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ble soumission à la volonté de Dieu. Mais lorsqu'on nous commande des choses difficiles et auxquelles nous avons de la répugnance, et que cependant nous ne laissons pas de les embrasser avec chaleur, il n'y a plus à douter du motif qui nous fait agir, parce qu'alors nous sommes bien assurés que ce n'est point nous-mêmes que nous cherchons et notre propre satisfaction, mais que c'est Dieu seul et l'accomplissement de sa volonté sur nous. »

n'est pas encore assez, ajoute-t-il, il faut aller plus loin, et conformer aussi notre jugement à celui de notre supérieur, en sorte que nous soyons toujours du même sentiment que lui, et que nous croyions que tout ce qu'il commande est bien; et c'est en quoi consiste le troisième degré de l'obéissance. Quand nos actions, notre volonté et notre jugement seront tout à fait conformes à ce qu'on nous aura prescrit, alors notre obéissance sera parfaite et entière; mais s'il y manque quelqu'une de ces conditions, elle ne saurait l'être.

Pour commencer maintenant par le premier degré, je dis qu'il faut une grande diligence et une grande ponctualité dans l'exécution des choses que l'obéissance prescrit. Saint Basile demande de quelle sorte il faut s'y porter, et il répond qu'il faut s'y porter de la même manière qu'un homme extrêmement affamé se porte à rassasier sa faim, ou qu'un homme qui aime extrêmement sa vie se porte aux choses qui peuvent la conserver. Encore devrait-on, ajoute-t-il, s'y porter avec un empressement et avec une ardeur tout autres, puisque la vie éternelle qu'on mérite par l'obéissance est infiniment plus noble et plus excellente que la temporelle, qu'on peut se conserver par ses soins. « Celui qui est véritablement obéissant, dit saint Bernard, ne sait pas ce que c'est que de différer et de remettre au lendemain; il est ennemi de la lenteur, il va au devant des commandements qu'on veut lui faire, et il a plus tôt obéi qu'on ne lui a commandé; il est toujours prêt à entendre, à voir, à dire et à faire tout ce qu'on veut, et à aller partout où l'on vent; enfin il se tient toujours en état de recevoir et d'exécuter tous les commandements qu'on veut lui faire. >>

Le second degró de l'obéissance est de conformer entièrement sa volonté à celle de ses supérieurs, en sorte qu'on n'en ait point d'autre que la leur. L'obéissance, dit saint Jean Climaque, est le tombeau où notre propre volonté est ensevelie, et d'où l'humilité ressuscite. En effet, du moment que nous voulons pratiquer la perfection, nous devons faire état que nous mettons notre volonté dans le tombeau, et que dès lors nous ne devons point en suivre d'autre que celle de nos supérieurs. Saint Ignace ajoute qu'il faut que nous soyons toujours disposés à l'exécuter, quelque difficiles que puissent être les choses qu'ils nous commandent, et quel que répugnance naturelle que nous puissions y avoir. « C'est même particulièrement en celles-là, dit-il, qu'il faut témoigner davantage notre promptitude à obéir, parce que c'est en celles-là principalement, comme remarquent les saints, que la véritable obéissance se fait mieux voir. Lorsqu'on nous commande des choses qui nous plaisent et qui sont conformes à notre inclination, ou ne peut pas bien connaître avec quel esprit nous obéissons, parce que nous sommes peut-être plus portés par le mouvement de notre propre inclination que par une vérita

Le troisième degré d'obéissance consiste à conformer notre entendement à celui de notre supérieur, en sorte que nous n'ayons qu'un même sentiment que lui, non plus qu'une même volonté; que nous estimions que tout ce qu'il commande est raisonnable, et que, soumettant tout à fait notre jugement au sien, nous fassions du sien la règle du nôtre. Pour comprendre la nécessité de ce troisième degré, il suffit de ce que nous avons dit d'abora, que sans cela l'obéissance ne saurait être parfaite et entière; et celle doctrine est conforme à celle des saints, qui disent que l'obéissance est un holocauste très-parfait, dans lequel l'homme, par le moyen des ministres de Dieu, s'offre tout entier à Dieu dans le feu de la charité. Il y avait dans l'ancienne Loi cette différence entre l'holocauste et les autres sacrifices, que dans les sacrifices on brûlait une partie de la victime en l'honneur de Dieu, et l'on en gardait une autre partie pour les prêtres et pour les ministres du temple; mais dans l'holocauste, on brûlait la victime tout eutière, sans en réserver aucune chose. Or, si en obéissant vous ne soumettez votre jugement aussi bien que votre volonté, voire obéissance n'est point un holocauste; et elle n'est point parfaite, puisque vous manquez à offrir à Dieu la principale partie de vousentendement. C'est pourquoi saint Ignace même et la plus noble, qui est votre propre disait que ceux qui, soumettant leur volonté aux ordres de leur supérieur, n'y soumettent point leur jugement, n'ont encore qu'un pied dans la religion.

Saint Bernard, dans le premier sermon de la Conversion de saint Paul, explique au long qu'elle doit être l'obéissance d'entendement; et, pour cet effet, venant à parcourir les différentes circonstances de son sujet, il les applique aux différentes qualités qu'elle doit avoir. Lorsque saint Paul, frappé de la lumière du ciel, et saisi de crainte, se fut écrié. Seigneur, que voulez-vous que je fasse? le Seigneur fui répondit: Allez dans la ville, et là on vous dira ce qu'il faut que vous fassiez. a Voilà, dit à ce sujet saint Bernard, pourquoi vous êtes entré en religion, afin d'y apprendre ce qu'il faut que Vous fassiez c'est pour cela que Dieu, par un ordre admirable de sa Providence, vous a frappé de la crainte de ses jugements, et que, vous donnant un désir ardent de le servir, il vous a donné le dessein d'entrer dans cette ville sainte et dans cette école de vertu et de piété. C'est là que vous apprendrez ce

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dre. Quelle déférence ne faudrait-il donc
point que des religieux eussent pour leur
supérieur, qui est sans doute bien au-dessus
de Pythagore, puisqu'il tient la place de Jé-
sus-Christ même? Ne faudrait-il pas que, dès
qu'il est question d'obéissance, cela leur
suffit pour les obliger à soumettre aussitôt
leur jugement, et à croire que ce qu'on leur
commande est toujours ce qui est le plus
convenable.

D'ASCETISME qu'il veut de vous, et ce qu'il faut que vous fassiez pour lui plaire. L'Ecriture ajoute, continue ce Père, que lorsque saint Paul que entra dans la ville, il ne voyait rien, quoiqu'il eût les yeux ouverts, et que ceux qui étaient avec lui le menaient par la main. Et c'est là, mes frères, ajoute-t-il, la figure d'une parfaite conversion; c'est là le modèle de parfaite obéissance qu'un religieux doit avoir; c'est là précisément en quoi elle consiste de ne voir rien quoiqu'on ait les yeux ouverts, et de ne juger de rien par soimême, mais de se laisser' conduire par ses supérieurs, et de se remettre absolument entre leurs mains. Prenez garde que, malheureusement pour vous, vous ne veniez à voir clair comme Adam et Eve, de qui l'Ecriture dit qu'après leur péché leurs yeux furent ouverts, en sorte qu'ils connurent qu'ils étaient nus, et qu'i's eurent honte d'eux-mêmes. Mais comment! dira-t-on, ce qu'avant leur péché, ils n'étaient pas nus et qu'ils ne voyaient pas clair? Oui, sans doute, mais ils ne prenaient pas garde alors à leur nudité, parce qu'ils vivaient dans la pureté et la simplicité de la justice originelle. Or, cette pureté et celte simplicité qu'ils perdirent par leur désobéissance, nous devons essayer, nous autres, de l'imiter et de la conserver par notre soumission, en sorte que nous n'ayons jamais les yeux ouverts pour voir les fautes d'autrui, non pas même les plus apparentes, et que nous les fermions surtout lorsqu'il s'agit de choses qui regardent l'obéissance. »>

est

Saint Jean Climaque, parlant de l'extrême retenue qu'il faut avoir là-dessus, dit que dans les pensées et dans les sentiments qui nous viennent contre l'obéissance, il faut nous comporter comme dans les pensées qui nous viennent contre la pureté ou contre la foi; c'est-à-dire, ne nous y arrêter en aucune sorte, mais prendre de là occasion de nous abaisser et de nous humilier davantage. Saint Jérôme, écrivant à un religieux, et Ïui donnant des règies pour sa conduite dans la religion, lui recommande particulièrement cette soumission d'esprit. Ne vous mêlez point, lui dit-il, de juger les ordres de vos supérieurs, et d'examiner s'ils ont raison ou non dans les commandements qu'ils vous font; c'est à vous d'obéir et d'exécuter ce qu'ils vous commandent, suivant ces paroles de Moïse: Ecoutez, Israël, et faites silence. Saint Basile propose aux religieux pour modèle de leur obéissance, celle d'un apprenti qui se met sous un maître pour apprendre quelque métier. Il a, dit-il, les yeux continuellement attachés sur son maître, il lui obéit en tout sans le contredire en rien, sans interposer son jugement en quoique ce soit, et sans lui demander raison de ce qu'il lui commande; et, de cette sorte, il se rend habile avec le temps. La soumission des disciples de Pythagore était si grande à cet égard que sa seule autorité leur tenait lieu de raison; et ils y déféraient de telle sorte que dès qu'on leur disait: Lui-même l'a dit, il ne leur en fallait pas davantage pour se ren

Saint Ignace dit que, comme il y a dans l'Eglise deux sortes de voies pour le salut, l'une qui regarde tous les chrétiens en général, qui est celle de l'observation des commandements; et l'autre qui regarde particulièrement les religieux, qui est celle de la pratique des conseils ajoutés aux commandements, aussi il y a dans la religion même deux sortes d'obéissances: l'une générale, commune et imparfaite; l'autre très-parfaite qui fait voir la force et la vertu de l'obéissance, et qui montre jusqu'où peut aller la perfection du véritable religieux. L'obéissance imparfaite, dit-il, a deux yeux, mais pour son malheur; l'obéissance parfaite est aveugle, mais c'est dans son aveuglement que sa sagesse et sa perfection consistent. L'une raisonne sur tout, et l'autre obéit sans raisonner; l'une a toujours plus d'inclination pour une chose que pour une autre, et n'est jamais indifférepte sur rien; l'autre se tient comme la languette de la balance sans pencher de côté ni d'autre, et est toujours également disposée à toutes les différentes choses que l'on peut lui commander, La première obéit véritablement au dehors, en exécutant ce qu'on lui commande: mais elle désobéit intérieurement par la résistance de son esprit; ainsi elle ne mérite pas le nom d'obéissance. La seconde ne se contente pas de faire ce qu'on lui prescrit, elle soumet encore sonjugement et sa volonté à la volonté et au jugement du supérieur, supposant toujours qu'il a raison de commander ce qu'il commande; et elle ne cherche point de raison pour obéir, ni ne se laisse point conduire à celles qui lui viennentà l'esprit; mais elle obéit par la seule considération du commandemeni qu'on lui fait, et parce que c'est obéir aveuglément que d'obéir de la sorte. Voilà quelle est l'obéissance aveugle que les saints et les maîtres de la vie spirituelle nous recommandent si instamment et dont ils nous ont donné eux-mêmes de si grands exemples. Au reste, lorsqu'on l'appalle aveugle, ce n'est pas qu'on prétende qu'elle doive ètre soumise indistinctement à toutes les choses qu'on peut fui commander, quand même elles seraient criminelles; car ce serait une dangereuse erreur, et saint Ignace nous le marque expressément; mais c'est parce que dans toutes celles où nous ne voyons point de péché, nous devons obéir simplement sans raisonner, supposant toujours que ce que l'on nous commande est conforme à la volonté de Dieu, et ne cherchant point d'autre raison d'obéir que celle de l'obéissance même et du commandement qu'on nous fait. Aussi Cassien appelle-t-il cette sorte d'obéissance, une obéissance sans

pour jamais du paradis de délices; et comme cet artifice réussit si bien alors au demou contre nos premiers pères, il s'en est toujours servi depuis contre nous. C'est pourquoi l'Apôtre, qui connaissait ses ruses, nous avertit de nous en donner de garde. Je crains, dit-il, que comme le serpent séduisit Eve par son artifice, vos esprits ne soient aussi corrompus, et ne viennent à décheoir de la simplicité de Jésus-Christ. Gardezvous des ruses de l'ancien serpent; attachezvous à ce que l'on vous commande, en l'exéculant ponctuellement, sans en examiner les raisons et motifs; et de cette sorte l'obéissance sera pour vous une règle sûre et infaillible de tout ce que vous aurez à faire. Il est surtout d'une très-grande importance dans les commencements, dit saint Bernard, de s'accoutumer à obéir aveuglément et sans raisonner: car il est moralement impossible qu'un nouveau religieux demeure longtemps dans une cellule, et persévère dans sa profession, quand il se conduit par les règles de la prudence et de la sagesse ordinaire et qu'il veut savoir la raison de chaque chose. Que faut-il donc qu'il fasse et quelle doit être sa conduite? Il faut qu'il renonce à la sagesse pour devenir sage, que tout son discernement soit de n'avoir nul discernement dans les choses de l'obéissance, et que toute sa sagesse soit de n'avoir en cela aucune sagesse. Car c'est au supérieur à bien considérer les choses et à les examiner avec soin avant que de les commander, mais c'est ensuite aux inférieurs à exécuter avec humilité, avec simplicité et avec confiance tout ce qu'il commande; enfin, c'est à lui à raisonner, mais c'est aux autres à obéir.

discussion et sans examen, parce qu'en effet il ne faut qu'obéir simplement à ce qu'on nous commande, sans nous ingérer d'en rechercher et d'en examiner les raisons. Saint Jean Climaque dit de même que l'obéissance est un mouvement de la volonté sans aucune discussion et sans aucun examen, une mort volontaire, une vie exempte de toutes sortes de curiosités, et un dépouillement entier de son propre discernement. Et saint Basile, sur ces paroles de Jésus-Christ adressées à saint Pierre et à tous les supérieurs ecclésiastiques en sa personne: Paissez, mes brebis, dit que de même que les brebis se laissent conduire par leur pasteur et le suivent partout où il veut les mener, de même un religieux doit se laisser conduire par son supérieur, et s'attacher simplement à obéir, sans raisonner sur ce qu'on lui commande. Saint Bernard, parlant de cette sorte d'obéissance, dit que la parfaite obéissance, surtout dans ceux qui commencent encore, doit être sans discernement, c'est-à-dire, ajoute-t-il, qu'il ne faut pas examiner ce qu'on vous commande, ni pourquoi on vous le commande, mais vous attacher seulement à exécuter avec fidélité et avec soumission ce qu'on vous commande. « La vraie obéissance, dit saint Grégoire, n'examine point les commandements des supérieurs, ni l'intention qu'ils ont eue en les faisant; parce que celui qui a une fois abandonné toute la conduite de sa vie entre les mains d'un supérieur, n'a point de plus grande joie que de faire ce qu'on lui commande. » On ne sait ce que c'est que d'interposer son jugement, quand on sait parfaitement obéir, parce qu'alors on ne connaît point d'autre bien que celui de l'obéissance. Il en coûta cher à nos premiers pères d'avoir voulu raisonner sur la défense que Dieu leur avait faite: ce fut le commencement de leur perte et de la nôtre, et ce fut par là que le démon les fit tomber dans le précipice. Pourquoi, leur dit-il, Dieu ne vous a-t-il pas permis de manger de tous les fruits du jardin ? C'est, répond Eve, de peur que peut-être nous ne mourrions. Dieu leur avait dit formellement, en parlant de l'arbre de la science du bien et du mal: Au même jour que vous en mangerez, vous mourrez; cependant Eve commence par douter de l'effet de cette menace; elle s'imagine que Dieu ne l'a peutêtre faite que pour les intimider, et voilà une grande disposition pour se laisser tromper. Aussi le démon ne manque-t-il pas d'en profiter. Vous ne mourrez nullement, leur dit-il, mais vous serez comme des dieux sachant le bien et le mal. Il veut leur persuader par là que Dieu ne leur a défendu d'en manger que de peur qu'ils devinssent aussi savants que lui; et Eve se laissant emporter à l'envie de s'élever au-dessus de sa condition, crut aux paroles du serpent, mangea du fruit défendu et en fit manger à Adam. Ainsi le raisonnement d'Adam et Eve les ayant portés à désobéir, les fit mourir au même moment de la mort de l'âme, les assujettit à celle du corps, et les chassa

Saint Ignace, suivant les traces des saints et leur doctrine, et voulant nous instruire des devoirs de l'obéissance par des choses sensibles, se sert de deux comparaisons très-propres et très-utiles pour cet effet. Que tous ceux, dit-il, qui vivent dans l'obéissance, soient persuadés qu'ils doivent se laisser conduire par la divine providence, par le moyen d'un supérieur, de même qu'un corps mort qui se laisse manier comme l'on veut et que l'on emporte où l'on veut. Cette comparaison est aussi de saint François, qui la proposait souvent à ses religieux, avec ces paroles de l'Apôtre Vous éles morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. En effet, un véritable religieux doit être tellement mort au monde, que même l'entrée dans la religion s'appelle une mort civile. Soyons donc comme si nous étions tout à fait morts. Un corps mort ne voit point, ne répond point, ne se plaint point et n'a aucun sentiment. N'ayons point d'yeux pour observer curieusement les actions de notre supérieur; n'ayons point de parole pour répliquer à celle que l'obéissance nous prescrit; ne faisons jamais de plaintes, et quand on nous commande quelque chose qui n'est pas à notre gré, soyons comme si nous n'avions aucun sentiment. On choisit d'ordinaire pour ensevelir un mort, le linceul le plus vieux, le plus usé.

Un religieux doit souhaiter d'être traité de même, pour son vêtement et pour toutes choses, d'ètre toujours habillé des habits les plus grossiers et les plus mauvais: et d'avoir toujours en partage pour son logement et pour sa nourriture, tout ce qu'il y a de pire dans la maison. Que s'il n'est pas dans cette disposition de volonté, et qu'au contraire il soit fâché quand on le traite de cette sorte, il n'est pas véritablement mort au monde, comme un religieux doit l'être, il n'a nullement l'esprit de mortification.

Saint Ignace dit encore, et c'est là l'autre comparaison dont il se sert, qu'il faut que nous nous laissions conduire à la divine Providence par le moyen de nos supérieurs, de même qu'un bâton dont on se sert pour marcher. Un bâton suit partout celui qui le porte, il demeure où on le met et il n'a aucun autre mouvement que celui que lui communique la main qui le tient. Il faut qu'un religieux soit de même, il faut qu'il se laisse entièrement conduire par son supérieur, qu'il n'ait aucun mouvement de lui-même et qu'il suive toujours ceux de son supérieur; et soit qu'on le mette dans un lieu, soit qu'on le mette dans un autre, qu'on lui donne un emploi élevé ou qu'on l'occupe à quelque chose de bas, il faut qu'il demeure sans répugnance dans le lieu ou dans l'emploi où on l'a placé. Si le bâton qui vous sert d'appui en marchant venait à vous faire quelque résistance, en sorte que lorsque vous voudriez le poser en un endroit il se portât de lui-même vers un autre, il vous incommoderait au lieu de vous servir, et vous ne manqueriez pas de le quitter. Ainsi lorsque vous résistez à la main du supérieur qui vous gouverne, lorsque vous téinoignez de la répugnance pour les lieux, pour les emplois ou pour les fonctions où il veut vous placer, et que dans vos actions, dans votre volonté, dans votre jugement, il y a de l'opposition aux mouvements qu'il veut imprimer en vous, il est constant que vous vous rendez incommode au lieu d'être utile. De sorte que si vous persistez dans cet esprit d'indocilité, vous deviendrez bientôt à charge à tous les supérieurs avec qui vous aurez à vivre, et vous ferez que personne ne pouvant s'accommoder de vous, ni vous mettre à aucun usage, chacun ne songera qu'à se défaire de vous, et qu'ainsi on vous ballottera continuellement d'une maison à une autre. On porte un bàton, et il ne fait point de peine à la main, parce qu'on en fait ce qu'on veut; il faut de même qu'un religieux ne fasse point de peine au supérieur entre les mains duquel on l'a mis; mais qu'au contraire, il tache de se rendre agréable par son obéissance et de lui donner lieu de dire avec le centurion: J'ai des soldats sous moi et je dis à celui-ci : allez, et il va; et à l'autre venez, et il vient; et je dis à mon serviteur: faites ceci, et il le fait.

Saint Basile traitant le même sujet, se sert d'une autre comparaison très-propre. Po mâmo, dit-il. que celui qui travaille

a un bâtiment, se sert comme il veut des instruments de son art, et qu'il n'y a jamais eu d'instruments qui n'aient aisément obéi à la main de l'artisan et n'en aient suivi tous les mouvements, de même un religieux doit être un instrument utile, dont le supérieur peut se servir à son gré pour l'édilice spirituel; et il ne doit jamais faire de résistance à ce qu'on veut faire de lui. De plus, comme l'instrument ne choisit pas l'usage auquel on veut l'employer, ainsi un religieux ne doit point avoir de choix pour aucun emploi, mais il doit en laisser tout le soin au supérieur et s'en rapporter entièrement à lui. Enfin, continue ce Père, comme l'instrument n'agit point en l'absence de l'artisan, parce qu'il n'a aucun mouvement de lui-même, et qu'il n'en a point d'autre que celui que l'artisan peut lui donner quand il s'en sert; de même, il ne faut pas qu'un religieux fasse jamais rien sans l'ordre de son supérieur, ni que dans les moindres choses, il dispose de lui-même pour un moment; mais il faut que toujours et en toutes choses il suive les mouve.. ments et les expressions de son supérieur. >>

Ce n'est pas seulement dans es choses qui semblent avoir quelque rapport avec la chair et le sang qu'il faut soumettre notre jugement à celui de nos supérieurs: il faut le soumettre dans celles qui sont les plus détachées de tout ce qui regarde le corps et qui sont purement spirituelles. Que personne ne croie que dans celles-ci il lui soit plus permis de s'éloigner de la volonté et du sentiment de son supérieur que dans les autres; au contraire, la soumission et l'obéissance de l'entendement y est encore plus nécessaire, parce que les choses spirituelles étant d'elles-mêmes si élevées, le danger serait plus grand et la chute plus facheuse, si nous n'avions point de guide. Cette vérité est si reconnue, que Cassien dit, qu'il n'y a rien dont le démon se serve tant pour faire tomber les solitaires dans le précipice, que de leur persuader de mépriser les conseils et les avis que leurs anciens peuvent leur donner touchant leur conduite spirituelle, et de suivre seulement leurs propres lumières. Le même Cassien et saint Jean Climaque rapportent des exemples de plusieurs solitaires très-adonnés à la spiritualité et à la raison, et déjà avancés en âge, qui se sont laissés tromper par les illusions du démon, pour s'être trop confiés à leurs propres lumières, et pour avoir voulu se gouverner par eux-mêmes. I en porta un à sacrifier son propre fils qui était dans le même monastère que lui; et cet homme, s'imaginant par là qu'il deviendrait un autre Abraham, en serait venu effectivement à l'exécution, si son fils, le voyant préparer des cordes et aiguiser un couteau, n'eût conçu quelque soupçon de son dessein et ne se fût enfui. I suggéra à un autre de se précipiter, lui faisant accroire qu'il gagnerait de cette sorte la couronne du martyre et qu'il serait aussitôt reçu dans le ciel.

faire contre l'avis et sans la participation de votre supérieur; car tout ce que vous faites à son insu est une espèce de vol et de sacrilége, c'est une chose qui ne saurait vous être que très-préjudiciable et qui ne peut jamais vous apporter nulle utilité. Je veux bien que vous l'estimiez bonne; mais, si elle l'est, pourquoi vous en cachez-vous ? pourquoi ne demandez-vous pas permission Votre supérieur ne souhaite pas moins votre bien et votre avantage que vous-même, adressez-vous à lui, il vous la donnera; et alors Dieu versera sa bénédiction sur ce que vous ferez. Ne vous exposez pas, faute de soumission, à faire une chose non-seulement inutile, mais qui vous soit même préjudiciable; et prenez garde que Dieu ne vous dise comme à son peuple, dans Isaïe ne m'offrez plus inutilement des sacrifices.

Cassien rapporte encore à ce sujet l'histoire du solitaire Héron, qui vivait dans une si grande retraite et dans une si grande abstinence, que même le jour de Pâques, où tous les solitaires avaient coutume de prendre leur réfection ensemble et de se traiter mieux que les autres jours, il demeurait dans sa cellule et gardait une rigoureuse abstinence, sans vouloir rien ajouter à sa nourriture ordinaire qui n'était qu'un peu de pain et d'eau. « Cette austérité de vie, dit Cassien, lui inspira tant d'orgueil et lui donna tant d'attachement pour ses propres lumières, qu'il vint à se persuader qu'il était parvenu au comble de la sainteté qu'il n'y avait plus aucun danger pour lui dans la vie, et que, quand il se jetterait dans un puits la tête la première, les anges le soutiendraient de leurs mains pour empêcher qu'il ne se fit mal. L'esprit donc rempli de cette imagination, et ne redoutant point que Dieu ne dût faire un miracle pour faire éclater sa vertu et son mérite, il se jela une nuit dans un puits très-profond, d'où les frères qui étaient accourus au bruit de la chute, le retirèrent avec peine à demi mort. Cependant l'impression que les illusions du démon avaient faite en lui était si forte, que pendant trois jours qu'il vécut encore, ni l'expérience malheureuse qu'il venait de faire, ni tout ce qu'on put lui dire pour le désabuser et pour l'obliger à se repentir, ne fut jamais capable de l'effacer. Cela fait bien voir que, quelque avancé qu'on soit et dans là spiritualité et dans l'âge, il est extrêmement dangereux de trop se fier à son propre jugement, et de ne vouloir pas se soumettre à ceux que Dieu nous a donnés pour nous conduire. C'est pourquoi un saint homme disait avec raison que celui qui se croit trop lui-même n'a pas besoin de démon qui le tente, parce qu'il est lui-même son propre démon. »>

Saint Chrysostome dit que celui qui s'appuie sur son propre jugement est en plus grand danger de faillir, quelque éclairé qu'il sit dans les choses de la spiritualité, que celui qui, ne faisant encore que de commencer à s'y instruire, se laisse conduire par autrui. Il compare le premier à un trèsbon pilote qui, se confiant à son habileté et à son adresse, se mettrait en mer sur un vaisseau sans voiles et sans rames; et le second à un passager qui, n'ayant aucune connaissance de la marine, s'embarquerait dans un vaisseau bien appareillé, sous la conduite d'un très-excellent patron. Que personne donc ne s'abuse, en s'imaginant que dans les choses spirituelles, par exemple, dans les exercices spirituels et dans la pratique de la pénitence et de la mortification, on peut se dispenser de l'obéissance et se conduire par ses propres lumières. Car, comme dit très-bien Cassien, transgresser les commandements de son supérieur par envie de travailler, n'est pas moins désobéir que de les transgresser par envie de ne rien faire. Tenez pour maxime constante, dit saint Basile, de ne rien jamais

Il ne faut jamais rien commander de mal, disent saint Grégoire et saint Bernard, et il ne faut jamais obéir, quand il s'agit de commettre un péché; mais quand il ne s'agit que de manquer à faire un bien, et que l'obéissance défend de le faire, on est obligé de se soumettre à l'obéissane. L'arbre dout Dieu défendit à nos premiers pères de manger, n'avait rien de mauvais de lui-même; au contraire, il était très-bon; mais Dieu, pour leur donner une occasion de mériter davantage par leur soumission et par leur obéissance envers leur créateur, voulut leur défendre l'usage d'une chose qui n'avait rien de mauvais que la défense, et dont, sans cela, ils eussent pu manger très-innocemment. Or, un supérieur en use quelquefois de même envers les religieux qui sont sous sa conduite; il leur défend des choses qui sont bonnes d'elles-mêmes, et cela, ou parce qu'elles ne leur sont pas alors convenables, ou pour éprouver leur obéissance et leur soumission.

Saint Basile ajoute que la perfection de l'obéissance dans les inférieurs éclate moins à s'abstenir de faire le mal, qu'à s'abstenir de faire une chose qui est bonne et sainte d'elle-même, mais qu'on leur a commandé de ne pas faire. La raison qu'il en donne est que, de ce qui est mal, ils doivent toujours s'en abstenir, quand même il n'y aurait aucune défense; mais que, de ce qui est bon de soi-même, ils ne s'en abstiennent qu'en vertu de la défense qu'on leur a faite. De sorte qu'il est vrai de dire que leur obéissance paraît en cela davantage, puisque c'est l'obéissance seule qui les retient. Au contraire, quand on n'a pas de soumission dans ce qui regarde les choses purement spirituelles, c'est alors qu'on fait voir plus d'indocilité d'esprit et plus d'attachement à sa propre volonté; car dans les autres, par exemple, dans ce qui regarde le silence, la modestie, la tempérance, et ainsi du reste, le plaisir et la sensualité peuvent avoir part à la désobéissance; mais dans les spirituel les, qui sont directement contraires à la chair et au sang, on ne peut être porté à désobéir que par la seule envie de faire à sa volonté,

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