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du temps, et leur exemple peut suffire pour répondre à cette question: Existe-t-il en littérature une autorité infaillible? Bossuet et Fénelon sont des maîtres aussi incontestables qu'Homère et que Virgile; le temps a passé et ils restent toujours aussi grands. La vraie autorité en matière littéraire, comme en matière dogmatique, se prouve surtout par l'argument de prescription.

Cette prescription a été acceptée, même par les pères de la littérature chrétienne, à l'égard des plus grands maîtres de l'antiquité païenne. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze étaient pleins des souvenirs d'Homère, et nous voyons dans leur correspondance revivre avec une grâce nouvelle l'atticisme du siècle de Périclès. Saint Augustin avait été idolâtre des lettres profanes avant d'écrire les belles pages de la Cité de Dieu, et ce n'est pas à son étude des anciens modèles, mais à l'enflure et au mauvais goût du siècle où il vivait, qu'il faut attribuer les difficultés qu'il éprouva pour habituer son esprit à la simplicité grandiose des Evangiles. La belle antiquité était toujours simple, et les personnages d'Homère semblent quelquefois parler la langue des apôtres. Ces rapports, qui existent entre les beautés des poëtes primitifs et celles de nos livres saints, ont inspiré à Châteaubriand plus d'une belle page, et l'on ne saurait lire sans attendrissement ces passages des Martyrs où Cymodocée, la prètresse des Muses, devenue chrétienne, prie encore dans le doux langage d'Homère un Dieu inconnu aux disciples du sublime aveugle. L'antiquité païenne, ne voyant dans la nature que des formes extérieures, et s'éprenant de la beauté des créatures sans remonter jusqu'au Créateur, s'est adonnée au perfectionnement matériel de tous les arts d'imitation que le christianisme devait plus tard redresser, inspirer et spiritualiser. L'art en général, et, sous cette dénomination un peu vague, nous entendons la littérature comme la peinture, etc., l'art fut façonné par les Grecs et les Latins comme cette argile de Prométhée, à laquelle manquait toujours une âme, tant que le feu du ciel ne fut pas encore descendu: mais cette image sans vie était façonnée avec soin, et nous n'en contestons point la beauté; aussi dans cette œuvre des hommes respectons-nous les desseins de la Providence, qui fait servir à notre instruction les erreurs mêmes des peuples qu'elle a laissés dans l'ignorance de son éternelle vérité. Les aveu gles imitateurs de la nature nous ont appris à étudier l'œuvre de Dieu, et les beautés extérieures qu'ils ont admirées sont mille fois plus admirables pour nous, qui les reportons à leur source et pouvons reconnaître en elles les manifestations de la sagesse infinie. Les anciens peuvent donc et doivent encore être nos maîtres selon la lettre; mais l'esprit qui vivifie nous ayant été donné, nous avons de bien plus grandes choses à exprimer dans le beau langage qu'ils nous out appris, et leur autorité s'arrête où com

DICTIONN. DE LITTÉRATURE CHRÉT

mence celle des saintes et infaillibles Ecritures.

Invoquer en matière littéraire l'infaillibilité des saintes Ecritures, c'est peut-être une hardiesse; mais on comprendra que ce n'est pas une témérité si l'on considère combien les apôtres eux-mêmes, qui se disaient ignorants en l'art de bien dire, ont ouvert de nouvelles voies à l'éloquence et à la poésie. Sans doute que le texte sacré, tel qu'il nous est parvenu, mélangé de locutions appartenant à toutes les langues qu'il a traversées, ne saurait être un modèle de pureté ou de construction grammaticale; mais la sublime simplicité des narrations, mais la majesté des images, mais l'inattendu et la grandeur des mouvements, voilà ce qui doit être pour nous un intarissable sujet d'études; c'est là en effet que tous les Pères, depuis Tertullien jusqu'à Bossuet, ont puisé la force de leurs pensées et la pompe sévère de leur style: ni Tertullien ni Bossuet d'ailleurs n'étaient étrangers aux chefs-d'œuvre de la littérature profane: Homère et Virgile leur avaient appris à bien lire la Bible; Juvénal, Démosthènes et Cicéron leur montraient l'art de la bien traduire et de l'employer à propos; ils sont devenus maîtres en suivant la tradition des maîtres, et c'est par leur respect pour l'autorité qu'ils sont devenus eux-mêmes des autorités pour nous.

Résumons-nous : l'autorité en littérature c'est la puissance qui fait la loi; puissance acquise par la science et sanctionnée par le talent à l'épreuve du temps, et universelle

ment reconnu.

Cette autorité indispensable s'appuie éternellement sur les lois divines du vrai et du beau, qui en est la conséquence et la forme. Les anciens sont des autorités pour nous tant qu'ils ont été dans le vrai, parce qu'alors leurs œuvres ont reproduit la véritable beauté qui ne change pas, étant le reflet de Dieu même et l'expression de sa pensée; nous devons donc respecter les formes que l'antiquité a données au langage, mais nous devons chercher ailleurs nos inspirations et nos images. La foi, loin d'éteindre la science dans les arts, a pour mission de l'utiliser et de l'agrandir les arts d'ailleurs ne sont plus pour nous un moyen de plaire aux hommes, mais de les instruire et de les élever à Dieu. La poésie n'est plus un rêve de l'imagination, c'est une prière du cœur : l'éloquence s'élève pour nous à la hauteur d'une sainte prédication; les formes des anciens elles-mêmes ne sont plus suffisantes à de si grandes choses; le vêtement de la muse d'Homère serait étroit et inmodeste porté maintenant par l'ange de la poésie chrétienne, et Ravignan serait ridicule sous le manteau de Cicéron. Ce que nous devons recevoir des anciens, c'est la manière de créer la forme et non la forme toute faite, car la forme qu'ils ont donnée à leurs pensées ne saurait exprimer les nôtres ; faisons comme eux en faisant autre chose que ce qu'ils ont fait; soyons leurs disciples et non

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leurs serviles imitateurs. L'autorité doit nõus guider et non nous neutraliser, nous contenir et non nous enchaîner. On peut en dire en un mot ce que notre Sauveur lui-même disait

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BALLADE. Il ne s'agit pas ici de cette ballade dont Despréaux a dit:

La ballade, fidèle à ses vieilles maximes,
Doit souvent tout son lustre au caprice des rimes.

Cette vieille ballade, qui emprunte toute sa grâce à son archaïsme et à ses rimes difficiles ou bizarres, n'entre point dans notre sujet. Rarement elle a servi de cadre à des sujets pieux, et sa forme s'y prêterait d'ailleurs difficilement, bien qu'il soit arrivé une fois à Clément Marot d'en faire une fort édifiante, que, pour la rareté du fait, nous allons relater ici :

Le chant de mai et de vertu.

Ballade.

Volontiers en ce mois icy
La terre mue et renouvelle :
Maints amoureux en font ainsy,
Sujets à faire amour nouvelle,
Par légièreté de cervelle,

On pour être ailleurs plus contents :
Ma façon d'aymer n'est point telle;
Mes amours durent de tous temps.

N'y a si belle dame aussy
De qui la beauté ne chancelle;
Par temps, maladie ou soucy,
Laideur les tire en sa nacelle;
Mais rien ne peut enlaidir celle
Qu'à servir sans fin je prétends;
Et pour ce qu'elle est toujours belle,
Mes amours durent de tous temps.

Celle dont je dy tout cecy,
C'est vertu la nymphe éternelle,
Qui au mont d'honneur éclaircy,
Tous ses vrais amoureux appelle:
Venez à moy, venez, dit-elle,
Venez vite, je vous attends:
Venez, ce dit la jouvencelle,

Mes amours durent de tous temps.
Envoi.

Prince, fais amie immortelle,
Et à la bien servir entends;
Lors pourras dire sans cautèle :

Mes ainours durent de tous temps.

Ce genre de ballade se confond maintenant avec la chanson, dont elle n'était en effet qu'une variété plus capricieuse et plus diflicile à bien faire.

La ballade, telle qu'on l'entend dans la poésie moderne, est plus ancienne que la ballade marotique. Son nom signifie chanson à danser, du vieux mot baller, et ce n'est autre chose qu'une légende mise en chanson. Toutes les traditions populaires, tous les contes merveilleux sont des sujets pour la ballade. Les rondes des petits enfants sont les ballades du premier age dont elles ont

de la loi positive: Elle est faite pour l'homme et l'homme n'est pas fait pour elle. Elle doit toujours servir au triomphe du génie et ne peut jamais l'asservir.

la naïveté, et les vieilles romances de nos pères ressemblent souvent, pour le fond et pour la forme, aux ballades de l'école allemande, naturalisées en France par plusieurs de nos poëtes les plus illustres.

Le merveilleux est l'âme de la ballade, et c'est par là qu'elle peut se rattacher et se rattache en effet à la poésie religieuse. La ballade doit être naïve dans sa forme : elle aime les répétitions et les refrains si chers aux rondes des petites filles sous les marronniers. Nous citerons ici pour exemple une ancienne ballade enfantine, qui nous paraît réunir tous les caractères du genre, mais dont, malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu connaître l'auteur.

L'enfant qui dort et l'ange qui veille.

Ballade.

L'enfant dormait doux et beau :
Un ange autour du berceau
Etendait ses ailes blanches,
Au petit enfant charmant
Souriant tout doucement.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Souriant tout doucement

L'enfant croisait en dormant

Ses deux petites mains blanches:

Le bon ange l'admirait

Et tout en riant pleurait.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Et tout en riant pleurait,

Car l'innocent grandirait :
Pauvre tige aux roses blanches
Qu'écraserait en marchant

Le vieux monde si méchant.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Le vieux monde si méchant
L'écraserait en marchant,
Disait l'ange aux ailes blanches:
Mon Dieu, gardez son réveil,
Ou prolongez son sommeil !

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Ou prolongez son sommeil,
Et montrez à son réveil
Des frères en robes blanches.
Depuis l'enfant toujours dort;
Le monde croit qu'il est mort.
Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.
Le monde croit qu'il est mort;
Mais quand sa mère s'endort,
Elle voit des roses blanches,
Et l'enfant cher à ses pleurs
Se jouant parmi les fleurs.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Que de grâces la religion ne peut-elle pas prêter à ces chansons de mères et de nourrices dont on berce le premier âge ! Quelles charmantes berceuses, quelles ballades pures

tement pour un seul et même fils; la première fois elle avait donné un homme au monde, la seconde fois elle rendit un chrétien au ciel.

Signalons ici, pour sa grande beauté, un passage que nous résisterons à l'envie de transcrire, afin que nos lecteurs l'aillent chercher dans le livre même c'est le tableau de cette soirée où sainte Monique et saint Augustin, réunis près d'une fenêtre d'où leurs regards plongent dans l'immensité du ciel, s'entretiennent de l'autre vie; là le vrai génie du christianisme se manifeste tout entier. Un de nos plus grands peintres, M. Ary Scheffer, s'est inspiré de cette scène et l'a traduite avec bonheur. Cette pureté du ciel qui s'assombrit, cette quiétude des deux personnages, qui, assis l'un près de l'autre, semblent oublier la terre et laissent leurs âmes avec leurs regards se perdre dans l'immensité, la lumière intérieure qui semble illuminer la sainte et rendre diaphane cette enveloppe mortelle que l'esprit aspire à briser, l'aspiration plus ardente de la mère qui semble triompher encore de la conquête de son fils, et la docilité de ce fils maintenant digne de sa mère, tout cela réuni fait un véritable chef-d'œuvre de ce petit tableau qui ne contient que deux figures et qu'au premier aspect on pourrait prendre pour une étude.

La mort ne tarda pas à combler les vœux les plus ardents de la sainte femme, et c'est ici encore que saint Augustin nous révèle toutes les grandeurs de la religion. Sainte Monique mourante entend quelqu'un s'affliger de ce qu'elle ne meure pas dans sa patrie, et elle ne peut s'empêcher de sourire: Entends-tu ce qu'il dit? » s'écrie-t-elle en se tournant vers saint Augustin; puis elle leur demande si d'un point de la terre plutôt que d'un autre, le chemin est plus court pour aller au ciel. Cette pensée est de la plus grande beauté et on peut en ranger l'expression parmi les exemples du vrai sublime. Victor Hugo, dans sa préface de Cromwell, cite avec admiration ce vers de Théophile exilé :

Le ciel n'est pas plus loin d'ici que de Paris; on peut voir que ce vers n'est que l'imitation et presque la traduction du beau mot de sainte Monique.

C'est dans les ouvrages de saint Augustin et principalement dans le livre de ses Confessions qu'il faut chercher ces paroles qui touchent au fond même de l'âme et qui sont des révélations pour le cœur Fecisti nos ad te et inquietum est cor nostrum donec requiescat in te. Là respirent toutes les sainles tristesses du divín amour, et ce qu'on pourrait appeler la mélancolie chrétienne, si ce mot de mélancolie n'avait prêté dans les littératures romanesque et romantique à de si étranges abus.

La philosophie devait envier à la religion cet épanchement intime d'une âme qui se révèle à Dieu tout entière pour la consolation des hommes, et la doctrine du dix

huitième siècle a eu aussi ses confessions. Pour avoir une idée de l'abîme qui sépare ces deux livres, dont le titre est le même, il suffit d'en lire et d'en comparer ensemble les deux premières pages. Saint Augustin commence par le néant de l'homme et ne s'enhardit à rompre le silence de ce néant que par le désir de louer Dieu, dont il exaltera la grandeur en confessant devant lui sa bassesse. Jean-Jacques embouche la trompette par ces paroles pleines d'enflure : « Je forme une entreprise qui n'a jamais eu d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateurs; » puis il défie Dieu et les hommes en ajoutant « que la trompette du dernier jugement sonne maintenant quand elle voudra... et que quelqu'un dise s'il l'ose Je fus meilleur que cet homme-là. »> En vérité jamais la folie ne parodia la sagesse par des antithèses aussi choquantes, mais la Providence devait permettre de pareilles oppositions; l'ombre n'est-elle pas nécessaire pour faire ressortir les formes que dessiné la lumière, et les petitesses de l'orgueil ne font-elles pas mieux comprendre les grandeurs de l'humilité.

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L'ouvrage le plus littéraire de saint Augustin après les Confessions est son grand livre de la Cité de Dieu dans ce livre, la majesté du Père de l'Eglise éclate et se révèle tout entière. La vieille Rome se sentait mourir, et elle accusait le christianisme de l'avoir empoisonnée : les Césars s'en allaient avec les dieux et ne voulaient pas voir que l'impuissance de ces dieux mêmes faisait la force de celui qui venait les chasser. Déjà l'on ne criait plus : Les chrétiens aux lions; tous les lions de Rome avaient été domptés par les martyrs; mais les rhéteurs se lamentaient dans leurs écoles souvent désertes, et les prêtres de Jupiter à leur table, forcément frugale, feignaient de regretter les dieux d'Homère et voulaient voir dans les progrès de la décadence les preuves du courroux des immortels pauvres immortels, que la poésie seule pouvait regretter encore, et qu'on s'étonnait d'avoir vus sitôt mourir ! L'ancien rhéteur de Tagaste se souvient alors d'avoir aussi trop aimé ces fables qui font place à la vérité éternelle, et plein de l'esprit qui a inspiré l'Apocalypse au plus aimé des apôtres, il voit les grands combats qui se livrent dans le ciel, il entend les trompettes qui annoncent la ruine de la cité des méchants, et, debout parmi les débris d'un monde qui s'écroule, il salue avec amour la venue prochaine de la céleste Jérusalem. Toutefois, il contient les élans de son esprit et l'enthousiasme de son cœur; c'est avec leurs propres armes qu'il veut vaincre les aveugles défenseurs du passé, car il craint de triompher d'eux sans les convaincre : il est moins jaloux de les abattre que de les gagner. Alors, tempérant l'autorité de la foi par le ton de la discussion, il réfute les uns après les autres tous les arguments des vaincus; sa dialectique se fait petite et patiente pour eux, il les attend, il les écoute;

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il démonte pièce à pièce leurs idoles, il ne les brise pas. Les dix premiers livres de la Cité de Dieu appartiennent à la polémique et l'on y trouve toute la force de Tertullien et de saint Jérôme, sans leur amertume. Dans les douze derniers livres, le saint évêque d'Hippone fait la comparaison des deux cités celle des pécheurs, où le vieux monde est condamné à périr, et celle de Dieu qui doit descendre du ciel sur la terre, selon la vision de saint Jean. Le dogme catholique est le type architectural de cette cité divine: saint Augustin le déroule comme un plan magnifique et en démontre victorieusement la raison, la force et la grandeur. La Cité de Dieu est un monument littéraire qui résume toute une époque; il faut en étudier le plan, en admirer l'ensemble, puis en examiner avec soin toutes les parties sa lecture convient surtout à notre époque, où les faux dieux, galvanisés par la Renaissance, s'en vont une seconde fois ; l'agonie du monde romain a plus d'une analogie avec le malaise de nos sociétés révolutionnaires, et maintenant comme au siècle de saint Augustin, les deux cités, celle de Dieu et celle des hommes, ne pouvant subsister ensemble, paraissent pressées d'en finir et de terminer leur antique antagonisme par le dernier et le plus mémorable de tous leurs combats.

Après la Cité de Dieu, nous citerons avec admiration les Lettres de saint Augustin parmi les plus beaux monuments de la littérature chrétienne. Ces lettres, si importantes pour la théologie, puisque la doctrine du grand docteur s'y trouve exprimée tout entière, ne sont pas moins remarquables par leur style que par la science qu'elles contiennent. On y retrouve partout la grande âme et l'homme de cœur qui dans la Cité de Dieu nous étonne et nous subjugue, mais qui dans les Confessions nous intéresse et nous attache. L'onction de son langage fait oublier la sécheresse de ses démonstrations; et lors même qu'il discute, on sent qu'il enseigne toujours avec la mansuétude d'un père.

Les œuvres complètes de saint Augustin sont peut-être à la littérature chrétienne ce que les ouvrages d'Homère sont à la poésie profane. Il est le premier parmi les Pères qui ait complété une sorte d'encyclopédie et comme une épopée de théologie, de science et de raison. Aussi l'Eglise le regarde-t-elle comme une de ses gloires les plus brillantes et les plus pures. La langue dans laquelle il a écrit est un latin déjà assez barbare et qui se ressent parfois un peu trop des idiomes particuliers à l'Afrique; toutefois il sait rendre à cette langue déchue une élégance sinon cicéronienne, du moins augustinienne, car pourquoi ne dirait-on pas la langue de saint Augustin comme on dit la langue de Cicéron ?

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AUTORITÉ. En littérature comme en toute chose, on peut définir ainsi l'autorité: C'est la puissance qui fait et conserve la loi. Or la loi étant la règle du bien et l'obstacle au

mal, il s'ensuit que l'exercice de l'autorité est une coopération à l'œuvre de Dieu même.

Les lecteurs auxquels nous nous adressons spécialement ne trouveront pas étrange que nous fassions intervenir la Divinité dans les règles de la littérature comme dans le gouvernement des empires. Qu'est-ce en effet que le beau, sinon la forme du vrai; et quel est le suprême arbitre et l'éternel régulateur de la vérité et de la beauté dans la nature, dont l'art en général et la littérature en particulier sont une imitation ? Pour bien imiter l'œuvre d'un si grand maître ne faut-il devenir entièrement son disciple? n'est-ce pas à son école qu'on peut devenir maître à son tour? et l'autorité dans les beaux-arts ne se forme-t-elle pas d'une aptitude spéciale à comprendre et à reproduire les œuvres de Dieu, aidée d'une étude consciencieuse et approfondie ?

Maintenant, qu'est-ce à proprement parler que l'autorité en littérature ? Est-elle nécessaire? en existe-t-il une qui soit invariable? les autorités qui régissent la littérature profane doivent-elles être invoquées par les littérateurs chrétiens? existe-t-il une autorité spéciale pour la littérature sacrée ? Nous allons essayer de répondre à ces diverses questions.

Et d'abord qu'est-ce, à proprement parler, que l'autorité en littérature?

Nous avons défini l'autorité, en général, la puissance qui fait et conserve la loi : or la loi en littérature, ce sont les règles du bon goût; quelle est donc la puissance qui a fait les règles de la saine littérature? d'où vient cette puissance? de Dieu ou des hommes ? A quels signes infaillibles peut-on la reconnaître ? La puissance qui fait la loi en littérature, c'est le génie servi par le talent et sanctionné par l'approbation des hommes ; or le génie vient de Dieu, mais le talent s'acquiert par l'étude et doit beaucoup à la société; puis, comme ce n'est pas assez du génie uni au talent pour faire autorité en littérature, et qu'il faut aussi les succès de la publicité, on peut en conclure que l'au→ torité en littérature est tout à la fois divine et humaine. Maintenant, à quels signes infaillibles peut-on la reconnaître ? Des hommes sans génie et sans talent n'ont-ils pas dû souvent à des cabales de coterie un succès dont le mauvais goût de leur siècle a prolongé le scandale? Ronsard et Dubartas, qu'on appelait de leur temps les princes de la poésie française, n'avaient-ils pas alors une autorité qui n'a point vécu autant que leurs noms? Sans doute. Mais ces imitateurs maladroits des anciens, bien qu'ils ne fussent point dépourvus d'un certain talent, manquaient de ces dons du génie qui font les poëtes créateurs. Comment une école aurait-elle pu, par exemple, prendre Rensard pour maître, lorsque Ronsard ne marchait qu'appuyé sur Pindare, Horace, Virgile et Anacréon? Ce qui appartenait en propre à ce poëte gaulois, c'était sa tentative de gréciser et de latiniser la langue française ; mais cette tentative n'eut pas même de son

temps un succès incontesté, et bien avant que Malherbe n'en fit justice, Rabelais l'avait ridiculisée dans le jargon du Limousin de Pantagruel. Ronsard ne pouvait être une autorité que pour les hommes de son parti: or il ne nous semble pas sage de prendre pour maîtres en littérature les novateurs dont la valeur est contestée, et c'est surtout en matière de goût que le pouvoir est électif au gré du suffrage universel; mais ce n'est pas tout encore, et il lui faut la sanction du temps. En effet, les beautés réelles sont durables et ne doivent rien à la mode ou au caprice d'un siècle ou d'un peuple. Le beau n'est que la forme du vrai; or le vrai ne se transforme jamais en mensonge. Ce qui fait que les anciens sont encore nos maîtres, c'est leur étude consciencieuse de la nature et la simplicité de leur expression. Voilà donc à quels signes on reconnaîtra l'autorité véritable en littérature d'abord ce sera celle que tout le monde accepte, puis ensuite celle que notre propre jugement nous montrera appuyée sur des titres semblables à ceux des anciens, l'exactitude des pensées, la vérité des images, la pureté et la simplicité de l'expression; car notez bien que cela seul, chez les maîtres dans l'art de bien sentir et de bien dire, conserve une autorité immortelle. On trouvera peut-être bientôt des archaïsmes dans Racine, aux endroits où le maître du théâtre fait imiter à ses héros le beau parler de la cour de Versailles; mais l'admirable dialogue d'Athalie et de Joas, la prophétie de Joad et les chœurs d'Esther et d'Athalie ne vieilliront jamais, parce qu'il y a là des beautés qui tiennent au fond de la nature humaine et de la pensée divine. A quel signe donc pouvons-nous reconnaître maintenant l'autorité de Racine en poésie? A l'éternelle jeunesse de ses pensées et de sa langue dans les beaux passages dont nous parlons, à l'impossibilité où est notre siècle de mieux faire, tout en critiquant ce grand homme or c'est ainsi que l'autorité en littérature s'impose d'elle-même; malgré les efforts de la cabale, elle brille comme le soleil, dont Lefranc de Pompignan a dit dans sa plus belle ode :

Le Nil a vu sur ses rivages
De noirs habitants des déserts
Insulter par leurs cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants! fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le Dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière

Sur ses obscurs blasphémateurs. L'autorité est-elle nécessaire en littérature? Nous userons ici de la forme savante de saint Thomas, dans sa Somme de théologie, et nous répondrons en exposant d'abord les objections de nos adversaires : Videtur quod non, il nous semble que non. En effet, dit l'école des fantaisistes, à quoi bon une autorité où les lois sont inutiles? Or, en littérature, les règles sont parfaitement inutiles, si elles ne sont pas nuisibles. Qui a

fait les règles? Les grands hommes, direzvous? Non pas; mais des commentateurs et des pédants, qui ont cherché dans l'œuvre des génies passés de quoi entraver l'essor des génies à venir. En faveur de qui sont faites les règles? le vrai talent n'en a pas besoin, puis qu'on les invente d'après ses Oeuvres les règles ne servent donc que de lisières à la faiblesse ou d'échasses à la médiocrité. Homère a bien su se passer d'Aristote : pourquoi M. Victor Hugo, par exemple, devrait-il quelque chose à Boileau ? La vraie autorité en littérature, c'est le feu sacré; celui qui le sent brûler dans son cœur marche seul et n'a pas besoin de béquilles : pour le servile troupeau des imitateurs, qu'a-t-on besoin de les aider à être médiocres? Sans vos règles ils auraient peut-être une certaine originalité, ne fût-ce que dans le ridicule; ils seraient plaisants peut-être, et vous les rendez insipides. Concluons que les règles sont plus nuisibles qu'utiles à ceux-là mêmes qui en ont le plus besoin, et qu'elles ne peuvent que gêner, ralentir, entraver les autres. Donc elles ne peuvent servir à personne, donc elles sont complétement inutiles, sinon nuisibles; donc l'autorité est une chose impossible en littérature, parce que c'est une chose inutile et fâcheuse. Voilà certes les opinions de l'anarchie littéraire bien caractérisées, et nous n'avons rien dissimulé de ce qui peut faire leur force; voyons maintenant si les raisons qu'elle apporte sont bien fondées.

Et d'abord, ce sont les règles qui font les grands hommes, et les grands hommes ne font que manifester, sanctionner et justifier les règles. En effet, nous n'entendons pas par autorité une obséquiosité passive pour toutes les paroles du maître, et, en littérature surtout, le Magister dixit ne nous satisfait point. Le maître l'a dit, c'est fort bien; mais comment et pourquoi l'a-t-il dit? Il l'a dit, parce que c'est vrai, doit répondre mon sens intime, et je dois chercher à m'en bien convaincre. La prophétie de Joad ne doit pas nous paraître belle seulement parce que Racine en est l'auteur, car n'est-ce pas à leurs chefs-d'œuvre que les grands hommes doivent d'abord leur réputation, et ensuite leur autorité cette autorité est donc celle de la société tout entière, qui a reconnu l'existence du génie et qui a admis les preuves du talent. La parole du maître est donc pour nous appuyée sur l'autorité d'un ou de plusieurs siècles, et n'en est pas moins offerte à notre jugement et à notre appréciation personnelle, sans que la sanction d'un succès durable puisse être autre chose à nos yeux qu'un puissant préjugé en faveur de la vérité ou de la beauté que nous cherchons.

On peut distinguer en littérature deux sortes d'autorité : l'autorité d'exemple et l'autorité de précepte; l'autorité d'exemple est celle des maîtres qui ont enseigné l'art de bien écrire en écrivant bien, et l'autorité de précepte est celle des savants qui, ayant analysé les exemples des maîtres, ont formulé les lois de l'art de bien dire. Momère et Virgile n'ont

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