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ment humaine la personne divine de NotreSeigneur.

Les paraboles peuvent être employées avec succès dans les instructions qu'on fait pour les enfants, et le P. Bonaventure Giraudeau en a composé un livre souvent réimprimé, et qui à fait beaucoup de bien. On pourrait utiliser de cette manière le goût passionné des enfants pour les histoires, et mettre en paraboles les principaux enseignements de la morale chrétienne. Le chanoine Schmidt l'a fait avec assez de succès dans plusieurs de ses contes, qui laissent pourtant encore beaucoup à désirer. (Voy. ALLEGORIE, EVANGILE, etc.)

PASCAL. Pascal, que Chateaubriand appelle un effrayant génie, a été un grand penseur, un écrivain du premier ordre, un chrétien sévère, mais malheureusement aussi un raisonneur excessif, qui est tombé dans le jansénisme, après avoir prouvé victorieusement la nécessité d'une autorité infaillible en matière de foi, le néant de la philosophie humaine et les incertitudes du jugement individuel.

Pascal avait conçu un beau livre qu'il ne fit pas, et en fit un autre dont les conceptions n'étaient pas de lui, mais d'un parti dont il s'était fait le séide. Le style admirable sans doute, mais trop admiré des Provinciales ne rachète pas la mauvaise action de ceux qui ont calomnié l'ordre le plus catholique de la chrétienté. De toutes les choses tristement vraies que Pascal a dites dans ses Pensées, aucune n'est si triste et si humiliante pour l'esprit humain que l'influence exercée sur le génie d'un pareil homme par la plus désagréable et la plus absurde de toutes les hérésies.

La vie littéraire de Pascal a donc été un avortement: comme si Dieu voulait donner cette leçon à la raison humaine, et nous en montrer le néant dans de grandes proportions. Le livre des pensées détachées qui nous reste de lui n'est qu'un amas de matériaux jetés sans ordre, et l'on a peine parfois à distinguer le paradoxe de l'esprit des jugements de la sagesse. Il semble, par exemple, qu'il nie parfois le principe de la propriété avec une singulière audace: « Ce chien est à moi, ceci est ma place au soleil, disaient ces pauvres enfants.» Voilà comment il explique l'origine de la propriété. Ailleurs, il dit :

« Sans doute que l'égalité des biens est juste. Mais, ne pouvant faire que l'homme soit forcé d'obéir à la justice, on l'a fait obéir à la force; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fassent ensemble, et que la paix fût, car elle est le souverain bien.

Summum jus, summa injuria.

«La pluralité est la meilleure voie, parce qu'elle est visible, et qu'elle a la force pour se faire obéir; cependant c'est l'avis des moins habiles.

« Si on avait pu, on aurait mis la force entre les mains de la justice; mais, comme la force

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ne se laisse pas manier comme on veut, parce que c'est une qualité palpable, au lieu que la justice est une qualité spirituelle dont on dispose comme on veut, on l'a mise entre les mains de la force, et ainsi on appelle justice ce qu'il est force d'observer. »

La famille et les sentiments naturels qu'elle produit en nous ne sont pas des principes inattaquables dans le doute universel où Pascal s'efforce de jeter d'abord l'esprit humain, pour lui montrer ensuite la révélation comme son unique planche de salut. On s'étonne de son audace lorsqu'on l'entend dire, par exemple:

« Qu'est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ! Dans les enfants, ceux qu'ils ont reçus de coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux.

« Une différente coutume donnera d'autres principes naturels. Cela se voit par expérience; et, s'il y en a d'ineffaçables à la coutume, il y en a aussi de la coutume inef façables à la nature. Cela dépend de la disposition.

« Les pères craign nt que l'amour des enfants ne s'efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature, qui détruit la première. Pourquoi la coutume n'est-elle pas naturelle ? J'ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu'une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. »>

Ainsi ce que nous attribuons à la nature, il n'est pas éloigné d'en faire la part des opinions qui se forment par la coutume et fait honneur de nos idées les plus certaines en apparence à la routine de l'esprit et à la paresse ou à l'impuissance du jugement. Nous continuons de citer:

« Cette maîtresse d'erreur, que l'on appelle fantaisie et opinion, est d'autant plus fourbe, qu'elle ne l'est pas toujours car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge; mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux.

« Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plait à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux et ses malheureux, ses sains et ses malades, ses riches et ses pauvres, ses fous et ses sages: et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction beaucoup plus pleine et entière que la raison. Les habiles, par imagination, se plaisant tout autrement en eux-mêmes que les prudents, ne se peuvent raisonnablement plaire; ils regardent les gens avec empire, ils disputent avec hardiesse et confiance; les autres avec crainte et défiance; et cette gaieté de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants: tant les sages imaginaires ont de faveur auprès de leurs juges de même nature. Elle ne peut

rendre sages les fous, mais elle les rend contents; à l'envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables, l'une les comble de gloire, l'autre les couvre de honte.

« Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux grands, sinon l'opinion? Combien toutes les richesses de la terre sont-elles insuffisantes sans son consentement?

« L'opinion dispose de tout. Elle fait la beauté, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrais de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connais que ce titre, qui vaut lui seul bien des livres : Della Opinione regina del mundo. »

Il y a dans ces pensées de Pascal un peu de cette âpreté misanthropique et de cette verve paradoxale qui ont fait plus tard la bonne fortune littéraire de Jean-Jacques Rousseau et qui ont préparé la chute de l'abbé de Lamennais. Il est faux que l'opinion seule fasse la justice et la beauté, et Jean-Jacques lui-même a réfuté victorieusement à ce sujet l'assertion de Montaigne et de Pascal. En aucun temps et nulle part la trahison par exemple n'a été honorée. Tous les hommes ont l'idée de la distinction du bien et du mal, et leurs erreurs même à ce sujet rendent hommage à la vérité. Pascal n'avait pas besoin d'exagérer les défaillances de la nature et de la raison pour prouver la nécessité où nous sommes de recourir à la révélation et à la foi; il aurait suffi de prouver que la révélation complète et sanctionne les bonnes tendances de la nature, et que la foi donne une base inébranlable et une direction certaine aux efforts de notre raison.

Les grands hommes ont souvent le malheur de raisonner fort mal, tout en raisonnant plus juste que les autres, parce qu'ils prennent la mesure des hommes sur euxmêmes et font les règles générales d'après les exceptions. Puis il y a dans leur logique quelque chose de trop rigoureux et d'excessif, parce que le génie n'est peutêtre que le pressentiment de l'absolu. Cela fait qu'ils se trompent admirablement, et prennent eux-mêmes leur sublime folie pour une grande et incontestable raison. Si Pascal avait eu cette pensée parmi les siennes il ne fût sans doute jamais devenu janséniste et aurait laissé à la littérature française un autre monument que les Provinciales.

Comme apologiste de la religion, Pascal est souvent trop philosophe, lui qui a écrit que se moquer de la philosophie, c'est philosopher. Il n'a recours à la foi que par suite du désespoir de sa raison, et ne se décide pour l'afirmation en faveur du christianisme que par manque d'une audace suffisante pour jouer l'éternité à pair ou non. Il est donc religieux parce qu'il a peur que la religion ne soit vraie. Voilà bien une âme de janséniste ! Ecoutons ses raison

nements:

DICTIONN. DE LITTÉRATURE CHRÉT

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«Que ceux qui combattent ia religion ap prennent au moins quelle elle est, avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais, puisqu'elle dit au contraire que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu, qu'il s'est caché à leur connaissance, et que c'est même le nom qu'il se donne dans les Ecritures, Deus absconditus; et enfin, si elle travaillo également à établir ces deux choses, que Dieu a mis des marques sensibles dans l'Eglise pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement; et qu'il les à couvertes néanmoins de telle sorte, qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur ; quel avantage peuventils tirer, lorsque, dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre; puisque cette obscurité où ils sont et qu'ils objectent à l'Eglise ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient sans toucher à l'autre, et confirme sa doctrine, bien loin de la ruiner ?

« Il faudrait, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait des efforts pour la chercher partout, et même dans ce que l'Eglise propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parlaient de la sorte, ils combattraient, à la vérité, une de ses prétentions. Mais j'espère montrer iei qu'il n'y a point de personne raisonnable qui puisse parler de la sorte, et j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils out employé quelques heures à la lecture de l'Ecriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je ne puis m'empêcher de leur dire ce que j'ai dit souvent, que cette négligence n'est pas supportable; il ne s'agit pas ici de l'intérêt léger de quelque personne étrangère, il s'agit de nous-mêmes et de notre tout.

« L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être notre dernier objet.

« Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite; et c'est pourquoi, parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs for

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ces à s'en instruire et ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser.

« Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupation. Mais, pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas en euxmêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêraes, ont néanmoins un fondement trèssolide, je les considère d'une manière toute différente. Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle; je prétends, au contraire, que l'amour-propre, que l'intérêt humain, que la plus simple lumière de la raison nous doit donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela que ce que voient les personnes les moins éclairées.

«Il ne faut pas avoir l'âme fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont que vanité; que nos maux sont infinis, et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, nous doit mettre dans peu d'années, et peut-être en peu de jours, dans un état éternel de bonheur, ou de malheur, ou d'anéantissement. Entre nous le ciel et l'enfer, ou le néant, il n'y a donc que la vie, qui est la chose du monde la plus fragile, et le ciel n'étant pas certainement pour ceux qui doutent si leur âme est immortelle, ils n'ont à attendre que l'enfer ou le néant.

« Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.

« C'est en vain qu'ils détournent leur pensée de cette éternité qui les attend, comme s'ils la pouvaient anéantir en n'y pensant point. Elle subsiste malgré eux, elle s'avance; et la mort, qui la doit ouv.ir, les mettra infailliblement dans peu de temps dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis ou malheureux.

« Voilà un doute d'une terrible conséquence, et c'est déjà assurément un trèsgrand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble et bien injuste et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état même qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualitier une si extravagante créature.

Où peut-on prendre ces sentiments? quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressource? quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables? quelle consolation de n'atten dre jamais de consolateur?

« Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comment raisonnent les hommes quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont, et sans en rechercher d'éclaircissement.

« Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme; et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur ellemême, ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts qui m'engloutissent comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour. Tout ce que je connais, c'est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore le plus, c'est cette mort même que je ne saurais éviter.

«Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais-je où je vais; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais, ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage.

« Voilà mon état plein de misère, de faiblesse, d'obscurité. Et de tout cela je conclus que je dois done passer tous les jours de ma vie sans songer à ce qui me doit arriver, et que je n'ai qu'à suivre mes inclinations sans réflexion et sans inquiétude, en faisant tout ce qu'il faut pour tomber dans le malheur éternel, au cas que ce qu'on en dit soit véritable. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher; et, en traitant avec mépris coux qui so travailleraient de ce. soin je veux aller sans prévoyance et sans crainte tenter un si'grand événement, et me laisser mollement conduire à la mot dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future.

« Rien n'est si important à l'homme que son état; rien ne lui est si redoutable que l'éternité. Et ainsi, qu'il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être et au péril d'une éternité dè misère, cela n'est pas

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nature. Ils sont tout autres à l'égard de tou tes les autres choses : ils craignent jusqu'aux plus petites, ils les prévoient, ils les sentent; et ce même homme qui passe les jours et les nuits dans la rage et le désespoir pour la perte d'une charge, ou pour quelque offense imaginaire à son honneur, est celui-là même qui sait qu'il va tout perdre par la mort, et qui demeure néanmoins sans inquiétude, sans trouble et sans émotion. Cette étrange insensibilité pour les choses les plus terribles dans un coeur si sensible aux plus légères est une chose monstrueuse; c'est un enchantement incompréhensible et un assoupissement surnaturel.

« Un homme, dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre, et cette heure suffisant, s'il sait qu'il est donné, pour le faire révoquer, il est contre la nature qu'il emploie cette heure-là, non à s'informer si cet arrêt est donné, mais à jouer et à se divertir. C'est l'état où se trouvent ces personnes, avec cette différence, que les maux dont ils sont menacés sont bien autres que la perte simple de la vie, et un supplice passager que ce prisonnier appréhenderait. Cependant ils courent sans souci dans le précipice, après avoir mis quelque chose devant leurs yeux pour s'empêcher de le voir, et ils se moquent de ceux qui les en avertissent.

<< Ainsi, non-seulement le zèle de ceux qu. cherchent Dieu prouve la véritable religion, mais aussi l'aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas et qui vivent dans cette horrible négligence. Il faut qu'il y ait un étrange renversement dans la nature de l'homme pour vivre dans cet état, et encore plus pour en faire vanité. Car, quand ils auraient une certitude entière qu'ils n'auraient rien à craindre après la mort que de tomber dans le néant, ne serait-ce pas un sujet de désespoir plutôt que de vanité? N'est-ce donc pas une folie incontestable, n'en étant pas assurés, de faire gloire d'être dans ce doute? Et néanmoins il est certain que l'homme est si dénaturé, qu'il y a daus son cœur une semence de joie en cela. Ce repos brutal, entre la crainte de l'enfer et du néant, semble si beau, que non-seulement ceux qui sont véritablement dans ce doute malheureux s'en glorifient, mais que ceux mêmes qui n'y sont pas croient qu'il leur est glorieux de feindre d'y être. Car l'expérience nous fait voir que la plupart de ceux qui s'en mêlent sont de ce dernier genre, que ce sont des gens qui se contrefont, et qui ne sont pas tels qu'ils veulent paraitre. Ce sont des personnes qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l'emporté. C'est ce qu'ils appellent avoir secoué le joug, et la plupart ne le fout que pour imiter les autres.

«Mais, s'ils ont encore tant soit peu de seus commun, il n'est pas difficile de leur faire entendre combien ils s'abusent en cherchant par là de l'estime. Ce n'est pas le moyen d'en acquérir, je dis même parmi les personnes du monde qui jugent sainement

PASCAL

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des choses, et qui savent que la scule voie d'y réussir c'est de paraitre honnête, fidèle, judicieux, et capable de servir utilement ses amis, parce que les hommes n'aiment naturellement que ce qui leur peut être utile. Or, quel avantage y a-t-il pour nous à ouïr dire à un homme qui a secoué le joug qu'il ne croit pas qu'il y ait un Dieu qui veille sur maftre de sa conduite, qu'il ne pense à en ses actions, qu'il se considère comme seul rendre compte qu'à soi-même? Pense-t-il nous avoir portés par là à avoir désormais bien de la confiance en lui, et à en attendre des consolations, des conseils et des secours dans tous les besoins de la vie? Pense-t-il doute si notre âme est autre chose qu'un peu nous avoir bien réjouis de nous dire qu'il de vent et de fumée, et encore de nous le dire d'un ton de voix fier et content? Est-ce pas une chose à dire, au contraire, trisdonc une chose à dire gaiement? et n'est-ce tement, comme la chose du monde la plus

triste?

raient que cela est si mal pris, si contraire « S'ils y pensaient sérieusement, ils veréloigné en toute manière de ce bon air qu'ils au bon sens, si opposé à l'honnêteté, et si cherchent, que rien n'est plus capable de leur attirer le mépris et l'aversion des hommes, et de les faire passer pour des personsi on leur fait rendre compte de leurs senti nes sans esprit et sans jugement. Et en effet, la religion, ils diront des choses si faibles et ments et des raisons qu'ils ont de douter de si basses, qu'ils persuaderont plutôt du contraire. C'était ce que leur disait un jour fort à propos une personne. Si vous continuez à discourir de la sorte, leur disait-elle, en vérité, qui n'aurait horreur de se voir dans des senvous me convertirez. Et elle avait raison; car timents où l'on à pour compagnons des sonnes si méprisables? per

<< Ainsi, ceux qui ne font que feindre ces sentiments sont bien malheureux de contraindre leur naturel pour se rendre les plus impertinents des hommes. S'ils soft fâchés, dans le fond de leur cœur, de n'avoir pas plus de lumières, qu'ils ne le dissimulent point, cette déclaration ne sera teuse. Il n'y a de honte qu'à n'en point honpas avoir rien ne découvre davantage une étrange faiblesse d'esprit que de ne pas connaitre quel est le malheur d'un homme sans Dieu. Rien ne marque davantage une extrême bassesse de cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles. Rien n'est plus lâche que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils laissent donc ces impiétés à ceux qui sont assez mal nés pour en être véritablement capables; qu'ils soient du moins honuêtes gens (1), s'ils ne peuvent

(1) Il s'agit ici de savoir si l'opinion de l'immortalité de l'âme est vraie, et non pas si elle annonce plus d'esprit, une ame plus élevée que l'opinion contraire; si elle est plus gaie, ou de meilleur air. Il faut croire cette grande vérité, parce qu'elle est prouvée, et non parce que cette croyance excitera les autres hommes à avoir en nous plus de confiance. Cette manière de raisonner ne serait propre qu'à faire des

être encore chrétiens; et qu'ils reconnaissent enfin qu'il n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler raisonnables ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur, parce qu'ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur cœur, parce qu'ils ne le connaissent pas encore.

« C'est donc pour les personnes qui cherchent Dieu sincèrement, et qui, recounaissant leur misère, désirent véritablement d'en sortir, qu'il est juste de travailler, afin de leur aider à trouver la lumière qu'ils n'ont

pas.

«Mais, pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher, ils se jugent euxmêmes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des autres; et il faut avoir toute la charité de la religion qu'ils mé prisent pour ne les point mépriser jusqu'à les abandonner dans leur folie. Mais, parce que cette religion nous oblige de les regarder toujours, tant qu'ils seront en cette vie, comme capables de la grâce qui peut les éclairer, et de croire qu'ils peuvent êt: e dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes, et que nous pouvons, au contraire, tomber dans l'aveuglement où ils sont; il faut faire pour eux ce que nous voudrions qu'on fit pour nous si nous étions en leur place, et les appeler à avoir pitié d'eux-mêmes, et à faire au moins quelques pas pour tenter s'ils ne trouveront point de lumière. Qu'ils donnent à la lecture de cet ouvrage quelques-unes de ces heures qu'ils emploient si inutilement ailleurs, peut-être y rencontreront-ils quelque chose, ou du moins ils n'y perdront pas beaucoup. Mais, pour ceux qui y apporteront une sincérité parfaite et un véritable désir de connaitre la vérité, j'espère qu'ils y auront satisfaction, et qu'ils seront convaincus des preuves d'une religion si divine que l'on y a ramassées.

« C'est une chose horrible de sentir continuellement s'écouler tout ce qu'on possède, et qu'on s'y puisse attacher sans avoir envie de chercher s'il n'y a point quelque chose de permanent.

« Nous connaissons qu'il y a un infini et ignorons sa nature, comme par exemple nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis. Donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre; mais nous ne savons ce qu'il

hypocrites. D'ailleurs, il me semble que c'est moins d'après les opinions d'un homme, sur la métaphysique ou la morale, qu'il faut s confier en lui où s'en défier, que d'après son caractère, et, s'il est permis de s'exprimer ainsi, d'après sa constitution morale. L'expérience parait confirmer ce que j'avance ici. Ni Constantin, ni Théodose, ni Mahomet, ni Innocent Hi, ni Marie d'Angleterre, ni Philippe II, ni Aurengzeb, ni Jacques Clément, ni Ravaillac, ni Baltazar Gérard, ni les brigands qui dévastèrent l'Amérique, n'ont jamais élevé le moindre doute sur l'immortalité de l'ame. En général mème, ce sont les hommes faibles, ignorants et passionnés, qui commettent des crimes; et ces mêmes hommes sont naturellement portés à la superstition.

est. Il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair; car en ajoutant l'unité il ne change point de nature. Ainsi on peut bien connaitre qu'il y a un Dieu sans savoir ce qu'il est et vous ne devez pas conclure qu'il n'y a point de Dieu, de ce que nous ne connaissons pas parfaitement sa nature.

« Je ne me servirai pas, pour vous convaincre de son existence, de la foi par laquelle nous le connaissons certainement, ni de toutes les autres preuves que nous en avons, puisque vous ne les voulez pas recevoir. Je ne veux agir avec vous que par vos principes mêmes; et je prétends vous faire voir par la manière dont vous raisonnez tous les jours sur les choses de la moindre conséquence, de quelle sorte vous devez raisoiner en celle-ci, et quel parti vous devez prendre dans la décision de cette importante question de l'existence de Dieu. Vous dites donc que nous sommes incapables de connaître s'il y a un Dieu; cependant il est certain que Dieu est, ou qu'il n'est pas : il n'y a point de milieu. Mais de quel côté pencherons-nous? la raison, dites-vous, n'y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu à cette distance infinie où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous? Par raison vous ne pouvez assurer ni l'un ni l'autre; par raison vous ne pouvez nier aucun des deux.

« Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont fait un choix; car vous ne savez pas s'ils ont tort et s'ils ont mal choisi. Non, direz-vous; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; et celui qui prend croix et celui qui prend pile ont tous deux tort le juste est de ne point parier.

« Oui, mais il faut parier; cela n'est pas volontaire; vous êtes embarqué, et ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est point. Lequel prendrez-vous done? Pesons le gain et la perte en prenant le parti de croire que Dieu est. Si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Pariez donc qu'il est sans hésiter. Oui, il faut gager; mais je gage peut-être trop. Voyons: puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, quand vous n'auriez que deux vies à gagner pour une, vous pourrez encore gager; et, s'il y en avait dix à gagner, vous seriez imprudent de ne pas hasarder votre vie pour en gagner dix à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y ici une infinité de vies infiniment heureuses à gagner avec pareil hasard de perte et de gain; et ce que vous jouez est si peu de chose et de si peu de durée, qu'il y a de la folie à le mé..ager en cette occasion.

incertain si on gagnera, et qu'il est certain << Car il ne sert de rien de dire qu'il est qu'on hasarde; et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on expose et l'incertitude de ce qu'on gagnera, égale le bien fini qu'on expose certainement, à l'infini qui est incertain. Cela n'est pas ainsi; tout joueur hasarde avec certitude pour gagner

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