Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Dieu les aveugle, quand sa voix les assourdit, des philosophes d'un jour viendront hausser les épaules et sourire en nous entendant répéter que Dieu se communique quelquefois à ses saints par des visions et par des songes!

Nous venons de nommer les songes, et voici tout un nouvel ordre de prodiges qui se présente à notre pensée. Qu'est-ce donc que cette vie factice qui se révèle à nous pendant que nous dormons? Quel est l'auteur des spectacles que la pensée se donne alors à elle-même, tandis qu'elle semble être passive? Les illusions du sommeil sontelles un mensonge brillant ou une vérité voilée ? Pourquoi présentent - elles souvent à notre âme des tableaux que jamais nous n'avions même rêvés dans l'état de veille? Les anciens avaient fait des songes un essaim de génies diaphanes et plus légers que l'air, avec des sceptres de fleurs et des ailes de papillon, et de ces fantômes fugitifs nous avons fait les sylphes de nos féeries, brillantes phalènes au visage enfantin qui dormaient dans les roses et se glissaient, les mains pleines de trésors fantastiques, au chevet des jeunes filles et des enfants.

L'enfant du Nord, errant au sein des bois profonds,

Des esprits lumineux, des sylphes vagabonds,
Rois au sceptre de fleurs, à l'écharpe légère,
Voit descendre du ciel la foule mensongère.
Dans la coupe d'un lis tout le jour enfermés,
Et le soir, s'échappant par groupes embaumés,
Aux rayons de la lune ils viennent en cadence
Sur l'émail des gazons entrelacer leur danse;
Et de leurs blonds cheveux, dégagés de liens,
Les zéphyrs font rouler les flots aériens.
O surprise! Bientôt dans la forêt antique
S'élève, se prolonge un palais fantastique,
Immense, rayonnant du cristal le plus pur.
Tout le peuple lutin, sous ces parvis d'azur
Vient déposer des luths, des roses pour trophées,
Vient marier ses pas aux pas brillants des fees,
Et boire l'hydromel qui pétille dans l'or,
Jusqu'à l'heure où du jour l'éclat, douteux encor,
Dissipant cette troupe inconstante et folâtre,
La ramène captive en sa prison d'albâtre.
Plus loin, au pied d'un mont obscurci de vapeurs,
Sous le chène d'Odin, les trois fatales sœurs,
Monstres que le Danois en frémissant adore,
Au fracas du torrent, aux feux du météore,
D'un breuvage fatal commencent les apprêts.
Quel est le roi puissant que menacent leurs traits?
Un poignard à la main, pàles, échevelées,
Elles chantent. Leur voix rugit dans les vallées ;
Et les spectres, du fond des sombres monuments
Accourent éveillés par leurs enchantements.
Que dis-je? Ah! des tombeaux franchissant la bar-
[rière,

Si les morts, en effet, rendus à la lumière,
Reviennent quelquefois errer autour de nous,
O ma mère! ô ma sœur! spectres charmants et doux,
A cette heure de paix quand ma voix vous appelle,
Pourquoi reposez-vous dans la nuit éternelle?

Ces vers mélancoliques de l'auteur des Veillées poétiques et morales prouvent combien l'analogie il y a entre la rêverie et les rêves qui bercent également, soit dans la veille, soit pendant le sommeil, notre imagination et nos souvenirs pendant les heures d'oubli et de repos de notre intelligence. Dieu s'est quelquefois servi des rêves pour manifester

ses volontés aux hommes: le témoignage de l'Ecriture sainte ne nous permet pas d'en douter. L'enfer peut aussi, pendant ces heures où la volonté est désarmée, tendre des piéges à nos désirs; et les prières de l'Eglise nous prouvent assez les embûches dont elle cherche à nous préserver. Les songes ont donc une autorité en littérature et surtout en poésie. Tout le monde sait par cœur le beau rêve d'Athalie, dans la tragédie de Racine. Nous avons trouvé dans un livre publié en 1670, par M. de Cériziers, aumônier du roi, une dissertation assez curieuse sur les songes, et comme elle n'est pas longue, nous la transcrivons ici d'autant plus volontiers que le livre où elle se trouve est assez rare.

« MONSEIGNEVR, puis qu'il plaist à vostre excellence d'ouyr ce que i'ay autrefois appris sur ce suiet, ie la supplie tres-humblement de croire, que ma seule incapacité empéchera vostre entiere satisfaction, et que si i'estois plus sçauant vous seriez plus éclaircy. Et pour ne me point diuertir de vostre intention, i'estime qu'on ne peut dire que les songes, qui sont des mouuemens de l'ame qui se forme diuerses figures ou qui les reçoit, soient tous de fausses illusions ou d'inprofanes ayent eu pour la veine science faillibles veritez. Quelque respect que les qu'on en fait, les plus sages se mocquent également des superstitieux et des incredules. Aristote dont l'humeur n'est pas de croire sans bonne caution, ne peut approuver le sentiment de son maistre, qui veut que toutes les resueries de la nuict, viennent des dieux, et partant que ce soient des instructions celestes et surnaturelles aux hommes. Et à dire le vrai (comme il remarque) les chiens et les autres bestes songeans aussi bien que nous, il y a peu d'apparence, que de si haute majestez se voulussent abaisser à faire leçon aux brutes. Philon qui s'est toûjours témoigne grand partisan des Platoniciens, fait naistre les songes dans l'ame, de la sympathie de ses mouuemens au cours de l'uniuers. Synese reconnoist vn certain esprit en nous, que ie ne connoist pas, qui leur sert de siege et de vehicule de la méine façon que les naturels et les vitaux conduisent la vigueur et la vie, dans toutes les parties de l'homme. D'autres les font couler des astres, et certains osent bien asseurer, que les resueries de nostre esprit ne sont que des ressouuenirs des connaissances, qu'il apporte de dehors dans nostre corps.

« On ne peut nier qu'Hippocrate n'en ait mieux trouué la source et le principe, quand pour l'ordinaire il les attribue à la nature, et quelquefois à son autheur. Il aurait tout, dit, s'il eust adiousté, que les demons se meslent bien souuent dans nostre sommeil ; il est vray que n'ayant pas distingué le mauuais génie des bons, il a deu confondre ces deux diuerses causes. Qu'il nous vienne des songes de la nature, l'expérience de toutes les nuicts l'apprend; que Dieu les enuoye assez souuent, l'Escriture saincte nous l'enseigne. Qui seroit temeraire à ce poinct que de contester, que ceux d'Abraham, d'Isaac,

de Iacob et de Ioseph (sans parler de cet autre loseph du Nouueau Testament) ne fussent des aduis du ciel à ces illustres Patriarches. Ie n'entreprends pas de verifier que les demons fassent resuer les hommes, et que par fois, pour leur donner quelque creance de leur diuinité, ils ne leur donnent des pressentimens de leurs bonnes ou mauuaises fortunes. Personne de ceux qui connoissent tant soit peu l'histoire profane, n'iguore ce qu'on nous raconte du temple de Podalire en la Poüille, de celuy de Seraphis en Alexandrie, et d'Esculape à Pergame. Qui n'a point ouy parler de la chapelle de cette Pasiphaé, que l'on adoroit aux fauxbourg de Lacedemone, et de la Venus de Gaze, où les ieunes filles alloient dormir, pour songer les auantures de leurs amours? Sans doute cet infame commerce, qui se continue encore auiourd'huy auecque les diables, sur Je succès de nopces, n'a point d'autres commencement, que dans ces sacrileges obseruations des idolatres. On ne sçait que trop l'impureté de ces deuotions; pour celles qui se proposoient d'autres fins que de connoistre les mariages, en voicy la ceremonie:

«Ceux qui consultoient les demons, après leur avoir sacrifié vn mouton noir, s'enueJoppoient de sa peau, et dormoient ainsi dans leurs temples, afin de les obliger et par leur confiance et par leur liberalité, de leur découurir en songe ce qui leur deuoit arriuer. l'aduouë bien que ces fausses diuiuitez n'attendoient pas toûjours, que ces pauures aueugles leur rendissent des hommages si ridicules; comme s'ils se fussent picquez de preuenir leur mirite, ils deuançoient quelquefois leurs vœux. Et partant, quand Socrate songea qu'il entroit dans la ville de Phtihe, ce qui fut expliqué de sa mort, à cause que ce mot signifie corruption, ses dieux vsoient de magnificence. Et quand Odatis ayma son cher Zariadre, et Zariadre sa belle Ödatis, sans s'estre iamais veus qu'en songe; et que quelque temps après cette infante presenta la fiole d'or qui luy deuoit choisir vn espoux à ce ieune prince, qui parut inconnu dans sa chambre, c'estoit vn effect de leur impulsion plustost que de sa prudence. le ne parle point d'Alexandre, qui songea la prise de Tyr pour auoir veu vne satyre en dormant, comme ces deuins l'interpreterent; parce que satyros signifie en langage grec, Tyr est à toy. Constance ne receut-il pas aussi vn aduis de son desastre allant contre les Sarrazins, lors qu'il s'imagina, en dormant, qu'il sortoit de ThessaIonique, dont les sillabes diuisées font ces trois mots, Thes allo niquen, laisse la victoire à vn autre. Quand Astiages vit sortir vue vigne du ventre de Mandané, et que la nore d'Auguste creut qu'on enleuoit ses entrailles au ciel, les demons pretendoient de se mettre en credit par les presages d'une grandeur, qu'ils promettoient en songe, et que le vray Dieu leur destinoit en vérité.

« Mais afin que ces euenemens et ceux qui leur ressemblent, ne portent point nostre esprit à croire que toutes nos réueries soient

veritables, il est à propos de considerer quelles coniectures on en peut innocemment tirer. Et pour dire en peu de mots ce que i'en pense, il est certain qu'il faut aussi peu soupçonner la verité des songes qui viennent de Dieu, que receuoir ceux qui viennent des diables, quoy que parfois ils soient exempts d'impostures. La raison est, que nous deuons nostre creance à Dieu, et nostre mépris aux demons. Il n'appartient pas neantmoins à tout le monde de iuger de ces visions nocturnes; la prudence nous oblige d'en laisser le discernement à ceux qui gouuernent nos consciences. Pour le regard des songes naturels, soit qu'ils viennent de la reflexion que l'ame fait sur ses actions passées, soit qu'ils ayent leur principe dans l'habitude du corps, il est éuident qu'on en peut recueillir sans crime ce qui nous doit arriuer; puisque l'humeur qui commande chez nous en est la cause necessaire; et que le reste de nos actions precedentes peuuent estre des signes de celles qui doiuent suiure. Voicy la liaison des accidens de nostre vie auecques nos songes, et en suitte le fondement qu'ils donnent aux presages que nous en tirons. Les songes naissent pour l'ordinaire du temperament; le temperament forme nos mœurs; nos mœurs ont ascendant sur nos actions en ce qu'elles les produisent ou les reglent, nos actions iournalieres ont beaucoup de rapport et de pouuoir sur les effects dont les causes nous sont secretes. Il n'y a donc point de magie que l'esprit voye nos accidens dans nos songes, pourueu qu'on n'asseure pas cette veuë infaillible. Ainsi nous apprenons de la conduite des Peres spirituels, qu'on peut former de probables iugemens, non pas de l'acte, mais de l'inclination du vice ou de la vertu des resueries d'une personne. Voilà sur quel fondement vn homme qui craint de pecher mesme en dormant, et qui resiste aux sales imaginations du sommeil se peut asseurer qu'il ayme la pure é, et qu'vn plaisir illegitime auroit de la peine de surprendre sa raison lors qu'elle veille. Les coniectures, qui ne regardent point la liberté, sont moins suspectes. Partant l'on peut croire, que celuy qui ne songe que des choses agreables est d'humeur sanguine; que ceux en qui le phlegme domine, n'ont en vision que de l'eau, des nauf ages, de la pluye et des neiges. Vne colere fait presque tousiours la guerre pendant la profonde paix de son repos, et le melancholique ne voit que des objets tristes, et d'horribles phantomes. Ainsi les medecins sçauent prudemment iuger de l'intemperie de l'humeur, par l'assiduité de songer les mesmes choses. Or la raison pourquoy nous connoissons mieux l'excez du temperamment de ce qui se passe la nuit que le iour, c'est que l'humeur ne souffre aucune diuersion dans ses operations tandis que l'ame repose, et que n'étant point occupée à ses plus importantes actions, elle ne suspend pas celles du corps, qui suit ordinairement son application. le ne pretends point de nier que la plus familiere

source de nos songes, est dans les entretiens et les negoces du iour; parce que les especes en estant encore toutes fraisches, l'esprit qui est de loisir s'amuse à les reuoir; et parce que la raison n'est qu'à moitié éueillée, il les range si mal et les confond quelquefois auecque tant de desordre, que des plus belles images du iour, il n'en reüssit que d'estranges grotesques.»

On trouvera sans doute que les idées du sieur de Cériziers, au sujet des songes, étaient très-philosophiques et très-sages surtout pour son temps, car on était alors très-adonné encore à toutes les superstitions divinatoires. Entre la superstition qui voit partout des visions et des présages, et la prétendue philosophie qui méprise tous les mystères de l'âme faute de pouvoir les expliquer, il y a de nombreux degrés. Quoi qu'il en soit, les songes restent au nombre des merveilles inexpliquées de la nature, et sont par conséquent du domaine de la poésie. Mais comme la religion enseigne de ne pas trop s'arrêter aux rêves, la poésie chrétienne doit être engagée par là même à se servir avec modération et prudence de ce genre de merveilleux.

Quant aux enchantements et à la magie, il faut bien se garder de leur attribuer un pouvoir vraiment surnaturel, et de partager avec le démon la puissance de Dieu. Pour ce qui est de l'existence et des bornes de l'art magique, quelques Pères même des premiers siècles ont eu des doutes à ce sujet. Saint Méthodius affirme que l'apparition de Samuel à Saül ne fut qu'une jonglerie de la pythonisse d'Endor; et il remarque assez judicieusement que Saül lui-même ne vit pas le fantôme, mais que la pythonisse ayant jeté un cri, le roi l'interrogea en lui demandant ce qu'elle voyait, et qu'elle répondit : « Je vois des dieux sortir de terre, et celui que je vois a l'apparence d'un vieillard couvert d'un manteau. » Le crédule Saül tomba alors la face contre terre, et une voix sépulcrale lui parla. Nous ne protestons en aucune façon contre l'opinion de saint Méthodius, sans regarder toutefois la question comme tranchée. On sait que les sorciers ont pullulé au moyen âge, et qu'un grand nombre de ces malheureux ont avoué les crimes dont on les accusait. La pensée que l'Eglise a de tous temps exprimée par ses exorcismes, c'est que dans l'intention de celui qui se livre à la magie il y a un crime réel: sa mission n'est pas de décider la question au point de vue de la science.

De tous les genres de merveilleux que nous venons de parcourir, le plus incontestablement vrai et le plus fécond en beautés pour la littérature chrétienne, c'est le don des miracles que Notre-Seigneur a promis à la foi. « La foi transporte les montagnes, »> dit l'Evangile; elle fait plus : elle dispose du cœur des hommes et change les loups en agneaux. Les miracles de la foi sont de tous les temps et se renouvellent tous les jours. Non, la Légende Dorée n'est pas finie. Tous les jours encore dans la paix des cloîtres,

dans les pieuses solitudes, et même au milieu du fracas des affaires temporelles, la foi renouvelle parmi nous les miracles des anciens jours; la prière est encore toute-puissante, et la grâce n'a jamais cessé ses mystérieuses conquêtes. Combien d'épopées merveilleuses se cachent dans l'ombre où Dien tient attachées les âmes, en attendant qu'il les fasse jouir de son ineffable lumière! L'histoire seule de saint Augustin n'est-elle pas un admirable poëme? Qu'est-ce qu'un monde comparé à une âme? Et combien d'âmes sont vraiment plus grandes que le monde, quand elles savent le fouler aux pieds?

Monarque du trépas, soleil de la nature
Arbitre souverain de ma grandeur future,
C'est pour me rendre heureux que tu m'as animé!
Je m'élance vers toi d'un pur zèle enflammé.
Glorieux avenir! espoir où je me livre!
Sûr de m'unir à toi, que m'importe de vivre?
Plaignons tous ces mortels que l'âge et le malheur
Trop aveugles mortels, vous, dont l'âme asservie
N'ont point désabusés d'une coupable erreur.
Traine complaisamment les chaînes de la vie,
Vous verra-i-on toujours, comme ces vieux ormeaux,
Dont les ans et la foudre ont brisé les rameaux,
Sur un sol desséché, couvert de vos ruines,
Pousser encor au loin de stériles racines?
Vous verra-t-on toujours dans la vague de l'air,
Pour saisir un fantôme errant comme l'éclair,

Etendre, promener vos mains impatientes,
De vieillesse et d'ardeur tout à la fois tremblantes,
Et toujours mécontents de vous-même et du sort,
Dans vos reproches vains calonnier la mort,
Jusqu'à l'heure où la tombe, hélas! trop méconnue,
Vous fera traverser sa funèbre avenue

Pour vous conduire enfin, rayonnants de clarté,
Au temple de la Gloire et de l'Eternité?

(YOUNG, traduction de Baour-Lormian). Ainsi Dieu n'a pas besoin de moyens surnaturels pour nous initier à ses miracles. Il fait vivre son éternité dans nos désirs, sa toute-puissance se reflète dans notre imagination, qui crée sans cesse et démolit des mondes. Qu'on ferme le livre sacré de la révélation, qu'on étende un voile sur celui de la nature, qu'on enferme l'homme dans une prison profonde, son âme s'élancera encore dans l'infini sur les ailes de la pensée, et en se contemplant elle-même, elle verra l'image de Dieu. Ce merveilleux raisonnable, cette poésie philosophique, cette révélation naturelle, nous les portons dans toutes nos facultés, comme dans le gland sont contenus les racines profondes, le tronc vigoureux et

les immenses rameaux du chêne.

Mais que sert au mortel de promener ses yeux Sur les vastes tableaux de la terre et des cieux, Si, toujours insensible à sa grandeur suprême, Il connaît la nature et s'ignore soi-même? Et la terre et les cieux ne l'instruisent-ils pas Du destin qui l'attend au jour de son trépas? Ne lui parlent-ils point de sa haute origine, De son ame, rayon de la gloire divine; De son âme, plus belle et plus sublime encor Que ces astres bornés dans leur brillant essor? L'âme tend vers les cieux: notre seute faiblesse La détourne d'un vol digne de sa noblesse. Celui qui, pour un rang à grands frais acheté, De cette ame immortelle abaisse la fierté,

Me paraît aussi lâche, en son erreur profonde,
Que Néron déposant la couronne du monde
Pour aller dans le cirque, aux yeux du spectateur,
Solliciter le prix d'un vil gladiateur.

Pleurons sur ces mortels qui, dans leur vain délire,
Des puissants de la terre implorent le sourire.
Moi-même, il m'en souvient, au pied du trône admis,
Et sous les dignités baissant un front soumis,
Je traînai dans les cours, nourri d'inquiétude,
La chaîne de l'opprobre et de la servitude;
Mes yeux se sont ouverts; je respire, et mon cœur
Renait au sentiment de sa propre grandeur.
Esclave si longtemps je m'appartiens encore.
Homme, le seul trésor dont la pompe t'honore,
Ne va point le chercher dans les flancs entr'ouverts
Ou des mines de l'Inde, ou des bruyantes mers:
Il repose en ton sein: ce trésor, c'est ton âme :
Que sa possession et t'élève et t'enflamme:
Par elle l'univers est rangé sous tes lois,
Et par elle tu peux ce que peuvent les rois.

Analyse tes sens leur force souveraine
De la terre et du ciel te compose un domaine;
Tes sens prêtent aux fruits leur suc délicieux;
Aux chantres des forêts, leurs sons mélodieux ;
A la plaine, l'argent du fleuve qui l'arrose;
Ses perles au matin, ses parfums à la rose :
Sans eux, tout l'univers muet, désenchanté,
N'offrirait qu'un chaos à ton œil attristé.
Mais bénis du Très-Haut la sagesse profonde;
Tes sens sont les pinceaux qui colorent le monde.

Honne ingrat! qui te plains de ta félicité, Connais tu de tes droits toute l'immensité? Connais-tu les trésors promis à ta puissance? Investi de bonheur et de magnificence, As-tu bien mesuré tous ces présents divers Qu'en foule, à tes genoux, dépose l'univers? Cette voûte d'azur, d'astres brillants semée, Chef-d'œuvre du Très-Haut, et par ses mains for[mée,

[ocr errors]

S'élève sur ton front, comme un dais radieux.
Pour éclairer tes pas le jour luit dans les cieux.
Lorsque la sombre nuit commence sa carrière,
Pour toi la lune épand sa douteuse lumière,
Te conduit à travers les vallons embaumés,
Te guide sur les flots aplanis et calmés;
Et prodiguant au loin ses clartés amoureuses
Adoucit des objets les teintes ténébreuses.
Quand un sommeil profond appesantit tes yeux,
Les riants souvenirs, les songes gracieux
Voltigent sur ta tête, amusent tes pensées :
Des longs travaux du jour la terre est délassée;
Et le zéphyr du soir, le calme, la fraicheur,
Te bercent sur ta couche, asile de bonheur.
A peine le soleil a-t-il dispersé l'ombre,
Tes yeux sont éblouis de prodiges sans nombre.
Le monde réveillé proclame ton pouvoir;
Les champs sont les greniers; les mers ton réser-
[ voir;

Les animaux domptés devant toi s'humilient;
A tes goûts, à tes vœux, les éléments se lient;
Tu regnes sans partage, ingrat! et cependant
Tu baisses sous le crime un front indépendant;
Tu flétris ta noblesse, et sous l'œil de Dieu mème,
Tu souilles, dans les fers, l'éclat du diadème!

[blocks in formation]

la société est bonne. La conséquence de leur principe, c'est le dévouement de l'individu à la société. Leur morale est donc essentiellement sociale. Les autres croient que l'individu est hon, mais que la société le gate. Jean-Jacques Rousseau est un de leurs chefs les plus célèbres. La conséquence de leur principe, c'est la résistance de l'individu aux lois de la société, et par conséquent la destruction de toute espèce d'ordre social. Avec le principe de Rousseau et une logique inflexible on arrive rapidement aux conclusions de Lacenaire. Si l'homme naît dénué de toute lumière, de toute force et de toute vertu, et qu'il doive ensuite tout à la société, il est obligé de rendre tout à la société, et le dévouement devient justice; si au contraire, l'homme n'a reçu de la société que du mal, pourquoi en bonne justice lui rendrait-il du bien et à quoi servirait le bien fait à la société, sinon à perpétuer le mal? Si la société corrompt tous les hommes, l'amour même de l'humanité doit nous porter à la détruire..., et cependant la société se compose de tous les hommes: il faut donc les détruire tous pour les sauver tous? Quelle absurdité! Détruire la société, est-ce seulement isoler les individus ? Quelle abominable sauvagerie ! Ainsi donc le dogme du péché originel est la base non-seulement de la morale chrétienne, mais encore de toute morale. Ceux qui disent que les attractions sont proportionnelles aux destinées, disent vrai s'ils parlent seulement des goûts ou des aptitudes pour telle ou telle profession, pour tel ou tel art, pour telle ou telle science; mais ils disent une énormité, s'ils parlent de tous les penchants même de la chair et des instincts irréfrénés de la nature brutale. Ils protestent d'ailleurs qu'ils n'ont jamais voulu dire cela, bien que leur maître Fourier l'ait malheureusement assez fait entendre.

La morale est le frein des passions; ce qui déchaîne les passions est au contraire l'immoralité. On aura beau dire et beau faire, on ne changera jamais le sens des mots au point de transposer cette double notion si simple et si naturelle. En d'autres termes, la morale c'est la compression, et l'immoralité c'est l'expansion absolue; l'expansion absolue est la conséquence du dogme matérialiste c'est le droit de la brute; la compression libre et volontaire est la conséquence du dogme spiritualiste : c'est le devoir de l'homme..

Maintenant disons que l'homme a des devoirs à remplir même envers la brute, mais que la brute n'a pas de droits, car celui-là seul a des droits qui peut faire valoir des titres. Or quels sont les titres de la brute? Ses appétits? appétits? Dieu les lui a donnés, direzOui, mais Dieu a donné aussi à l'homme un bâton de commandement pour les réfréner.

vous.

[ocr errors]

Avant Jésus-Christ les moralistes qui n'avaient pas pour base le décalogue, n'étaient que des charlatans de vertu. Socrate dogmatisait chez Aspasie sur la science des cour

24

tisanes. Il parlait raisonnablement d'ailleurs des devoirs des hommes, et les hommes qui n'aiment pas les raisonneurs lui firent boire la ciguë, sans qu'il soit resté de Socrate autre chose qu'un nom célèbre, et cette épitaphe injurieuse que lui fit Lucien :

Παιδεραστής εἰμι καὶ σοφὸς τὰ ἐρωτικά,

et qu'on nous dispensera de traduire.

Depuis Jésus-Christ les vrais moralistes n'ont été que les commentateurs de l'Evangile. En effet toute la morale est là, parce que là se trouve le remède au péché originel, la sainte et immortelle doctrine de la croix !

L'insuffisance de la morale naturelle est assez prouvée par les désordres qui ont amené la ruine de l'ancien monde. Le nôtre aussi menace ruine. Malgré l'Evangile, nous dira-t-on. — Oui, vous dites bien, malgré l'Evangile, et parce qu'il s'en est séparé. Mais séparé de l'Evangile, notre monde moderne n'est plus qu'une ombre du monde païen, un fantôme des vieux empires tombés, qui est revenu au jour à cette époque que vous appelez la Renaissance, et qui le prédestinait à mourir encore une fois. Si le monde pouvait jamais être entièrement chrétien et catholique, le monde ne finirait jamais; car sur des principes éternels on ne pourrait constituer autre chose que des institutions éterneiles. L'ancienne société a péri par ses croyances; les nouvelles ne périront jamais que par leur apostasie. Les moralistes du dix-huitième siècle, en essayant de ressusciter la religion naturelle et les dogmes moraux du temps de Socrate, n'ont fait que lapider les vivants avec les osscments des morts: ils ont fait comme ces médecins qui parlent de joie et de fêtes à des mourants pour les distraire des progrès de leur mal. On était las du régime des idées chrétiennes, et l'on s'est remis à celui des vieux charlatans qui ont précipité la mort de nos pères. Ce n'était pas le moyen de guérir. Les livres de morale philosophiques et doucereux qui ne parlent pas de guérir d'abord par le fer et le feu la gangrène de nos vices sont des lectures dangereuses: ils assoupissent la raison et nous font prendre pour de la vertu le plaisir même qu'ils nous causent par leurs molles condescendances. Ce n'est pas avec des déclamations sentimentales et des rêveries romanesques qu'on réformera jamais les mœurs; mieux valent après tout ces sectaires qui ont le courage de leur cynisme et qui se déclarent franchement les adversaires de la morale à la bonne heure, au moins on sait à qui parler, et l'on a soin de ne pas laisser tomber les livres de ces messieurs entre les mains des enfants. Mais où les laisserons-nous tomber? Où ils voudront: que nous importe ?

Le dogme de l'homme bon et de la société mauvaise, c'est la religion de Caïn et de Lucifer: c'est le protestantisme le plus radical qui soit possible. C'est l'individualisme déifié.

Dire que l'homme et la société sont bons,

ce serait nier l'existence du mal. Sans doute, ils sont originairement bons, mais ils sont déchus, et les vices de la société ne viennent que des vices de l'homme. Le christianisme est venu pour les sauver l'un par l'autre, en ordonnant que chacun fût prêt à se dévouer pour tous, et que la sollicitude de tous pourvût à la conservation de chacun : voilà la vraie loi sociale.

Du reste, les doctrines de l'attrait et de l'expansion légitimes ne sont pas nouvelles dans le monde. Un auteur nommé Félicien,

cité dans la Fleur des exemples, rapporte un fait qui s'est renouvelé depuis sous mille formés différentes dans les sectes d'anabaptistes, de chercheurs et d'illuminés dont la réforme a rempli le monde. Nous citons ici l'ancien texte de la Fleur des exemples:

« De nostre temps a regné vne secte d'heretiques, lesquels promettoient à leurs complices et sectateurs vne telle affluence du S. Esprit, que tout ce qui leur viendroit en fantaisie de faire, prouenoit de l'operation d'iceluy. Et pour prouuer et confirmer leur dire, ils se seruoient d'vn passage de monsieur S. Paul, prins du Prophete Ieremie: par où il dit, que la loy de l'Euangile est la grace mesme du S. Esprit : qui s'espand aux cœurs des Chrestiens. Voici les mots : Ie donneray ma loy escrite en leurs cœurs, et vn chacun n'enseignera point son prochain et son frère disant: Cognois le Seigneur, car tous me cognoistront depuis le plus petit iusques au plus grand. Voilà, dísent ils, que le S. Esprit enseigne et vient à esmouuoir les cœurs des Chrestiens sans aucune aide exterieure. Et confirmoient leur sotize, d'autant que lesus Christ sans rien escrire, a dit: L'esprit de verité, que ie vous enuoyeray de mon pere, vous enseignera toute verité. Donc, disent ils, la verité de Iesus Christ ne depend point des liures ni des escritures, mais du S. Esprit, qui est ès cœurs des fidelles. Certainement ie ne sçay si l'on pourroit trouuer secte plus meschante ni plus pestilentieuse, ni qui face plus d'ouuerture à libreme it perpetrer toute sorte de maux, que ceste-là, car elle croit tout ce qu'elle veut, et ce qu'elle ne veut point, ne le croit point. Elle fait tout ce qu'elle veut, soit bien soit mal, et ce qu'elle ne veut point, elle ne le fait point : des œuures d'impieté en fait la pieté, et pense que le vice soit vertu, etc. Or il est aduenu en quelque ville d'Italie, où ceste secte en auoit pipé et gaigné plusieurs, qu'vn certain personnage voulant violer la fille d'vn sien amy, vsa de telle ruse et finesse, disant audit sien amy: Le S. Esprit me dit, que ie dorme auec ta femme. L'amy croyant au S. Esprit, luy accorda sa demande et retourné qu'il fut au logis, commanda à sa femme d'aprester le souper, et accommoder vne chambre et vn lict, brief de faire tout ce qu'elle pouuoit pour vn amy lequel deuoit venir soupper chez eux. Le mary cependant se retira vers quelque sien amy. Or sur le soir vint cest amy impudic et méchant l'on soupa plaisamment, et puis demanda, que la fille,

« ZurückWeiter »