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pauvres ménages d'artisans, elles avaient au moins échappé aux funestes restaurations qu'un hôte plus notable eût exigées et leur déchéance avait été pour elles une cause inespérée de salut.

Mais un premier obstacle se dressait devant le projet : l'immeuble, en saillie sur l'alignement, était sujet à recul et ne pouvait ainsi devenir l'objet de travaux confortatifs. Dans ces conditions, il semblait qu'il n'y eût autre chose à faire qu'à s'abstenir ou à porter ses visées ailleurs. Qui n'eût reculé tant en présence de l'état de dégradation des bâtiments que de leur situation en dehors de l'alignement? Ce serait peu connaître Gabriel Bulliot que de croire que ces graves motifs puissent faire fléchir sa volonté. Son premier soin, aussitôt qu'il eut obtenu du propriétaire un engagement conditionnel de vente, fut de solliciter un arrêté de classement de l'immeuble comme monument historique : classement qui avait pour effet d'anéantir la servitude et de permettre d'entreprendre la restauration de l'édifice. Après un rapport favorable de l'architecte et l'avis du comité, l'arrêté de classement fut signé le 14 juillet 1877 et, dans la séance du 25 du même mois, la Société Éduenne vota l'acquisition de l'immeuble au prix de 10,000 francs.1

Restait la question d'argent, mais elle est de celles qui, avec le temps, au moyen de quelques sacrifices et avec la confiance en soi, obtiennent toujours une solution favorable. Ainsi en fut-il dans cette occasion, grâce à une persévérance et à une adresse justement récompensées par le succès. Trois ans après, les travaux de restauration et d'aménagement intérieur, habilement dirigés par M. Jean Roidot, étaient assez avancés pour que la Société ait pu se réunir << en son hôtel » le 3 septembre 1880. 2

Que de chemin parcouru depuis que Gabriel Bulliot avait

1. Mémoires de la Société Eduenne, t. VII, p. 528, 529 et 530.

2. Idem, t. X, p. 495.

été élu aux fonctions de président en 1861! Quelle impulsion donnée aux études archéologiques! Quel résultat inespéré produit par ses efforts! C'était pour nos hôtes et nos visiteurs de passage un sujet de stupeur et d'ébahissement, qui aboutissait toujours à la question : « Comment avez-vous fait tout cela?» A quoi Gabriel Bulliot répondait modestement : « Oh! c'est bien simple: nous avons fait comme tout le monde, comme les grands et les petits états; nous avons fait des dettes, seulement..... nous les avons toutes payées, ou à peu près. » Et c'était vrai. Le vieux logis des Rolin avait retrouvé sa haute allure du quinzième siècle, dix salles s'étaient successivement ouvertes aux collections de tout genre, et en vingt ans le passif se trouvait presque entièrement amorti. L'entreprise ne se bornait pas à l'édifice seul. Deux maisons qui masquaient l'ancien rempart servant de clôture à la demeure des Rolin avaient été acquises et démolies, laissant apparaître la muraille, couronnée de machicoulis et de crénaux, dont l'ensemble constitue un des coins les plus pittoresques de la ville. Quant à la tour joignant le rempart et qui servait à défendre l'entrée du Castrum, Gabriel Bulliot, après l'avoir acquise de ses deniers, en fit don à la Société Éduenne, prenant ainsi à cette œuvre de restauration une part plus large et plus personnelle.

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A cette date, on pourrait croire Gabriel Bulliot tout occupé à la réalisation de ce vaste programme de fouilles au Beuvray, d'acquisitions et de réparations à Autun, sans qu'il lui restât une minute pour d'autres pensées. C'est précisément l'heure où, par un étrange constraste, son esprit se reprenait, avec le plus d'intensité, à l'art et à la poésie non par des vers, comme en 1839, mais par

l'interprétation de l'œuvre du plus poète des peintres, d'Adrien Guignet. Dans l'œuvre d'Adrien Guignet, il y a deux versants: l'un tourné du côté de l'Orient, qui se manifeste par des rochers calcinés, des défilés hérissés qui appellent le guet-apens, des sables recuits et hantés par les nomades détrousseurs, des régions écorchées, dont l'homme a usé la substance et que le soleil achève de dévorer ; à la même face appartiennent ses visions bibliques, empruntées à l'histoire de Moïse, de Joseph, de Tobie, du Précurseur. L'autre, tourné vers le nord, peuplé de forêts silencieuses, d'arbres qui semblent avoir souffert, d'eaux inquiètes dans leur course ou tragiques dans leur immobilité. Entre les deux, l'artiste s'était plu à la peinture d'une contrée non moins farouche, non moins hâve que la première : Castille, traversée par l'ombre de don Quichotte, ou Calabre peuplée de soudards, de brigands empanachés, de cavaliers en mouvement pour quelque mauvais coup, de buveurs brutaux. La partie la plus personnelle de son œuvre s'inspire d'une existence « hors la loi », dégagée des entraves sociales, qui ne se sent à l'aise que dans les régions désertiques où la maraude s'exerce librement. Dès son enfance, Guignet s'était nourri de la gravité du paysage autunois: les rochers de Brisecou, les hêtres de Montjeu, les ruines romaines qui encadrent la ville, la forêt qui plane sur l'ensemble comme la maîtresse du sol, tous ces traits avaient laissé dans son imagination une trace qui se retrouvera souvent sous son pinceau.

Entre l'archéologue, resté poète, et l'artiste, lui aussi, épris d'archéologie, nombreuses étaient les affinités. Nulles natures mieux faites pour se comprendre et se pénétrer. Dans les esprits d'élite, la pesanteur sociale produit un effet de réaction. Le spectacle de l'État, ce gros paresseux, décimateur de tous les efforts, oppresseur des consciences, coupeur de toutes les ailes, dont la main se glisse dans toutes les poches et se pose sur toutes les épaules, fait

naître un désir de fuite au désert. C'est dans ce besoin de libération et d'affranchissement qu'il faut chercher le secret des aspirations du peintre vers ces terres, devenues rares, qui se meuvent sans constitutions, sans gendarmerie, sans contributions directes et indirectes, où l'homme ne vaut que par lui-même, par la force ou par la ruse, sans le secours des brassières imaginées pour son oppression. Aux heures de sa jeunesse, Gabriel Bulliot avait fait des rêves semblables qui ont laissé une trace dans ce fragment:

Écrit après une lecture de LA PRAIRIE, de Cooper.

Quand, laissant retomber ta longue carabine
Sur le sol qui frémit et dont l'herbe s'incline,
Quand, les doigts appuyés sur le canon de fer,
Ton œil d'aigle planait sur l'immense désert;

Dis-nous donc, vieux chasseur, tout de bronze et de flamme,
Les rêves qui passaient alors devant ton âme.
Que te semblaient à toi, ces captifs couronnés
Qu'un palais prive d'air et qui ne sont pas nés
Pour jouir du soleil et de cette nature

Qui te gonflait le cœur, comme une source pure,
Où l'on boirait sans fin, sans jamais se lasser?
Tout seul dans le sillon que tu voulus tracer,
Que te semblaient de loin les villes où nous sommes,
Sans daims et sans forêts, prisons indignes d'hommes,
Esclaves de la loi, sujettes de travers

Dont tu ne savais pas le nom dans tes déserts?

De quel œil de dédain voyais-tu notre vie
Étroite, sans espace, à toute heure suivie

D'un cortège d'ennuis, son pain de chaque jour?
Tu disais : Je mourrais bien vite en ce séjour !
Le Grand-Esprit m'a fait pour une autre patrie;
L'aigle vit dans les airs, le buffle en la prairie.
Ton instinct était beau, sublime, ô mon chasseur!
La solitude aussi peut cacher le bonheur,
Un étrange bonheur, grand comme la nature,

Où l'homme se sent fort, royale créature.

Quand tu prêtais l'oreille aux sons de la rafale
Glissant comme un frisson, ou comme la cavale
Du pâle cavalier qu'on appelle la Mort;

Quand, troublant tout à coup le silence qui dort,
Son vol précipité balayait la prairie

Et faisait palpiter l'herbe verte ou flétrie,
Sous son coup d'aile immense et ses étranges voix,
Tu disais, vieux chasseur: La musique des bois
Est la seule qui doive attendrir notre oreille,
Et les hommes jamais n'en ont eu de pareille
Dans les étroits cercueils des habitations;

Ils ne comprendraient pas ton orchestre sublime
Dont le chant nage au loin comme dans un abîme.

Ils ne comprendraient pas le vent dans les lianes,
Ni la voix du brin d'herbe au milieu des savanes,
Ni la forêt troublée, orgue retentissant.

Tu sentais au vent frais rire ta chevelure,

Et la brise, baisant ton visage terni,
Se jouer sur ton sein par le soleil bruni;
Tu disais Ce baiser vaut celui d'une femme,
Et le désert est seul assez grand pour mon âme :
Dieu, la nature et soi, là sont tous les bonheurs :
La solitude peut suffire à certains cœurs.
Tout entier au désert, à tes plaisirs austères,
Nul bruit ne t'arrivait des côtes étrangères.
Des rois tombaient au vent des révolutions;

Tribuns, trônes, autels, lois, institutions,

Dans la fange et le sang en vain roulaient ensemble,

En vain ces grands fracas, dont chaque peuple tremble,

Faisaient rugir le sol et tressaillir les airs;

Plus fort que tous ces vents, le vent de tes déserts,
De ces bruits insensés préservait ton oreille

Et venait, seul, charmer ta solitaire veille.
Pendant qu'on s'égorgeait, qu'on tirait le canon,
Toi perdu pour jamais dans tes plaines sans nom,
Tu voyais le printemps rendre aux feuilles la vie;
Ou, changée en lac blanc, tu voyais la prairie
En pleurant dérouler le manteau de l'hiver;
Alors, sans regretter l'ancien vêtement vert,

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