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Un fait non moins merveilleux, c'est qu'au milieu de cet éparpillement de la première prédication chrétienne, l'unité de discipline se soit maintenue dans toutes les églises, avec une régularité forte et compacte; s'il y eut des hérésies, celles-ci résultèrent souvent d'une séparation de croyance, et quelquefois elles n'eurent du christianisme que le nom (1). Ce qu'il faut spécialement constater, c'est cette unité d'un même enseignement maintenue à travers la dispersion de tant de disciples. Si l'on suit les monuments des premiers siècles, on doit reconnaître que l'admirable organisation de l'Église se maintint par trois moyens de surveillance et d'ordre : l'autorité, la discipline, la correspondance. L'autorité, avant même qu'elle fût placée absolument dans les mains des souverains pontifes, se manifestait et s'imposait par la grandeur des hommes et les délibérations des conciles. Il y eut, à l'origine du christianisme, des noms si saints, des renommées si apostoliques, que les paroles étaient comme des ordres; toute la communauté obéissait aux prescriptions de saint Pierre, de saint Paul et de saint Jean, avec une soumission respectueuse; les actes des anciens, réunis en concile, avaient éga

(1) Ainsi, Simon le magicien, Valentin, Carpocrate, n'étaient pas évidemment chrétiens: le nom n'était pour eux qu'une espèce de passeport pour la doctrine orientale.

lement force de commandement, et l'obéissance venait à eux avec spontanéité (1). Telle était la puissance morale de la discipline, qu'avec un seul mot, les évêques obtenaient l'adhésion des diacres jusqu'aux extrémités du monde chrétien, car le caractère de la doctrine nouvelle était la foi absolue aux maîtres et à leur parole suprême. Autant les chrétiens étaient tenaces à la face des persécutions et des supplices, autant ils étaient doux, résignés devant la prescription de leur évêque. Pour maintenir cette grande harmonie entre toutes les fractions de la société chrétienne, le moyen le plus souvent usité, c'était la correspondance adressée aux fidèles, aux églises éloignées, par un évêque, par les Pères d'un concile assemblé, ou même par un saint docteur; les épîtres contenaient le récit de quelque événement triste ou joyeux pour la communauté secrète, ou bien un résumé des préceptes de morale ou de discipline à l'usage de tous; portées par les diacres ́ayec des secours, des aumônes, d'église à église, elles

(1) Les conciles alors étaient des assemblées particulières d'évêques. Ce qui étonnait les païens, c'est que de si petites gens pussent concevoir un si grand œuvre. Arnobe dit : « Piscatores, opifices, rusticanos atque in genus deligit imperitorum qui per varias gentes missi cuncta illa miracula, sine ullis fucis atque adminiculis perpretarent. Neque quidquam ut ab illo gestum per admirationem stupentibus cunctis quod non omne donaverit faciendum parvulis illis et rusticis et eorum subjecerit potestati. » (Arnob., liv. I, p. 30.)

réjouissaient et fortifiaient les âmes (1); on se donnait le baiser de paix et de fraternité avec une touchante harmonie. Le soir, dans les simples agapes, on récitait mutuellement les chroniques sanglantes de la persécution; celui-ci, messager lointain, apportait une fiole pleine du sang des martyrs, celuilà une palme, symbole des confesseurs de la foi. On s'exhortait à supporter les tristesses de la persécution et les douleurs des mauvais jours; l'égalité la plus absolue régnait parmi les frères; point de biens personnels, la distinction du tien et du mien à peine connue; des hymnes en l'honneur des martyrs morts pour la foi, comme les chants des Spartiates en l'honneur des héros tombés pour la patrie; enfin, l'unité et la fraternité se maintenaient sous la bannière de la croix dans cette admirable société de chrétiens, tandis que la doctrine de Jésus-Christ marchait à son triomphe.

(1) Voyez l'épître de l'église de Lyon sur le martyre de Blandine.

CHAPITRE XIII.

CARACTÈRE POLITIQUE DE LA DERNIÈRE PERSÉCUTION CONTRE LE CHRISTIANISME.

Cet accroissement immense de la foi nouvelle, «< cette entraînante folie de la croix,» selon l'expression ardente des apologistes (1), inspirait des inquiétudes, non plus seulement au polythéisme menacé en tant que religion d'État, mais encore aux pouvoirs de l'empire romain, considérés dans leur forme politique. Le christianisme, alors partout répandu, était, depuis la fin du 1° siècle, comme le principe d'un grand parti qui attaquait de front les institutions de la vieille Rome et la force du pouvoir impérial lui-même ; cette sublime bravade jetée à la tyrannie, à l'égoïsme, jointe au mépris de la mort, donnait l'idée et la mesure de ce que pourraient d'énergie et de courage les chrétiens, si,

(1) Tertullien, IX.

lassés d'être persécutés dans leur croyance et leur Église, ils se levaient enfin dans leur force et leur indignation pour conquérir leur indépendance (1). Or, ce soupçon craintif semait des inquiétudes partout, au prétoire de justice comme dans le palais des césars; en reconnaissant aux fidèles toutes les vertus et la résignation la plus absolue, il était impossible qu'ils ne songeassent pas tout naturellement à créer enfin un pouvoir, un empereur favorable à leur idée, à leur parti : c'est la tendance simple de toute opinion forte à laquelle on ne fait pas sa part; quand elle se sent une surabondance de vie et qu'elle a pour elle l'avenir, elle s'agite, espère, et souvent, malgré sa volonté patiente et résignée, elle prépare son triomphe. Les chrétiens alors étaient partout (2), dans l'armée, dans les cités, presque en nombre égal aux polythéistes; des légions entières, même avec leur tribun, leurs centu rions (3), professaient publiquement le nouveau culte, et à chaque circonstance, elles manifestaient leur croyance avec une grande liberté d'expression et quelquefois même avec des menaces publiques et hautaines contre les institutions polythéistes.

(1) Après le règne d'Alexandre-Sévère, on comptait un tiers de chrétiens dans les légions même les plus antiques.

(2) Tertullien, Apolog. X.

(3) Témoin la légion thébaine.

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