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Jaissé que des exemples de belle poésie; Aristote n'a donné que des préceptes : Horace et Boileau ont su réunir les préceptes aux exemples, et c'est d'après les grands législateurs que la littérature profane, régie par leurs décisions, s'est constituée en littérature classique or nous savons que Boileau lui-même était peu favorable à l'emploi du merveilleux chrétien et ne reconnaissait pas de littérature sacrée proprement dite; c'est pourquoi nous qualifions ici de profane la littérature classique, sans prétendre pour cela jeter de défaveur sur elle. L'autorité n'existe donc pas sous la forme du précepte dans la littérature sacrée, et ne s'est encore imposée que par de grands et magnifiques exemples. La raison de cette lacune est peutêtre qu'il serait difficile de trouver un Aristote ou un Boileau pour la poésie des prophètes; et, d'ailleurs, n'y aurait-il pas une grande témérité, de vouloir régler en quelque sorte l'inspiration divine par les lois d'une poétique toute humaine? C'est du moins ce que pensent quelques adeptes de cette littérature mystique, introduite au commencement de ce siècle par les trop jeunes admirateurs du génie de Châteaubriand. Mais des essais de cette école à la littérature sacrée, telle que l'ont comprise Bossuet et Racine, il y a foin, et c'est encore à ceux-là que nous devons remonter si nous voulons trouver nos maîtres. Il faut que leurs exemples nous servent de leçons dans l'art de lire, d'étudier et même d'imiter les prophètes; et les façons de dire de ces grands maîtres doivent agrandir nos idées en nous fournissant des applications imprévues, des règles du bon goût déterminées, mais non rigoureusement terminées par les docteurs de l'art profane; car l'autorité étant indispensable en toutes choses, comme l'ont surabondamment prouvé les essais de révolte et d'anarchie en tout genre, nous n'en croyons pas moins les lois susceptibles de perfectionnement, surtout dans les choses que la révélation a successivement développées et agrandies; et dans cette espèce nous comptons, au premier rang, tout ce qui tient à la manifestation de la vérité par le Verbe ou de la pensée par la parole. Nous pensons donc qu'il faut respecter les vieilles règles, sans proscrire pour cela les nouvelles beautés. Les règles doivent servir de lisières et non de liens à ceux qui apprennent à marcher dans la voie du progrès littéraire, et nous aurons toujours le droit de préférer l'autorité du bon sens à celle d'Aristote, comme en philosophie la vérité doit nous être plus chère que notre ami Platon: Amicus Plato, sed magis amica veritas. Les règles générales du bon goût établies par les anciens ne sauraient être abrogées par des idées nouvelles; ce n'est qu'en les bornant et en les restreignant à des applications spéciales qu'ils peuvent avoir erré par ignorance involontaire. Boileau, trop plein d'Horace, ne rend pas justice à l'auteur de la Jérusalem délivrée, et ne saurait.comprendre Milton. C'est ce qui nous autorise à récuser la compétence du jugement de Boi

leau en matière de poésie chrétienne, d'autant plus que le janséniste, auteur de l'épître sur l'Amour de Dieu, a véritablement calomnié la religion, en lui refusant les grâces et les couleurs de la poésie. Selon lui: L'Evangile à nos yeux n'offre de tous côtés Que pénitence à faire et tourments mérités.

Et il n'a lu sans doute ni la touchante parabole de l'Enfant prodigue, ni l'histoire de la femme adultère, ni les paroles du bon Sauveur bénissant les petits enfants. Le bon pasteur cherchant et ramenant ou plutôt rapportant au bercail la brebis égarée, lui paraît sans doute un sujet d'idylle moins touchant que les niaises disputes de Corydon et de Tircis. En cela Boileau n'a été que le précurseur de Voltaire, ce malheureux homme de goût qui trouvait le christianisme ridicule; et l'un comme l'autre ne peuvent faire autorité en ceci que pour montrer les écueils sur lesquels se brise la froide raison, lorsqu'elle refuse de se laisser guider par la lumière que Dieu fait briller dans nos cœurs. Toujours est-il qu'il nous manque une poétique chrétienne comme une rhétorique spéciale à l'usage des écoles ecclésiastiques, et que ce vide ne saurait être trop tôt comblé. Le mouvement de réaction de l'esprit humain en faveur du christianisme, commencé par Châteaubriand, doit s'achever par le triomphe complet de l'inspiration chrétienne sur toutes les rêveries profanes, même dans le domaine en quelque sorte neutre de la littérature et du bon goût. C'est la destinée de l'Evangile de créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, c'est-àdire de régénérer entièrement les idées et les mœurs, en substituant un monde nouveau aux ruines poudreuses du vieux monde. Les fantômes de l'idolâtrie antique ne doivent plus être les dieux de notre poésie, et l'indignation du Sauveur balayant les vendeurs du temple doit fournir à notre éloquence des mouvements plus beaux que ceux de Cicéron tonnant contre Verrès. Quelle poésie légère égalera jamais les grâces de la sainte enfance? quels cantiques seront assez suaves et assez beaux pour exprimer la pureté de Marie et sa miséricorde envers les pécheurs? Mais c'est assez répondre à une erreur de jugement que tant de chefs-d'œuvre ont réfutée : Boileau restera notre maître tant qu'il s'agira de la sévérité de la langue française; mais nous sommes loin de ses opinions lorsqu'il s'agit de poésie chrétienne.

En bien des choses déjà le goût a changé depuis Boileau: les tristes plaisanteries de Voltaire ont préparé le retour des honnêtes gens aux beautés des livres saints; les angoisses révolutionnaires ont expliqué à bien des âmes les sanglots de Job et de Jérémie; mais si nous nous efforçons de les traduire, ce ne saurait être dans une langue plus épurée que celle de Pascal et de Racine: Bossuet et Fénelon seront toujours nos maîtres dans l'art de bien dire les choses saintes; leur autorité n'a fait que grandir à l'épreuve

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du temps, et leur exemple peut suffire pour répondre à cette question: Existe-t-il en littérature une autorité infaillible? Bossuet et Fénelon sont des maîtres aussi incontestables qu'Homère et que Virgile; le temps a passé et ils restent toujours aussi grands. La vraie autorité en matière littéraire, comme en matière dogmatique, se prouve surtout par l'argument de prescription.

Cette prescription a été acceptée, même par les pères de la littérature chrétienne, à l'égard des plus grands maîtres de l'antiquité païenne. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze étaient pleins des souvenirs d'Homère, et nous voyons dans leur correspondance revivre avec une grace nouvelle l'atticisme du siècle de Périclès. Saint Augustin avait été idolâtre des lettres profanes avant d'écrire les belles pages de la Cité de Dieu, et ce n'est pas à son étude des anciens modèles, mais à l'enflure et au mauvais goût du siècle où il vivait, qu'il faut attribuer les difficultés qu'il éprouva pour habituer son esprit à la simplicité grandiose des Evangiles. La belle antiquité était toujours simple, et les personnages d'Homère semblent quelquefois parler la langue des apôtres. Ces rapports, qui existent entre les beautés des poëtes primitifs et celles de nos livres saints, ont inspiré à Châteaubriand plus d'une belle page, et l'on ne saurait lire sans attendrissement ces passages des Martyrs où Cymodocée, la prètresse des Muses, devenue chrétienne, prie encore dans le doux langage d'Homère un Dieu inconnu aux disciples du sublime aveugle. L'antiquité païenne, ne voyant dans la nature que des formes extérieures, et s'éprenant de la beauté des créatures sans remonter jusqu'au Créateur, s'est adonnée au perfectionnement matériel de tous les arts d'imitation que le christianisme devait plus tard redresser, inspirer et spiritualiser. L'art en général, et, sous cette dénomination un peu vague, nous entendons la littérature comme la peinture, etc., l'art fut façonné par les Grecs et les Latins comme cette argile de Prométhée, à laquelle manquait toujours une âme, tant que le feu du ciel ne fut pas encore descendu mais cette image sans vie était façonnée avec soin, et nous n'en contestons point la beauté; aussi dans cette œuvre des hommes respectons-nous les desseins de la Providence, qui fait servir à notre instruction les erreurs mêmes des peuples qu'elle a laissés dans l'ignorance de son éternelle vérité. Les aveugles imitateurs de la nature nous ont appris à étudier l'œuvre de Dieu, et les beautés extérieures qu'ils ont admirées sont mille fois plus admirables pour nous, qui les reportons à leur source et pouvons reconnaître en elles les manifestations de la sagesse infinie. Les anciens peuvent donc et doivent encore être nos maîtres selon la lettre; mais l'esprit qui vivifie nous ayant été donné, nous avons de bien plus grandes choses à exprimer dans le beau langage qu'ils nous ont appris, et leur autorité s'arrête où com

DICTIONN. DE Littérature curét,

mence celle des saintes et infaillibles Ecritures.

Invoquer en matière littéraire l'infaillibilité des saintes Ecritures, c'est peut-être une hardiesse; mais on comprendra que ce n'est pas une témérité si l'on considère combien les apôtres eux-mêmes, qui se disaient ignorants en l'art de bien dire, ont ouvert de nouvelles voies à l'éloquence et à la poésie. Sans doute que le texte sacré, tel qu'il nous est parvenu, mélangé de locutions appartenant à toutes les langues qu'il a traversées, ne saurait être un modèle de pureté ou de construction grammaticale; mais la sublime simplicité des narrations, mais la majesté des images, mais l'inattendu et la grandeur des mouvements, voilà ce qui doit être pour nous un intarissable sujet d'études; c'est là en effet que tous les Pères, depuis Tertullien jusqu'à Bossuet, ont puisé la force de leurs pensées et la pompe sévère de leur style: ni Tertullien ni Bossuet d'ailleurs n'étaient étrangers aux chefs-d'œuvre de la littérature profane: Homère et Virgile leur avaient appris à bien lire la Bible; Juvénal, Démosthènes et Cicéron leur montraient l'art de la bien traduire et de l'employer à propos; ils sont devenus maîtres en suivant la tradition des maîtres, et c'est par leur respect pour l'autorité qu'ils sont devenus eux-mêmes des autorités pour nous.

Résumons-nous : l'autorité en littérature c'est la puissance qui fait la loi; puissance acquise par la science et sanctionnée par le talent à l'épreuve du temps, et universelle

ment reconnu.

Cette autorité indispensable s'appuie éternellement sur les lois divines du vrai et du beau, qui en est la conséquence et la forme. Les anciens sont des autorités pour nous tant qu'ils ont été dans le vrai, parce qu'alors leurs œuvres ont reproduit la véritable beauté qui ne change pas, étant le reflet de Dieu même et l'expression de sa pensée; nous devons donc respecter les formes que l'antiquité a données au langage, mais nous devons chercher ailleurs nos inspirations et nos images. La foi, loin d'éteindre la science dans les arts, a pour mission de l'utiliser et de l'agrandir les arts d'ailleurs ne sont plus pour nous un moyen de plaire aux hommes, mais de les instruire et de les élever à Dieu. La poésie n'est plus un rêve de l'imagination, c'est une prière du cœur : l'éloquence s'élève pour nous à la hauteur d'une sainte prédication; les formes des anciens elles-mêmes ne sont plus suffisantes à de si grandes choses; le vêtement de la muse d'Homère serait étroit et immodeste porté maintenant par l'ange de la poésie chrétienne, et Ravignan serait ridicule sous le manteau de Cicéron. Ce que nous devons recevoir des anciens, c'est la manière de créer la forme et non la forme toute faite, car la forme qu'ils ont donnée à leurs pensées ne saurait exprimer les nôtres; faisons comme eux en faisant autre chose que ce qu'ils ont fait; soyons leurs disciples et non

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B

BALLADE. Il ne s'agit pas ici de cette ballade dont Despréaux a dit :

La ballade, fidèle à ses vieilles maximes,
Doit souvent tout son lustre au caprice des rimes.

Cette vieille ballade, qui emprunte toute sa grâce à son archaïsme et à ses rimes difficiles ou bizarres, n'entre point dans notre sujet. Rarement elle a servi de cadre à des sujets pieux, et sa forme s'y prêterait d'ailleurs difficilement, bien qu'il soit arrivé une fois à Clément Marot d'en faire une fort édifiante, que, pour la rareté du fait, nous allons relater ici :

Le chant de mai et de vertu.

Ballade.

Volontiers en ce mois icy
La terre muc et renouvelle :
Maints amoureux en font ainsy,
Sujets à faire amour nouvelle,
Par légièreté de cervelle,

Ou pour être ailleurs plus contents :
Ma façon d'aymer n'est point telle;
Mes amours durent de tous temps.

N'y a si belle dame aussy
De qui la beauté ne chancelle;
Par temps, maladie ou soucy,
Laideur les tire en sa nacelle;
Mais rien ne peut enlaidir celle
Qu'à servir sans fin je prétends;
Et pour ce qu'elle est toujours belle,
Mes amours durent de tous temps.

Celle dont je dy tout cecy,
C'est vertu la nymphe éternelle,
Qui au mont d'honneur éclaircy,
Tous ses vrais amoureux appelle:
Venez à moy, venez, dit-elle,
Venez vite, je vous attends:
Venez, ce dit la jouvencelle,

Mes amours durent de tous temps.
Envoi.

Prince, fais amie immortelle,
Et à la bien servir entends;
Lors pourras dire sans cautèle :

Mes ainours durent de tous temps.

Ce genre de ballade se confond maintenant avec la chanson, dont elle n'était en effet qu'une variété plus capricieuse et plus diflicile à bien faire.

La ballade, telle qu'on l'entend dans la poésie moderne, est plus ancienne que la ballade marotique. Son nom signifie chanson à danser, du vieux mot baller, et ce n'est autre chose qu'une légende mise en chanson. Toutes les traditions populaires, tous les contes merveilleux sont des sujets pour la ballade. Les rondes des petits enfants sont les ballades du premier àge dont elles ont

de la loi positive: Elle est faite pour l'homme et l'homme n'est pas fait pour elle. Elle doit toujours servir au triomphe du génie et ne peut jamais l'asservir.

la naïveté, et les vieilles romances de nos pères ressemblent souvent, pour le fond et pour la forme, aux ballades de l'école allemande, naturalisées en France par plusieurs de nos poëtes les plus illustres.

Le merveilleux est l'âme de la ballade, et c'est par là qu'elle peut se rattacher et se rattache en effet à la poésie religieuse. La ballade doit être naïve dans sa forme : elle aime les répétitions et les refrains si chers aux rondes des petites filles sous les marronniers. Nous citerons ici pour exemple une ancienne ballade enfantine, qui nous paraît réunir tous les caractères du genre, mais dont, malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu connaître l'auteur.

L'enfant qui dort et l'ange qui veille.

Ballade.

L'enfant dormait doux et beau :
Un ange autour du berceau
Etendait ses ailes blanches,
Au petit enfant charmant
Souriant tout doucement.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.
Souriant tout doucement

L'enfant croisait en dormant

Ses deux petites mains blanches:

Le bon ange l'admirait

Et tout en riant pleurait.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Et tout en riant pleurait,

Car l'innocent grandirait :
Pauvre tige aux roses blanches
Qu'écraserait en marchant

Le vieux monde si méchant.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Le vieux monde si méchant
L'écraserait en marchant,
Disait l'ange aux ailes blanches:
Mon Dieu, gardez son réveil,
Ou prolongez son sommeil !

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Ou prolongez son sommeil,
Et montrez à son réveil
Des frères en robes blanches.
Depuis l'enfant toujours dort;
Le monde croit qu'il est mort.
Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.
Le monde croit qu'il est mort;
Mais quand sa mère s'endort,
Elle voit des roses blanches,
Et l'enfant cher à ses pleurs
Se jouant parmi les fleurs.

Le vent cueille les fleurs en agitant les branches.

Que de grâces la religion ne peut-elle pas prêter à ces chansons de mères et de nourrices dont on berce le premier âge ! Quelles charmantes berceuses, quelles ballades pures

BERNARD (saint). Les ouvrages de saint Bernard appartiennent à l'ascétisme et à la controverse plutôt qu'à la littérature: nous ne saurions pourtant passer ici sous silence cet avant-dernier des Pères de l'Eglise, si l'on compte Bossuet pour le dernier. Dans un siècle où la littérature sérieuse disparaissait absorbée par la scolastique, le sévère abbé de Clairvaux sut conserver le style des anciens Pères, comme il avait fait revivre l'esprit des premiers anachorètes. Il fut un de ces hommes qui résument leur siècle et le dominent en le surpassant; aussi son influence fut-elle immense dans l'Eglise, comme le prouve son histoire. Pour régner par la vertu sur un siècle grossier, mais croyant, il fallait une bien haute vertu et une foi bien souveraine; or, telles furent surtout les qualités qui éclatèrent dans la vie et qui respirent encore dans les œuvres de saint Bernard. Fortement nourri des saintes Ecritures, il en a fait passer la substance dans celle même de ses écrits, et sait unir souvent la science de saint Augustin à l'onction et à l'autorité de saint Ambroise; il sait échapper aux dangers du mauvais goût par une sobriété de formes et une rigueur de logique qui rejettent tous les ornements inutiles. Saint Bernard avait, pour ainsi dire, dépouillé toutes les faiblesses humaines, et semblait parler plutôt comme un esprit que comme un homme. On sait que, dans les premiers temps de sa retraite, il compatissait difficilement aux imperfections de ses frères plus tard il devint assez grand pour mieux comprendre la miséricorde; mais ce qui domine dans ses écrits, c'est toujours la sévérité, excepté pourtant lorsqu'il épanche son cœur devant Dieu : car alors l'austère anachorète se transfigure, et semble avoir pris les ailes et les inspirations enflammées d'un séraphin. On lui attribue assez généralement le Memorare, cette prière si pieuse adressée à la Mère de Dieu, et si célèbre dans toute l'Eglise par les miracles qu'elle opère pour la conversion des pécheurs ; un saint prêtre, qui portait aussi le nom de Bernard, avait, comme on sait, dans cette prière une confiance illimitée.

Les livres de la Considération adressés au pape Eugène sont d'une grande beauté. Ce sont des conseils où respire la sainte liberté des enfants de Dieu, il craint pour les chefs de l'Eglise cet affaiblissement de la foi qui suit les vertiges du pouvoir; il ne ménage pas le peuple romain: Tout le monde, dit-il, connait son insolence et son faste. C'est une nation accoutumée au tumulte, cruelle, intraitable, qui ne sait se soumettre que quand elle ne peut résister. Ils sont adroits à faire le mal et ne savent faire aucun bien. Ils sont odieux au ciel et à la terre, impies envers Dieu, séditieux entre eux, jaloux à l'égard de leurs voisins, cruels envers les étrangers; ils n'aiment personne, et personne aussi ne les peut souffrir; ils font de magnifiques promesses et n'en tiennent aucune; ils sont flatteurs, traitres, avares et dissimulés. Ce passage peut donner une idée du peu de

ménagement dont saint Bernard était capable envers le vice. En effet, il avait assez de vertu pour oser tout dire et personne n'osait ouvertement s'en offenser.

Mais le ton du saint docteur est bien différent lorsqu'il parle de la charité et de ses délices. O homme ! s'écrie-t-il dans son explication du Cantique des cantiques, qu'as-tu jamais trouvé de ravissements dans les affections humaines qui égale ce que l'Ecriture te révèle de l'amour de ton Dieu? car tu n'en peux douter, c'est l'esprit de ton Dieu qui parle et qui te découvre les mystères de son cœur l'esprit de vérité, l'esprit de Dieu même qui ne peut ignorer ce qui est en Dieu ni annoncer autre chose que ce qu'il voit en lui. Je ne puis, mes frères, retenir mes transports, quand je vois la majesté souveraine s'abaisser jusqu'à notre faiblesse avec une familiarité si pleine de charmes, s'unir par des liens sacrés à une âme condamnée aux misères et à la tristesse de l'exil, et lui témoigner tout l'amour du plus tendre des époux. Quelles ne seront pas dans le ciel les délices de cette âme qui dans cette vie tellement comblée des faveurs de son Dieu, portée entre ses bras, cachée dans son sein, gardée avec une vigilance qui ne permet à personne d'interrompre un sommeil dont l'âme bien-aimée doit marquer la fin en se réveillant elle-même.

Ces sermons de saint Bernard sont pleins de ces ardentes aspirations et il console par sa tendre piété les âmes qu'il avait intimidées peut-être par l'austérité de sa morale : on peut le regarder comme un des Pères de la théologie mystique. Il excelle dans l'art de citer à propos et d'employer avec bonheur les passages de la sainte Ecriture et des Pères; il peut fournir aux prédicateurs de la sainte parole, des modèles d'un style énergique et châtié, et l'on ne peut que profiter dans l'étude des écrits de ce grand homme.

Quant à son caractère et à son influence sur son siècle, c'est un des plus beaux sujets d'études historiques que nous fournisse le moyen âge. Ses disputes contre Abailard, terminées par la condamnation de ce dernier, doivent faire époque dans la philosophie comme dans l'histoire. Saint Bernard,l'homme le plus libre de son siècle, puisqu'il osait tout dire aux papes mêmes et aux rois, y représente cette autorité raisonnable, comme parle saint Paul, qui doit toujours abattre les protestations individuelles ou collectives de la raison sans autorité, ou de l'autorité sans raison. Si on lui a reproché d'avoir été un peu acerbe dans la polémique, c'est qu'on n'a point songé au danger que faisait courir à la vraie foi, et par suite à la société tout entière, la popularité d'Abailard. Le combat de Jacob avec l'ange, la lutte de l'esprit humain contre l'esprit de Dieu, allait se renouveler dans le monde, et saint Bernard, par une sorte d'intuition prophétique, en pressentait toutes les étreintes ; déjà dans AbaiJard il avait deviné Luther.

Nous avons lu dans une vieille chronique cette légende singulière sur saint Bernard.

Un jour qu'il voyageait dans un chariot pour les intérêts de l'Eglise, le démon, voulant lui opposer du moins un obstacle matériel, se mit sur son passage, et brisa une des roues de sa voiture; mais le malin en fut pour sa peine et sa honte; car le saint abbé lui ordonna de se rouler lui-même autour de l'essieu, et de servir de roue à la place de celle qu'il avait brisée: allégorie ingénieuse pour exprimer avec quelle habileté l'abbé de Clairvaux faisait tourner au profit de la vérité et au triomphe de la bonne cause les obstacles mêmes que lui opposait la mauvaise volonté de ses ennemis.

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BERRUYER. Le P. Berruyer, disciple du fameux P. Hardouin, dont tout le monde connaît l'épitaphe :

Ci-git le père Hardouin, d'heureuse mémoire,

En attendant le jugement; Isaac-Joseph Berruyer, professeur de belleslettres et jésuite, est devenu célèbre par la singularité de ses idées et de son style. Il a fait pour l'histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament ce qu'Alexandre Dumas fait de nos jours pour l'histoire de France : il l'a mise en roman, et l'a traitée en style galant, selon le goût des gens de cour de son époque, ce qui en fait un ouvrage non-seulement assez ridicule, mais encore pénible à lire pour les personnes pieuses et graves. Les patriarches s'y font mutuel ement des politesses françaises; Eliézer y aborde Rébecca avec des phrases galantes et des compliments tout à fait dignes d'un intendant de bonne maison; madame Putiphar y soupire avec des airs précieux comme une petite-maîtresse; les généraux de David ont l'air de porter perruque, et font antichambre de la meilleure grâce du monde; enfin c'est la Bible travestie dans la manière de la Clélie et du Cyrus. Le style du P. Berruyer est toutefois incomparablement plus élégant, plus coulant et meilleur que celui des la Calprenède et des Scudéry, surtout dans la première partie de son travail, qui comprend l'histoire de l'Ancien Testament.

Le P. Tournemine, jésuite, a fait une critique sévère, mais juste, de l'Histoire du peuple de Dieu par Berruyer. Il lui reproche une chronologie plus que hasardée, une manière cavalière et profane tout à fait inconvenante dans un pareil sujet et de la part d'un religieux. Il montre le danger de certaines peintures sur lesquelles le Père eût mieux fait de passer légèrement que de vouloir les retoucher et les enjoliver à sa manière; puis un grand nombre d'expressions trop légères et mal sonnantes, comme, par exemple, celles-ci: Après une éternité tout entière, Dieu créa le monde, manière de parler inexacte et absurde, puisqu'avant et après ne sont pas des mots qui puissent s'accorder avec l'idée d'éternité; puis encore: A l'air aisé dont Dieu faisait des miracles, on voyait bien qu'ils coulaient de source: phrase qui ressemble à une moquerie sacrilége. Le mal allait toujours croissant, à la honte du Seigneur Dieu, inconvenance de langage qu'il est difficile de qualifier.

Le P. Berruyer fut condamné d'abord par l'évêque de Montpellier, puis par le pape, et se soumit au jugement du saint-siége, comme il convenait à un jésuite et à un chrétien, et montra plus d'esprit en se rétractant qu'il n'en avait mis dans ses livres.

BEAU. En littérature comme en toute chose, le beau est la forme du vrai. Le vrai, en toute chose, c'est l'ordre le résultat de l'ordre, c'est l'harmonie ; l'harmonie, dans l'essence des êtres et dans leurs rapports métaphysiques, c'est la vérité ; l'harmonie dans leur formé et dans leur rapports physiques, c'est la beauté.

Cette définition n'est pas de nous; nous la trouvons dans saint Ambroise, qui prouve, dans son livre des Offices, que le beau en morale n'est que la forme de l'honnête; or qu'est-ce que l'honnête en morale, sinon le vrai ? Si l'honnête n'était pas le vrai en morale, l'honnêteté pourrait se confondre avec l'erreur; en d'autres termes, ce serait se tromper que d'être honnête; mais l'honnête est inséparable du vrai en morale, et la beauté en est la forme ou l'apparence réelle. En littérature, l'honnête c'est le convenable; c'est-à-dire ce qui est conforme aux lois de la nature modifiées par l'éducation et nous comprenons dans l'éducation toute l'instruction religieuse. Ce qui est donc en littérature l'expression de la nature telle que Dieu la veut, c'est-à-dire de la nature innocente ou régénérée, de la nature en harmonie avec son Créateur, tout cela, disons-nous, est le vrai et le résultat de cette harmonie; la formie de cette vérité, c'est ce qu'on appelle le beau.

Il existe, du P. André, jésuite, un Traité sur le beau assez estimé. C'est un ouvrage d'analyse fort remarquable en effet, mais qui manque de synthèse. L'auteur a distri bué son travail en quatre chapitres dans le premier il traite du beau visible; dans le second, du beau dans les mœurs; dans le troisième, du beau dans les ouvrages d'esprit, et dans le quatrième du beau musical.

Nous n'avons pas à analyser ici ce qu'il dit des formes visibles de la morale et de la musique; il divise le beau littéraire en trois espèces, qu'il appelle le beau essentiel, le beau naturel et le beau conventionnel.

Le beau essentiel consiste, selon lui, dans l'ordre, dans la proportion et dans la symétrie. C'est le résultat de l'exactitude dans les mathématiques de la pensée formulant leurs opérations par l'algèbre de la parole; le beau naturel résulte des proportions de la symétrie et des relations exactes entre la nature et l'imitation de la nature qui constitue l'art. Enfin, le beau artificiel, imaginaire ou conventionnel, consisterait dans l'ordre, la symétrie et les proportions observés dans les choses accessoires à la vie de l'homme, et qui procèdent de la civilisation, comme les édifices, les jardins, les parures et les ornements de tous genres.

Il divise le beau artificiel en beau arbitraire et beau absolu; l'absolu dans l'artificiel est l'imitation exacte de la nature, et se rapporte, par conséquent, au beau naturel;

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