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JORDANO BRUNO.

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Le but suprême de la philosophie est la connaissance raisonnée de la vérité son procédé naturel est la réflexion, non la foi. Cependant les siècles de foi ne sont pas ceux où la tâche du philosophe présente le plus de difficultés, où son courage est exposé aux plus rudes épreuves. La foi, comme l'espérance, l'amour et en général, tous les sentiments, est d'autant plus facile au cœur qu'elle est partagée. L'exemple y dispose et la favorise. Il en coûte moins pour être soumis et fidèle, lorsqu'on vit au milieu d'une société qui pratique elle-même l'obéissance. Ajouteraije que, sous la discipline sévère de la foi, l'esprit le plus rebelle s'habitue à contenir et à régler ce qu'il peut y avoir d'excessif et d'immodéré dans son ardeur. Sa démarche en devient plus lente, mais elle est aussi mieux assurée. S'il avance peu, il ne s'égare pas. Il acquiert assez d'empire sur lui-même pour résister aux entrainements de ses pensées, et on ne le voit pas troubler le monde par des rêves pernicieux qui feraient le malheur de sa propre vie.

Le véritable écueil pour les philosophes, c'est, il faut le dire, cette liberté séduisante et mensongère, mélange d'esclavage et d'anarchie, qui est propre aux âges où se prépare et s'annonce, mais où ne se consomme pas l'émancipation définitive des intelligences. Le spectacle que présente alors la société, l'état de ma

(1) Le morceau suivant a été composé à l'occasion de l'ouvrage de M. Christian Bartholmèss, Jordano Bruno, Paris, 1846, 2 vol. in-8°. Il a paru dans la Revue Nouvelle, no du 1er mars 1847. Nous l'avons revu avec soin, corrigé et un peu développé.

laise et d'inquiétude où elle se trouve, le vide affligeant que le progrès du doute opère dans les âmes, la fatigue du présent, l'aversion du passé, l'attente de l'avenir, mille causes réunies paraissent convier la raison à secouer les chaines qui la retiennent. captive. Le philosophe suit cette pente sans consulter ses forces, sans mesurer l'étendue des obstacles qu'il aura à surmonter. Il court avec impétuosité là où la nature et les circonstances le portent, espérant découvrir par la seule vertu de son génie le remède aux maux qui tourmentent ses semblables et dont il est lui-même atteint. Espoir frivole! efforts impuissants! Il n'est jamais plus éloigné du but que lorsqu'il se flatte enfin de le toucher. Il a cru être en pussession d'une doctrine destinée à rallier les âmes en les réformant, et, victime de son imagination ou de son orgueil, il se trouve n'avoir mis au monde qu'une utopie que le sens commun et la conscience repoussent énergiquement, et dont l'audace ne fait qu'ajouter au désordre général. L'autorité ne tarde pas à s'émouvoir de cette tentative menaçante pour sa suprématie; elle appelle la persécution à son aide pour retenir l'ascendant qui lui échappe; le philosophe, convaincu de rébellion ou de blasphème, meurt dans un cachot ou sur un bûcher. Voilà où se terminent tant de projets et d'efforts souvent géné– reux que le premier souffle de la liberté renaissante avait inspirés.

Le Napolitain Jordano Bruno, condamné au feu par l'inquisition de Rome dans la dernière année du XVI° siècle, est le type achevé de ces martyrs de l'indépendance philosophique qui sont morts victimes de leurs erreurs et des passions humaines exaltées par le désordre des temps. Le siècle où il vécut avait vu l'unité religieuse de l'Europe se briser et la guerre civile ensanglanter la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Au milieu de la confusion qui régnait de toutes parts, il semblait que l'ère de l'affranchissement allait commencer pour la raison, et qu'après avoir été longtemps esclave, elle se gouvernerait à sa guise et propagerait en toute liberté ses rêveries. Bruno se berça, comme tant d'autres, de cette espérance. Il secoua toute espèce de joug, et s'abandonna au charme de penser par lui-même et de communiquer ses pensées à autrui. Cependant rien n'était changé dans la constitution de la société chrétienne, sinon que les fondements

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