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lisé la justice, et ont forcé l'accomplissement des promesses divines en fermant la gueule des lions. Ils ont éteint la violence du feu; ils ont trompé la pointe du glaive, ils ont trouvé la force dans leur faiblesse; et ils ont entraîné dans une merveilleuse désertion les camps armés pour les combattre. La résurrection a rendu l'époux à l'épouse; et c'est à travers les chevalets et les échafauds qu'on s'est élancé vers la vie. Ils ont été lapidés, proscrits, errants, affamés, poursuivis de montagne en montagne, de caverne en caverne, ces hommes dont le monde n'était pas digne... » Voilà ce que saint Paul écrivait avant de mourir sous le glaive des empereurs de Rome, et de léguer en mourant an successeur des apôtres et des martyrs Rome vaincue par ses victimes, et l'empire du monde soumis aux proscrits de toute la terre.

Si l'on peut se placer en dehors de toutes les croyances et considérer de tels faits comme des événements purement naturels, on n'en sera pas moins forcé de conclure que la foi accomplit seule les choses les plus grandes et parvient aux résultats les plus magnifiques : c'est ce que nous avons entrepris de prouver. Mais nous disons plus; nous soutenons que, sans une foi quelconque, il est impossible d'être un grand homme. En effet, pour qu'une erreur entraîne et passionne les âmes, il faut qu'elle ressemble assez à la vérité pour être trouvée belle, et alors, dans les succès passagers de l'illusion, c'est toujours la foi qui triomphe; seulement, c'est une foi qui s'est trompée d'objet. Telle est peut-être, d'ailleurs, toute la différence qui sépare le fanatisme de la religion, et nous savons que le fanatisme même à eu ses héros; quelles que soient les destinées probables de l'islamisme, le nom de Mahomet restera toujours un grand nom.

Oui, pour être grand, il faut croire : les facultés de l'homme ne se rapprochent de la toute puissance que lorsqu'elles deviennent les instruments de Dieu. Quelle inspiration y a-t-il dans le doute? Quelle force peut-on trouver dans le néant de l'espérance. A quoi se prendront les plus belles facultés sans objets? La devise de la philosophie sans Dieu est toujours celle de Montaigne : Que sais-je? Et à cette question le croyant peut répondre par celle-ci : Que peux-tu faire ? Moi, je ne sais rien, mais je crois, et c'est une plus grande certitude. Je crois, parce que je pense; je crois surtout parce que j'aime. Ce que je crois existe certainement pour moi, et ce que je crois pouvoir, je le puis.

Un chef-d'œuvre est toujours un acte de foi; l'homme ne s'élèverait jamais au-dessus de lui-même s'il n'avait pas la conscience de cet idéal, qui est une réalité saisissable seulement pour la foi. On ne s'embarque pas au hasard pour des régions dont on ignore absolument l'existence. Avant de partir pour son entreprise aventureuse, Colomb, dans la prescience de sa foi, avait vu l'Amérique.

L'homme ne saurait agir sans but; or, comme il est de la logique que les moyens soient proportionnés à la fin, jamais un intérêt égoïste, jamais une spéculation sordide ne ferout naître ni grandes actions, ni paroles sublimes. L'hypocrisie dans les discours et dans les actes est un masque dérobé à la vertu, qui ne doit une apparence de beauté qu'à l'empreinte de son visage. Aussi tout ce qui est beau appartient à la foi; mais, dans ce genre, la sincérité seule peut créer. Le mensonge est ce qu'il y a au moral de plus négatif; or le néant ne produit rien, et l'on peut dire qu'en éloquence, comme en vertu, l'hypocrite n'est qu'un voleur.

Corneille, qui comprenait le martyre parce qu'il croyait à l'honneur, a révélé toute son ame dans son Polyeucte. Racine préludait, en écrivant Athalie, à la tendre et profonde piété de ses derniers jours, et Voltaire luimême ne s'est élevé une fois au-dessus de son merveilleux et déplorable talent, dans une belle scène de Zaïre, qu'en se faisant le comédien de la foi, comme on a si bien dit qu'il était le singe du génie.

Nous avons cité notre auteur sans l'interrompre, mais il nous permettra de relever dans son excellent article quelques expressions inexactes au point de vue chrétien. Par exemple, lorsqu'il parle d'Orphée et des autres croyants profanes, nous trouvons qu'il en dit trop ou trop peu. Nous avons souligné aussi une expression qui semble faire entendre que l'incarnation ne s'est accomplie que par la foi. Nous croyons que Corneille comprenait le martyre par un sentiment plus chrétien que celui de l'honneur, et nous ne partageons pas l'opinion de M. Seure relativement à M. Victor Hugo. Ces réserves faites, nous achevons de citer en soulignant ce qui nous paraît contestable ou inexact.

Quand Berryer parle, il est convaincu, et c'est pourquoi il entraine; quand Lamartine chante, il adore, et en l'écoutant on prie. C'est par cette foi ardente en l'avenir de l'humanité, que doivent se régénérer la liberté sage et le véritable amour; c'est en se faisant l'organe des plus poignantes douleurs et des aspirations les plus saintes vers la justice que Victor Hugo règne sur la scène. Quand Rachel joue Zaïre, elle est chrétienne; et quand il s'élevait jusqu'à la véritable éloquence, M. Guizot parlait en parfait honnête homme.

Nodier a dit que le génie n'est peut-être autre chose que la vertu. Mais qu'est-ce que la vertu, si ce n'est la croyance en action. Comment voulez-vous qu'il se fasse violence ou qu'il s'impose des sacrifices, l'homme qui abandonne à l'arbitraire et aux préjugés des nations la différence du bien et du mal, et qui trouve avec le sceptique Montaigne que l'insouciance et l'incuriosité sont de doux oreillers pour une tête bien faite?

Nous pourrions donc avancer que le génie n'est autre chose que Dieu même se manifestant dans l'homme et l'élevant par la foi

au-dessus de la faible nature, ou, en moins de mots, le génie, c'est la foi. Mais nous ne voulons pas nous adjuger ainsi nous-mêmes gain de cause, et nous nous bornerons à dire que, sans la foi, il ne peut y avoir dans l'homme ni inspiration, ni génie, comme il n'y a nécessairement ni religion, ni vertu. Onésime SEURE.

Croyances poétiques et populaires. Dans ces derniers temps on a beaucoup abusé en littérature des croyances populaires du moyen âge: il n'est donc pas sans intérêt pour nous de les étudier, d'abord pour les bien distinguer et les séparer, en poésie comme ailleurs, des choses qui tiennent à la piété et à la foi; secondement pour être en état de comprendre les allusions que font à ces croyances les anciens auteurs; troisièmement, enfin, pour avoir une direction dans l'usage ou dans la censure qu'on peut en faire.

Ces croyances ont toujours été de deux sortes premièrement celles qui tenaient aux traditions et aux habitudes idolâtriques de l'ancien monde, et l'Eglise leur a toujours fait une guerre implacable; secondement, celles qui sont nées de la simplicité de la foi, et l'Eglise les a tolérées en s'efforçant toujours de les diriger et de les éclaier. Aux premières se rattachent les sciences occultes, la théurgie, la magie, la démonologie, les opérations superstitieuses, les rites non autorisés et bizarres; aux secondes, les légendes apocryphes, les miracles supposés ou amplifiés, les imaginations pieuses et les merveilleuses histoires.

Les sciences occultes sont celles dont l'objet surpasse la portée de l'esprit de l'homme et ne saurait être atteint par le secours de Dieu puisqu'il se rapporte à des secrets que la Providence n'a pas voulu révéler aux hommes: comme la connaissance de l'avenir, la révélation des plus secrètes pensées, la mauvaise influence sur la santé des autres, etc. Elles se divisent en deux branches : les sciences ou prétendues sciences divinatoires et les sortiléges ou maléfices. Nous mettons à part l'alchimie ou science hermétique dont nous nous occupons ailleurs. (Voy. RAYMOND LULLE.)

Les sciences divinatoires procèdent par inspection ou par évocation.

Celles qui procèdent par inspection ont le panthéïsme pour base et se reglent d'après une croyance aveugle à la fatalité. A l'inspection elles joignent l'interprétation presque toujours arbitraire ou fondée sur des rapports incertains et puérils entre les effets et les causes telles sont l'astrologie judiciaire avec toutes ses dépendances, la chiromancie, la rhabdomancie, la xilomancie auxquelles on peut joindre toutes les pratiques superstitieuses des anciens augures. Celles qui procèdent par évocation ont recours au démon ou du moins à une puissance inconnue pour obtenir les réponses que sollicite une indiscrète curiosité. Soit qu'on attende une apparition en fixant sa

vue sur un vase plein d'eau, comme dans Phydromancie; soit qu'on attende un mouvement surnaturel d'une chose inanimée, comme dans la cleidomancie, l'axionomancie, etc.; soit qu'on attende de l'instinct des animaux les oracles du sort, comme dans l'alectryomancie; soit qu'on évoque les ames des morts par la nécromancie.

Aux sciences occultes qui procèdent par évocation, il faut rapporter les mystères de la théurgie et les opérations de la haute cabale.

La doctrine catholique en démontrant la fausseté des systèmes panthéistiques et en établissant la liberté de l'homme, a nécessairement frappé de mort toutes les sciences occultes spéculatives qui ont pour base l'astrologie et la fatalité; et l'Eglise catholique, ayant reçu pour mission spéciale de combattre le pouvoir des esprits de ténèbres, doit condamner sévèrement tout essai et même tout désir, de la part des hommes, de communiquer avec eux.

être à jamais, par la nature même des choses, réprouvées par la religion.

Les sciences occultes sont donc et doivent

Notez toutefois que l'Eglise les condamne comme pratiques et comme croyances sans les admettre comme science; et en cela la saine critique et la droite.raison doivent juger exactement comme l'Eglise.

Le principe de la liberté morale de l'homme (base de toutes nos institutions politiques et légales), le rend responsable de ses croyances. Parce que ses croyances sont l'expression de sa confiance, sa confiance révèle son amour, son amour est déterminé par son choix et son choix par sa volonté. Croire à l'astrologie, au moyen âge, c'était nier le christianisme; nier le christianisme c'était attaquer la société. Quant aux maléfices, l'intention même en était très-punissable: c'est ce qui explique les rigueurs de l'Eglise et de l'Etat contre les gens accusés. de magie.

Mais c'est moins au reproche de cruauté qu'à celui de crédulité que nous avons ici à répondre, puisque nous avons pour but dans cet article de distinguer les fausses croyances et les croyances purement poétiques de la vraie et invariable foi; le crime de magie existait-il? ont dit les critiques, et l'Eglise ne s'est-elle pas montrée trop crédule en l'admettant ? Nous avons déjà répondu à cette question en disant que l'Eglise admettait ou plutôt proscrivait et condamnait la magie, non comme science, mais comme croyance et comme pratique. Maintenant est-il vrai que certaines personnes ont cru à la magie et l'ont pratiquée? cela ne saurait faire l'ombre d'un doute. L'Eglise les a con-damnés, comme c'était son devoir et son droit en quoi je vous prie se serait-elle montrée trop crédule ? mais des innocents, des maniaques, des épileptiques ont été punis comme sorciers. Si ces faits sont avérés, ce sont des malheurs qu'il faut attribuer au temps et à la magistrature d'alors; mais

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dont l'Eglise ne saurait être en aucune façon responsable.

M. Ferdinand Denis, dans son Traité des Sciences occultes, explique les traditions du sabbat par les derniers vestiges des traditions gauloises. L'organisation du sacerdoce druidique était en effet assez forte et avait jeté des racines assez profondes au cœur du pays, pour que le sacerdoce pût lutter encore en secret et pendant assez longtemps contre les institutions nouvelles. Il est donc probable que, longtemps encore après l'établissement du christianisme dans nos contrées, les successeurs mystérieux des druides assemblèrent leurs adeptes dans les forêts et se livrèrent avec eux à la pratique de leurs rites sanglants et bizarres. De là ces lueurs observées de loin, ces voix étranges entendues dans les solitudes, ces cercles immenses piétinés par des danses infernales, ces cendres de brasiers éteints et quelquefois ces débris d'ossements humains mêlés aux vestiges des sacrifices avec les empreintes des pieds nus des hommes, des femmes et des enfants et des ongles de boucs, multipliés autour des foyers, comme si l'on s'était livré à des festins de cannibales ou à des unions monstrueuses. La vie retirée de ces derniers adorateurs de Teutatès ou d'Irminsul, leur société secrète, la puissance qu'ils attribuaient à des plantes coupées la nuit avec une faucille d'or, leurs prêtresses vêtues de robes blanches, noires ou écarlates, selon les rites qu'elles devaient accomplir, les anciennes traditions germaines où gauloises sur la puissance surnaturelle des druidesses qu'on appela depuis des elfes et des fées, leur idolatrie, enfin, qui depuis la promulgation de la loi chrétienne ne pouvait plus être que le culte formel du démon; tout cela est plus que suffisant pour expliquer dans toutes les contrées du Nord l'existence des sorciers, des sorcières du sabbat et de toutes les histoires où figurent les opérations magiques. On sait que les cultes idolâtriques de la Grèce et de Rome allèrent aussi expirer dans les antres de la magie et essayèrent vainement sous Julien de populariser les sacriléges de la théurgie. Les hérésies, qui ne furent souvent que des déguisements essayés par les anciennes superstitions, eurent aussi leurs évocations et leurs mystères. Ainsi, tous les dogmes réprouvés et toutes les pratiques mauvaises allèrent aboutir de concert à cet antichristianisme dont l'incrédulité, l'égoïsme et la volupté sont les dogmes, et les sciences occultes le mysticisme; dont la révolte est le génie, le mensonge et les superstitions les instruments, et le but, celui des Titans et de Lucifer, la déchéance de Dieu et la déification de l'orgueil.

D'un autre côté, les mystères si simples et si grands de la foi nouvelle, ne durent pas rencontrer à la naissance du christianisme des esprits exempts de préjugés et d'erreurs. Un vieux levain se mêla dans beaucoup d'ames aux révélations évangéliques, et le souvenir des anciennes superstitions défigura parfois les nouvelles pratiques et le nouveau

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dogme. D'ailleurs les âmes simples sont na-
turellement avides de merveilleux et les
imaginations incultes ont une séve toute
particulière pour multiplier et rendre touffu
leur buisson de conjectures risquées et de
conséquences hasardées.

L'incertitude où les mystères de la cons-
cience nous laissent sur l'état des âmes après
la mort, la crainte de l'enfer et des démons
et les figures horribles que l'imagination
doit prêter naturellement aux puissances du
mal enfantèrent les terreurs et les fantômes
du moyen âge : les ombres du soir se peu-
plèrent de spectres; les cimetières, où la
terre sainte rejetait avec horreur les cada-
vres des réprouvés, laissèrent errer, la nuit,
les goules, les vampires, les brucolaques,
les psylles, corps sans âmes que le démon
animait et nourrissait de sang humain. Les
sorciers, derniers descendants des païens,
furent condamnés aux métamorphoses in-
ventées par leurs pères et coururent la nuit
le garou on la ganipote, transformés en
loups blancs ou en chèvres noires. Les sou-
venirs mêmes de l'école de Platon redevin-
rent vivants dans cette transfiguration infer-
nale et les esprits élémentaires dont ce phi-
losophe composait sa grande âme du monde
devinrent des lutins et des démons familiers;
les sylphes de l'air remplacèrent les classi-
ques zéphyrs, les ondins, et leurs compa-
gnes s'emparèrent de l'empire vacant des
tritons et des nymphes; les gnomes pullu-
lèrent dans les ateliers abandonnés des cy-
clopes, et les salamandres trouvèrent leur
existence daus les flammes. Ainsi l'ancienne
mythologie renaissait sous des formes nou-
velles, tant est puissant sur l'imagination
des hommes l'empire de l'habitude, et tant
le merveilleux poétique exerce de fascina-
tion sur la raison du vulgaire !

L'allégorie, employée de tout temps pour faire accepter aux enfants et aux hommes des vérités encore au-dessus de leur portée et de leur âge, produisit une innombrable multitude de paraboles que l'ignorance populaire confondit ensuite avec l'histoire. C'est ainsi qu'il faut distinguer avec grand soin l'histoire des saints de leur légende: leur histoire contient des faits réels; leur légende, des allégories. C'est du moins une distinction littéraire qu'on peut établir en déclarant que sous le nom générique de légende on ne comprend en aucune façon les notices historiques du Martyrologe et du bréviaire. Ces notices appartiennent à l'histoire ecclésiastique et à la liturgie; celles que nous désignons sous le nom de légendes appartiennent seulement aux traditions vulgaires et à la poésie religieuse.

L'enfance de la science dans les choses de la nature transformait alors facilement les phénomènes en prodiges; les barbares, en elfaçant les traces de l'ancien monde, en avaient comme anéanti les connaissances: tout était à recommencer. Les premiers naturalistes qui essayèrent d'expliquer le monde visible le devinèrent d'abord ou plutôt le révèrent, et donnèrent leurs fictions pour

de la science. Cosmas Indicopleustès, savant Egyptien du vi siècle, a fait de sa Cosmographie la légende fantastique plutôt que la description du monde; selon lui la terre est un immense parallelogramme, portant en longueur le double de sa largeur, et borné de tous côtés par l'Océan, qui s'est frayé lentement quatre impasses et a produit ainsi la mer Méditerranée, la mer Caspienne, le golfe d'Arabie, et le golfe Persique. L'Océan, violemment déplacé par le déluge, a séparé le monde actuellement habité d'un autre continent, patrie originelle des hommes, mais où ils ne retourneront jamais. Ce continent maintenant inconnu est le paradis terrestre ; quatre fleuves, dont les anges eux-mêmes dirigent les eaux, arrosent cette contrée heureuse, ceinte de puissantes murailles de cristal qui s'arrondissent en dôme et forment la voûte du ciel. C'est autour de cette voûte que tourne éternellement la procession des étoiles scintillantes dans la nuit comme des cierges allumés. Il est à remarquer que le clergé d'alors, loin d'accréditer de pareilles fables, se maintenait dans une extrême réserve quant aux choses encore inexplorées de la nature, et que les traditions scientifiques des siècles civilisés ne furent conservées alors que dans les cloîtres. Saint Isidore de Séville, que Cuvier appelle le dernier savant du monde ancien, ne se hasarda pas dans les téméraires et puériles conjectures de Cosmas; plein de cet esprit catholique ennemi de toute nouveauté et conservateur des choses acquises, il transmit aux siècles chrétiens les richesses des temps antiques, sans en augmenter, sans doute, mais sans en altérer la valeur.

Les dogmes fantastiques de Mahomet étaient venus à cette époque du vr siècle décourager les premiers efforts de l'étude renaissante et fermer les sources primitives de l'Orient avec les portes de fer de la fatalité. On sait que Omar, lieutenant de Mahomet, brûla la bibliothèque d'Alexandrie. La vraie foi d'un côté, l'aveugle fanatisme de l'autre, se partagèrent alors l'empire du monde, et la science n'y trouva plus sa place. Les questions de l'éternité, qui agitaient le monde depuis six cents ans, étaient devenues si brûlantes qu'on s'inquiétait peu du temps: l'idéal était tout pour le monde, et les apparences terrestres semblaient déjà s'enfuir devant les cavaliers de l'Apocalypse. L'islamisme apparaissait au monde occidental comme le faucheur à la grande épée, que suivaient d'un pas inégal, la famine sur son maigre cheval noir et la mort sur son cheval pâle. A quoi bon mesurer cette terre que les fléaux allaient ravager ? N'y aurait-il pas toujours dans la vallée de Josaphat assez de place pour tout le monde, et Dieu n'élargirait-il pas au besoin le champ de la résur

rection?

L'univers fanguit dans cette torpeur jusqu'au siècle de Charlemagne et d'Alcuin, alors que la Rome chrétienne devint libre et devint le foyer de l'intelligence et de la foi. Alors le monde chrétien fut fondé sur sa dou

ble base et le règne temporel du Christ com-mença sur la terre.

Cependant le x siècle approchait et une tradition, universellement répandue, fixait la fin du monde à cette époque. Un texte de saint Pierre, mal entendu, à propos des mille ans qui sont devant Dieu comme un jour, les mille ans de l'Apocalypse dont on avait mal calculé le commencement et une parole attribuée au Sauveur par l'opinion du vulgaire, bien qu'elle ne se trouve dans aucun des Evangiles, faisaient croire que la fin des temps était arrivée ce fut une épouvante générale dans le monde, et les études furent de nouveau abandonnées. Le x siècle passa.. avec ses terreurs. On comprit que le règne du Sauveur n'était pas fini, et l'on se remit à enseigner avec plus d'ardeur que jamais le trivium et le quadrivium, le triangle et lecarré des arts libéraux; mais les lueurs des → sciences humaines restaient encore bien ternes devant les splendeurs de la foi; le mondea toujours eu besoin de croire bien plutôt que de savoir: les sources de la foi étaient alors ouvertes et l'humanité ne se lassait pas d'y tremper ses lèvres. La lumière que le christianisme avait fait apparaître dans le ciel illuminait seule la terre, et comment voir l'éclat vacillant des lampes en plein soleil? On a reproché à saint Grégoire le Grand son mépris pour les auteurs profanes, et saint Grégoire n'en était pas moins le plus grand esprit de son siècle. Mais les hommes que Dieu met à la tête des gouvernements du monde sentent les besoins de leur époque; et l'humanité alors, après avoir senti le besoin d'oublier, était tourmentée de la soif d'apprendre, mais d'apprendre autre chose que ce qu'elle avait dû oublier. La vraie science, celle de l'âme et de ses destinées, suffisait alors pour remplir toutes les pensées, et lorsqu'il s'agissait de savoir coopérer avec Dieu à la rédemption du monde, qu'avait-on besoin du compas de Ptolémée ou d'Euclide, n'avait-on pas la croix de Jésus-Christ?

L'âme aussi est un monde et un mondo bien supérieur à celui des formes matérielles et des créatures visibles. Le monde intérieur. parut alors aux croyants le seul monde réel, F'autre passait comme le rêve d'une ombre, pour nous servir d'une belle expression que l'Ecriture applique à la vie. Aussi les premiers maîtres en sciences naturelles, même après le règne de Charlemagne, créèrent-ils une image du monde réel d'après les types de leur idéal, et peuplèrent-ils l'histoire naturelle de leurs chimères. Ce fut alors le temps des animaux fabuleux, emblèmes du bien ou du mal, blason vivant de l'enfer ou du ciel les graouillis, les guivres, les tarasques apparaissaient de tous côtés pour. mourir sous la houlette des saints pasteurs ; les chroniques de Charlemagne sont étranges, et c'est à son époque que commence l'ère historique des romans. Des auteurs sérieux écrivaient encore du temps de Louis XII que Charlemagne trouva des statues parlantes au milieu de la mer; qu'un petit oiseau

lui parla également un jour pour le remettre dans son chemin, et que des armées de néeromants apparaissaient au nord armés de lances enflammées pour combattre les chevaliers chrétiens. Tout le monde connaît encore les prouesses de Roland, si célèbre par Jes chants de tous nos vieux troubadours et les poétiques folies de l'Arioste. Les enchanteurs, les hippogriffes, les talismans étaient déjà des fables du temps de l'Arioste, mais pour les chroniqueurs de Charlemagne et de Roland c'était de l'histoire ; et en effet, comment révoquer en doute toutes les merveilles des enchanteurs et des animaux monstrueux qu'ils façonnaient à leur service? La nature elle-même semblait alors un enchantement, tant on l'avait déguisée avec des fables; et les accouplements de formes les plus bizar res rêvés autrefois par le symbolisme égyptien, ou plus tard par le sombre esotérisme des druides, étaient devenus des types de races qu'on croyait existantes. Il y avait alors tes hommes qui n'avaient qu'un œil au milieu du front comme les cyclopes. D'autres, plus monstrueux encore, n'avaient point de iète et portaient la bouche près de la poitrine et les yeux entre les épaules. L'histoire naturelle était un véritable cauchemar: la mer était peuplée de baleines de six cents pieds de long sur trois cents de large et de physetères encore plus monstrueux. Le trop fameux serpent de mer, que nos grands jourHux ressuscitent encore de temps en temps Lorsqu'ils éprouvent le besoin de mystifier leurs lecteurs, avait dû naître dans ce tempslà et se dressait quelquefois, aussi grand qu'un mât de navire, pour se battre contre des chevaux volants dont le front était garni de cornes comme celui du taureau. Alors on voyait ondoyer dans les airs des serpents aux écailles dorées et qui avaient des ailes comme des oiseaux; on croyait aussi, sur la foi d'Athénée et d'Elien, à un animal domnestique, ami de l'homme beaucoup plus encore que le dauphin et le lézard: c'était Jo porphyrion, espèce de synthèse animale capable de voler, de courir et de nager. Ce porphyrion veillait à la chasteté des épouses et mourait de douleur lorsqu'elles venaient à manquer à la fidélité conjugale.

On sait que la licorne était un cheval aux pieds de biche, ayant au milieu du front une corne torse d'une raisonnable longueur. Les propriétés de cette corne étaient merveilleuses plongée dans l'eau d'une fontaine, elle en purifiait les eaux et en faisait sortir tous les reptiles; la licorne était un animal extrêmement farouche qui ne se laissait approcher, caresser et mème dompter que par des jeunes filles d'une pureté irréprochable. Il faut lire les récits de Petacchia et de Benjamin de Tudèle, deux voyageurs qui firent le tour du monde après la première Croisade, pour comprendre jusqu'où allait la crédulité publique et l'amour du merveilleux chez les conteurs. Benjamin de Tudèle n'a vu partout que palais enchantés et murailles de fin cristal; il a parcouru le Bonde en somnambule, et au lieu des tristes

réalités, il ne vous raconte que des rêves brillants; en vain Jérusalem ne lui a montré qu'une mélancolique bourgade au milieu d'un désert de montagnes âpres et nues; il ne se laisse pas fasciner ainsi par la malice des enchanteurs : la véritable Jérusalem est enfouie dans des souterrains immenses dont l'entrée est le secret de la suprême cabale; là des milliers de lampes ornées de pierreries se reflètent sur les colonnes d'or massif du tombeau de David qui dort dans son manteau royal et le sceptre à la main, immobile et incorruptible, en attendant le signal de la résurrection. Benjamin de Tudèle n'est pas allé jusqu'en Chine et lègue à de plus aventureux que lui une recette fort singulière pour faire ce voyage. Cela consiste à se cacher dans des peaux d'animaux et à se faire enlever dans cet état par les rochs, espèce d'aigles gigantesques ou de griffons, célèbres dans les contes des Mille et une Nuits. Les rochs, du temps de Benjamin de Tudèle, avaient leurs nids sur les montagnes de la Chine et se répandaient de là sur lesmers et dans les îles éloignées pour y chercher leur proie, qu'ils rapportaient ensuite avec une célérité merveilleuse. Une fois arrivé dans le nid de l'oiseau gigantesque, il fallait mettre l'épée à la main on mieux encore, allumer du feu pour le chasser. L'ingénieux conteur ne nous dit pas comment on s'y prenait pour revenir de ce voyage.

Nous ne parlerons pas des oiseaux merveilleux ayant des ailes de saphir et des têtes de femmes ; des palmiers qui balancent pour fruits des figures humaines et qui ont pour feuillages des ailes d'anges, pleines des images d'un monde surnaturel; les imaginations naïves de ce temps-là personnifiaient et animaient tout: l'enthousiasme était comme une fièvre dont le délire poétique changeait l'apparence des objets. Au x siècle, le maitre de Dante, messer Brunetto Latini, refait une encyclopédie nouvelle et commence à tirer le monde réel du chaos des fables; mais ce monde, il l'embellit encore de mille figures fantastiques; les animaux qu'il décrit semblent empruntés à la science hiérogliphique plutôt qu'à la nature, ce sont des émblèmes plutôt que des réalités : le spiritualisme donnait alors un sens à toutes les lettres de la création et conformait plus volontiers la lettre à la pensée que la pensée à la lettre. Etait-ce ignorance affectée? Non. C'était croyance et. poésie. Qui sait d'ailleurs si de nouveaux progrès de l'intelligence humaine ne nous révéleront pas les pensées que Dieu cache sous les formes variées des animaux? Qui sait si le moyen âge n'avait pas raison de chercher un sens spirituck à Toutes les formes de la nature? Dieu avait révélé aux croyants les secrets du ciel; il avait associé les chrétiens à sa divinité en les faisant communier à lui-même, et leur foi s'exerçait à créer le monde. Ils construisaient leur science sur des arguments a priori et voulaient commencer leur édifice par le faîte c'était trop hardi pour être logique, mais c'était beau, et dans tout ce qui est

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