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Vive......, qu'il marche dans la paix et la force, conduit par la droite toute puissante sur le chemin sacré de sa grande destinée. » D'après l'auteur du Banquet, le monde matériel est un immense laboratoire employé à l'épuration et à la sublimation des esprits.

Chaque globe, dans ce travail, a sa destination propre, et la terre, le moindre de tous les globes, est le siége des opérations les plus grossières (1).

Toutes les créatures ont un esprit, les animaux et les végétaux aussi bien que l'homme (2); et si ce dernier est le roi de la création, ce n'est pas pour qu'il oublie, comme il le fait, les droits de ses sujets, mais pour qu'il les aide au contraire à monter plus haut (3).

Ne vantons point trop notre supériorité. La doctrine, la raison, la force terrestre, sont peu de chose en définitive, car « le plus élevé sur la terre peut, dans la seconde vie, n'être pas même un homme, et l'esprit d'un ours, ayant quitté les plaines polaires, peut arriver au comble de l'élévation dans la première capitale du monde (4). » Le christianisme avait soupçonné cette grande vérité, et la sympathie des chrétiens pour les animaux eu est une preuve très-remarquable. Toutefois, les races inférieures ne devaient être complétement réhabilitées que sous le règne de la nouvelle doctrine (5).

Comment l'esprit de chaque créature se perfectionne-t-il, et quelle est ici-bas son action? Le voici :

Le globe terrestre est entouré d'une multitude innombrable d'esprits libres, sans organisation, qui agissent invisiblement (6). On en distingue trois espèces : les esprits supérieurs, les esprits inférieurs et les esprits que j'appellerai mixtes, faute d'un terme plus précis (7).

Parmi les esprits supérieurs, les uns n'ont jamais pris de forme matérielle, tant est sublime leur nature! les autres ont revêtu pris des corps; mais, ayant accompli le pèlerinage terrestre selon les lois de l'amour, ils ne recommenceront point leur épreuve, et ils continueront de vivre à l'état d'esprits libres (8). Ceux-là sont les anges, les chérubins, et ceux-ci les saints, les bienheureux (9). Ils forment tous des colonnes lumineuses, et au sommet de la plus élevée se trouve Dieu.

Les esprits inférieurs sont les mauvais esprits, les légions infernales; Satan dirige leurs iénébreuses colonnes.

Quelle est leur origine? Sont-ils naturellement pervers? Faut-il voir en eux des êtres déchus? Seront-ils réhabilités? Questions

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MYSTIQUES

906 sans solution, ou dont la solution est obs-. cure et douteuse!

Les esprits mixtes comprennent ceux qui, n'ayant point accompli le pèlerinage selon les lois de l'amour, subissent une sorte de pénitence, et « se façonnent en attendant que la volonté supérieure les introduise de nouveau dans cette vie terrestre (1) . »

Ces trois ordres d'esprits libres s'unissent ou cherchent à s'unir aux esprits captifs revêtus d'une organisation matérielle, qui sont pour eux comme des instruments, des moyens d'action; d'un autre côté, les esprits captifs peuvent accepter ou refuser leur concours, attirer les colonnes lumineuses, ou se laisser dominer par les colonnes obscures. Dans le premier cas, ils méritent et se perfectionnent. Ils déméritent dans le second cas (2).

Mais laissons là les races inférieures, les animaux et les végétaux, et occupons-nous de l'homme exclusivement.

L'homme, esprit et corps, est le plus délicat des instruments mis sur la terre à la disposition des esprits libres. C'est le dernier point, la dernière gaîne par laquelle ils agissent.

L'homme possède la volonté, mais elle est une partie infiniment petite de ses actions. Il quand ils veulent s'emparer de son âme, et ne peut que repousser les esprits inférieurs attirer au contraire les esprits supérieurs par des aspirations brûlantes. Lorsque la direction est prise, que les colonnes lumineuses ou les colonnes obscures sont descendues, que l'homme a fait le vide du côté du bien ou du côté du mal, le sort en est jeté, il ne s'appartient plus. Les esprits occupent son intérieur, et le gouvernent selon leur

nature.

L'homme que les mauvais esprits possèdent est abandonné au pouvoir du mal. Il perd sa volonté, et cela, jusqu'à ce que Dieu qu'il sorte de son malheureux état, et qu'il la lui rende, car il est presque impossible attire spontanément la colonne lumineuse, puisqu'il n'a pu y réussir étant libre et la grace aidant (3).

rieurs et les esprits supérieurs se disputant Il y a donc lutte entre les esprits infétes, ils sont nos anges gardiens. Ils s'introle cœur de l'homme. Quant aux esprits mixduisent aussi dans nos âmes, s'efforcent de les bien diriger, et la fin de leur pénitence est à ce prix (4).

Les esprits supérieurs ont eux-mêmes un pour y allumer les flammes de l'amour. En grand intérêt à s'emparer de notre intérieur mission, tant qu'ils n'auront pas vaincu les effet, tant qu'ils n'auront pas rempli cette colonnes sombres, ils seront obligés de demeurer sur la terre et ne pourront jouir complétement du bonheur céleste (5).

(1) Le Banquet, p. 6.
(2) Le Banquet, passim.

(3) Le Banquet, p. 8.
(4) Id., passim.

(5) Le Banquet, p. 9 et 10.

29

Ainsi, la félicité des saints et des anges, et la délivrance des esprits mixtes sont entre pos mains, et en ouvrant notre cœur aux colonnes lumineuses, nous servons nonseulement la terre, mais même le ciel (1).

La force, la vertu, le devoir de l'homme, consistant à évoquer les colonnes d'esprits supérieurs, et « tout dépendant du mouvement de notre âme pour Dieu, considérons que sont toutes espèces de formes, que sont les confessions, les communions, sans ce mouvement? Ah! que dis-je? que sont ces formes qui nous étourdissent sur la voix de ce père aimant qui nous sollicite à ce mouvement attendu par lui, ces formes qui étouffent les inquiétudes de la conscience? c'est lorsque le mal tourne à son profit les moyens donnés par Dieu, lorsque, dans les temples, des fumées noires s'élèvent pour Satan, que le triomphe du mal est accompli. Mais, o vaines entreprises! elles ne sont rien, ces vertus froides, mortes; ces prières, ces formes, ces fondations sans nombre: il n'y a que d'écouter Dieu parlant par la voix de son vicaire: Mon fils, donne-moi ton cœur; qu'une seule émotion, qu'une illumination de l'âme qui peut nous amener une colonne d'esprits saints, d'où la grâce, la bénédiction, le ciel (2).

Existe-t-il un moyen sûr et infaillible de distinguer les esprits supérieurs des esprits inférieurs à leur entrée dans notre âme? Les anges de ténèbres ne se transforment-ils jamais en anges de lumière? Si l'homme, une fois encombré par les colonnes inférieures, perd sa volonté; s'il est tellement abandonné au pouvoir du mal qu'il lui soit presque impossible de s'y soustraire, tant que Dieu ne lui a pas rendu sa liberté; si, quand une colonne lumineuse ou ténébreuse s'est emparée de lui, il n'est plus qu'un instrument, une gaine, une enveloppe au service des esprits, le libre arbitre ne se trouve-t-il pas réduit à des proportions insignifiantes? On me dira probablement que l'homme peut d'abord choisir entre les bons et les mauvais esprits! C'est vrai, au début, mais ensuite, il est passif, et l'on ne saurait désormais lui imputer des actions auxquelles il devient moralement étranger. C'est l'esprit qui l'encombre, le dirige, le mène, qu'il faut récompenser ou punir.

Ces objections sont graves, et les prophètes n'y répondent pas.

La question de la vie future me paraît très-clairement résolue. Ceux qui auront accompli le pèlerinage terrestre selon les lois de l'amour, iront avec les séraphins et les bienheureux continuer leur vie à l'état d'esprits libres, en attendant l'ouverture définitive du ciel. Les autres, après avoir subi leur pénitence, rentreront, soit dans le corps d'un homme, soit dans celui d'un animal, soit dans celui d'une plante, suivant leurs inérites.

M. Mickiewicz a déclaré que l'honneur (1) Le Banquet, p. 9.

(2) Id., p. 13.

d'être aujourd'hui l'apôtre de la foi nouvelle ferait la consolation de toute sa vie d de toutes ses vies (1). L'homme peut donc conserver le souvenir de ses existences passées; mais une telle faveur n'est probablement accordée qu'aux prophètes.

Envisagé au point de vue historique, le système n'est pas moins curieux. Examinons en peu de mots ses principales applications.

Depuis la création du monde jusqu'à Jésus-Christ, les colonnes lumineuses furent dominées par les colonnes obscures. C'est cette période que Vintras et les précédents réformateurs montanistes désignent sous le nom de règne de justice, règne du Père.

Jésus-Christ, le premier après Dieu (2), dans la colonne des grands chérubins fit descendre les esprits supérieurs sur la terre. Il racheta le genre humain (3). « La sainte Vierge écrasa la tête du serpent, parce qu'elle fut l'instrument si important de la dispersion des ténèbres par les colonnes lumineuses (4). »

«Mais jamais encore jusqu'ici la colonne lumineuse ne posséda le sceptre de la terre; la lumière de Jésus-Christ combattant encore contre des ténèbres prédominantes n'est point arrivée jusqu'à ce point de force et de puissance. » D'ailleurs, on l'a falsifiée pour se l'accommoder. Elle a servi d'instrument à l'orgueil (3).

Cependant, après deux mille années lunaires célestes, Dieu a réclamé contre le gaspillage de sa grâce, et une nouvelle grâce et miséricorde doivent être répandues sur la terre.

« C'est à la moitié du XIXe siècle que tu as réservé, ô Seigneur! cet honneur, cette joie, ce phénomène inconnu au globe le pouvoir en la possession de la colonne lumineuse et la domination de la lumière, de la vérité et de l'amour (6). »

Les esprits supérieurs ne conserveront pas toujours, il est vrai, ce pouvoir dans sa plénitude; mais ils ne le perdront plus entièrement, et dorénavant«< il sera balancé entre l'esprit de lumière et l'esprit de ténè– bres. »

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Un Messie (Towianski) vient d'être envoyé pour prêcher le nouvel Evangile et diriger l'œuvre naissante. Il arrive du fond de la Lithuanie (1); il ne faut point contester sa mission, car il a guéri plusieurs malades, et au premier jour il ressuscitera des morts (2) !

Ce messie religieux sera secondé par un messie politique; et tandis que Vintras prédit la conversion et le triomphe de Louis XVII, Towianski et M. Mickiewicz proclament le retour de Napoléon parmi nous. L'esprit de ce héros, n'ayant point entièrement accompli le pèlerinage terrestre selon les lois de l amour,. achève sa pénitence, en attendant que Dieu le délivre et l'incarne de nouveau (3). Il fait partie des esprits mixtes dont l'épreuve n'est point finie. Il cherche à descendre dans nos cœurs, afin de les préparer, de les securir, et de mériter ainsi sa délivrance (4).

Ceux que la Providence a choisis Four commencer l'œuvre de la miséricorde et de la grâce doivent se disposer à l'apostolat d'une manière toute spéciale, s'enfermer dans le cloître de leur intérieur (5), se détacher de ce qui est humain, et travailler sans scruter les destins, sans demander la raison des volontés divines. Ils doivent activer la lumière de Jésus-Christ jusqu'à l'état de feu de l'étoile, l'attiser par des prières, des actes de contrition, d'humilité, d'amour à l'aide du travail intérieur de l'âme (6). Ils doivent surtout attirer en eux l'esprit de Napoléon et suivre ses inspirations, afin d'abréger la durée de sa peine et de håter son retour (7).

Tels sont les rêves de nos poëtes prétendus religieux, et nous enregistrons déjà comme des curiosités littéraires ces révélations qui devaient changer la face du monde, et qui sont si tristement renouvelées des Orientaux et des Grecs. Mais il faut bien permettre à Towianski de se croire Napoléon, quand Pierre Leroux se croit Pythagore. Dieu a rendu folle la sagesse des sages pour faire triompher la sainte folie de la croix au-dessus de toute sagesse.

C'est à saint François d'Assise, c'est à saint Jean de la Croix, c'est à sainte Thérèse qu'il faut demander le véritable esprit de la poésie mystique, c'est dans le Traité de l'amour de Dieu par saint François de Sales qu'il faut chercher les inspirations de cette éloquence qui vient du cœur ; c'est dans les livres de M. Olier qu'on apprendra

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l'énergie de la foi chrétienne et les stoïques beautés de la vie intérieure. M. Olier, curé de Saint-Sulpice et fondateur de la société des prêtres qui dirigent actuellement les principaux séminaires de France, est un grand mystique, et nous serions presque dire un grand génie encore inconnu, tant il y a de grandeur dans ses conceptions, de force dans son style, et même de poésie dans les révélations dont il fut favorisé. Plusieurs de ses ouvrages encore inédits qui nous ont été communiqués par le vénérable M. Garnier, l'avant-dernier supérieur de le congrégation des Sulpiciens, contiennent des choses de la plus grande beauté sur la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la personne de ceux qui le servent, et sur la lumière spéciale qui forme l'auréole des saints. Les relations de M. Olier avec la vénérable mère Agnès pourraient fournir le sujet d'une légende très-poétique et très-touchante. Voici comment il raconte lui-même ce mystère de charité :

« Un jour, étant dans la retraite, où je me disposais pour entreprendre le premier voyage de la mission d'Auvergne, je vis cette sainte âme venir à moi. Quoique je fusse effectivement assis, néanmoins j'étais à genoux en esprit. Elle portait en une main un crucifix, et un chapelet de l'autre. Son ange, parfaitement beau, portait la queue de son manteau d'une main, et un ouchoir de l'autre, pour recevoir les larmes dont elle était baignée; et, avec un visage pénitent et affligé, elle me dit: Je pleure pour toi. Ce qui me donna beaucoup au cœur, et me remplit d'une douce tristesse. J'ai même son crucifix, et j'ai reçu son mouchoir plein de saintes larmes. Son bon ange, que l'on croit être un séraphin, m'a été donné l'avant-veille du jour que j'appris sa mort. Etant à la campagne, voilà un ange qui fond sur moi comme un aigle ferait sur sa proie; et comme il m'embrassait, j'entendis ces paroles de mon ange: Honore bien l'ange qui est auprès de toi; c'est un des plus grands qui se soient donnés à créature sur terre. J'avais bien ressenti quelques caresses du bon ange de la paroisse, mais pour celui-ci je me souviens que, passant par les rues de Paris quelque temps après (c'était sur le pont Notre-Dame, où il vit les anges de tous les marchands), il me sembla que je voyais les hommages et les grands respects que tous les autres anges lui rendaient. Or le jour que j'appris cette mort, aussitôt, touché, je m'en allai devant le saint sacrement... j'entendis une voix dans mon cœur qui partait du tabernacle, qui me dit: Je t'ai faissé mon ange; paroles qui me fortifièrent tellement, qu'elles m'empêchèrent de pleurer et de m'ailliger davantage. »

Cet esprit d'expiation, ce sacrifice incessant des justes les uns pour les autres, et des justes pour les pécheurs, ces chastes embrassements de deux âmes saintes qui se rencontrent dans le tabernacle où repose le Dieu immolé, ces douceurs amères de la croix, ces échanges de larmes, cette vie

911

MYSTIQUES

cachée en Dieu, cette prolongation des dou-
leurs du Calvaire dans la personne des
saints, cette agonie d'une volonté qui meurt
pour s'immortaliser dans l'obéissance, voilà
le véritable génie du christianisme, voilà le
mysticisme des vrais gnostiques, c'est-à-
dire de ceux qui savent ce que c'est qu'aimer
Dieu. Arrière donc ces tendresses molles,
ces rêveries sensuelles, ces mélanges d'a-
mour profane qui déshonorent la poésie
prétendue religieuse de notre époque! re-
trempons l'art chrétien dans les sources
mêmes du christianisme. Le christianisme,
c'est la croix, et notre Parnasse doit être le
Calvaire. N'essayons pas de mêler la nuit
avec le jour. Ils sont inconciliables dès
que le jour paraît, la nuit s'en va. N'es-
sayons pas de concilier le panthéisme avec
la vérité catholique, et la matière avec l'es-
prit leur dualisme est éternel. Affirmer l'u-
nité de substance, c'est matérialiser l'esprit.
Dire que tout est Dieu, c'est affirmer que
Dieu n'est pas. Prétendrions-nous renvoyer
le Verbe éternel à l'école de Spinosa? Peut-on
concilier ensemble la négation et l'affirma-
tion sans les faire changer de nature? Que
nous veulent donc les mystiques de la ma-
tière, les faquirs de la fatalité et les brames
de l'attraction? Ils savent bien que du jour
où nous leur donnerions la main, nous ne
serions plus catholiques; et de leur doc-
trine à la nôtre, la destruction et l'absorp-
tion de l'une des deux est la seule concilia-
tion possible.

Résumons-nous. La chair et l'esprit, l'or-
gueil et la foi, le sensualisme et l'ascétisme,
se font dans le monde une guerre qui main-
tient l'équilibre moral dans la société des
hommes, et cette guerre durera autant que
le monde. Chacune des deux forces reven-
dique pour elle la divinité et la religion;
l'une nie ce que l'autre affirme, et récipro-
quement. Les anciens avaient pressenti ce
mystère, lorsqu'ils faisaient lutter Eros et An-
teros; parmi nous, c'est le Christ et l'Ante-
christ qui luttent l'un contre l'autre. L'An-
techrist, parodie le Christ; il a ses ministres,
ses mystères, ses hymnes, ses poëtes. Le
mysticisme de l'Antechrist n'est que l'éso-
térisme des joies de la chair, qui enseve-
lissent l'âme dans une désolation éternelle.
Le mysticisme est la poésie intime des âmes,
et c'est en lui qu'on trouve les sources de
l'inspiration littéraire. Il faut donc veiller
sur soi-même pour ne pas se laisser sur-
prendre à des rêves contagieux; il faut
craindre le venin des doctrines matérialistes
dont est infectée l'école moderne, et n'étu-
dier que les vrais maîtres, qui sont les écri-
vains sacrés, les Pères et les saints. Le mys-
ticisme des autres n'est que de la corrup-
tion dans les mœurs et de l'amphigouri dans
le style.

Ce n'est pas seulement dans les écrits des saints, c'est aussi dans leur vie, qu'il faut étudier ces secrets de la véritable vie intérieure, qui resteront toujours ignorés aux chrétiens intidèles, et seront pour la sagesse mondaine un éternel scandale. Sainte Elisa

beth passant sa vie avec des lépreux, chassée
comme une mendiante, et se soumettant
avec joie aux rudes traitements de maître
Conrad, ne sera jamais une héroïne de roman
profane. Mais demandez à M. de Monta-
lembert ce qu'on peut faire de sa légende?
Le monde ne comprendra jamais l'héroïsme
de tous ces grands cœurs, dont il n'était pas
digne, et qui se sont consumés pour lui sur
la croix : les stylites, les encuirassés, les
stigmatisés, les saint François d'Assise, les
saint Alexis, les saint Labre, toute cette su-
blime gueuserie, tous ces mendiants qui ne
se seraient pas baissés pour ramasser la
couronne du monde, et qui, semblables à
Moïse sur la pierre d'Horeb, soutenaient les
trônes chrétiens par leurs prières, et fai-
saient aux empires appauvris de vertus l'au-
mône de leurs saintes larmes! et tous les
pieux solitaires qui sauvaient le monde par
leur exil et se soumettaient à la servitude
volontaire pour conquérir aux hommes la
véritable et inaliénable liberté! Hermann
Contracto, ou le contrefait, ce Job chrétien
qui souffrait pour l'amour de Marie dont il
était le fiancé; Henri Suso, dont la charité
était si tendre et si cruelle, si tendre pour
Dieu et pour le prochain, si cruelle envers
lui-même, car il porta toute sa vie une croix
hérissée de clous qui lui mordaient la chair.
Nous ne pouvons nous refuser au plaisir de
citer dans leur vieux style quelques pages
détachées de cette vie admirable:

(Tire de la vie de Suso, c. 40.)

Entre plusieurs autres que le bon pere
Suso desiroit reduire à Dieu, vint à luy vne
femme fine et cauteleuse, portant vn cœur
de loup sous vne couuerture d'honneste con-
uersation, comme il sembloit: et se sçauoit
si bien desguiser, qu'en longue espace de
temps ledit Suso ne s'en pouuoit apperc. -
uoir. Auparauant elle estoit tombee en vn
forfait vilain et deshonneste auec quelque
homme: et non contente de ceste meschan-
ceté, elle la voulut augmenter et agrauer,
donnant l'enfant qui estoit venu à vn autre,
qui en estoit du tout innocent. Mais le bon
pere ne la voulant chasser arriere de soy
pour ce forfait, escouta ses confessions, et
luy fit beaucoup d'honnestetez et plaisirs :
mais quant cela eut long temps duré, tant
lui qu'autres personnages dignes de foy, co-
gneurent quelle estoit en secret adonnee
aux mesmes pechez qu'elle estoit aupara-
uant. Ce que neantmoins il tint secret, ne la
voulant manifester. Toutesfois il se retira
d'elle, et ne lui fit plus de plaisirs accoustu-
mez. Elle s'appercevant de cela, lui manda,
qu'il ne fist pas ainsi : car si elle estoit frus-
tree des commoditez et profits qu'elle rece-
uoit de luy, qui se repentoit, et lui baille-
roit l'enfant qu'elle auoit eu d'vn seculier,
duquel elle le diroit et affermeroit pere, et
que par cela elle lui feroit vn si grand des-
honneur, qu'il en seroit par tout diffamé. 11
fut espouuanté de ces paroles, et demeurant
quelque temps tout pensif, il se print à sous-
pirer du profond du cœur, et dit en soy

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mesme : les angoisses me tiennent de tous costez, et ne scai où me tourner. Car si ie fais cela, ie suis malheureux, et si ie ne le fais, encore suis ie malheureux; et par ainsi les angoisses m'enuironnent de toutes parts, en sorte qu'elles me peuuent accabler. Cependant il attendoit d'vn cœur paoureux ce que Dieu permettoit à ce diable contre lui. Or il print ce conseil en soy et en Dieu, que c'estoit le meilleur pour le salut de son corps et de son ame, de choisir entre deux maux, et se separer de ceste meschante femme, quelque chose qu'il aduint de son honneur : ce qu'il suiuit aussi. Ceste femme fut tant esmeuë de cela, que courant de costé et d'autre aux religieux et aux seculiers, volontiers de grande meschanceté qui la tenoit, elle se diffamoit elle mesme, seulement afin de faire de l'ennuy à ce pauure homme et affermoit à tout le monde, qu'elle auoit eu cest enfant de luy. Ceste chose offensa et scandalisa bien grandement tous ceux qui croyoient ce quelle disoit, et d'autant plus que le bruit de la sainteté d'iceluy s'estoit plus loin espandu. Cela lui transperçoit le cœur et l'ame, et ne faisoit plus que languir de misere et angoisse: il passoit les nuicts sans dormir, et les iours en tristesse et ennuy. Il leua donc ses yeux à Dieu auec un triste visage et profonds souspirs disant : 0 Seigneur, voicí ce temps miserable venu, voici mon heure, comment pourray-ie endurer les grandes afflictions et destresses de mon coeur? O que ne suis-ie mort, afin de ne voir et entendre ceste calamité ! O benin lesus, vous mesme sçauez comme tous les iours i'ai honoré vostre tressaint nom, et en tous endroits i'ai tasché de le faire aimer d'vn chacun et honorer? voulez vous donc aporter vn tel diffame et ignominie à mon nom? A bon droit ie me puis plaindre de cela. L'ordre de Saint-Dominique celebre et renommé receura tant de deshonneur et infamie de moy, que iamais ne cesseray de pleurer. O les angoisses de mon cœur. Les gens de bien, qui iusques à present m'ont honoré comme vn sainct homme, chose qui me pouuoit donner courage, maintenant ne me regarderont point autrement, que pour vn abuseur de peuple, ce qui blesse mon ame de cruelles playes. Quand le Lon pere eut quelque temps poursuiui de telle sorte ses complaintes et lamentations, que la vie et les forces lui defailloient, il y eut vne femme qui vint à lui, disant: Monsieur pourquoy vous tourmentez vous ainsi? Prenez bon courage, aisément ie vous aideray, si me voulez obeyr, et ferai en sorte, que ne perdrez vostre honneur et bonne renommee. Prenez donc bonne esperance et confort. Luy esleuant vn peu les yeux, dist: Par quel moyen ferez vous cela? Elle respondit: le prendray cest enfant entre mes bras, et l'emporteray sous mon manteau, et l'enterreray tout vif de nuict, ou le feray mourir, luy fichant une aiguille dedans le cerueau. Quant il sera mort, tout ce tumulte sera appaisé, et vostre honneur vous restera entier. Le bon pere grandement indigné respondit: O

femme la plus cruelle qui viue, feras-tu donc ainsi mourir ce pauure petit innocent? Que peut il mais, si så mere est meschante? L'enterreras-tu tout vif? là n'aduienne, ià n'aduienne, que ce meurtre soit iamais commis par mon consentement. Rien à la verité ne me sçauroit aduenir pire et plus domma.geable de cecy, que la perte de ma boune renommée mais si la valeur d'vn royaume entier estoit à ma disposition, bien volontiers auiourd'huy ie l'offrirois et resignerois à Dieu plustost, que l'endurer que ce sang innocent fust espandu. Mais elle dist: Vous n'auez pas engendré cest enfant dequoy vous souciez vous s'il meurt ainsi? Et quant et quant elle va tirer vn grand cousteau bien affilé disant : Laissez le moy emporter de deuant vous, ie luy auray tost coupé la gorge, ou bien ie luy mettrai ce cousteau dedans le cœur: quand il sera ainsi mort vous serez en paix. Il respondit: Tais toy, meschante femme. A qui que soit cest enfant, il est neantmoins formé à l'image de Dieu et racheté du precieux et sacré sang de Jesus Christ. Ie ne voudrois donc qu'on espandit si cruellement son sang. Mais ceste femme se mettant en colère, dist: S'il ne vous plaist qu'on le tuë, à tout le moins endurez qu'on le mette à l'eglise le matin, comme on fait les enfans exposez et abandonnez autrement faudra que faciez des frais excessifs et intolerables, pour l'entretenir. Suso dist: Certainement i'ay confiance en Dieu tout puissant, qui a eu soin de moy iusques à present, que facilement il fournira les choses necessaires tant à moy qu'à ce petit enfant. Va donc, et me l'apporte secrettement ici, afin que ie le voye. Quand donc il l'eut pris entre ses bras, ce petit enfant lui sousrit. A cause dequoy souspirant du profond du cœur, il dist: Quoy, tueray-ie ce beau petit enfant qui me rit? Ià n'aduienne : Certainement i'endureray volontiers tout ce qui m'aduiendra pour l'amour de luy. Puis tournant amiablement son visage à l'enfant, il dist: O pauure petit enfant, que tu es vn orphelin miserable! Car celuy qui t'a engendré ne te veut auoücr pour sien, ton infidele meie t'a voulu exposer et abandonner comme vn chien, duquel on ne tient aucunement compte. Mais par la permission de Dieu tu m'as esté donné, afin que ie sois ton pere, ce qu'aussi feray-ie bien volontiers, et ne te receuray point d'autre part que de Dieu. Tres-doux enfant, tu es dans mon sein, et combien que tu ne puisses parler, toutesfois tu me regardes doucement. Mais moy ie te regarde d'vn cœur nauré, d'vn œil pleurant, et te baise amiablement. l'arrouse ta face delicate de mes chaudes larmes. Mais quand ce tresbeau petit enfant sentit les larmes de Suso arrouser son visage, il se print pareillement à pleurer bien fort, et ainsi pleuroient tous deux. Or Suso voyant ce petit enfant pleurer, il le pressa amoureusement contre sa poitrine, disant: Ne pleure point mon trescher fils. Pourchasseray-ie ta mort parce que tu n'es engendré de moy, et qu'à cause de

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