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NICOLAS ORESME

ET LES

ASTROLOGUES DE LA COUR DE CHARLES V.

L'astrologie judiciaire repose sur deux hypothèses : l'une, que les événements qui se passent sur la terre, et qui font le malheur des hommes ou leur bonheur, sont liés aux mouvements des corps célestes; l'autre, que cette liaison n'est pas dérobée à nos regards, mais que l'observation, aidée du calcul, nous fournit le moyen d'en discerner les lois principales. Ces deux hypothèses, quelque jugement qu'on en porte, se tiennent et se complètent, et la pensée n'éprouve aucune peine à passer de l'une à l'autre. La première d'ailleurs est, pour ainsi dire, suggérée à l'intelligence de l'homme par la nature elle-même. A la vue du spectacle des cieux, de ces milliers de corps, les uns fixes, les autres errants, qui sont placés au-dessus de nos têtes, et d'où rayonne vers nous la chaleur avec la lumière, comment ne serait-on pas tenté de croire que ces foyers brillants, dont les positions apparentes règlent le cours des saisons, exercent une influence décisive sur les choses de ce monde, et en particulier sur nos destinées? Pour surmonter ce penchant que la curiosité favorise, que l'imagination entretient, il ne faut pas moins que l'effort vigoureux de la raison éclairée par une longue expérience. Encore la victoire de la raison n'est-elle jamais complète; le préjugé persiste malgré

EXCURSIONS HISTORIQUES.

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les démentis qui lui sont infligés par les faits, et l'aveugle foi dans la puissance des astres, le fol espoir de lire dans les cieux le secret de l'avenir, continue à faire des dupes, mème aux époques les plus avancées de la civilisation.

On ne saurait donc s'étonner que l'astrologie judiciaire remonte à la plus haute antiquité, et qu'après avoir été cultivée par les prêtres de la Chaldée et de l'Égypte, par les Grecs et par les Romains, elle ait continué durant le moyen âge à exercer un puissant prestige sur les imaginations, même chez les peuples chrétiens.

A partir du XIIIe siècle, deux causes principales, la connaissance de la Métaphysique d'Aristote et celle de quelques ouvrages des astronomes arabes, contribuèrent à donner le plus rapide essor à cette science fallacieuse.

Après avoir établi que le mouvement qui emporte le monde suppose un premier moteur qui lui-même est immobile, Aristote, au XII livre de sa Métaphysique, enseigne que les astres, ayant reçu l'impulsion du premier moteur, la communiquent au reste de la nature; qu'ils servent ainsi d'intermédiaire entre Dieu et les êtres inférieurs; qu'ils sont pour ceux-ci le principe immédiat de toute vie et de toute action. Assigner ce rôle aux corps célestes dans le mécanisme de l'univers, c'était poser le premier fondement de l'astrologie judiciaire. Si, en effet, le mouvement et la vie émanent des astres, l'homme lui-même comme les animaux et les plantes, comme tous les phénomènes naturels, est soumis à leur influence; sa destinée dépend d'eux, elle est en rapport avec les apparences qu'ils nous offrent, et, pour la connaitre, il suffit d'observer exactement ces apparences mobiles et changeantes qui la déterminent. L'orthodoxie chrétienne reculait devant cette conséquence; elle protestait, au nom du libre arbitre et de la morale, contre un système qui assujettissait à la nécessité les déterminations volontaires de l'àme humaine; et voilà pourquoi saint Thomas d'Aquin, quoi qu'en disent quelques écrivains, ne saurait être rangé parmi les adeptes de l'astrologie judiciaire. S'il croyait, avec Aristote, au pouvoir des astres dans l'ordre matériel, il n'a jamais concédé que ce pouvoir s'étendit aux actes humains, et sa doctrine soustrait absolument à l'astrologie ce domaine de la liberté dans lequel l'imagination des faiseurs d'horoscopes

s'exerçait avec le plus de complaisance et le plus de scandale (1). Mais l'autorité d'Aristote n'était pas la seule qui pût égarer dans ces voies périlleuses la crédulité des esprits. En même temps que la Métaphysique du philosophe de Stagyre se répandait en Occident, l'Europe chrétienne voyait circuler dans les universités le Quadripertit de Ptolémée et les tables astrologiques de quelques Arabes, comme Alkindi, Albumazar, Alcabitius, Abenragel. Jusqu'alors ceux qui cultivaient l'astrologie n'avaient eu d'autres guides que Censorinus, Manilius et Julius Firmicus, qui pouvaient bien séduire quelques rêveurs isolés, mais qui n'avaient pas assez de poids pour entrainer le plus grand nombre des esprits. Ptolémée, dans le Quadripertit, les Arabes dans leurs spéculations les plus hasardées, apparaissent au contraire comme les maîtres d'une science régulière, ayant ses principes et sa méthode propre, et pouvant conduire ses adeptes à des résultats incomparables. Aussi trouvaient-ils des sectateurs jusque dans les rangs de ceux qui semblaient préservés de cette superstition par une certaine culture. Il y eut désormais peu de mathématiciens qui ne fissent métier de pronostiquer l'avenir d'après l'aspect des cieux. Beaucoup de médecins, avant de prescrire un médicament, vérifiaient la position des planètes (2). L'astrologie devint la science la plus admirée et la plus recherchée, surtout par les grands. Presque tous les princes de l'Europe eurent à leur service, comme l'empereur Frédéric II, des astrologues, sans l'avis desquels ils n'auraient osé ni livrer bataille ni décider aucune affaire importante (3).

En France, de même que dans les autres pays où des traduc

(1) De judiciis astrorum. Opp. t. XIX, p. 286, ed. Rubeis : « Si aliquis judiciis astrorum utatur ad prænoscendum corporales effectus, puta tempestatem et serenitatem aeris, sanitatem vel infirmitatem corporis, vel ubertatem et sterilitatem frugum, et similia quæ ex corporibus et naturalibus causis dependent, nullum videtur esse peccatum. Nam omnes homines circa tales effectus aliqua observatione utuntur corporum cœlestium, sicut agricolæ seminant et metunt certo tempore, quod observatur secundum motum solis... Hoc autem omnino tenere oportet quod voluntas hominis non est subjecta necessitati astrorum; alioquin periret liberum arbitrium : quo sublato, non deputarentur homini neque bona opera ad meritum, neque mala ad culpam... Et ideo pro certo tenendum est, grave peccatum esse circa ea quæ a voluntate hominis dependent judiciis astrorum uti. » Cf. C. Gentes, III, c. 82, 84, 85, 86.

(2) Germain. Hist. de la commune de Montpellier, t. III, p. 108. (3) Libri, Hist. des sciences mathématiques, t. II, p. 50 et suiv.

tions latines avaient propagé la connaissance des ouvrages grecs et arabes, les horoscopes tirés des astres excitèrent dès le XIII° siècle autant de curiosité que d'espérance, et donnèrent lieu à beaucoup de recherches et de travaux. Un poète provençal, Bérald de Baux, poussa, dit-on, la passion pour de semblables études jusqu'à en perdre la raison (1). Quelques âmes curieuses et timorées se demandaient s'il est permis de s'adonner à l'astrologie et consultaient à cet égard les théologiens. Parmi les ouvrages contenant des pronostics, on distinguait déjà les livres permis et les livres défendus Albert le Grand a dressé le catalogue des uns et des autres (2), et il a même encouru par cet écrit les reproches du chancelier Gerson, qui blâme son excessive indulgence pour des œuvres dignes d'anathème (3). Cependant saint Louis n'était pas un roi qui encourageât les spéculations équivoques et justement suspectes. Il n'avait pas d'astrologue à sa cour, et certainement, à l'exemple de saint Thomas, il regardait comme un péché très grave de consulter les astres sur les événements à venir qui dépendent de la volonté des hommes. Mais les rois qui lui succédèrent n'imitèrent pas sa réserve. A partir des Valois surtout, l'astrologie judiciaire prit en France un développement comparable à celui qu'elle avait en Italie, en Allemagne et en Espagne, au temps de Frédéric II et d'Alphonse X. Ses disciples se multiplièrent et furent confondus dans l'estime publique avec les véritables astronomes. Ceux-ci, à la vérité, prêtaient à l'erreur du vulgaire en cédant eux-mêmes à la tentation de dresser des horoscopes. Il y a sans doute une exception à faire sous ce rapport en faveur de Jean de Lignières, que Trithème appelle le restaurateur de la science des astres (4), et qui a laissé plusieurs ouvrages sérieusement conçus et non dénués de valeur. Mais son

(1) Hist. litt. de la France, t. XVI, p. 119.

(2) Voyez son Speculum astronomicum, in quo de libris licitis et illicitis pertractatur. Opp., t. V. p. 656 et suiv.

(3) Trilogium astronomic theologisalæ. Opp., t. I. I, col. 201: « Videtur autem, salvo tanti doctoris honore, quod sicut in exponendis libris philosophicis... nimiam curam apposuit... ita et in approbatione quorumdam librorum astronomiæ, præsertim de imaginibus, de nativitatibus, etc., nimis ad partem superstitionum, ratione carentium, determinavit. >>

(4) De script. eccles., c. 580 : « Astronomus omnium suo tempore celeberrimus, qui hanc disciplinam a memoria hominum jam pene abrasam magnifice instauravit. »

disciple Jean des Murs avait rédigé une Pronostication sur la Conjonction de Saturne, de Jupiter et de Mars; elle se lit encore dans quelques manuscrits (1). Un autre disciple de Jean de Lignières, Jean de Saxe, ne se borna pas à composer des canons pour la connaissance des éclipses; il commenta Alcabitius, et, s'il faut en croire Simon de Pharès, il tint à Paris école d'astrologie (2). L'astrologie peut réclamer, et à meilleur titre encore, bien d'autres noms, avant comme après Jean des Murs. Ainsi, deux médecins de Montpellier, Arnaud de Villeneuve, auteur d'un traité de médecine astrologique, De judicis infirmitatum secundum motum Planetarum, et Bernard de Gordon, imbu des mêmes préjugés, comme on peut le voir par son traité De prognosticis, dans lequel il fait la plus large part aux influences stellaires; maître Symon de Cuiro, qui prédit la grande peste de 1348 dans son traité De convivio Solis et Saturni; - maître Guillaume de Louri, que « son grant sens et singulière expérience de la science des estoilles » firent envoyer par les Anglais de Bourges à Londres « pour y desennuyer le bon roi Jean » durant sa captivité; messire Jacques de Saint-André, chanoine de Tournai et grand aumônier, qui eut, à ce qu'on rapporte, l'heureuse chance d'avoir prédit la bataille de Cocherel et la victoire de Du Guesclin; enfin le plus célèbre de tous, Thomas de Pisan, le père de Christine de Pisan, qui fut appelé de Venise à Paris, en 1368, par le roi Charles V, pour devenir son astrologue en titre (3).

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Nous avons nommé Charles V : tous les historiens tombent d'accord qu'il poussa le goût de l'astrologie plus loin qu'aucun de ses prédécesseurs. Il était « très expert et sage en icelle, » nous dit Christine de Pisan (4), «et aimoit celle science comme chose esleue et singulière. » Les ouvrages d'astrologie étaient sans comparaison les plus nombreux dans la bibliothèque qu'il s'était formée au Louvre. Il avait fait traduire en langue vulgaire le Quadriper

(1) Bibl. nat. Ms. lat. 7378 A,

(2) Bibl. nat. Ms. fr. 1337, fol. 134 vo.

(3) Simon de Pharés, passim; Germain, Hist. de la commune de Montpellier, t. III, p. 109; De la médecine et des sciences occultes à Montpellier, 1872, in-4o; V. Le Clerc, Discours sur l'état des lettres au XIVe siècle, éd. in-8, t. II, p. 531 et s. (4) Le livre des fais et bonnes mœurs du sage roy Charles, p. II, ch. IV.

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