vrais principes de la monnaie et qu'il les a professés avec autant d'exactitude que de netteté et de décision. C'est le témoignage que lui rendaient récemment M. Roscher et M. Wolowski. De l'aveu de notre savant confrère, l'ouvrage de l'évêque de Lisieux contient une théorie de la monnaie qui demeure encore parfaitement correcte aujourd'hui, sous l'empire des principes reconnus au XIXe siècle.

Tandis que le débat s'engageait avec vivacité sur les mutations de la monnaie, les lois et les théories relatives à l'usure se modifiaient insensiblement par l'influence des mœurs et du progrès de la civilisation.

Le pouvoir royal hésita longtemps avant d'autoriser le prêt à intérêt : disons mieux, il ne le permit jamais d'une manière expresse; néanmoins il fut amené à le tolérer et à fermer les yeux sur des pratiques qui avaient été jusque-là poursuivies et réprimées comme illicites.

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(1) De monetarum potestate et utilitate, Norimberg, 1542, in-4° Cum Matthæi Boissii additionibus, Colon., 1574, in-8°. V. Fabricius, Bibl. med. et inf. latin., t. III.

EXCURSIONS HISTORIQUES.

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En 1311, Philippe le Bel interdit, sous peine de corps et de biens, à la volonté du roi, de prêter à usure au delà d'un denier pour livre par semaine, de quatre deniers par mois, et de quatre sols par année (1). Est-ce donc que l'usure allait être officiellement permise dans ces limites? Les dispositions de l'édit royal semblaient l'indiquer; mais le roi repoussa une telle interprétation de ses volontés, et, par une nouvelle ordonnance du 8 décembre 1312 (2), il déclara réprouver et défendre toutes manières d'usures, de quelque quantité qu'elles fussent, comme elles sont de Dieu et des saints Pères défendues. Il accorde, en conséquence, aux débiteurs qui s'étaient engagés à payer des intérêts, la faculté de ne point les payer, et à ceux qui les auraient payés la faculté d'en répéter le montant contre leurs créanciers. Le roi ajoutait qu'à l'égard des usures de menue quantité, encore qu'elles ne fussent pas frappées d'une peine spéciale, il enten<«< doit que ceux qui les recevroient, useroient ou séquesteroient, «< fussent corrigés et punis ainsi comme, selon Dieu et droiture, << profit public des sujets du royaume seroit à faire. » Mais ces prohibitions inopportunes étaient impuissantes contre des habitudes que les nécessités ordinaires de la vie et les besoins du commerce avaient de plus en plus enracinées chez les populations. Aussi, en 1332, sans précisément autoriser l'usure, Philippe VI de Valois prit l'engagement de ne lever ni faire lever amende, quelle qu'elle fût, à l'occasion des usures qui ne dépasseraient pas un denier la livre par semaine (3). Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est le consentement tacite que le clergé avait donné à l'ordonnance royale. En principe, il n'en approuvait pas les dispositions, mais il ne les condamnait pas non plus; et le roi se faisait fort, comme il dit, que les prélats, à son exemple, ne lèveraient aucune amende sur les prèteurs qui se seraient renfermés dans les termes de l'ordonnance (4).

Ces adoucissements apportés à l'ancienne législation ne pouvaient rester sans quelque influence sur les controverses de l'é

(1) Ordonnances des roys de France, in-fol., t. I, p. 484 et suiv.; p. 494 et suiv. (2) Ibid. p. 508.

(3) Ordonn. du 25 mars 1332. Ordonn. des roys de France, t. II, p. 85.

(4) Ibid. « Et cest article les prélats n'octroient ne contredisent à présent; mais « nous faisons fort que il n'en leveront nulles amendes. »>

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