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DICTIONNAIRE

vos frères et vous, vous ne travaillez pas à Vous réconcilier sur-le-champ; si vous ne pardonnez pas à l'instant, quelque injure qu'on Vous ait faite; si vous roulez dans votre esprit des desseins de vengeance; si vous y conservez de l'aigreur; si vous faites paraftre du ressentiment au dehors, et si vous ne donnez pas au contraire toutes les marques d'une affection sincère; si vous hésitez même à secourir dans l'occasion celui qui vous a maltraité, vous n'êtes pas religieux; que dis-je, vous n'êtes pas chrétien, Vous êtes abominable aux yeux de Dieu.

« Si, après être tombé dans quelque faute, Vous avez honte de vous en accuser, comme la règle y oblige; si vous ne recevez pas avec beaucoup d'humilité, de docilité et de patience les reproches et les corrections qu'on vous fait, vous n'êtes pas religieux. Si vous ne rendez pas à votre supérieur une obéissance prompte, entière et générale, en tout ce qui n'est pas mauvais; si vous n'avez pas pour lui le respect et la tendresse qui est due à celui qui tient sur nous la place de Dieu, vous n'êtes pas religieux. Si vous cherchez à vous dispenser du chœur ou de quelque autre exercice commun; si vous assistez à l'office divin sans l'attention et la dévotion réquises, vous n'êtes pas religieux. Si vous bornez tous vos soins à bien régler votre extérieur, et que votre intérieur n'en soit pas le principal objet; si vous vous contentez d'être présent de corps aux exercices, sans que l'esprit et le cœur y aient part; si vous n'y allez que par habitude, vous en perdez tout le mérite, vous n'en retirez aucun fruit, vous n'êtes point religieux. Si vous ne vous appliquez avec ferveur à la prière, aux lectures de piété et aux autres pratiques de dévotion; si votre âme, tout occupée des choses du monde, demeure courbée vers la terre et ne prend que rarement son essor vers le ciel, vous n'êtes pas religieux. Si vous cherchez à satisfaire votre sensualité dans les repas, si vous prenez de la nourriture au delà du nécessaire; si, en ce qui regarde le vin, vous ne vous contentez pas d'une très-petite mesure, surtout quand vous vous portez bien, et que d'ailleurs vous avez de la bière ou quelque autre boisson convenable, vous n'êtes point religieux.

« Si vous voulez être bien habillé, mollement couché, jouir de mille petites commodités qui ne conviennent pas à l'état que Vous avez embrassé; si vous accordez à votre corps le repos qu'il souhaite, et refu sez à Dieu le travail qu'il demande, vous Si vous fuyez la n'êtes pas religieux. Si vous fuyez la solitude et le silence, aimant à vous dissiper en des entretiens inutiles et par des ris immodérés, vous n'êtes pas religieux. Si vous prenez plaisir à vous trouver dans la compagnie des séculiers, à sortir du monastère et à vous montrer dans les villes et les châteaux, vous n'êtes pas religieux. Vous êtes assez hardi pour disposer de la moindre chose, donner ou recevoir, envoyer ou retenir quoi que ce soit, sans la permis

Si

sion de votre supérieur, vous n'êtes pas religieux.-Si vous estimez peu les règles du monastère, et que vous en violiez quelqu'une de propos délibéré, quelque petite qu'elle soit, vous n'êtes pas religieux. —- En un mot, si dans le monastère vous cherchez autre chose que Dieu, et que vous ne tendiez de toutes vos forces à la perfection de votre état, vous n'êtes pas religieux.

<< IV. Ainsi pour revenir à ce que je vous disais tout à l'heure, si vous voulez remplir le nom que l'on vous donne et être un véritable religieux, vivez en véritable religieux; armez-vous, combattez contre vous-même, n'omettez rien de ce qui est en vous pour vaincre et dompter votre amour-propre. Mais si vous ne trouvez pas d'abord la paix que vous cherchez; si Dieu diffère à vous accorder la tranquillité de votre âme; si les mouvements de la concupiscence vous attaquent; si les passions s'élèvent, n'en soyez pas étonné. Quand Dieu même pour votre avantage permettrait à ces ennemis domestiques de-vous faire la guerre pendant toute votre vie, ne vous laissez point abattre; mais vous humiliant devant Dieu à la vue de vos faiblesses, attendez tout de la force de sa grâce.

il

« Saint Paul, ce vaisseau d'élection, n'eutpas à souffrir toute sa vie une tentation humiliante, un aiguillon de la chair, dont l'ange de Satan se servait pour lui donner des coups et pour l'insulter? Et quoiqu'il eût souvent prié le Seigneur de l'en délivrer, il ne fut point exaucé, parce qu'il ne lui était pas avantageux de l'être. Ma grâce vous suffit, lui dit le Seigneur, car ma puissance ne parait jamais avec le plus d'éclat que dans la faiblesse. Il n'en fallut pas davantage à ce serviteur de Dieu pour supporter dans la suite avec courage, et même avec gaieté, la rigueur des épreuves imposées à sa vertu. Fortifiés par l'exemple de ce généreux athlète de Jésus-Christ, ne nous laissons point abattre par la tentation; soutenons-en les attaques avec courage, sans que rien puisse nous faire chanceler dans les bons desseins que nous avons pris.

« Ce qui nous paraît un travail pénible et chagrinant, Dieu prêt à le récompenser s'en fait un spectacle agréable. A la vue de la récompense qui nous attend, volons avec une ardeur invincible à cette espèce de martyre spirituel où l'on demande le sacrifice de notre âme. Oui, n'en doutons point; eussionsnous reçu mille blessures dans le combat, eussions-nous été renversés par terre mille fois, mille fois foulés aux pieds de nos ennemis, nous sommes encore assurés de la victoire, pourvu qu'au lieu de mettre lâchement les armes bas, nous résistions jusqu'au bout. Faisons seulement ce qui est en notre pouvoir, abandonnons le reste aux dispositions de la Providence, et disons : « Que ce qui est arrêté par les dispositions « du ciel s'accomplisse. » C'est cette soumission aux ordres de Dieu qui doit faire toute notre consolation et toute notre ressource dans les souffrances. Après tout, la

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peine est le partage de 1 nomme. De quelque côté qu'il se tourne, et quelque part qu'il aille, les tribulations, les croix, les tentations l'accompagnent partout et dureront autant que sa vie. Il doit par conséquent être toujours prêt à les soutenir. Heureux, si la grace l'élève à ce haut degré de perfection et de bonheur, où l'on ressent une véritable joie à tout souffrir pour le Seigneur.

« V. Eh bien, mon cher frère, vous ai-je assez développé les devoirs d'un vrai religieux? Ne voudriez-vous pas encore des instructions plus étendues? Voudriez-vous que je vous détaille la manière dont vous devez régler votre intérieur et votre extérieur, le train de vie que vous devez mener et à quelles occupations vous devez principalement consacrer chaque moment de la journée, pour tenir une conduite raisonnable et digne de Dieu ? Je veux bien,; continuez à m'écouter.

« A votre réveil, et sur le point de vous lever pour l'office de la nuit, faites dévotement le sigue de la croix, et demandez à Dieu, par une courte prière, le pardon de vos péchés et le secours de sa grâce. Ensuite rejetez les idées grossières et confuses dont le sommeil laisse assez souvent des traces dans l'esprit ; occupez votre âme de quelque pensée spirituelle; purifiez-la de plus en plus par de saints désirs; excitez-vous à de secrets transports de joie, de vous voir appelé à chanter les louanges du Seigneur et à lui rendre vos hommages. Que si la Que si la pesanteur du sommeil, la fragilité de la chair, la légèreté naturelle à l'esprit, mettent obstacle à ces élévations vers le ciel, bien Join de vous rebuter, prenez courage, faitesvous violence, et triomphez de toutes ces difficultés par un effort de la volonté et de la raison; car le royaume de Dieu se prend par la violence, et il n'y a que ceux qui se font violence qui l'emportent. La mesure du travail que vous entreprendrez pour votre Dieu sera la mesure de la récompense que Vous recevrez de lui. Après vous être promptement levé, offrez en sacrifice au Créateur votre âme et votre corps, et mettez l'un et l'autre sous sa protection. Courez aussitôt au choeur, comme dans un asile assuré contre les poursuites de vos ennemis, comme dans un jardin de délices spirituelles. En attendant que l'office commence, faites en sorte que votre esprit, dégagé de toutes pensées tumultueuses, se trouve dans une situation libre et tranquille; et au milieu de ce profond recueillement, tâchez de vous exciter à de tendres sentiments d'amour pour Dieu.

« VI. Durant l'office, ayez soin d'en prononcer et d'en écouter toutes les paroles avec respect, avec attention, avec une sainte joie. C'est le temps de goûter combien le Seigneur est doux, le temps de ressentir les charmes ineffables et la force incompréhensible de la parole de Dieu, re temps d'acquérir l'intelligence des Ecritures et de comprendre ces oracles de Esprit-Saint,

qui furent toujours .a nourriture et .es délices des âmes chastes, humbles et mortifiées. Souvenez-vous donc de l'attention qu'il faut y apporter. Evitez cependant une trop grande contention d'esprit, surtout si vous ne vous sentez pas la tête à l'épreuve d'une trop forte application: sans cela vous pourriez vous causer un grand préjudice à vousmême, et tomber dans un accablement, une confusion d'idées, une gêne et une contrainte qui, vous rendant impraticable l'usage de la méditation, vous fermerait l'entrée à la connaissance des divins mystères.

« VII. Que les distractions ne vous causent point une inquiétude scrupuleuse, qui pourrait vous jeter dans le trouble et le découragement; mais chantez les louanges du Seigneur avec une attention assez tranquille d'un côté pour bannir la perplexité de ce saint exercice, et de l'autre assez vive pour faire naître la joie. Si votre cœur vous échappe malgré vous, ne vous alarmez point; rappelez-le par un doux effort, et faites sans trouble et sans embarras ce qui dépendra de vous, abandonnant le reste à la volonté divine. Vous n'avez qu'à aimer Dieu constamment, et les défauts dont il vous est impossible de vous défaire vous deviendront un sujet d'humiliation, un motif de vertu, une occasion de mérite, une source de consolation. Le terroir bien disposé trouve toujours dans le fumier un surcroît de fertilité, et l'homme, rempli de bonne volonté jusque dans le sein de la misère, retire en son temps le fruit de ses imperfections et de ses faiblesses. Cela arrive lorsque le Seigneur, qui semble quelquefois se cacher, daigne reparaître. Mais en attendant le temps de sa visite, il faut souffrir avec patience l'abandon où il nous laisse; car que servirait-il de s'impatienter? Ce serait ajouter peine sur peine et faire voir, d'une manière bien sensible, qu'au lieu d'une humilité bien parfaite, on n'a qu'un amour-propre pernicieux pour le salut.

« Êtes-vous à la prière avec respect, et dans un vrai désir d'y apporter de l'attention, il n'en faut pas davantage. Dieu est content de vous malgré les distractions qui vous empêchent d'être aussi attentif que vous le voudriez. Il ne vous fera jamais un crime de ces écarts d'une nature faible et volage, pourvu que vous ne vous y arrêtiez pas volontairement quand ils arrivent, et qu'auparavant vous n'y ayez pas donné occasion, faute de veiller à la garde de vos sens. Ne pouvant alors rendre au Seigneur un hommage parfait, offrez-lui du moins avec une humilité profonde votre bonne volonté et la droiture de vos intentions. Le démon après cela n'aura plus aucun su'et de vous chicaner.

« Quand vous n'auriez autre chose à présenter à Dieu que la résolution sincère de sacrifier votre corps et votre âme à son service, avec les sentiments d'une humble crainte à la vue de son auguste majesté, il n'en faut pas davantage pour vous donner la juste confiance que vous ne perdrez pas

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la récompense que Dieu promet à ceux qui
lui sont fidèles. Mais malheur à vous, si
pendant l'oraison vous êtes lâche, indolent,
inappliqué car il est écrit: Maudit est celui
qui fait l'œuvre de Dieu négligemment! Em-
ployez donc toutes vos forces pour lui donner
tout ce qui dépend de vous, et vous serez
quitte de tout, quand même vous ne pour-
- Persua
riez pas tout ce que vous voulez.
dé de la vérité de cette maxime, ne vous
troublez point lorsque vous rencontrez des
obstacles qui ne vous permettent pas d'aller
aussi loin que vos bons désirs. Si vous avez
l'esprit abattu, le cœur sec ou languissant,
mal à la tête, les sens dissipés ; si vous
ressentez quelque tentation où quelqu'autre
peine, gardez-vous bien de dire: Me voilà
sans ressource, le Seigneur m'abandonne,
mon service lui déplaît: langage ordinaire
des enfants de la défiance. Au lieu que, si
vous portez cet état avec soumission etsans
murmure pour l'amour de celui qui vous a
appelé et vous a élu, croyant fermement
qu'il est toujours à côté de ceux qui souffrent,
pour les soulager dans leurs travaux et les
récompenser, vous ne sauriez croire quel
poids immense de gloire ce Dieu de bonté
vous prépare. Alors vous pourrez dire avec
le Prophète Seigneur, j'étais devant vous
comme une bête, et néanmoins j'étais toujours
avec vous, et vous avec moi.

<< Mais écoutez ce que je vais vous dire.
Quand vous seriez rempli des délices de la
plus douce contemplation; quand, élevé au-
dessus de vous-même, vous seriez trans-
porté jusqu'au troisième ciel et favorisé de
l'entretien des anges, tout cela serait moins
grand et moins estimable que de soutenir
de bon cœur pour l'amour de Dieu les pei-
nes de la vie spirituelle, les aridités, les sé-
cheresses, les désolations intérieures. Pour-
quoi? Parce que ce dernier état vous rend
plus semblable à Jésus souffrant. Ce divin
Sauveur, accablé de tristesse, d'ennui, de
frayeur et réduit à une agonie mortelle,
eut recours à son père, en lui disant: «< Mon
Père, que votre volonté soit faite et non pas
la
la mienne. » Et lorsqu'il se vit attaché
croix, les pieds et les mains percés de clous,
il se contenta de dire: « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? » Et
c'est pour vous, mon frère, qu'il a souffert
avec un très-grand amour les douleurs et
les angoisses d'une passion si remplie d'a-
mertumes. Souffrez donc avec une simple
et invincible patience, et attendez en si-
lence le temps où il plaira au Tout-Puis-
sant de vous délivrer. Soyez persuadé
que quand il paraîtra au jour de ses ven-
geances, il n'examinera pas si vous avez eu
beaucoup de consolations intérieures, mais
si vous avez été fidèle à le servir et à l'ai-

mer.

« VIII. Parmi ceux qui servent Dieu, la plupart ne sont que des serviteurs mercenaires et infidèles. Tandis qu'ils jouissent des douceurs d'une dévotion sensible, et qu'ils ont actuellement le don des larmes, on leur voit une ferveur, un attrait pour

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l'oraison, une ardeur pour toutes sortes de
bonnes œuvres, une tranquillité d'âme qui
porterait à croire qu'ils sont au-dessus des
faiblesses ordinaires à tous les hommes;
mais dès qu'ils sont privés de ces faveurs,
leur vertu s'évanouit; ils entrent dans le
trouble, dans l'indignation, dans l'amertume,
dans l'impatience; ils négligent la prière,
ils abandonnent leurs exercices, et parce
qu'ils ne ressentent pas à leur gré les joies
spirituelles, ils se tournent vers les plaisirs
des, sens par un changement funeste et dé-
plorable.

« Quand on est capable d'en venir là, il
est visible qu'on n'aime pas Dieu d'un amour
pur et chaste; que l'on ne désire ses dens
que par un amour déréglé, et qu'on ne cher-
che que sa propre satisfaction; car si on ai-
mait Dieu purement et sans avoir de l'atta-
che pour ses seules douceurs, le chagrin de
s'en voir privé n'ôterait point la paix inté-
rieure et ne porterait point ceux, dont je
parle à quitter Dieu pour se livrer aux
plaisirs des sens. Ils ne servent donc pas
Dieu fidèlement, puisqu'une petite épreuve
suffit pour les rendre infidèles à leurs en-
gagements; et on doit les mettre au rang
de ceux dont parle l'Evangile qu'ils ne
croient que pour un temps, et qu'ils aban-
donnent leur devoir au moment de la tenta-
tion. La prospérité les retient, l'adversité
les écarte. Tant que Dieu remplit leur âme
de délices, ils sont à lui; dès qu'il les en
prive, ils quittent son service: ce qui donne
droit de dire que c'est plus pour eux que
pour lui qu'ils le servent, puisqu'ils cher-
chent leur propre satisfaction à faire leur
propre volonté plutôt que celle de Dieu.

« Quel est leur aveuglement! La sainteté,
qui consiste proprement dans la destruc-
tion des vices, ils la mettent dans les con-
solations spirituelles; ne sachant pas qu'elles
rendent toujours équivoque l'amour qu'on
a pour Dieu, et que la preuve la plus cer-
taine du véritable amour est de soutenir
avec courage la privation de ces douceurs.
Ne vous y trompez pas; la dévotion sensible
vient plus souvent de l'homme que de Dieu,
de la nature que de la grâce, de l'humeur
et du tempérament que d'un principe sur-
naturel et divin. Mais enfin, de quelque
part qu'elle procède, si on n'est contínuelle-
ment sur ses gardes, elle produit un secret
orgueil, une criminelle complaisance en soi-
même et une pernicieuse sécurité: témoins
les personnes dont je parle. Dans les accès
de leur ferveur, elles forment aisément des
soupçons et des jugements au désavantage
du prochain, et le méprisent comme indi-
gne de participer aux priviléges dont elles
jouissent. Elles se croient déjà des modèles
de sainteté et les dépositaires des secrets
de Dieu. Elles souhaitent les révélations
célestes, et s'imaginent bientôt qu'elles en
ont. Elles vont même jusqu'à désirer qu'il se
fasse en leur faveur ou par elles des mira-
cles éclatants, pour convaincre les autres
hommes qu'ils sont très-éloignés du haut
degré de sainteté où elles croient être arri-

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vées. C'est ainsi que se perdent dans leurs pensées ceux qui soupirent plus après les bénédictions du cjel qu'après celui qui en est le dispensateur.

<< IX. Les fidèles serviteurs en usent autrement. Ils s'oublient eux-mêmes pour ne songer qu'à Dieu; ils ne cherchent qu'à accomplir sa volonté, qu'à procurer sa gloire, qu'à lui faire un sacrifice continuel de leur amour-propre. Qu'il répande dans leur cœur les joies spirituelles, ou qu'il en suspende le cours pour laisser leur âme dans l'aridité, ils sont toujours les mêmes, toujours dans une égalité d'esprit que rien ne trouble, toujours constants à aimer, à louer, à bénir le Seigneur. Ni les nuages qui s'élèvent dans l'intérieur, ni la violence des impressions des sens, ni la froideur de leur âme, ni l'engourdissement de l'esprit, ni la sécheresse du cœur, ni la violence des tentations, rien au monde, les peines non plus que les douceurs, ne les tirent de la tranquillité, ni ne font sortir leur âme de son assiette. Ce n'est pas qu'ils soient insensibles aux impressions de ces mouvements: les uns les flattent et les autres les affligent, mais la supériorité de la raison les met au-dessus des sentiments de la partie inférieure de l'âme. Le fond de la volonté se conserve dans le calme, au milieu du tumulte qui s'élève autour d'elle. Elle est tranquille, parce que toujours conforme à ce qu'il plaît à Dieu d'ordonner ou de permettre, elle se contente de désavouer tous les mouvements qui s'élèvent contre l'ordre de la raison.

« Heureux état ! où l'homme, appuyé sur la terre ferme, c'est-à-dire sur la charité, se trouve inébranlable dans l'amour qu'il a pour son Dieu, et incapable de goûter aucune consolation que dans une parfaite soumission à ses ordres. Heureux état! où l'on fuit avec ardeur tout ce qui déplaît à Dieu, où l'on regarde avec horreur tout ce qui pourrait souiller le moins du monde la pureté de l'âme, et où l'on se remet de tous les événements de la vie à la Providence. Comme on a, par ce moyen, le cœur pur, libre et tranquille, on est véritablement dévot, car c'est dans cette pureté, dans cette liberté, dans cette tranquillité, que consiste la vraie dévotion et la plus agréable aux yeux de Dieu.

« Pour celle qu'on nomme dévotion sensible, elle n'est ni d'une aussi longue durée, ni si capable de nous rassurer. Aussi voyons-nous que Dieu la donne plus communément à ceux qui sont depuis peu convertis ou qui commencent à entrer dans la vie spirituelle, qu'à ceux qui y ont déjà fait des progrès considérables. Elle ne laisse pourtant pas d'être d'une très-grande utilité quand on sait en faire un bon usage; c'est pourquoi elle est aussi l'objet des désirs des âmes les plus avancées, de ceux que Jésus-Christ dit qu'il n'appellera plus serviteurs, parce qu'il les regarde comme ses amis. Oui, ceux-ci recherchent les consoiations intérieures dont les charmes sont

si délicieux et dont la force, pour soutenir dans la vertu, est si merveilleuse. A peine en sont-ils privés, qu'ils s'en plaignent à leur divin maître, et le conjurent avec le prophète de leur rendre cette joie sainte qui est le gage précieux de sa protection. Ils ont une ardeur inconcevable pour ces communications où Dieu se laisse voir à découvert, et où l'on jouit de ces chastes et délicieux embrassements; mais le désir qui les anime est pur, spirituel, plein de modération et de retenue, et par là bien différent de celui des faux dévots, qui n'est qu'une avidité indiscrète, une vraie sensualité, un effet de légèreté et de faiblesse, un empressement inquiet et plein de trouble. Les vrais dévots soupirent après les douceurs de la grâce; mais loin d'avoir en vue leur satisfaction particulière, ils n'y cherchent qu'un nouveau moyen de croître en ferveur, de se purifier sans cesse de leurs imperfections et de plaire de plus en plus à leur divin époux. Ils aiment les consolations, et quand Dieu les leur fait goûter, ils ne manquent pas de l'en remercier; mais ils les aiment comme des moyens et non comme leur fin. En sorte que, ne les prenant jamais pour motif ni pour règle de leur conduite et des mouvements de leur cœur, ils sont à cet égard dans une liberté et une indépendance parfaite, prêts à faire également leur devoir quand même ce secours leur serait ôté. C'est que ces faveurs ne sont pas la fin où ils tendent, mais le canal par où ils remontent jusqu'à Dieu, jusqu'au souverain bien, à qui l'on est obligé de tout rapporter, et en qui seul il est permis de s'arrêter. Enfin, pour comble de bonheur, moins ils sont attachés à cette sorte de grâces, plus elles leur sont données avec profusion.

« Quelque riches qu'ils soient des dons célestes, on ne remarque point en eux d'élèvement de leur cœur ; ils ne s'en estiment pas davantage et n'en conçoivent pas le moindre mépris pour les autres; s'estimant peu eux-mêmes, les faveurs dont ils sont comblés, loin de leur inspirer de l'orgueil, leur font sentir de plus en plus qu'étant indignes de toute grâce spirituelle, e peu qu'ils en ont vient de la pure miséricorde du Seigneur, et que ceux à qui on a fait de plus riches présents et confié des dépôts considérables,en rendront à Dieu un compte plus sévère. Dans cette idée, ils se regardent comme les derniers serviteurs de Dieu, marchent toujours avec une sainte frayeur, et font d'autant plus de progrès dans l'humilité, que les bénédictions que le ciel verse sur eux sont plus abondantes.

« Quelle joie, quels transports, quelle gloire pour eux, si, à l'exemple de JésusChrist, ils se voient diffamés, noircis de calomnies, accablés d'outrages, d'injures, d'humiliations, sans y avoir donné aucun sujet! C'est alors qu'ils se réjouissent dans le fond de leur coeur, et qu'ils sont plus contents que s'ils avaient des révélations et des visions, ou qu'ils opérassent les plus grands prodiges. Ces routes extraordinai

Puisqu'ils vou.aient croupir dans le vice, que
ne se tenaient-ils dans le siècle, qui est le
lieu de la corruption; et pourquoi sont-ils
entrés dans la religion, qui est le lieu de la
pureté? La vie criminelle qu'ils auraient
menée dans le monde ne leur eût attiré
qu'un enfer, au lieu que la vie molle et
sensuelle qu'ils mènent dans la maison de
Dieu leur prépare un double supplice;
mais mon dessein n'est pas de vous entrete
nir au long sur leur sujet. Revenons donc
à vous.

res leur paraissent à craindre plutôt qu'à
souhaiter, et ils sont toujours en garde con-
tre ce qui pourrait les porter à la vaine
gloire et à une secrète complaisance en
eux-mêmes. Le démon a beau se transfigu-
rer en ange de lumière, ils ne donnent pas
dans ses piéges, et avec le signe de la croix
ils savent rendre inutiles les artifices qu'em-
ploie le serpent infernal pour les séduire.
Ils n'ont pas la présomption ni l'orgueil de
fonder 'espérance de leur salut sur le nom-
bre ou sur les mérites de leurs bonnes
œuvres; mais ils mettent toute leur con- a XI. Ayez soin de régler d'avance et de
fiance dans les mérites de Jésus-Christ, qui vous prescrire heure par heure tout ce que
leur a acquis, par son sang, la liberté des vous devez faire dans la journée; mais
enfants de Dieu. Pour vous, mon cher souvenez-vous que cette exactitude à dé-
frère, après avoir reconnu la différence qui terminer toutes vos occupations doit être
se trouve entre les faux dévots et ceux qui accompagnée d'une grande fidélité à suivre
le sont véritablement, faites vos efforts pour l'ordre que vous aurez une fois choisi. Que
être du nombre de ces derniers. Si par si pourtant l'obéissance ou toute autre bonne
malheur vous étiez encore de ceux dont raison, ou enfin quelque contre-temps im-
vous ne voudriez pas être, gémissez, humi- prévu, vous oblige d'interrompre et même
licz-vous Dieu donne sa grâce aux hum- de retrancher en tout ou en partie quelques-
bles, et c'est avoir déjà un pied dans la uns de vos exercices ordinaires, gardez-vous
compagnie des véritables serviteurs de bien de vous en inquiéter. C'est la liberté
Dieu, que de reconnaître avec humilité et de d'esprit, l'égalité d'âme, la pureté du cœur,
confesser avec douleur qu'on est encore au que vous devez rechercher avant toutes cho-
rang des serviteurs lâches, inutiles et infi- ses, et tous vos efforts doivent principale-
dèles; mais travaillez cependant jusqu'à la ment aboutir à vous procurer une paix inal-
mort et ne craignez rien. A ce prix vous ne térable que nul retour d'amour-propre ne
serez point rejeté avec les mauvais servi-puisse troubler. Tâchez de vous maintenir
teurs, mais vous entrerez avec les bons
dans la joie et dans la gloire de votre maî-

tre.

« X. Il y a une troisième espèce de gens engagés au service de Dieu, qu'on ne saurail regarder en aucun sens comme ses serviteurs et qui sont plutôt de vils esclaves du démon. Je parle de ces misérables et infortunés religieux qui ne font aucun cas de la dévotion et de la grâce, qui négligent tout à fait le soin de leur salut, qui honorent Dieu des lèvres, tandis que leur cœur est loin de lui. Plongés dans un déluge de maux, à peine jettent-ils les yeux sur le danger qui les environne et sur le moyen d'en échapper. Ils sont aujourd'hui tels qu'ils étaient hier: ils sortent du chœur tels qu'ils y étaient entrés, pleins de vices et de défauts, tièdes, lâches, dissipés, immodestes et même effrontés. Que sert à ces malheureux de mêler leur voix à celles de leurs frères pour chanter les divins cantiques? Leurs lèvres souillées irritent le Seigneur, loin de l'apaiser.

« Plût au ciel que le monde eût retenu ces gens-là! Pourquoi sont-ils venus dans le monastère? Faut-il que leurs pieds impurs souillent une terre aussi sainte? Faut-il que la piété de ceux qui ont fait des libéralités aux maisons religieuses serve contre leur intention à nourrir de tels sujets? Faut-il que les pécheurs dévorent ce qui n'a été donné que pour la subsistance des justes? Faut-il enfin qu'ils profanent, par des plaisirs grossiers et charnels, la maison de Dieu, le lieu saint, l'école respectable où l'on doit apprendre à mener sur la terre la vie des anges et à faire leurs fonctions?

dans cet état sans perdre Dieu de vue; par
là vous vous rendrez plus agréable à ses
yeux qu'en faisant les bonnes œuvres les
plus pénibles et les actes de vertu les plus
héroïques. Laissez donc sans crainte tout ce
qui pourrait donner atteinte à cette heu-
reuse tranquillité; et de quelque utilité
qu'une chose vous paraisse, quelque rapport
qu'elle puisse avoir à la piété, faites-en le
sacrifice et abandonnez-la pour un temps,
pourvu que l'obéissance n'y soit pas inté-
ressée. Le scrupule est un obstacle à la vé-
ritable paix, à la parfaite confiance en Dieu
et au progrès spirituel. C'est pourquoi l'on
ne saurait assez prendre de mesures pour
en prévenir les suites.

«Evitez avec soin l'oisiveté; c'est un
poison qui gagne peu à peu et qui donne
enfin la mort à l'âme. Fuyez avec la même
attention les occupations qui ne sont d'au-
cune utilité pour le salut. Quand je parle de
l'oisiveté, j'entends celle qui est vicieuse;
car il y a une espèce d'inaction qui n'a rien
que de louable; c'est lorsque l'âme repose
dans le sein de la Divinité, et que, délivrée
du bruit et de l'impression des objets sen-
sibles, elle se tient dans un silence inté-
rieur, où elle semble ne pas agir, mais
seulement recevoir les faveurs de son bien-
aimé. Si la main de Dieu vous y conduit
quelque jour, ô que vous serez utilement
et heureusement oisif! Partout ailleurs, ne
soyez pas un seul moment sans vous appli-
quer ou à la lecture, ou à la méditation, ou
à la prière, ou à quelqu'autre occupation
sérieuse.

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