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MÉMOIRE

SUR

LA ROYAUTÉ FRANÇAISE

ET LE DROIT POPULAIRE

D'APRÈS LES ÉCRIVAINS DU MOYEN AGE.

MÉMOIRE

SUR

LA ROYAUTÉ FRANÇAISE

ET LE DROIT POPULAIRE

D'APRÈS LES ÉCRIVAINS DU MOYEN AGE.

Le moyen âge a vu se produire deux systèmes opposés sur la souveraineté : le système du droit pontifical et celui du droit impérial.

Le pape, vicaire de Jésus-Christ, suprême interprète des paroles divines, infaillible gardien du dépôt de la foi; l'empereur, légitime héritier des Césars, investi de tous les pouvoirs qu'ils avaient exercés, armé comme eux du glaive pour commander à la terre et dompter la résistance des nations rebelles : voilà, dans les temps qui suivirent la mort de Charlemagne, les deux types de la puissance et de l'autorité souveraine qui s'offrirent à la pensée des écrivains politiques. Comment les uns prirent parti pour le pape et exaltèrent ses prérogatives jusqu'à proclamer sa suprématie, même dans l'ordre temporel, lui assujettissant les couronnes et lui reconnaissant le droit d'en disposer; comment les autres se constituèrent les défenseurs de la puissance impériale, l'élevèrent au-dessus de toutes les autres puissances, prétendirent lui subordonner même l'autorité pontificale et renouveler ce régime, tombé avec le vieil empire romain, sous lequel le prince,

EXCURSIONS HISTORIQUES.

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maître de la religion, domine les consciences: beaucoup d'autres l'ont raconté avant nous, et notre dessein n'est pas de reprendre ce récit, auquel nous pourrions à peine ajouter quelques traits. Le but que nous poursuivons est plus restreint. Entre les ambitieuses visées des champions du despotisme impérial et les doctrines théologiques favorables à la suprématie temporelle du saint-siège, nous voudrions suivre la trace des idées que les écrivains de la scolastique, théologiens, philosophes, légistes, sermonnaires, se sont formées de la royauté, et qui, de siècle en siècle, ont abouti à une notion du gouvernement dans laquelle l'idée monarchique se concilie avec le sentiment du droit populaire. C'est en France principalement que la marche de ces idées peut être utilement observée. La France, en effet, n'a pas vu se produire chez elle ces luttes acharnées du sacerdoce et de l'empire, qui ont si profondément troublé l'Allemagne et l'Italie; elle n'a pas subi le joug humiliant des nouveaux Césars, ni la domination des doctrines théocratiques; et elle s'est frayé elle-même sa voie, à travers d'innombrables écueils et en dépit des systèmes les plus contraires, vers un gouvernement tempéré qui lui fût propre. C'est cette voie obscure et difficile à reconnaître qu'il s'agit pour nous de retrouver, non pas dans les faits qui sont du domaine des chroniqueurs et des historiographes, mais plutôt dans les doctrines qui reflètent les faits, et qui tantôt préparent, tantôt consacrent le progrès des institutions sociales.

L'Université de Bologne, qui prétendait remonter jusqu'à Théodose le Jeune, venait de recevoir de l'empereur Frédéric Barberousse ses premiers statuts et d'importants privilèges, lorsqu'une controverse eut lieu, dit-on, entre quelques-uns de ses professeurs, sur le point de savoir si l'empereur était le seigneur des seigneurs et le roi des rois désigné dans ce passage de l'Apocalypse (1) Rex regum et dominus dominantium. Les historiens ajoutent que l'affirmative trouva de nombreux défenseurs (2), et il est constant qu'elle devint la doctrine en quelque

(1) Apoc., c. XIX, v. 16.

(2) Rossetti, Sullo spirito antipapale che produsse la riforma, etc., Londra, 1832, in-8°, c. XI. p. 136; Vita e poesie di messer Cino da Pistoja, novella edizione rivista dal Seb. Ciampi, Pisa, 1813, in-8°, p. 5, 38 et suiv., 132. Cf. Ouvré, De monarchia Dantis, Parisiis, 1853, in-8°. p. 5.

sorte officielle de la nouvelle école de jurisconsultes. C'est au fond la thèse que Dante lui-même a soutenue dans son traité célèbre De monarchia, bien que le tempérament altier et peu docile du poète florentin ne parût pas le destiner à être le champion d'une pareille cause.

Tout autre est l'aspect sous lequel la royauté se présente dans les ouvrages de nos plus anciens écrivains. Elle y apparaît comme une autorité purement locale, dont la juridiction s'arrête au delà d'une certaine étendue de pays, et qui n'affiche aucune prétention à la souveraineté universelle. Néanmoins, si humble qu'elle fût, comparée à la puissance impériale, les traditions de la législation romaine s'accordaient avec les enseignements de l'Église pour assurer à la personne du roi le respect des peuples et la soumission du clergé. Selon la loi romaine, encore si vivante longtemps après la chute de Rome, la volonté du prince n'a-t-elle pas force de loi (1)? Selon l'Église, tout pouvoir ne vient-il pas de Dieu, et ne lui devons-nous pas obéissance? A ces motifs en faveur de la royauté, s'ajoutait une raison qui devait vivement frapper les descendants des races germaines, nous voulons dire le devoir de fidélité qui rattachait les anciens leudes à leur chef et qui ne dépendait ni de l'étendue des domaines de celui-ci, ni du nombre de ses vassaux, mais de la foi jurée. Ainsi se développa, sous l'influence de causes multiples, l'idée d'un pouvoir souverain, unique de sa nature, auquel appartenait le droit de commander et d'être obéi dans le territoire dont il était possesseur. Cette image de la puissance ou plutôt de la majesté royale pénétra de bonne heure dans tous les esprits, chez les ignorants comme chez les doctes; et de Clovis à Charlemagne, de Charlemagne à Philippe-Auguste, on en suit facilement la trace chez les chroniqueurs et chez les théologiens.

Combien les récits de Grégoire de Tours ne nous offrent-ils pas de scènes dans lesquelles le pouvoir monarchique figure avec des prérogatives qui l'élèvent au-dessus de tous les autres pouvoirs ! « O roi, » disait lui-même le courageux historien à Chilpéric, au moment où ce prince, aveuglé par la colère, allait sévir cruellement contre l'évêque de Rouen, Prétextat, « ô roi, si quelqu'un

(1) Digest. I, 4: « Quod principi placuit legis habet vigorem. »

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