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terre, récompensant les bons et châtiant les méchants après cette vie, s'était maintenue malgré les superstitions de l'idolâtrie. Mais conclure de là qu'il a dû en être ainsi chez tous les peuples sans exception, c'est une supposition que l'histoire ne confirme point, et qu'elle semble plutôt contredire.

Que l'idolâtrie ait été quelquefois, souvent même peut-être, un crime de la volonté, et non une erreur de l'esprit ; c'est un fait que l'exemple des Juifs démontre jusqu'à l'évidence. Car ils avaient certainement la notion d'un Dieu unique; et cependant ils retournaient, à la moindre occasion, au culte des idoles. Au reste, il faut connaître bien peu le cœur humain, pour ignorer que l'idolâtrie y a des racines secrètes et profondes; et si la lumière du christianisme disparaissait parmi nous, il serait bientôt remplacé par une idolâtrie moins grossière et moins absurde peut-être que celle des peuples de l'antiquité, mais qui ne serait ni moins corrompue ni moins funeste.

M, de Lamennais a toutefois, malgré ses exagérations, rendu un véritable service à la cause de la religion sous ce rapport, en appelant l'attention des théologiens et des apologistes sur un point de la plus grande importance, et qui jusqu'ici avait donné lieu aux objections les plus formidables. Il était difficile, en effet, à des chrétiens, enrichis de tous les trésors que nous a acquis la rédemption, et comblés des bienfaits de Dieu, de croire qu'un Dieu si bon, qui a daigné se faire homme, et mourir pour nous sur la croix, ait laissé pendant tant de siècles le genre humain tout entier dans un état où le salut était presque moralement impossible. Plus Dieu a été généreux à notre égard, plus il nous est difficile de croire qu'il se soit montré si sévère envers ceux qui nous ont précédés. N'est-ce pas d'ailleurs amoindrir l'effet de la rédemption, et le prix du sang que Jésus-Christ a versé pour nous que de soustraire à sa bienfaisante influence tous les siècles qui l'ont précédé? Aussi le sens des peuples catholiques s'est-il révolté contre cette supposition injurieuse à la bonté divine; et les exagérations de M. de Lamennais n'ont été que la réaction contre un autre excès bien plus dangereux, à notre avis car il vaut mieux, à tout prendre, exagérer la miséricorde de Dieu que sa justice.

M. de Lamennais, en appelant l'attention des théologiens et

des controversistes sur ce point, leur a donné l'occasion de l'examiner de plus près. Une étude plus approfondie de la question a modifié d'une manière heureuse les opinions que l'influence du jansénisme avait accréditées ; et personne n'a contribué autant à ce résultat que M. l'abbé Rohrbacher dans son Histoire ecclésiastique. Il s'y est appliqué, en effet, avec un soin tout particulier, à faire ressortir, toutes les fois qu'il en a trouvé l'occasion, les vestiges de la tradition primitive, soit chez les peuples anciens, soit chez les peuples barbares, qui ont été découverts en ces derniers temps, sans prétendre toutefois qu'elle s'y soit maintenue pure de tout mélange d'erreur. Et si quelques expressions équivoques ont pu rendre parfois sa pensée douteuse en ce point, toute incertitude disparaît, lorsqu'on se donne la peine de comparer les divers passages de son histoire où il a eu occasion de traiter ce sujet. C'est là d'ailleurs le seul moyen de connaître la véritable pensée d'un auteur: aussi ne devrait-on jamais se permettre de juger un livre, avant d'avoir fait cette comparaison. M. Rohrbacher, du reste, s'est expliqué de la manière la plus claire à ce sujet, en répondant aux observations qui lui avaient été faites ; et il résulte de ses explications qu'il n'a jamais voulu dire autre chose, sinon que la révélation primitive s'était conservée au milieu des ténèbres du paganisme, altérée et défigurée, il est vrai, par les passions, les erreurs et les préjugés, mais jamais cependant au point d'être méconnaissable pour celui qui, usant convenablement de ses facultés naturelles, et coopérant à la grâce de Dieu, cherchait sérieusement à connaître la vérité. Dès qu'il déclare que c'est là ce qu'il a voulu dire, et que son assertion est confirmée par un grand nombre de passages de son histoire, on ne saurait sans injustice l'accuser d'avoir pensé le contraire. Au reste, une chose nous a douloureusement frappé dans les observations qui ont été faites, soit officiellement soit d'une autre manière, sur l'Histoire ecclésiastique de M. Rohrbacher. Tous ceux qui ont été chargés de l'examiner, et d'en rendre compte, conviennent unanimement que l'esprit en est irréprochable et le but excellent. Cette considération devait, ce semble, les rendre plus accommodants quant aux détails: car le sens de ceux-ci doit être expliqué par l'esprit général du livre. Et cependant nous avons été surpris de la sévérité avec laquelle on s'est attaché à relever

certains passages, certaines expressions, dont l'inexactitude, et le danger, si toutefois il existait, disparaissent dans l'ensemble du livre. Cette rigueur, comparée à l'indulgence excessive avec laquelle on a jugé des ouvrages du même genre, bien autrement dangereux, ne peut s'expliquer qu'en supposant chez les juges ou les critiques un parti pris et des préjugés dont un juge devrait toujours être exempt. On se rappelle avec quelle vivacité la Bibliographie catholique a attaqué dès le commencement l'Histoire ecclésiastique de M. Rohrbacher en plusieurs articles, où l'on retrouve toutes les accusations dont ce livre a été l'objet. Or, ce même recueil, loin de se montrer aussi sévère à l'égard du livre de l'abbé Guettée, dont le Saint-Siége a fait justice depuis en le mettant à l'index, et que plusieurs conciles ont flétris, comme il le méritait, n'a eu pour cet auteur que des encouragements et des éloges. Ce rapprochement suffit à lui seul pour indiquer l'esprit dans lequel ont été faites la plupart des critiques du livre de M. Rohrbacher. Tandis qu'aucune paille n'échappait en celui-ci, on n'apercevait point dans les autres des poutres qui auraient frappé des yeux non prévenus. Tandis qu'on dénonçait à l'autorité ecclésiastique une œuvre que l'on reconnaissait excellente dans son ensemble, dans son but et dans son esprit, on laissait entre les mains des élèves du sanctuaire des livres qui auraient dû pervertir l'esprit du clergé français, s'il n'avait été sauvé par le bon sens admirable qui le distingue, et par un attachement inaltérable au Saint-Siége. Nos observations ne s'adressent point à la Bibliographie catholique, telle qu'elle est rédigée depuis quelque temps; et nous sommes bien sûr que son directeur actuel se montrerait à la fois et plus juste envers M. Rohrbacher, et plus sévère à l'égard de l'abbé Guettée.

On a encore reproché à M. Rohrbacher un certain esprit démocratique, qui le porte, non-seulement à exagérer les fautes et les vices des rois, mais encore à affaiblir l'idée que la religion nous donne de la royauté. Si ce reproche était fondé, il serait d'autant plus grave, que dans ce temps, où l'orgueil et l'esprit d'insubordination portent au mépris de toute autorité divine et humaine, c'est un devoir, pour ceux qui parlent au nom de Dieu et de l'Église, de réagir contre cette funeste tendance et d'entourer le pouvoir de la considération qui lui est due. Car, quelque indignes

et méchants que soient ceux qui en sont revêtus, il est toujours un reflet et comme un écoulement de la puissance infinie de Dieu. Sur ce point deux opinions extrêmes ont été formulées. Les uns, frappés exclusivement des inconvénients de l'esprit de révolte et d'insubordination dans les peuples, ont cru qu'on ne saurait jamais trop fortifier le principe d'autorité. Ils ont donc enseigné que le pouvoir est inadmissible, et que l'abus qu'en fait celui qui en est revêtu ne donne jamais aux peuples d'autre droit que celui de ne pas faire les choses qu'on leur commande, quand elles sont contraires à la loi divine; que toute résistance active est interdite, et qu'un chrétien doit toujours, à l'exemple des fidèles des premiers siècles, souffrir toutes les persécutions, la mort même, s'il le faut, plutôt que de repousser par la force l'injustice.

Cette doctrine, formulée d'une manière aussi absolue, porte en quelque sorte avec elle son correctif, par l'exagération même dont elle est empreinte; et il était impossible que le sens catholique ne se révoltât pas contre une opinion qui essayait de donner une sanction divine au despotisme le plus humiliant, et mettait sous la sauvegarde de Dieu lui-même les excès entrepris contre sa loi et l'honneur de son Église. Elle avait de plus l'inconvénient de condamner, au moins d'une manière indirecte, la conduite de l'Église pendant plusieurs siècles: car, malgré toutes les peines que se sont données quelques théologiens pour dégager sa responsabilité dans les sentences de déposition, prononcées par les papes contre plusieurs princes qui abusaient de leur autorité, et foulaient aux pieds les droits les plus sacrés, il est impossible pour tout esprit de bonne foi, de séparer l'Église des souverains pontifes qui agissaient en ces circonstances. Outre que ces sentences ont été portées plus d'une fois dans des conciles très-nombreux, ou même œcuméniques, on peut toujours appliquer à ces cas la doctrine de saint Augustin : que l'Église ne peut approuver l'erreur ou l'injustice, ni directement, par un consentement formel, ni indirectement par son silence.

D'autres, frappés au contraire des périls et des malheurs que le despotisme a plus d'une fois préparés aux peuples et à l'Église, se sont jetés dans l'excès opposé, et ont prétendu que les peuples peuvent toujours, en toute circonstance, repousser l'oppression

par la force, et qu'ils sont les seuls juges des dissentiments qui s'élèvent entre eux et les princes. C'était blâmer implicitement les enseignements de l'Église, et la conduite des chrétiens des premiers siècles. C'était de plus ouvrir la porte à toutes les révolutions, et consacrer tous les excès de la démagogie. L'une et l'autre doctrine avaient le tort d'ériger en principes absolus des prescriptions qui, étant toutes pratiques de leur nature, doivent être diversement appréciées selon les circonstances. M. de Lamennais a été plus loin encore, et, renouvelant les erreurs de Wiclef et de Jean Huss, il a semblé attribuer au péché l'origine du pouvoir.

L'Église, se tenant également éloignée de ces deux extrêmes, a, soit par sa conduite, soit par ses enseignements, proclamé la vraie doctrine sur cette question importante. En vain ses ennemis ont-ils cherché à établir une contradiction flagrante entre ses actes et ses jugements, aux diverses époques de son histoire. Toutes leurs objections tombent devant cette seule considération, qu'il s'agit ici d'un point de morale pratique, qui ne peut être décidé dans un sens absolu et applicable à tous les temps et à tous les lieux, et pour lequel il faut tenir compte de la constitution des divers pays, de leurs rapports avec l'Eglise catholique, et de plusieurs autres circonstances, qu'il serait trop long d'énumérer ici. Il suffit aux catholiques de savoir, que ce que l'Église a fait est bien fait; ce qu'elle a enseigné est vrai, et ce qu'elle a commandé est juste. Les premiers chrétiens ont bien fait de se laisser égorger, plutôt que de prendre les armes pour secouer le joug des tyrans qui les opprimaient; et l'Église a bien fait de leur prescrire ou conseiller cette conduite. Mais aussi, et par la même raison, les peuples catholiques, au moyen âge, ont bien fait de forcer leurs rois à garder les promesses qu'ils avaient jurées, et de défendre contre eux par les armes les droits de Dieu et la liberté de l'Église ; et celle-ci a bien fait de leur prescrire ou conseiller cette conduite. Les Papes n'ont point outre-passé leurs droits, en déposant les princes qui refusaient de se soumettre à leurs desseins; et ils ont agi en cela, non-seulement comme mandataires des nations catholiques, chargés par elles de protéger leur foi et de défendre leurs intérêts, mais encore en vertu d'un droit qu'ils tiennent de Dieu lui-même, et qui leur donne le

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