Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

conscience d'avoir résisté à cet acte criminel. S'ils disent que, pendant cette violente tentation, leur esprit a été tellement obscurci qu'ils ne pouvaient discerner le bien du mal, qu'ils n'avaient aucune idée du péché qu'ils pouvaient commettre, ni même la pensée d'y résister, on doit les assimiler aux insensés, qui agissent sans aucune lueur de raison, et les ranger dans le nombre de ceux que saint Thomas indique, en qui la raison est alors enchaînée; il n'y aura surtout aucun doute si queique rayon de la raison venant à briller, ils s'empressent de résister au démon et de repousser loin d'eux ses suggestions perverses. Le directeur doit donc avoir toujours sous les yeux cette règle de saint Thomas, s'il veut se préserver, ainsi que ses pénitents, de bien des incertitudes, et ne pas jeter dans le désespoir les âmes affligées. Quoi qu'il en soit, le maître spirituel doit veiller avec soin à ce que toutes les personnes ainsi tourmentées par le démon, viennent soumettre au tribunal de la pénitence toutes les violences dont elles sont victimes, parce que nous pouvons difficilement les croire exemptes de fautes vénielles, soit par défaut de précautions suffisantes, soit par suite d'une résistance trop faible, soit par d'autres motifs de même genre; d'ailleurs, la confession sacramentelle les rendra plus fortes et plus capables de lutter contre les ennemis spirituels.

Bien que la personne obsédée par le démon doive, avec la grâce du Seigneur, supporter patiemment cette épreuve, tant qu'elle peut durer, néanmoins c'est une pratique sainte et en même temps très-utile à la perfection, surtout dans les obsessions en matière d'impureté, de chercher à s'en délivrer, avec une humble confiance en Dieu par les remèdes soit naturels, soit surnaturels. Il n'appartient qu'à un petit nombre d'âmes très-parfaites, et seulement par suite d'une impulsion divine, de provoquer contre soi-même cette épreuve, comme autrefois la charité porta sainte Thérèse à le faire (Vit., c. 31). Les remèdes salutaires pour l'obsession, sont les mêmes que nous avons prescrits pour la possession. (V. ce mot.) Toutefois les docteurs ne sont pas d'accord sur l'utilité, dans ce cas, de l'emploi des exorcismes.

On demande d'abord si les exorcismes s'appliquent d'une manière tellement spéciale contre les énergumènes ou possédés, qu'on ne puisse les employer parfois utilement contre les attaques et les obsessions du démon. Ce point est contesté par les théologiens. Voici l'opinion du P. Godinez (Prax. theol. myst., l. 1, c. 11): « L'Eglise à institué pour les possédés des exorcismes qui n'ont aucun pouvoir sur les démons obsesseurs; bien plus ils ne font qu'irriter et tourmenter cruellement les personnes obsédées. J'ai reçu pendant plusieurs années la confession d'une personne qui avait à souffrir les attaques de trois démons, qui la tourmentèrent dix-neuf ans : huit fois elle fut vai

nement adjurée par des exorcismes. Or c'était une personne éminemment sainte, et qui fut plus tard honorée du don des miracles. » Cette opinion est appuyée sur plusieurs raisons. 1 Les textes évangéliques, qui servent à prouver que le pouvoir d'exorciser a été donné à l'Eglise, parlent expressément de l'expulsion des démons du corps des énergumènes. 2o Dans l'ordination des exorcistes, il est dit seulement : L'exorciste doit chasser les démons des énergumènes. 3° Le Rituel romain ne renferme d'exorcismes que contre les énergumènes ou possédés

Thyrée au contraire (De loc. infest.) semble pencher pour l'opinion affirmative, en faveur de laquelle on peut donner les raisons suivantes. 1° Quelques textes de l'Ecriture parlent du pouvoir sur les démons d'une manière générale, sans aucune restriction pour le cas seul de la possession: Il leur donna puissance et autorité sur tous les démons. (Luc. 1x, 1.) 2o Il est dit aussi dans l'ordination des exorcistes: Vous commanderez aux autres démons. Et dans la prière: Qu'ils aient le pouvoir de réprimer les esprits immondes: qu'ils soient les méde cins de votre Eglise, confirmés par la grâce des guérisons et par les vertus célestes. 3° Meme dans le Rituel romain, outre les exorcismes contre les énergumènes, trouve des formules de bénédiction pour les maisons et pour l'eau sainte, dans le but d'exorciser les démons qui peuvent s'y trouver présents.

Le P. Reguera (Th. mysl., t. I, p. 769, n. 711) s'efforce de concilier ces deux opinions, en disant que dans l'intention primitive les exorcismes ont été institués, il est vrai, contre les énergumènes, et que leur action, inutile quant à l'obsession extérieure, sert du moins à la faire distinguer de la possession; que toutefois par extension on peut se servir pour repousser les démons et en délivrer les personnes simplement obsédées, d'autres exorcismes, tels que ceux qui servent à la bénédiction des éditices, à la consécration de l'eau sainte ou à la conjuration des tempêtes ces exorcismes se trouvent dans le Rituel. Au reste ils n'obtiennent pas toujours tout l'effet qu'on en attend, comme dans le cas de la possession, parce que l'épreuve de l'obsession est souvent utile à la perfection des âmes saintes.

Thyrée remarque encore (loc. cit.) que ces sortes d'attaques extraordinaires peuvent provenir non-seulement des mauvais anges, mais quelquefois aussi des âmes damnées ou des âmes du purgatoire: ce qui donne lieu aux considérations suivantes : 1° Les âmes du purgatoire ne tourmentent que d'une manière indirecte, pour attirer sur elles la commisération des vivants; 2° les âmes damnées ne tourmentent que rarement d'une manière directe elles ne font qu'instruire les vivants, par ordre de Dieu, des tourments qu'elles souffrent; 3° le propre des démons est d'altaquer directement, pour tourmenter et tenter les

hommes; 4 on peut reconnaître à ces différents caractères, d'une manière certaine ou conjecturale, de quelle sorte d'esprit l'obsession procède, bien que souvent il y ait lieu de douter sur ce point.

Résistons donc au démon, non avec crainte et pusillanimité, mais avec foi, et méprisons ses attaques, quelles que soient les tentatives qu'il dirige contre nous. Le Seigneur est mon appui el je mépriserai mes ennemis. Alors, comme le dit saint Bernard : « Le tentateur ne s'approchera pas de nous, le calomniateur ne s'élèvera pas contre nous; cet accusateur acharné contre ses frères ne saura nous atteindre. Fuyons souvent, mes frères, dans ce lieu de refuge; il est fortifié et on n'y redoute aucun ennemi. » Surmontons cette tristesse et cette mélancolie qui, selon saint Bonaventure (in spec. disc., p. 1, c. 2) « est un serpent tortueux qui se cache habituellement dans l'eau trouble pour y pêcher les âmes. » N'abandonnez donc point votre âme à la tristesse et ne vous affligez point vous-mêmes dans vos pensées (Eccli. xxx, 22). Saint Jean Chrysostome nous en avertit également avec raison (L. I De Provid.): « Ce n'est pas le démon qui excite cette tristesse, c'est plutôt elle qui donne des forces au démon et suscite les mauvaises pensées. » C'est ce que prouve l'Apôtre (11 Cor. 11, 7), qui ordonne d'absoudre l'incestueux de l'excommunication portée contre lui, et selon les interprètes de le délivrer de Satan qui le possède, de peur qu'il ne soit accablé par un excès de tristesse.

OBSTACLES A LA GRACE.-Il y a neuf principaux obstacles à la grâce; nous allons les rapporter avec les moyens qu'on doit prendre pour les vaincre.

Le premier est l'amour déréglé de soiInême, qui étant incompatible avec la pureté d'intention fait qu'on se cherche en toutes choses et qu'on préfère ses intérêts et sa gloire à ceux de Dieu. Cet amour-propre ne se fait pas seulement remarquer dans les actions ordinaires et naturelles, il se glisse encore dans la voie de la perfection. On pratique les vertus par des motifs intéressés; on s'attache aux dons de Dieu plus qu'à Dieu même, ce qui devient ensuite la source de mille erreurs et de plusieurs péchés où l'on tombe. Pour surmonter un tel obstacle, il faut, après avoir employé le secours du ciel, sans lequel tous nos efforts sont vains, observer toutes nos paroles, toutes nos actions et tous les mouvements de notre cœur, et veiller sur nos intentions, afin qu'elles n'envisagent que Dieu, sans que les créatures ni nous-mêmes y ayons jamais nulle part, de sorte que nous en venions au point de ne rien dire et de ne rien faire que ce qui peut être agréable à Dieu.

Le deuxième obstacle est l'amour désoraonné des créatures. Cet amour embarrasse le cœur, le rend inquiet sur tout ce qui peut arriver, il y met le trouble et la confusion, et le livre successivement en proie aux passions d'amour et de haine, de joie et de

tristesse, de désirs et de craintes; si bien qu'on n'est pas en état d'apercevoir ce qu'on doit à Dieu, ni ce qu'on doit au prochain, ni ce qu'on doit à soi-même. Ce mal est très-grand, et on ne peut y remédier que par une vigilance assidue à conserver la paix du cœur, et à en défendre la liberté contre l'amour des créatures, à quoi ne contribuera pas peu de se résigner à la conduite de la Providence, de l'adorer dans tout ce qui arrive, de se décharger sur Dieu de tous ses soins, mais surtout de se tenir constamment à la porte de son cœur, pour empêcher que rien n'y entre et que rien ne l'occupe que Dieu seul. Il sera aussi trèsutile de se bien pénétrer de ces grandes vérités, qu'il est avantageux de donner la terre pour avoir le Ciel, et de renoncer au monde pour posséder le royaume de Dieu; qu'on ne saurait servir deux maîtres à la fois, ni plaire à Jésus-Christ qu'on doit aimer, en même temps qu'on donne son affection au monde que Jésus-Christ a eu en horreur. Au reste cette manière de veiller sur nous-mêmes nous apprendra à nous connaître; il est aisé de juger de nos inclinations par nos pensées, ce qui se présente souvent à notre esprit est toujours ce que nous aimons; car où est notre trésor, dit Jésus-Christ, là est aussi notre cœur.

Le troisième obstacle est le penchant que nous avons à satisfaire nos sens et à chercher nos aises au delà des bornes de la nécessité et d'une juste discrétion, surtout dans les choses qui regardent le manger, le boire, les conversations, les occupations et les amusements inutiles. On ne saurait croire quel grand obstacle le défaut de mortification en ce genre apporte à la paix intérieure, aux délices de l'esprit et aux progrès de la grâce. Quand on sème dans la chair, dit l'apôtre saint Paul, on recueille de la chair la corruption et la mort. (Gal. vi, 8.) On ne peut surmonter cet obstacle qu'à force de veiller sur ses sens, de résister avec courage aux penchants naturels, de s'éloigner des occasions et de tout ce qui peut porter au plaisir, et de se faire violence pour acquérir les vertus contraires à ses mauvaises inclinations, jusqu'à ce que la sensualité soit domptée et que la chair soit parfaitement soumise à l'esprit.

Le quatrième obstacle, c'est dans plusieurs, l'orgueil et la vaine gloire qui les enivrent, et dans d'autres une complaisance secrète, un désir inquiet ou une joie vaine de se voir considérés, loués et estimés des autres. Comme ce ne sont pas là des vices grossiers qui attaquent les mœurs, la plupart des hommes les comptent pour rien et ne prennent aucune mesure pour les combattre; ce qui oblige Dieu, qui ne veut habiter qu'avec des âmes humbles, à se retirer d'eux. On se garantit de ce malheur en s'étudiant à l'humilité qui est la voie la plus sûre et l'unique pour aller à Dieu. Convainquons-nous bien du besoin que nous avons de cette vertu, et ne cessons jamais de la demander au Seigneur. Ne por

dons jamais de vue la grandeur de Dieu et l'abîme de notre néant. Jugeons-nous nousmêmes dans la vérité, et croyons-nous les plus grands pécheurs du monde, indignes de toutes faveurs et dignes de toutes sortes de peines à cause de notre malice et de notre ingratitude. Mettons-nous au-dessous de tous les hommes; souhaitons d'être méprisés et foulés aux pieds; disons souvent comme le publicain: Mon Dieu, soyez propice à un pécheur comme moi. (Luc. XVIII, 13.) Ces sentiments d'humilité gagnent le cœur de Dieu et nous disposent à recevoir ses grâces. Ils nous deviendraient bientôt familiers, si nous faisions réflexion que nous ne pouvons pas faire grand fonds sur notre vertu, que nous avons une peine extrême à surmonter le penchant au plaisir et à soumettre la propre volonté, et que nous nous trompons souvent nous-mêmes en prenant des mouvements de la nature pour des marques de sainteté.

Le cinquième obstacle est une certaine amertume de cœur qui produit les impatiences, les haines, les désirs de vengeance, le mépris des autres. Ceux qui sont sujets à ce vice, murmurent volontiers contre les supérieurs, s'érigent en juges de leur prochain et en font peu de cas. Comme le venin qu'ils ont dans l'âme se communique à leur yeux, ils en infectent tout ce qu'ils voient, ils interprètent en mal toutes choses, et se rendent haïssables à Dieu et aux hommes. On guérit ce mal en s'accoutumant à considérer et à aimer Jésus-Christ dans tous les hommes, à honorer en eux l'image de Dieu, à ne souffrir dans son cœur aucun chagrin contre personne, à se présenter à tout le monde avec un visage affable et des paroles de douceur et de charité. Mais le point essentiel, pour se corriger de ce vice, est de se faire violence et d'être toujours sur ses gardes pour ne juger ni affliger personne, pour supporter les défauts et les faiblesses des autres, pour les soulager dans leurs besoins, pour leur pardonner les injures qu'on en a reçues, pour interpréter favorablement leurs actions et pour secourir indifféremment tous ceux à qui on peut être utile, c'est-à-dire qu'il faut être prêt à user envers tous et en toute occasion, d'une conduite pleine de charité et de compassion.

Le sixième obstacle consiste dans l'attache à son propre sens, à ses volontés et à ses Jumières. Cette attache va si loin en quelques personnes, qu'elles ne veulent se fier ni à Dieu ni aux hommes: elles se tiennent avec opiniâtreté à leur sentiment et ne font que ce qui leur plaît, c'est là le principe et le fondement de leur conduite. Les hommes de ce caractère ont beau faire des œuvres qui paraissent grandes et saintes, elles sont viles et impures aux yeux de Dieu, parce qu'elles sont gâtées par la propre volonté. Qui détruirait cette attache, verrait disparaître en même temps la plupart de ses imperfections. On en vient à bout par un entier renoncement à soi-même et par un dessaisissement général de tout ce qu'on a

en propre pour l'abandonner à Dieu sans réserve. Cet abandonnement, pour être parfait, doit renfermer trois choses: une résignation entière aux ordres de Dieu,jusqu'à prendre plaisir à voir sa volonté accomplie, même à nos dépens; une obéissance fidèle aux hommes qui commandent de la part de Dieu, obéissance qui doit s'étendre à tout ce qui n'est pas péché; une généreuse confiance en la bonté du Seigneur qui ne manque pas de venir à notre secours lorsque nous lui remettons tous nos intérêts, qui dispose des biens et des maux à notre avantage, qui entre dans le détail de notre conduite et qui nous fait trouver dans notre soumission à sa Providence des douceurs auxquelles nous ne nous attendious pas. C'est donc une pratique excellente pour ceux qui veulent se défaire de l'attache à leur jugement et à leur propre volonté, que de s'accoutumer à recevoir avec un esprit tranquille et résigné tout ce qui vient de la part des créatures, comme s'il partait immé diatement de la main de Dieu, s'élevant ainsi au-dessus de tous les changements et de toutes les vicissitudes des choses humaines pour se reposer en Dieu et ne compter que sur lui, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à cette heureuse indifférence qui rend tout égal et qui fait regarder d'un même œil l'adversité et la prospérité

Le septième obstacle est une ardeur immodérée pour cette sorte d'étude qui s'arrête à la spéculation, sans rien contribuer à la dévotion et à la ferveur. On s'attache à la lecture, parce qu'on s'y plaît ou qu'on y puise la science, sans se proposer de fin plus relevée. On devient plus savant à la vérité, mais d'une science vaine qui enfle l'esprit, qui produit la présomption et qui desseche le cœur. Ces sortes de gens savent parler de choses spirituelles, mais ils ne sauraient les goûter. Le remède à ce mal est de ne point étudier précisément pour augmenter ses lumières, mais pour augmenter sa ferveur; d'être bien convaincu que l'on ne sait rien quand on ne sait pas Jésus-Christ crucifié; et qu'avec cette scien ce on peut se passer de toutes les autres. Heureux celui qui fait consister son étude à penser continuellement à la vie et à la passion du Fils de Dieu; à considérer ce qu'il souffre pour lui compatir; la manière dont il souffre pour l'imiter; et le motif pour lequel il souffre, afin de lui rendre amour pour amour. C'est le moyen de faire croître de plus en plus en son âme le désir de ressembler à ce divin modèle, de souffrir avec courage toutes les adversités qui se présentent. Pour ceux qui sont tenus d'étudier par emploi et afin de se rendre utiles au prochain, il faut qu'ils le fassent en vue de Jésus-Christ et uniquement pour l'amour de lui.

Le huitième obstacle est l'inconstance et la légèreté de cœur dans les personnes.qui négligent leur intérieur, ou, ce qui est la même chose, c'est la liberté qu'on se donne de courir après divers objets et de s'en oc

cuper; ce qui produit une confusion de pensées et une multiplicité d'images qui empêchent l'âme de faire attention aux inspirations divines. Pour arrêter un tel désordre, il faut, après s'être éloigné de toutes les occasions de dissipation, s'appliquer sérieusement à chasser toutes les idées et toutes les images que les objets créés avaient laissées dans notre intérieur, à en effacer jusqu'aux moindres traces et à perdre le souvenir de tout ce qui n'a point de rapport à la sainteté. Alors notre âme n'étant plus distraite et jouissant d'un doux repos dans un silence intérieur, notre esprit, notre cœur, notre mémoire étant dégagés de tout ce qui est terrestre et passager, rien ne nous empêchera de réunir toutes nos forces pour nous élever à Dieu, auquel nous ne devons jamais cesser de tendre par un mouvement d'amour. Et pourquoi nous embarrasser de tant de choses qui troublent notre repos, tandis qu'il ne tient qu'à nous de nous borner à une seule qui suflit pour nous rendre heureux? Ainsi donc, quoique nous disions, quoique nous fassions, en tout temps, en tout lieu, imaginons-nous que ces paroles frappent continuellement nos oreilles : « Mon fils, rentrez en vous-mêmes, ne vous laissez point débaucher par les créatures; tenez votre esprit dégagé; rendez-le simple en le réduisant à l'unité, afin que vous puissiez vous fixer en Dieu, ne penser qu'à Dieu et ne désirer que Dieu, comme s'il n'y avait que lui et vous en ce monde. » Aspirons à ce bienheureux état, si nous voulons que la vérité de cette parole s'accomplisse en nous: Celui qui s'attache à Dieu est un même esprit avec lui. (I Cor., vi, 17.)

Le neuvième obstacle est une mauvaise habitude qu'on prend de faire ses actions avec tiédeur, et d'avoir plus d'égard au nombre des bonnes œuvres que l'on fait qu'à la ferveur de la charité et à la pureté d'intention avec laquelle on doit les faire. D'où il arrive que, ne suivant pas l'attrait de Dieu qui porte au parfait renoncement, on fait peu de progrès dans la vertu et dans les voics de la grâce. Pour revenir de cette mauvaise habitude, il faut prendre pour régle de conduite, une pratique qui renferme en abrégé toute la perfection. Elle consiste à élever en tout temps notre cœur à Dieu, à nous tourner amoureusement vers lui, à renouveler intérieurement le désir de lui plaire et de l'aimer parfaitement, à soupirer et à crier sans cesse après lui par des priè res courtes et ardentes et par de ferventes aspirations, telles que pourraient être cellesci: O mon Dieu! O la vie de mon âme ! O le centre de mes désirs et l'unique sujet de ina joie quand pourrai-je vous aimer trèsardemment, me mépriser moi-même et renoncer à tout pour n'avoir que vous? Que ne puis-je me consumer devant vous à force de vous aimer ! Que ne puis-je me détruire moi-même et m'abîmer pour me transformer en vous ! O mon Seigneur ! faites que je yous aime de tout mon cœur, de toute mon

âme, etc. Par ces inspirations et autres semblables que vous suggérera le Saint-Esprit, entretenez-vous avec le Dieu de votre ame; cherchiez-le par vos désirs, glorifiez-le par vos louanges et vos actions de grâces, et offrez-vous à lui pour contribuer à sa gloire. Cet exercice est très-noble et très utiio; il peut nous procurer des biens infinis, et les désirs que la charité enflamme, ne peuvent avoir de bornes, parce que celui à qui ils s'adressent n'en met point à sa libéralité. Dieu nous ayant commandé de le prier et nous ayant promis de nous accorder nos demandes, nous devons être persuadés qu'il ne permettra pas que le moindre gémissement poussé vers lui soit inutile; ou il vous donnera de nouvelles grâces, ou il ajoutera de nouveaux attraits à celles qu'il vous a déjà données, il vous attirera à lui plus fortement, il vous consolera plus doucement, il vous éclairera plus parfaitement, il vous soutiendra plus puissamment. Gardons-nous donc de négliger de si grands avantages que nous pouvons recevoir à tout moment, n'interrompons jamais un commerce si utile, cherchons continuellement le visage du Seigneur, à l'exemple du saint roi David (Ps. XXVI, 8), courons après le Dieu de notre âme à travers les eaux et les feux de la tribulation; et lorsque les distractions nous importunent, que les tentations nous pressent, que la tristesse nous abat, recourons à Dieu en esprit de pénitence. Recommençons chaque jour avec un désir plus ardent d'employer nos forces à l'aimer et à le louer. Par là nous lui rendrons l'honneur qu'il mérite, nous obéirons à l'esprit intérieur qui nous fait connaître les dons de Dieu, et nous nous défendrons de l'ingratitude qui tarit la source des miséricordes.

OBSTACLES A LA PERFECTION.-Parmi les nombreux obstacles à la perfection, il faut en distinguer quatre principaux :

Le premier vient des desseins particuliers que chacun forme selon ses inclinations, et dont il s'occupe tellement qu'il n'a ni assez de liberté d'esprit ni assez de force intérieure pour vaquer à l'étude de la vertu. L'un veut amasser du bien, l'autre veut se rendre habile dans les sciences: il n'y a presque pas d'hommes qui n'aient quelque dessein après lequel il court avec ardeur et jusqu'à épuiser toutes les forces de son âme, si bien qu'il ne reste plus de vigueur pour le service de Dieu, qui demande seul toute notre application et toutes nos forces. L'unique moyen de vaincre cet obstacle est de ne prétendre à rien ici-bas, de renoncer à toute autre entreprise et à toute autre vue que celle de la perfection et de se mettre par là en état de ne penser qu'à Dieu et à soimême. Pour en venir là, il n'est pas toujours nécessaire de quitter son emploi, d'abandonner ses affaires, de renoncer à son étude, aux soins de sa famille et aux autres occupations dont on est chargé; il suffit de les regarder comme des devoirs que Dieu nous impose, de n'y pas mettre son affec

!

tion, de ne nous y appliquer que par amour pour Dieu qui l'exige de nous comme une preuve de notre fidélité et un service qui lui est agréable. De cette manière, les affaires du dehors ne seront pas un obstacle à notre perfection, parce que ce qui est extérieur à l'homme ne saurait lui nuire que par sa faute, lorsqu'il s'y attache ou qu'il s'en occupe trop.

Le deuxième obstacle est la paresse qui retient l'homme et l'empêche de se roidir contre les difficultés. Et comme l'étude de la perfection est une de ces entreprises diffici. de vigilance, qu'il s'agit de se vaincre à chaque pas, il n'y a pas de plus grand obstacle aux efforts continuels qu'il faut faire, que cette inclination naturelle qui nous fait chercher le repos. Elle nous rend lâches et pesants dans la pratique du bien, et comme elle est née avec nous et fortifiée par l'habitude, il faut beaucoup de vigueur d'esprit, d'activité et de diligence pour la surmonter, en mettant en usage les facultés de l'âme que cette paresse tient dans l'inaction. Le meilleur moyen d'en venir à bout est de se prescrire quelques pratiques particulières de dévotion, de mortification et de charité envers le prochain, points importants qui décident de la perfection du chrétien. Celui qui s'adonne à la vertu, doit, dès le commencement, destiner quelque temps à l'oraison, à l'examen de conscience, à la visite du saint sacrement et des lieux où la sainte Vierge est le plus honorée. Il doit joindre à ces exercices quelques pratiques de pénitence, quelques aumônes, etc., s'acquitter de ce qui est prescrit avec une fidélité inviolable. Comme la liberté qu'on se donne d'écarter ce qui gêne, de n'agir que par humeur et de faire tout au hasard, entretient la paresse, le moyen de la vaincre, est de se fixer et de se contraindre par l'observation de certains devoirs. Les enfants accoutumés à faire ce qu'ils veulent ont peine au commencement à s'assujettir; mais dans la suite ils éprouvent combien cette gêne leur est utile, et que tout leur profit en dépend. De même pour ceux qui veulent être parfaits, il faut que, malgré la résistance naturelle de ce fonds de paresse, ils s'obligent à vivre selon certaines règles pour vaincre cette mauvaise inclination qui les porte à suivre leur fantaisie et à ne s'assujettir en rien. Outre les pratiques particulières, il faut aussi durant quelques mois, apporter une grande attention à veiller sur soi et à se roidir contre la paresse, s'avertissant et se corrigeant soi-même en tout temps et en tout lieu, comme on fait à l'égard des enfants, lorsqu'on veut leur faire prendre quelque bonne habitude. La chose est difficile au commencement, mais dans la suite on s'y accoutume, et elle devient la source d'un solide contentement.

Le troisième obstacle est la passion dominaute, car il y en a toujours une qui prend l'ascendant. Dans les uns, c'est l'orgueil; dans les autres, la colère, la démangeaison

ae parler, la curiosité, etc. Celui qui veut être parfait, après avoir reconnu ce vice, doit s'appliquer à le combattre de toutes ses forces, comme son plus grand ennemi et le plus grand obstacle à son avancement spirituel, et il verra bientôt par expérience que ce vice une fois vaincu, il viendra bientôt à bout des autres.

Outre ces obstacles, il y en a un quatrième qui est aussi très-grand, c'est une fausse prudence qui nous fait croire que nous devons tout faire pour conserver notre réputation, gagner l'estime et l'amitié de tout le monde. Trompé par cette illusion, on se donne mille mouvements pour se faire bien venir des autres, on a pour eux des égards et de très-grands ménagements, on se conduit si adroitement qu'on ne déplaît à personne. Si c'était par un motif de charité et pour édifier le prochain qu'on se comportât ainsi, il n'y aurait pas de mal; mais quand on le fait par amour-propre, c'est un obstacle d'autant plus grand à la perfection, qu'il est directement opposé à la confiance en Dieu, et à l'abandonnement que nous devons faire de nous-mêmes entre ses mains. C'est pour cela que saint Ignace recommande à ses religieux, comme un excellent degré de perfection, d'avoir un parfait mépris pour ce que les mondains estiment le plus, savoir la réputation, jusqu'à désirer de tout leur cœur d'être déshonorés, regardés comme insensés sans pourtant y donner motif. Le but de ce grand saint a été d'enlever ainsi un des plus grands obstacles à la perfection, qui est cette sagesse charnelle et trompeuse, laquelle justifie dans les hommes l'amour désordonné pour la réputation, et leurs soins incroyables pour la conserver. Et, comme il comprenait bien que l'obstacle était difficile à vaincre, il élève l'esprit de ses disciples, fortifie leur courage, en leur proposant l'amour du mépris comme le point le plus excellent et le plus haut degré de perfection. On voit, en effet, que ces faux sages qui aiment tant leur réputation, sont timides et chancelants dans leurs projets et s'arrêtent pour un rien dans le chemin de la vertu, tandis que les hommes généreux qui foulent aux pieds leur propre honneur, marchent avec assurance et liberté, ne trouvent rien de difficile et font des progrès surprenants, tels qu'on doit en attendre d'un homme qui choisit pour son partage la folie de la croix et ne craint point de, paraître sous les livrées de son divin maître.

A ces obstacles, il faut en joindre trois autres qui regardent en particulier les gens du monde.

Le premier est la multitude des occupations, le soin d'une famille, les événements divers qui partagent leur vie, les procès et les affaires où leur vanité, leur avarice et leur ambition les engagent; les emplois, les charges remplissent leur esprit, épuisent toute leur attention et les rendent incapables des exercices de piété, qui demandent un esprit libre. C'est pour cela que les femmes, qui sont ordinairement moins occu

« ZurückWeiter »