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encore rempli des vestiges de l'époque romaine et des premiers âges chrétiens, et où Gabriel Bulliot avait la bonne fortune d'acquérir un grand bronze d'Albin, qui orne peut-être encore son médaillier; à la fontaine de Vaucluse, dont les eaux contrastent si étrangement avec l'aridité du paysage et du rocher d'où elles se précipitent; à l'Isle-sur-Sorgue et au Thor, où nous devenions possesseur d'un sceau du douzième siècle, au nom de Hugues de Valréas (S. Hugonis de Valriaco); à Gordes, dont le vieux château et l'émouvante tour inspirent une admiration mêlée d'effroi; à Sénanque, abbaye cistercienne du douzième siècle, enfouie dans une gorge étroite, avec son église, ses bâtiments claustraux, son cloître d'une sévère nudité, encore peuplée de ces hôtes dont la présence dans ce cadre nous reportait au temps de saint Bernard; à Cavaillon où nous trouvions, dans l'ancienne cathédrale, le curé, l'aimable abbé Terris, depuis évêque de Fréjus, perché sur une haute échelle, occupé à peindre sur les piliers de son église, les armoiries des évêques de l'antique civitas Cavallicorum, et qui interrompait son travail pour nous faire le plus érudit accueil. C'était charmant de faire un voyage d'affaires dans lequel les affaires tenaient aussi peu de place et qui n'était rempli que par l'art et l'archéologie. Chacun fût devenu négociant à ce prix et dans de telles conditions. Puis le retour s'opérait par cette vallée du Rhône qui a conservé si profondément l'empreinte de la gravité romaine, par Orange et Vienne où nous trouvions encore tant de traces du génie de Rome, surtout à Sainte-Colombe, sur la rive droite du Rhône, où les antiquités abondent, presque à fleur du sol; là encore, dans la cathédrale de Saint-Maurice, si fièrement campée en regard du fleuve coulant à ses pieds, et dont l'effritement attriste les yeux, où nous retrouvions l'épitaphe de ce pannonien que les Burgondes avaient emmené en captivité, saint Léonien, et qui avait trouvé un refuge au monastère

de Saint-Symphorien d'Autun avant de se retirer à Vienne où il mourut vers 490. A quarante ans de distance, tous les souvenirs de cet agréable voyage nous sont aussi présents qu'à l'heure du retour.

§ 5.

Fouilles du Beuvray. Guerre de 1870. La Chapelle Saint-Martin. L'Emaillerie gauloise. Croix de la Légion d'honneur.

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L'Hôtel Rolin.

Pour Gabriel Bulliot, se retirer des affaires n'était pas prendre sa retraite et se confiner dans un repos bien gagné : c'était passer d'une activité à une autre et acquérir le droit de se livrer, sans remords et sans entraves, aux goûts qui avaient toujours captivé son esprit. La flamme d'art et de poésie, allumée en lui aux jours de sa jeunesse, n'avait pas succombé, grâce au soin qu'il avait eu de l'entretenir. Le commerce, toujours un peu desséchant, n'avait rien desséché ni éteint en lui. L'artiste subsistait tout entier et nul n'était plus sensible et plus vibrant à l'audition d'une strophe ou d'un concerto, au spectacle d'un paysage, à la conquête d'un objet d'art, au résultat de ses fouilles. A cet égard, on peut dire qu'il n'a jamais ressenti les atteintes de l'âge, tant son esprit s'est maintenu alerte et vaillant jusqu'à la dernière heure.

A cette date de 1868, le Beuvray, qui l'avait conquis avant d'être conquis par lui, l'occupait presque sans partage. Là, Gabriel Bulliot avait trouvé le champ duquel il allait faire sortir une ville, une civilisation, un livre. A l'accomplissement d'une telle œuvre, quelques courses hâtives, même fréquentes, étaient insuffisantes. Il fallait la présence permanente du magister operis et une équipe d'ouvriers. Un ermitage couvert en chaume et élevé par ses soins, permit une installation sommaire pour quelques semaines d'abord, pour plusieurs mois ensuite. C'est là,

certainement, que Gabriel Bulliot passa les jours les plus heureux de sa vie. Nulle part, ailleurs que dans cette solitude féconde, il ne trouva réunis les éléments de travail et de rêve qu'il avait toujours aimés. A peine avait-il fouillé une maison que son esprit en ressuscitait les habitants et les voyait à l'œuvre forgerons, maréchaux, émailleurs, armés de leurs outils, chefs de clans passant au galop, tout prenait vie sous son regard.

Pour lui, l'histoire n'était pas une science morte et décolorée, mais quelque chose de vivant et d'animé, appartenant moins au monde des ombres qu'à celui d'êtres vus dans leur sphère d'activité. Il semblait que quelque Lazare, veni foras eût été prononcé par lui, tant les habitants de la vieille Bibracte mettaient d'empressement à se rendre à son appel et à se parer, à sa voix, d'une vie nouvelle. Le soir venu, les ouvriers congédiés, il se plaisait à parcourir le plateau désert, seul ou dans la compagnie de quelque ami, et à entendre, dans la splendeur de la nuit, la récitation de quelques strophes de la Légende des Siècles, de Victor Hugo, ou des Poèmes Barbares, de Leconte de Lisle. Où la légende des siècles était-elle, en effet, inscrite en caractères plus ineffaçables que sur ce sommet du Beuvray qui avait successivement vu le totius Galliæ concilium, César et ses légions, saint Martin ou ses premiers disciples? Quel lieu avait été témoin plus fidèle et plus persévérant de nos origines civiles et religieuses? C'était, pour un esprit évocateur comme celui de Gabriel Bulliot, une source de contacts personnels qui donnaient à sa parole et à ses récits un relief d'une acuité surprenante. Le résultat de ses premières découvertes fut exposé dans les rapports présentés à la Société Éduenne en 1868, 1869 et 1870.1

1. V. Mémoires de la Société Éduenne, nouv. série, t. I, p. 173, et t. II, p. 309; t. V, p. 185.

La guerre de 1870 interrompit les fouilles commencées depuis cinq ans. Dans ces tragiques événements la parole n'était plus à l'archéologie. Et cependant, qui le croirait, si nous n'en avions été nous-mêmes témoins? Il se trouva à l'armée des Vosges, qui occupait alors Autun, un étatmajor assez confiant pour recourir à l'Essai sur le Système défensif des Romains dans le pays Éduen et pour tenter de l'appliquer à la résistance aux armées allemandes et à la défense nationale. Si ce recours inattendu était à la louange de l'archéologue, il faisait moins d'honneur à l'intelligence de ces stratégistes improvisés. Carnot se fût certainement inspiré ailleurs et n'eût pas demandé de leçons à un temps antérieur d'au moins quinze siècles à l'usage de l'artillerie.

Gabriel Bulliot connaissait trop l'histoire des Gaulois pour être surpris et surtout découragé par le triste spectacle qu'il avait sous les yeux. Il savait combien le caractère national est déconcertant de toutes les prévisions, prompt à l'affaissement et à la renaissance, prêt à la soumission et à la révolte, à la docilité comme à la résistance, également porté à se donner et à se reprendre : « Ex gente hominum inquietissima et avida semper vel faciendi principis vel imperii 1. » Aussi les événements dont il était témoin lui laissaient-ils une espérance de relèvement, que le temps a depuis affaiblie en lui, sans cependant la détruire complètement. La consolation des malades et des blessés, qui remplissaient nos ambulances, fut son lot dans l'épreuve lot moins accepté que recherché et exercé avec cet art qui laisse des traces au milieu même des plus vives souffrances. Consolator optime, in fletu solatium, eût-on pu dire aussi de lui, à la suite de ses fréquentes visites qui ne se passaient jamais sans une abondante distribution de secours qui doublaient l'efficacité des encouragements.

Ces jours si sombres et le spectacle des conséquences

1. Fl. Vopisci Saturninus.

de la défaite avaient laissé dans son esprit une empreinte profonde. Sans tomber dans le découragement, il prévoyait un avenir encore plus sombre que le présent, et qui eût pu le taxer de pessimisme et d'exagération? Ces angoisses ne lui étaient pas particulières. Bien d'autres, en ce moment, les ressentaient comme lui, et nous en trouvons une trace dans la lettre suivante que son maître et son ami, Jules Quicherat, lui adressait au sortir de la lutte, à la date du 4 mars 1871 :

Paris, 4 mars 1871.

Dieu merci! mon cher confrère, je suis sorti sain et sauf des terribles épreuves par lesquelles nous venons de passer. La grêle d'obus dirigée particulièrement sur les alentours de l'Odéon, n'a atteint ni ma maison ni ma personne; les alarmes, les insomnies, les privations, les fatigues ne m'ont pas mis, un seul instant, hors de service. Je n'ai souffert que de la pensée de nos malheurs, et comme il restait encore quelque espoir de voir la fortune se retourner, ma douleur était moins vive qu'aujourd'hui que tout est consommé, que nous voilà jetés sur le carreau, humiliés, ruinés, mutilés. Puissions-nous profiter de cette cruelle leçon et nous corriger des travers qui ont causé notre perte !

Je pense comme vous que ce n'est pas de si tôt que les recherches d'antiquités pourront être reprises, celles du moins qui se faisaient aux frais de l'État. Tout ce qu'il y aura d'argent disponible sera pour payer notre rançon, mais rien n'empêche les hommes studieux, comme vous, de mettre en œuvre les matériaux qu'ils ont amassés. La vengeance que nous avons à prendre de l'Allemagne n'exclut pas les travaux de l'esprit. Nous avons à lui montrer que, dans cette partie comme dans toutes les autres, quand nous le voudrons, nous serons ses maîtres. D'ailleurs, l'histoire est une arme de guerre dont il importe que nous nous servions à notre tour. Puisqu'une nation de malandrins prétend démembrer la nôtre sous prétexte de revendication, il devient nécessaire de prouver l'antériorité de nos droits et de répéter sur tous les tons que nous étions une grande nation lorsque la Germanie n'était rien.

Ce que vous me mandez au sujet du soi-disant Temple de Janus achève de m'édifier sur cette ruine. Lorsque je la visitai, elle me fit

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