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palpite d'espérance, il va achever le grand euvre: l'or se liquétie et devient potable; une liqueur vermeille a rempli deux fioles de cristal. Raymond a reconnu tous les signes alchimiques de la médecine universelle. Dans son enthousiasme il boit avidement l'immortalité, et court chez Ambrosia di Castello; mais, hélas ! l'élixir qui conservait la vie ne pouvait rendre la jeunesse, et pendant de longues années de recherches le pauvre alchimiste avait vieilli. L'élixir qu'il vient de boire n'a immortalisé que ses rides, mais il ne le croit pas, tant la foi en son œuvre le transporte: il se sent immortel, et il se croit jeune. Hélas! est-ce bien la belle Ambrosia qu'il a devant les yeux ? 11 ne voit qu'une pauvre femme pâle, mourante et déjà ridée. « J'apporte la vie, lui dit-il en lui tendant la fiole avec délire: voici votre part d'immortalité; buvez sans crainte, j'ai déjà bu la mienne vous ne me reconnaissez pas sans doute. Oh! c'est que je suis rajeuni!.. -Reconnaissez-vous vous-même, lui dit Ambrosia en lui présentant un miroir. Estce avec ces cheveux blancs et ces rides qu'il sied de se rappeler les erreurs de la jeunesse autrement que pour en gémir? N'avez-vous donc à partager avec moi qu'une immortelle décrépitude? Pitié pour moi! Raymond; je préfère le ciel à votre enfer; mais pitié aussi pour vous-même! Voyez ce que vous voulez rendre immortel. A ces mots, d'un geste terrible, Ambrosia entr'ouvre sa robe et fait voir à Raymond un ulcère hideux qui lui a rongé la poitrine: l'alchimiste pousse un cri terrible en portant les deux mains à ses yeux; la fiole tombe à terre et se brise. «Mon Dieu! mon Dieu! ayez pitié de lui! murmure la sainte femme en tombant à genoux, tandis que Raymond Lulle s'enfuyait éperdu en criant: Mourir! mourir! » Puis, rentré dans son laboratoire, il brisa ses instruments de chimie, se revêtit d'un cilice et jeûna pendant plusieurs jours avec d'affreuses macérations et des larmes continuelles. Ses forces ne s'affaiblirent pas, et il murmura en se tordant les mains: « Ah! je suis immortel. . . comme les damnés! »

Après plusieurs nuits de veilles et de larmes il s'endormit enfin, et Jésus crucifié lui apparut en songe. « J'étais immortel par nature, lui dit le Sauveur du monde, et j'ai donné volontairement ma vie pour toi. Donne-toi tout entier à moi, et je te sauverai de l'enfer de la science. »>

A son réveil, Raymond Lulle avait tout oublié, excepté son ardent désir d'expier ses fautes. Il assista quelques jours après, Ambrosia di Castelli à son lit de mort, et se chargea pour elle d'un pèlerinage à SaintJacques de Compostelle: il fit ce voyage pieds nus et demandant l'aumône. A son retour il distribue tous ses biens aux pauvres, et se retire sur la montagne des Lauriers, appelé en arabe Arienda, et en espagnol Renda; là il se bâtit un petit ermitage, ou plutôt une tombe, et devint malade de la maladie dont il devait naturellement mourir, si l'élixir qu'il avait bu ne lui eût conservé la

vie. Alors il conjura encore une fois avec larmes Dieu de le laisser mourir. Sa prièrefut si fervente, que le Sauveur lui apparut encore une fois, et lui promit de le délivrer quand il aurait vaillamment combattu pour lui contre les infidèles; mais lui dit encore une fois que la mort du martyre était la seule porte ouverte pour la délivrance d'un chrétien qui avait eu la folie de vouloir être immortel sur la terre. Raymond eut donc la tristesse de guérir; mais les anges, pour le consoler de vivre, lui apparurent, ainsi que l'âme d'Ambrosia di Castello, dans une chapelle consacrée à la Mère de Dieu. Là, Raymond Lulle fut tout à coup illuminé d'un rayon de la science universelle: il vit un grand arbre dont toutes les feuilles étaient chargées de caractères mystérieux en toutes les langues, et il lui fut promis qu'autant de nations profiteraient de ses enseignements qu'il y avait de caractères différents sur les feuilles de cet arbre, qui représentait la synthèse universelle. Raymond alors tombe en extase, et un seul mot, qui résume à la fois Dieu et ses œuvres, s'échappe plusieurs fois de ses lèvres: O bonitas !"

Tous les ans, à pareille époque la maladie revenait, comme si la nature eût reclamé ses droits et protesté annuellement et à chaque anniversaire contre la violation de ses lois. Le Sauveur du monde alors revenait consoler Raymond Lulle, et remplissait la maison qu'il habitait d'une suave et incomparable senteur. En mémoire de ces visions, plusieurs actes authentiques ont été dressés, et plusieurs tableaux ont été peints en manière d'ex-voto, dont plusieurs se voient encore tant dans la maison d'André de Cazelles, où avait demeuré Raymond Lulle, que dans les archives du sénat de Majorque et dans l'église des Pères Franciscains de Palma.

Après la mort de Jacques le Vainqueur, Raymond fonda un monastère pour les Cordeliers, dont il prit l'habit, et commença à étudier la langue arabe pour aller prêcher la vraie religion aux mahométans: car l'inspiration divine le poussait au martyre; et comment eût-il obtenu la couronne du martyre ailleurs que parmi les fanatiques sectateurs du Coran ? En ce temps-là il vint à Paris, et y publia une sorte d'encyclopédie.

Le nombre de ses ouvrages n'est pas moindre que trois cents volumes, dit toujours la légende: aussi ne sait-on pas au juste combien de temps se prolongea sa vie. On voit passer les papes, les empereurs, les générations, et Raymond Lulle vit toujours. R advint cependant une fois que le saint homme crut toucher à l'heure de sa délivrance : il avait pris pour valet un Maure, afin de se mieux familiariser avec la langue des Sarrasins. Cet infidèle ayant compris que son maître voulait détruire la religion de Mahomet, résolut de l'assassiner pour être agréable à son prophète. Raymond Lulle reçut en effet un coup de poignard qui ne se trouva pas mortel, et eut encore la force de défendre son assassin contre ceux qui accoururent au bruit, et voulurent mettre le misérable en

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pièces. Le saint homme ne put empêcher que l'Arabe ne fût mis en prison, et il faisait tous ses efforts pour le sauver, lorsque ce inalheureux, de rage d'avoir manqué son coup, s'étrangla lui-même.

Raymond Lulle, après cet événement, parcourut l'Europe, fondant partout des écoles et ouvrant des cours de langues orientales pour préparer la fusion de l'Orient avec l'Occident; puis il passa la mer et se rendit à Tunis, où il alla disputer avec les imams, leur prouvant la fausseté du mahométisme et la vérité éternelle de l'Evangile de JésusChrist. On sait que chez les musulmans le prosélytisme en faveur d'une religion étrangère à celle de Mahomet est un crime digne de mort. Raymond Lulle fut dénoncé, et ne put obtenir encore la délivrance qu'il souhaitait avec tant d'ardeur. Sa vieillesse vénérable et sa haute réputation de science le firent épargner il fut seulement battu de verges et reconduit avec des coups et des huées jusqu'au vaisseau génois, où il s'embarqua avec tous ses livres. Il vint alors à Naples, où il demeura, enseignant publiquement son grand art, jusqu'au pontificat de Célestin V.

A cette époque, il recommença ses courses apostoliques, et prêcha la vraie religion, c'est-à-dire celle de l'unité catholique, aux hérétiques, nestoriens, jacobites et Géorgiens, qui pullulaient dans l'ile de Chypre. Mais, au lieu de profiter de ses leçons, ces hommes endurcis voulurent le retenir dans une prison perpétuelle, d'où il s'échappa par une assistance presque miraculeuse du ciel.

Enfin, las de combattre sans obtenir la couronne, il résolut de retourner en Barbarie; mais avant de s'y rendre, il voulut revoir Paris, qu'il prévoyait devoir être un jour un centre de lumières pour la religion catholique. Là, il eut l'occasion de connaître le docteur Scot et d'argumenter victorieusement contre lui. Dominus quæ pars? lui avait demandé le docteur, comme pour lui rappeler cette parole des moines lorsqu'ils prennent l'habít : Dominus pars hæreditatis meæ et calicis mei. Le docteur croyait ainsi embarrasser et humilier le vieux moine, qu'il ne connaissait pas, et qui se permettait de sourire et de hocher la tête en l'entendant, lui, docteur accrédité, avancer une chose peu exacte. Mais il fut bien étonné de la réponse de Raymond Lulle: Dominus non est pars, dit le vieillard, sed est totum. Scot alors interrogea plus sérieusement le franciscain, et s'inclina avec respect lorsqu'il entendit le nom de Raymond Lulle, déjà célèbre alors par tout le monde, et s'entretint longtemps avec le docteur illuminé.

Enfin nous touchons au dernier voyage et à la mort de Raymond Lulle. Ayant continué son second tour du monde et prêché la foi en Asie, il passa en Afrique et s'arrêta quelque temps dans la ville de Bone, où, malgré les mauvais traitements des barbares, al convertit soixante-dix philosophes de l'é

cole d'Averroès; il prit sa route vers Alger, où, ayant fait encore un grand nombre de conversions, il fut battu, mis en prison, bâillonné et privé de nourriture pendant quatorze jours, puis livré à la populace, traîné par les rues et banni enfin du royaume, tant la vie chez lui était forte, et tant il lui était difficile de mourir.

D'Alger il se rendit à Tunis, d'où il fut encore chassé; mais il y revint, et passa de là à Bougie, où il osa prêcher Jésus-Christ hautement sur les places publiques. « Ceux qui vous gouvernent m'ont chassé de ce pays et de Tunis, de peur que je ne vous éclaire; mais je suis revenu, afin que vous sachiez que la religion de Jésus-Christ est la seule véritable, et que pour ell je suis disposé à mourir On s'étonne d'abord, et on feint de ne pas l'entendre; mais comme il insiste et élève toujours de plus en plus la voix, on s'assemble autour de lui, on murmure, puis une sédition éclate. Raymond Lulle est poursuivi à coups d'épée et de bâton jusque sous les murs de la ville; il fait quelques pas vers le port, et chancelle accablé sous une nuée de pierres; bientôt la place où il est tombé en est couverte, et le corps du martyr a disparu sous ce tombeau.

La nuit suivante, quelques marchands génois, entre autres un nommé Etienne Colon et un certain Luis de Pastorga, venant du côté de Tunis, aperçurent de loin une pyramide de lumière qui semblait s'élever audessus d'un monceau de pierres. Ils trouvèrent la chose assez intéressante pour se détourner de leur chemin, et ayant jeté l'ancre et pris terre, ils allèrent déblayer ce monceau et trouvèrent Raymond Lulle entièrement brisé, mais encore vivant: ils le portèrent dans leur vaisseau et firent voile vers Majorque, pour ramener le grand docteur mourant dans sa patrie; mais la pénitence de Raymond touchait à sa fin il expira tranquillement, deux jours après, en vue de l'ile, le 3 des calendes de juillet, la veille ou le jour même de la fête des saints apôtres Pierre et Paul.

Les Génois, arrivés au port de Palma, voulurent cacher les restes du martyr, afin de les remporter avec eux; mais quand ils furent prêts à repartir, les voiles étendues, leur navire ne put avancer: ils furent obligés, pour obtenir un vent favorable, de déclarer leur pieux larcin. Alors le vice-roi, accompagné de toute la noblesse et du clergé de l'ile, vint chercher processionnellement les reliques du saint docteur, qui ne devaient pas reposer dans une terre étrangère, et que la Providence consentit enfin à rapprocher, après une si longue et si éclatante expiation, des ossements d'Ambrosia di Castello.

Cette légende, bien qu'un peu longue, est tellement empreinte du génie du moyen âge et de la poésie merveilleuse de cette époque, qu'on nous saura gré sans doute de l'avoir

racontée en entier.

LYRIQUE (POÉSIE). Voy. POÉSIE.

M

MAISTRE (JOSEPH DE).- Le comte Joseph de Maistre, dont nous n'avons pas à juger ici les opinions, est un des plus hardis penseurs et l'écrivain peut-être le plus incisif et le plus énergique du siècle. L'audace de ses assertions les fait ressembler souvent à des paradoxes, mais sa logique serrée et la profondeur de ses aperçus épouvantent. La croix lui a révélé la grande loi du sacrifice; l'humanité lui apparaît assujettie aux infirmités de la femme; elle expie sa maternité par le sang. Le supplice est une prière, et le bourreau un sacrificateur providentiel ou, si l'on veut, un chirurgien social. C'est pour cela que les assassins ont souvent conspiré contre le bourreau. Marat avait écrit pour l'abolition de la peine de mort.

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Ces doctrines du comte de Maistre ont quelque chose de terrible et d'effrayant, et il est difficile de lire certains passages des Soirées de Saint-Pétersbourg sans avoir le cœur serré. On a accusé de Maistre d'avoir fait du catholicisme une application de l'idée russe; on s'est trompé, car en défendant avec autant d'énergie qu'il le fait l'autorité pontificale, il élève contre l'ambition des héritiers de Pierre le Grand la seule digue qui pourra jamais les arrêter.

Napoleon avait dit : « Dans cinquante ans l'Europe sera républicaine ou cosaque, et un autre penseur a répondu Il est déjà trop tard pour l'alternative; l'Europe sera cosaque, parce qu'elle sera républicaine. Achevons la pensée, en ajoutant: A moins qu'elle ne redevienne sincèrement et forteinent catholique.

Telle était la pensée du comte de Maistre, dont le coup d'œil était sûr et l'intuition profonde. En effet, la république n'a d'issue que dans le socialisme communiste et égalitaire. Le communisme est impossible sans la dictature, et cette dictature ne peut être imposée et maintenue que par la force. Nous voici donc sous le knout d'un autocrate des Cosaques. Qui résistera à cette force brutale? l'intelligence. Comment? par l'union et l'autorité. Où l'union et l'autorité sontelles possibles? dans le catholicisme. Comment? par l'infaillibilité du pape. Il est impossible de sortir de cette alternative, et de Maistre était de ces hommes qui ne savent pas louvoyer entre le oui et le non. De Maistre n'est donc pas un ami de l'absolutisme imposé par la force brutale; mais il ne voit de remède contre l'autocratie du mal que dans la souveraineté absolue du bien. Il est impossible de concilier ensemble l'ordre et le désordre, et la liberté de l'un implique la servitude de l'autre. La vraie liberté du monde, la civilisation, le progrès, tout ce qui tient enfin à l'intelligence n'a de sauvegarde que dans l'autorité religieuse. De Maistre l'avait compris: aussi est-ce au nom de la liberté qu'il émet ses fortes doc

trines. Voyez le second chapitre du troisième livre de son traité du Pape.

« Nous avons vu, dit-il, que le souverain pontife est le chef naturel, le promoteur le plus puissant, le grand Demiurge de la civilisation universelle; ses forces sur ce point n'ont de bornes que dans l'aveuglement ou la mauvaise volonté des princes. Les papes n'ont pas moins mérité de l'humanité par l'extinction de la servitude qu'ils ont combattue sans relâche, et qu'ils éteindront infailliblement, sans secousses, sans déchirements et sans danger, partout où on les laissera faire. »

M. de Maistre établit ensuite qu'à cause des vices de sa nature, l'homme abandonné à lui-même est trop méchant pour être libre. Vérité niée opiniâtrément par Rousseau, qui s'est suicidé dans un accès de misanthropie, et par Lamennais, qui a écrit des boutades semblables à celle-ci:

« On dit qu'il y a eu des anthropophages; mais en tout cas cela n'a pas duré longtemps: ils ont dû mourir empoison

nés. »

De Maistre montre ensuite le catholicisme seul, c'est-à-dire l'Eglise ou le pape, c'est tout un, consacrant la fraternité des hommes qui est la destruction de l'esclavage, et relevant la nature humaine par l'émancipation morale de la femme. Ecoutons-le parler:

(Du Pape, liv. III, ch. 2.) « Partout où règne la servitude, il ne saurait y avoir de véritable morale, à cause de l'empire désordonné de l'homme sur la femme. Maîtresse de ses droits et de ses actions, elle n'est déjà que trop faible contre les séductions qui l'environnent de toutes parts. Que sera-ce lorsque sa volonté même ne pourra la défendre ? L'idée même de la résistance s'évanouira; le vice deviendra un devoir; et l'homme, graduellement amolli par la facilité des plaisirs, ne saura plus s'élever audessus des mœurs de l'Asie.

« M. Buchanan... a fort bien remarqué que dans tous les pays où le christianisme ne règne pas, on observe une certaine tendance à la dégradation des femmes.

<< Rien n'est plus évidemment vrai; il est possible même d'assigner la raison de cette dégradation, qui ne peut être combattue que par un principe surnaturel. Partout où notre sexe peut commander le vice, il ne saurait y avoir ni véritable morale, ni véritable dignité de mœurs. La femme, qui peut tout sur le cœur de l'homme, lui rend toute la perversité qu'elle ne reçoit, et les nations croupissent dans ce cercle vicieux dont il est radicalement impossible qu'elles sortent par leurs propres forces.

<< Par une opération toute contraire et tout aussi naturelle, le moyen le plus efficace de perfectionner l'homme, c'est d'en

noblir et d'exalter la femme; c'est à quoi le christianisme seul travaille sans relâche avec un succès infaillible, susceptible seulement de plus ou de moins, suivant le genre et la multiplicité des obstacles qui peuvent contrarier son action. Mais ce pouvoir immense et sacré du christianisme est nul, dès qu'il n'est pas concentré dans une main unique qui l'exerce et le fait valoir. Il en est du christianisme, disséminé sur le globe, comine d'une nation qui n'a d'existence, d'action, de pouvoir, de considération et de nom même, qu'en vertu de la souveraineté qui la représente et lui donne une personnalité morale parmi les peuples.

La femme est donc, plus que l'homme, redevable au christianisme; c'est de lui qu'elle tient toute sa dignité. La femme chrétienne est vraiment un être surnaturel, puisqu'elle est soulevée et maintenue par lui à un état qui ne lui est pas naturel. Mais par quels services immenses elle paye cette espèce d'ennoblissement!

« Ainsi le genre humain est naturellement en grande partie serf, et ne peut être tiré de cet état que surnaturellement. Avec la servitude, point de morale proprement dite; sans le christianisme, point de liberté géné rale; et sans le pape, point de véritable christianisme, c'est-à-dire, point de christianisme opérateur, puissant, convertissant, régénérant, conquérant, perfectilisant. C'était donc au souverain pontife qu'il appartenait de proclamer la liberté universelle; i l'a fait, et sa voix a retenti dans tout l'univers. Lui seul rendit cette liberté possible en sa qualité de chef unique de cette religion seule capable d'assouplir les volontés, et qui ne pouvait exercer toute sa puissance que par lui. Aujourd'hui il faudrait être aveugle pour ne pas voir que toutes les souverainetés s'affaiblissent en Europe. Elles perdent de tous côtés la confiance et l'amour. Les sectes et l'esprit particulier se multiplient d'une manière effrayante. Il faut purifier les volontés ou les enchaîner, il n'y a pas de milieu. Les princes dissidents qui ont la servitude chez eux, la conserveront ou périront. Les autres seront ramenés à la servitude ou à l'unité. »

Ainsi donc le pape ou un autocrate des Cosaques il n'y a pas de milieu pour la société qui veut sortir de ses angoisses. C'est la liberté durable et fondée sur un principe, ou la domination aveugle de la force qu'il faut prendre voilà pourquoi de Maistre, en servant la cause du pape, est le champion de la liberté.

Supposons que demain l'idée révolutionnaire triomphe de toutes les monarchies de l'Europe, le pape sera infailliblement exilé et proscrit avec les autres souverains, et ne sera plus que le chef du catholicisme opprimé. Cependant la révolution enfantera son César, et ce sera un Napoléon quelconque, moins le sacre; un résumé vivant du panthéisme, un homme qui se fera Dieu. Cet homme proclamera le droit aux jouissances de la vie et l'émancipation physique et con

tre nature des femmes, avec la sanction des échafauds et des baïonnettes; il reconstituera la servitude universelle, en abolissant la propriété et la famille. Cet homme sera l'Antechrist, et, peu importe par quelle nation il soit vomi, ses sujets seront des Cosaques. Qui protestera alors? et qui pourra le faire efficacement, sinon le représentant immortel du christianisme divin, le pape, successeur de saint Pierre, crucifié comme Jésus-Christ? Et qu'on ne s'y trompe pas, tous les éléments chrétiens perdus dans la démocratie moderne se rallieraient alors au souverain pontife, ou se perdraient dans le panthéisme matérialiste, parce que la logique des faits est plus forte que celle des hommes. Entre de Maistre et Proudhon il n'y a pas de place pour L'amennais.

« O sainte Eglise de Rome! s'écrie de Maistre, en terminant son beau livre du Pape, tant que la parole me sera conservée, je l'emploierai pour te célébrer. Je te salue, mère immortelle de la science et de la sainteté! SALVE, MAGNA PARENS! C'est toi qui répandis la lumière jusqu'aux extrémités de la terre, partout où les aveugles souverainetés n'arrêtèrent pas ton influence, et souvent même en dépit d'elles. C'est toi qui fis cesser les sacrifices humains, les coutumes barbares ou infâmes, les préjugés funestes, la nuit de l'ignorance; et partout où tes envoyés ne purent pénétrer, il manque quelque chose à la civilisation. Les grands hommes t'appartiennent. MAGNA VIRUM! Tes doctrines purifient la science de ce venin d'orgueil qui la rend toujours dangereuse et souvent funeste. Les pontifes seront bientôt universellement proclamés agents suprêmes de la civilisation, créateurs de la monarchie et de l'unité européennes, conservateurs de la science et des arts, fondateurs, protecteurs-nés de la liberté civile, destructeurs de l'esclavage, ennemis du despotisme, infatigables soutiens de la souveraineté, bienfaiteurs du genre humain. Si quelquefois ils ont prouvé qu'ils étaient des hommes: Si quid illis humanitus acciderit, ces moments furent courts: un vaisseau qui fend les eaux laisse moins de traces de son passage, et nul trône de l'univers ne porta jamais autant de sagesse, de science et de vertu. Au milieu de tous les bouleversements imaginables, Dieu a constamment veillé sur toi, ô VILLE ÉTERNELLE ! Tout ce qui pouvait t'anéantir s'est réuni contre toi, et tu es debout; et comme tu fus jadis le centre de l'erreur, tu es depuis dixhuit siècles le centre de la vérité. La puissance romaine avait fait de toi la citadelle du paganisme, qui semblait invincible dans la capitale du monde connu. Toutes les erreurs de l'univers convergeaient vers toi, et le premier de tes empereurs, les rassemblant en un seul point resplendissant, les consacra toutes dans le PANTHEON. Le temple de TOUS LES DIEUX s'éleva dans tes murs, et seul de tous ces grands monuments il subsiste dans toute son intégrité. Toute la puissance des empereurs chrétiens, tout le zèle, tout l'enthousiasme, et, si l'on veut même,

tout le ressentiment des chrétiens, se déchaînèrent contre les temples. Théodose ayant donné le signal, tous ces magnifiques édifices disparurent. En vain les plus sublimes beautés de l'architecture semblaient demander grâce pour ces étonnantes constructions; en vain leur solidité lassait les bras des destructeurs. Pour détruire les temples d'Apamée et d'Alexandrie, il fallut appeler les moyens que la guerre employait dans les siéges. Mais rien ne put résister à la proscription générale : le Panthéon seul fut préservé. Un grand ennemi de la foi, en rapportant ces faits, déclare par quel concours de circonstances heureuses le Panthéon fut conservé jusqu'au moment où, dans les premières années du vir siècle, un souverain pontife le consacra A TOUS LES SAINTS. Ah! sans doute il l'ignorait; mais nous, comment pourrions-nous l'ignorer? La capitale du paganisme était destinée à devenir celle du christianisme; et le temple qui, dans cette capitale, concentrait toutes les forces de l'idolâtrie, devait réunir toutes les lumières de la foi. TOUS LES SAINTS à la place de TOUS LES DIEUX! quel sujet intarissable de profondes méditations philosophiques et religieuses! C'est dans le PANTHEON que le paganisme est rectifié et ramené au système primitif dont il n'était qu'une corruption visible. Le nom de DIEU, sans doute, est exclusif et incommunicable; cependant il y a plusieurs DIEUX dans le ciel et sur la terre. Il y a des intelligences, des natures meilleures, des hommes divinisés. Les DIEUX du christianisme sont les SAINTS. Autour de DIEU se rassemblent TOUS LES DIEUX, pour le servir à la place et dans l'ordre qui leur sont assignés.

O spectacle merveilleux, digne de celui qui nous l'a préparé, et fait seulement pour ceux qui savent le contempler!

« PIERRE, avec ses clefs expressives, éclipse celles du vieux JANUS. Il est le premier partout, et tous les saints n'entrent qu'à sa suite. Le dieu de l'iniquité, PLUTUS, cède la place au plus grand des thaumaturges, à l'humble FRANÇOIS, dont l'ascendant inouï créa la pauvreté volontaire, pour faire équilibre aux crimes de la richesse. Le miraculeux XAVIER chasse devant lui le fabuleux conquérant de l'Inde. Pour se faire suivre par des millions d'hommes, il n'appela point à son aide l'ivresse et la licence; il ne s'entoura point de bacchantes impures: il ne montrà qu'une croix; il ne prêcha que la vertu, la pénitence, le martyre des sens. JEAN DE DIEU, JEAN DE MATHA, VINCENT DE PAUL (que toute langue, que tout âge les bénissent!), reçoivent l'encens qui fumait en l'honneur de l'homicide MARS, de la vindicative JUNON. La Vierge immaculée, la plus excellente de toutes les créatures dans l'ordre de la grâce et de la sainteté, discernée entre les saints comme le soleil entre les astres; la première de la nature humaine qui prononça le nom de SALUT; celle qui connut dans ce monde la félicité des anges et les ravissements du ciel sur la route du tombeau; celle dont

l'Eternel bénit les entrailles en soufflant son esprit sur elle, et lui donnant un fils qui est le miracle de l'univers; celle à qui il fut donné d'enfanter son Créateur; qui ne voit que Dieu au-dessus d'elle, et que tous les siècles proclameront heureuse; la divine MARIE monte sur l'autel de la Vénus pandémique. Je vois le CHRIST entrer dans le Panthéon, suivi de ses évangélistes, de ses apôtres, de ses docteurs, de ses martyrs, de ses confesseurs, comme un roi triomphateur entre, suivi des grands de son empire, dans la capitale de son ennemi vaincu et détruit. A son aspect, tous ces dieux-hommes disparaissent devant l'HOMME-DIEU; il sanctifie le Panthéon par sa présence et l'inonde de sa majesté. C'en est fait, toutes les vertus ont pris la place de tous les vices; l'erreur aux cent têtes a fui devant l'indivisible vérité. Dieu règne dans le Panthéon comme il règne dans le ciel, au milieu de TOUS LES SAINTS! « Quinze siècles avaient passé sur la ville sainte, lorsque le génie chrétien, jusqu'à la fin vainqueur du paganisme, osa porter le Panthéon dans les airs, pour n'en faire que la couronne de son temple fameux, le centre de l'unité catholique, le chef-d'œuvre de l'art humain, et la plus belle demeure terrestre de CELUI qui a bien voulu demeurer avec nous, PLEIN D'AMOUR ET DE VÉRITÉ. »

Ajoutons à ce magnifique passage, qui est une des plus belles pages dont puisse se glorifier la littérature chrétienne, une citation des Soirées de Saint-Pétersbourg, qui complétera la pensée de Joseph de Maistre dans sa portée presque prophétique :

« Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs; des oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés. Plusieurs prophéties contenues dans l'Apocalypse se rapportaient à nos temps modernes. Un écrivain est allé jusqu'à dire que l'événement avait déjà commencé, et que la nation française devait être le grand instrument de la plus grande des révolutions. Il n'y a peut-être pas un homme véritablement religieux en Europe (je parle de la classe instruite) qui n'attende dans ce moment quelque chose d'extraordinaire. Or, n'est-ce rien que ce cri général qui annonce de grandes choses? Remontez aux siècles passés, transportez-vous à la naissance du Sauveur; à cette époque, une voix haute et mystérieuse, partie des régions orientales, ne s'écriait-elle pas: L'Orient est sur le point de triompher... Le vainqueur partira de la Judée... Un enfant divin nous est donné; il va paraitre: il descend du plus haut des cieux; il ramènera l'âge d'or sur la terre... Ces idées étaient universellement répandues, et comme elles prêtaient infiniment à la poésie, le plus grand poëte latin s'en empara, et les revêtit des couleurs les plus brillantes dans son Pollion. Aujourd'hui, comme au temps de Virgile, l'univers est dans l'attente. Comment mépriserions-nous cette grande persuasion, et de quel droit

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