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Ton œil suivait au loin l'immensité de neige;
Sans livres, sans amis, par qui le temps s'abrège,
En chassant, tu passais cette longue saison,
Tandis que les forêts te servaient de maison. '

Ces rêves, d'une vie libre et affranchie des servitudes sociales, ne se sont jamais complètement effacés de l'esprit qui les a exprimés avec tant de sincérité, et je ne voudrais pas jurer qu'ils aient été tout à fait étrangers au goût violent de l'auteur pour le Beuvray où, durant ses stations de plusieurs mois, chaque année, il donnait un corps à ses aspirations de solitude et de silence. Ils trouvaient un autre aliment dans ces scènes consacrées par Guignet à tous ces évadés de la civilisation, brigands embusqués à l'ombre d'un rocher, cavaliers traversant un désert, nomades accroupis au pied d'un palmier, que le peintre excellait à représenter dans leur posture farouche et inquiète. Nul ne les appréciait mieux que Gabriel Bulliot. Il connaissait toutes les toiles de Guignet, les suivait de main en main, comme un chasseur à l'affût, guettant l'occasion de s'en rendre maître et de les accrocher, conquises une à une, aux parois de son cabinet. A force de persévérance, il était arrivé à réunir quatorze tableaux et trois dessins dont la contemplation était pour lui la source des plus pures jouissances et comme la mise en action de ses rêves.

Gabriel Bulliot n'était pas ingrat. Il savait payer les joies reçues comme les services rendus. En lui, le peintre trouva le biographe le plus épris et le plus zélé, l'interprète le plus fidèle et le plus consciencieux. Il en a parlé avec une émotion communicative et attendrie. C'est qu'à son art Adrien Guignet joignait le mérite d'avoir passé sa jeunesse à Autun, d'y être revenu fréquemment, d'avoir toujours eu la passion de ses sites et de ses monuments, de s'en être souvent inspiré et d'en avoir reproduit un grand

1. L'Éduen du 16 janvier 1842.

TOME XXXII.

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nombre dans ses tableaux. Tout était donc réuni pour mettre à Gabriel Bulliot la plume à la main et lui inspirer la pensée de faire connaître la vie du peintre et le catalogue de son œuvre1. Nul récit plus touchant que celui de cette vie si courte et si laborieuse, semée de tant d'épreuves. En le lisant, on sent, à chaque page, les affinités des deux natures et tout ce qu'elles avaient de commun dans la façon de comprendre l'art et de l'exprimer.

En s'attachant ainsi, avec passion, à l'œuvre d'Adrien Guignet, Gabriel Bulliot ne se détachait pas du Beuvray qui ne lui était pas moins cher. C'est précisément au cours de cette étude d'art qu'il publiait ses deux nouveaux mémoires sur la Foire de Bibracte2 et sur les Loges des Fondeurs nomades à la foire de Bibracte3. Les résultats, acquis par plus de vingt ans de fouilles, étaient alors assez considérables pour permettre à l'auteur d'en présenter la synthèse.

§ 7.

La Cité Gauloise. - Fouille au mont Beuvray et à la Genetoye.
Jehan Drouhot.

Cette synthèse, publiée seulement en 1879, remontait en réalité à dix années en arrière 4. L'auteur la reprendra plus tard avec plus d'ampleur et à l'aide d'informations plus abondantes. Il ne se décida qu'avec peine à livrer à la publicité un travail qui lui semblait en retard, même sur ses récentes découvertes. Dans cette circonstance, il

1. Le Peintre Adrien Guignet, sa Vie et son Œuvre, dans Mémoires de la Société Eduenne, t. VII, p. 403 et t. VIII, p. 89. Tirage à part, in-8°, de 218 pages. Autun, 1878.

2. Mémoires de la Société Éduenne, t. VII, p. 1.

3. Idem, p. 175.

4. La Cité Gauloise, par J.-G. Bulliot, en collaboration avec M. J. Roidot, in-8°, de 285 p., Autun, 1879. Voir, sur le temps où ce volume fut élaboré, p. 285, note.

s'inspira moins de ses propres sentiments que des égards dus à un collaborateur auquel l'unissaient de vieux liens d'amitié.

Après le beau livre de Fustel de Coulanges, qui avait fait connaître la Cité Antique, on ne pouvait qu'apprendre avec intérêt la structure de la Cité Gauloise, elle aussi, partant de la famille, cellule primitive de toutes les sociétés humaines, pour arriver au clan composé des familles issues de la première; à la tribu, formée de l'association de plusieurs clans; à la cité, dernière forme d'une évolution que la conquête romaine a enrayée, sans qu'on sache si l'union des cités aurait pu se produire et tendre à la constitution d'une hégémonie. L'histoire est ce qu'elle est. Elle ne se compose ni de regrets ni de préférences qu'on peut manifester à son choix, mais de faits dont on doit déterminer les causes et l'enchaînement et dérouler les conséquences. C'est ainsi qu'elle est susceptible de devenir une science et un enseignement, sans qu'on se donne la tâche, assez puérile, de la refaire à son gré.

Jusqu'alors la cité gauloise avait été vue à travers la cité antique. Celle-ci avait déteint sur celle-là. Entre elles, cependant, nulle analogie. Tout est contraste. La Cité Gauloise a pour but de détruire cette erreur d'optique et de remettre les choses au point.

Lorsque les Romains pénétrèrent dans la Celtique, l'évolution qui avait constitué les cités était encore trop récente pour que des villes, au sens que nous attachons à ce mot, se soient formées et que les clans aient perdu leur empire. Aux chasseurs et aux pâtres, qui forment le fond de la population, la solitude, avec ses forêts et ses landes, seule importe. Les intérêts communs sont faibles. Ils se bornent à la défense du territoire contre les cités voisines, défense qui a dans l'oppidum son centre et son armure. La faiblesse des intérêts communs engendre celle des liens entre les différents clans, nulle autre cohésion que celle qui est

rendue nécessaire par la défense passagère du sol. Entre eux, la rivalité est plus commune que l'accord. La cité gauloise présente ainsi l'image d'une société, à peine dégrossie, tout embryonnaire, dans laquelle chaque vicus, soumis à un chef différent, a sa vie propre. Le commerce se borne à des échanges de fourrures et de pelleteries, contre les vins et les huiles de la Province, semblables à ceux que pratiquent les Indiens des Réserves américaines. L'industrie ne s'élève guère au-dessus de la fabrication de poteries grossières et de quelques instruments en fer, armes et outils, forgés dans des ateliers dont on a retrouvé la trace. Nul autre art que celui de la monnaie, imitation barbare des pièces grecques et massaliotes, et l'émaillerie qui commence à colorer quelques petites parties de fibule et de frontail. Aucun autre luxe que celui des chevaux et des armes.

Dans ces cités, sans cesse armées pour l'attaque ou la défense, la lutte est continuelle; non seulement entre les cités, mais dans la cité elle-même. Entre les cités, lutte pour la suprématie, pour les péages ou simplement pour le pillage; dans la cité, pour le pouvoir et les gains qu'il procure. L'autorité suprême dépendait tantôt d'une hérédité intermittente et contestée, tantôt d'une élection annuelle et disputée. L'anarchie seule était régulière et perma

nente.

Les mots ne doivent pas nous faire illusion sur les choses. Dans leur description de la Gaule, les Romains ont fait usage des termes propres à leur langue et qui n'avaient qu'un rapport très vague et très lointain avec l'état social qu'ils voulaient dépeindre : « Lorsque César mentionne les cités gauloises, les sénats gaulois, les chefs de cités, les magistrats, nous avons à nous tenir en garde contre un perpétuel malentendu qui consiste à voir la Gaule à travers les idées, ou plutôt à travers les expressions romaines. Rien n'est plus trompeur que cette identité des termes

appliquée à des choses profondément disparates1. » C'est la vérité pure. Ne soyons pas dupes des mots. En réalité, la cité est une simple fédération de clans unis pour la défense commune 2; les lois sont la coutume propre à chaque clan3; l'oppidum est un lieu de secours, ainsi nommé quod opem præbet, sans comparaison possible ni rien de commun avec l'urbs classique; le sénat, une assemblée tumultueuse, réunie en plein air, composée des chefs des clans, à cheval et en armes, délibérant sur les questions de guerre, de paix ou d'alliance, jugeant moins d'après l'intérêt public que suivant les convenances privées; sénat semblable aux diètes polonaises et destiné au même sort; les chefs, roi ou vergobret, jouissant d'un pouvoir absolu mais sans moyen de l'exercer. Rien de tout cela ne tient et il suffira d'un choc pour jeter à terre le fragile édifice.

L'auteur a mis un grand art à nous faire connaître cette société en formation et dans laquelle les éléments organiques sont encore à l'état flottant éléments dont un certain nombre se retrouvera plus tard et prendra corps dans la société féodale. Il passe successivement en revue la cité et ses chefs, le clan et sa constitution, l'oppidum militaire, l'oppidum commercial ou emporium, le dunum, le régime intérieur de la cité, la coutume, le sénat, le système fiscal, la religion et les druides. On sent que l'auteur est maître de son sujet et il l'expose en des traits nets et précis qui changeront peu et qui trouveront plus d'éléments de confirmation que de contradiction. Son livre restera comme le tableau le plus exact et le plus fidèle qui ait été fait de l'état de la Gaule avant la conquête romaine. Sous les mots, il a su voir les choses et il les a peintes avec une précision et une couleur qui inspirent et justifient la confiance.

1. La Cité Gauloise, p. 195.

2. Idem, p. 108.

3. Idem, p. 205.

4. Pomponius Fortus, De Verborum significatione, etc. Idem, p. 112.

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