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De nombreuses assemblées marquèrent le commencement de l'année 1789. Le 15 février, à l'hôtel de ville, Merle haranguait les diverses corporations de la ville et se répandait en protestations d'amour envers le roi que, dans ses périodes hyperboliques, il assimilait à la divinité :

Réunis autour du trône, nous ne saurons que le bénir et l'adorer. Le lieu qui nous rassemblera deviendra un temple au moment où le Dieu des Français y paraîtra..... Si nos neveux pouvaient voir renaître des temps de sang et d'orage, le citoyen isolé charmerait ses douleurs en lisant la vie de ce prince juste et bon; la félicité dont nous aurons joui à côté de lui lui fera oublier son infortune. Telle est l'influence des bons rois qui aiment véritablement leur peuple qu'ils règnent encore sur les générations, lors même que leurs cendres reposent sous la vaine décoration d'un mausolée.....

En même temps, les avocats s'agitaient et organisaient des réunions que la loi n'autorisait nullement. Le lieutenant général de Namps prit un arrêté à ce sujet, mais sans le moindre succès, ainsi qu'il le mandait à Necker, le 27 février :

Je crois devoir vous prévenir que l'ordre des avocats de cette ville, réuni au chef municipal, dans l'intention démontrée de se procurer la députation, a déjà convoqué plusieurs assemblées du tiers aussi indécentes qu'illégales. Le bailliage, craignant les suites d'une fermentation que l'on excitait chez l'artisan et le manœuvre sous l'espoir d'un bien indéfini, crut devoir rendre public l'arrêté que j'ai l'honneur de représenter; mais il n'a produit d'autre effet que de rendre l'ordre des avocats plus ardent à faire son projet ; ils se sont répandus dans les villes et villages du ressort et doivent à l'importunité et à la séduction des adhésions d'après lesquelles deux d'entre eux viennent de partir pour aller présenter à Sa Majesté le vœu du tiers formé par des motions qu'ils avaient rédigées et communiquées à la plupart des corporations.

Ce n'était pas une vaine accusation, car, le lendemain même du jour où le lieutenant général signait ces lignes, Merle proposait à la municipalité d'augmenter le tarif des manœuvres, notamment en ce qui concernait les voitures

TOME XXXII.

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de vin. Ce tarif était déjà suffisamment élevé, puisqu'il comportait un gain journalier de quatre livres dix sous à cinq livres. Les officiers municipaux prirent l'avis de plusieurs négociants et refusèrent absolument; mais la proposition du maire, ainsi formulée à la veille des élections, n'en était pas moins de nature à lui concilier gratuitement de nouvelles sympathies. Déjà il possédait celles des cabaretiers, qui soutenaient un procès pour une question d'octroi et qui étaient persuadés que la haute protection de Monsieur leur en assurerait le gain. Il en acquit encore d'autres en prononçant dans les diverses assemblées, ainsi que l'écrivait au ministre l'intendant Amelot, « des discours ridicules par l'absolu dévouement qu'il promettait non seulement aux intérêts des habitants, mais à leurs volontés. Veilles, sacrifices, aumônes, tout enfin était offert. »

L'assemblée des trois ordres s'ouvrit, le 16 mars, en l'église Saint-Pierre. Le 18, éclata une scène de violence, dont le maire fut considéré comme étant l'instigateur. Ses amis avaient fait courir le bruit qu'il allait être destitué et remplacé par le procureur syndic, Claude Pollet1, homme fort estimable, mais nullement disposé à se plier aux caprices populaires. Dans la matinée, le crieur de ville s'était répandu chez les artisans, chez les manoeuvres, répétant partout qu'on voulait chasser Merle de l'assemblée et qu'il fallait s'y opposer. Un attroupement, qui comptait beaucoup de femmes et de jeunes gens, se forma devant l'église. « Nous allons faire la guerre, »> répondaient ces gens à ceux qui leur demandaient ce qu'ils faisaient là. Tous, armés de pierres et de bâtons, attendaient la sortie de Pollet pour « lui casser les os... Chacun de ces misérables se faisait déjà le partage de sa personne; l'un voulait un

1. Né en 1736 d'Antoine, procureur au bailliage de Mâcon, et de Suzanne Guérin, Claude Pollet avait été échevin de cette ville en 1773 et nommé procureur syndic en 1774. Elu juge en 1790, il fut appelé, le 5 juin 1800, à la présidence du tribunal, qu'il exerça jusqu'en 1808. Il mourut en 1811.

bras, l'autre la tête; d'autres encore se contentaient du nez, des oreilles. » On échangeait de cruelles plaisanteries en jouant sur le nom de la victime désignée.

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Je voudrais bien manger une aile de ce mâtin de Poulet, disait l'un.

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Et moi, disait l'autre, je prendrai la cuisse. L'excitation croissait. Une mendiante, s'en prenant au clergé, vociférait : « Il faut étriper ce jean-f... d'évêque. Des maçons commençaient à murer la porte du clocher pour que personne ne pût s'échapper autrement que par le portail. Des cris divers perçaient la rumeur de la foule : «< Vive le roi! Vive le maire! A bas Pollet! A bas le clergé! »

Justement effrayé, Pollet alla demander secours à la noblesse. Plusieurs gentilshommes interpellèrent le maire et lui déclarèrent assez vertement « que c'était là son ouvrage. »>

Le lieutenant de roi, M. de la Vernette 1, qui demeurait près de l'église, proposa à Pollet de l'emmener chez lui et exigea que Merle l'accompagnât.

Monsieur, dit-il à ce dernier, « d'un ton très élevé, » vous me répondrez de la tête de M. Pollet sur la vôtre.

On partit. M. de la Vernette tenait Pollet « embrassé par le corps; » d'autres membres de la noblesse, MM. de Chaintré 2, de Borde3, de Lamartine père et fils 5, le

1. Claude-Philibert Bernard de la Vernette, chevalier, seigneur de la Vernette, Saint-Maurice, la Rochette, etc., ancien capitaine au régiment d'Orléans, chevalier de Saint-Louis, lieutenant de roi en Bourgogne et commandant pour le roi en la ville de Mâcon. Il fut inhumé le 28 juin 1789.

2. Antoine-Marie-Augustin Palerne, seigneur de Chaintré, né le 28 août 1762, à Lyon, de Vincent, trésorier de France, et de Catherine Clapeyron.

3. Louis-Gérard Pelletrat, chevalier de Borde, seigneur de Borde, la Douze et autres lieux, ancien mousquetaire, né à Mâcon de François et de Marie Moisson. 4. Louis-François de Lamartine, seigneur de Montceau, Montculot, etc., ancien capitaine aux régiments de Tallart et de Monaco-infanterie, né en 1710, marié en 1749 avec Jeanne-Eugénie Dronier de Pratz. C'était le grand-père d'Alphonse de Lamartine.

5. François-Louis de Lamartine, seigneur de Montceau, Urcy et autres lieux, ancien capitaine au régiment Dauphin-cavalerie, né en 1752, mort le 29 avril 1827.

maire lui-même, faisaient escorte, et malgré cette démonstration, des menaces de mort furent proférées contre le procureur syndic qui, en entrant chez M. de la Vernette, s'évanouit. Comme Merle se plaignait au comte de Montrevel de ce qu'on l'accusait d'avoir soulevé cette populace: - Ne dites donc pas cela, lui répliqua vivement son interlocuteur.

Revenu devant la porte de l'église, le maire s'efforça de rétablir le calme; mais, ainsi que le remarqua le procureur du roi Siraudin 1, il ne fit aucun acte d'autorité et s'abstint de verbaliser.

L'incident causa beaucoup d'émotion. Le commandant militaire de la province, M. de la Tour-du-Pin-Gouvernet, envoya aussitôt, pour parer à tout événement, un détachement du régiment Royal-Étranger-cavalerie. Il se rendit lui-même à Mâcon, le 21 mars. « Cette explosion, écrivit-il au ministre, n'a été dirigée par le maire que contre quatre personnes du tiers qu'il regarde comme ses rivaux pour être députés aux États généraux, et principalement contre le procureur du roi de la ville..... Il n'est point question de querelle ni de division entre les ordres, et ceci n'est qu'une fermentation dans le plus bas peuple, excitée par le maire, qui est un brouillon et un vrai boute-feu. » C'était aussi l'opinion du lieutenant général qui mandait, le 20 mars, au ministre : « Il a paru constant parmi les honnêtes gens que M. le maire a un peu donné lieu à cette sédition; il a été traité fort durement par les gentilshommes, qui lui ont reproché l'indignité avec laquelle il cherche à se faire

nommer. »

Cependant, l'assemblée du tiers état poursuivait ses opérations. Le 21 mars, elle reçut une députation de la

1. Jean-Baptiste-Valentin Siraudin, procureur du roi au bailliage, né le 30 janvier 1748, à Mâcon, de François, lieutenant en l'élection de Mâcon, et d'Anne Dumont. Réputé suspect pour avoir, en octobre 1791, envoyé ses deux fils au collège de Bellelay (Suisse), il fut arrêté le 28 août 1793 et transféré à Autun, où il mourut pendant sa détention.

noblesse lui annonçant que cet ordre renonçait à tous privilèges et exceptions pécuniaires. Elle s'ajourna ensuite au 27, pour laisser le temps de rédiger le cahier. Dans l'intervalle, Merle mit tous ses partisans en campagne. Les cabaretiers, qui n'avaient pas attendu le suffrage universel pour devenir une puissance, faisaient en sa faveur une active propagande. Ils influençaient les députés ruraux logés ou nourris chez eux et leur répétaient sur tous les tons qu'il fallait absolument nommer Merle. Les manoeuvres guettaient aussi leur passage dans les faubourgs et leur tenaient les mêmes propos. Les femmes elles-mêmes s'en mêlaient. On distribuait des billets manuscrits portant: M. le maire de Mâcon. Des électeurs de campagne exprimaient tout haut leur satisfaction du bon vin que Merle leur avait envoyé; d'autres, intimidés, craignaient d'être maltraités s'il n'était pas élu.

Au jour fixé, l'assemblée arrêta définitivement le cahier. Les électeurs étaient au nombre de trois cent quatre-vingtquinze. Ils auraient dû, d'après le règlement, se réduire par la voie du scrutin à deux cents; mais ils déclarèrent « qu'ils n'entendaient faire aucune réduction et tous être admis à donner leurs suffrages pour toutes les élections. » Ils choisirent dans la même séance trois scrutateurs, et Merle en fut un. Le 28, on procéda aux élections. Comme on pouvait s'y attendre, les avocats triomphèrent. La MétherieSorbier fut élu le premier. Le lendemain, ce fut le tour de Merle, qui obtint « plusieurs voix au-dessus de la majorité. » Le candidat qui le suivait de plus près était le lieutenant général de Namps. Le 30 mars, les nouveaux élus prêtèrent serment et, dès le 1er avril, Merle partit pour Versailles.

A la suite des désordres du 18 mars, une information. avait été ouverte par le bailliage. Du 19 mars au 4 avril, soixante-dix témoins furent entendus. Ne pouvant inculper directement le maire, on interrogea une dizaine de préve

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