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Il serait oiseux de se demander si la Gaule eût pu parvenir à l'unité, combien de siècles eussent été nécessaires à cette évolution, ce qui fût advenu en cas d'une invasion de la Gaule, encore barbare, par une Germanie plus barbare encore. La conquête romaine n'a pas permis à l'évolution de s'accomplir, et nul ne peut dire si elle se fût effectuée ni en combien de temps, ni quelles eussent été sa forme et sa durée. L'auteur s'est tenu à l'écart de tout système. Il a vu et fait voir et son livre a jeté un jour décisif sur un état de choses encore obscur et peu compris.

Chemin faisant, l'auteur raille les érudits, « qui ne se font aucun scrupule de loger les chefs gaulois dans des palais construits pour les fonctionnaires de Constantin1. » C'est que la connaissance de la période gauloise, antérieure à la conquête, est en effet toute récente. Elle remonte à peine à une cinquantaine d'années, et Gabriel Bulliot est certainement un de ceux qui ont le plus contribué à la répandre sa Cité Gauloise en est la meilleure preuve.

C'était au sol, témoin fidèle, que Gabriel Bulliot se plaisait à demander, de préférence, la solution des problèmes archéologiques. Aussi, chaque année, étendait-il, au Beuvray, le cercle de ses fécondes investigations.

En 1878, il fouille le Champlain qui lui donne quarante habitations et ateliers de fondeurs et de métallurgistes 2. L'année suivante, c'est le Parc aux Chevaux qui apporte son contingent de révélations nouvelles, avec sa grande maison « de soixante-dix mètres de côté, son atrium, ses couloirs, sa large entrée, ses nombreux appartements, ses dessertes 3. » Malgré son étendue, cette maison n'était pas moins gauloise que toutes les autres. Son constructeur a pu s'inspirer des modèles romains, mais la main-d'oeuvre,

1. Pomponius Fortus, De Verborum significatione, etc. Idem, p. 195. 2. Mémoires de la Société Éduenne, t. VIII, p. 433 à 476.

3. Idem, t. X, p. 75 à 118.

les procédés, l'absence du marbre, tout indique un édifice gaulois « Cette habitation, dit l'auteur, paraît donc un spécimen curieux de transition, un témoin des modifications que le contact des civilisés introduisit dans les mœurs des Éduens. Elle montre l'invasion presque timide de ce luxe que les Romains regardaient comme un auxiliaire, tant qu'il ne les eût pas énervés eux-mêmes; il se glissa dans les masures de Bibracte sans y prendre franchement racine, sous les rigueurs d'un climat répulsif. Force fut, pour atteindre ce but, de créer une ville nouvelle, de fonder à Augustodunum un centre où la race gauloise pût s'assimiler plus facilement les mœurs des conquérants. » 1

Malgré ses séjours annuels au Beuvray et ses études sur l'ethnographie gauloise, Gabriel Bulliot ne se désintéressait pas des antiquités romaines que contenait le sol autunois. Le désir d'occuper les ouvriers sans travail, durant le triste et rigoureux hiver de 1870-1871, lui avait inspiré la pensée de faire pratiquer des fouilles autour de l'imposante ruine dite le Temple de Janus, dans un but commun d'assistance et d'intérêt archéologique 2. Jamais il n'était plus heureux que quand il pouvait associer ces deux objets et faire ainsi marcher d'accord la science et la charité en offrant une tâche aux bras inoccupés. Sa bonne inspiration trouva sa récompense dans la découverte d'un vaste ensemble de constructions situées dans le voisinage du monument, sans cependant que celui-ci ait livré le secret de son origine et de sa destination encore incon

nues.

Son attention, sans cesse en éveil, ne se portait pas avec un moindre intérêt sur les souvenirs que la race éduenne avait laissés au loin durant le cours des siècles. Il se plaisait à suivre ses traces, pas à pas, partout où les accidents

1. Mémoires de la Société Éduenne, t. X, p. 78.

2. Idem, t. IX, p. 419-461.

de l'existence avaient conduit ses représentants. C'est à cette sollicitude qu'il faut attribuer son mémoire, à la fois si curieux et si touchant, sur le murmillon éduen, Columbus Serinianus, mort à l'âge de vingt-cinq ans, à Nimes, et dont la stèle, érigée en son honneur par Sperata, sa veuve, fut retrouvée en 1810, encore en place et accompagnée de l'urne funéraire, dans le voisinage immédiat de l'amphithéâtre. 1

L'histoire du moyen âge ne le trouvait pas moins alerte. Il lui réservait les soirées d'hiver, quand la neige couvre la terre et rend les fouilles impossibles, que la bise siffle au dehors, que le poêle ronfle au dedans, que la lampe répand ses rayons sur la table de travail, laissant dans l'ombre les statues, à l'aspect de revenant, qui se dressent à chaque coin du cabinet de l'antiquaire et inspirent sa tâche. Parmi ces effigies, que Gabriel Bulliot a évoquées et fait revenir sous nos yeux, est celle de messire Jehan Drouhot, curé de Saint-Quentin d'Autun, mort en 1481, et dont il possédait le tableau funéraire, peint sur bois avec sincérité et non sans artifice. Ce Jehan Drouhot était, on peut le dire, un personnage testamentaire. Il passait sa vie à faire des testaments et des fondations destinés à procurer à son âme le bienfait d'une prière multiple et perpétuelle. Dans l'espace de treize ans, de 1467 à 1480, il ne fit pas moins de quatorze fondations testamentaires, en se donnant la satisfaction de les mettre en train et de les faire exécuter de son vivant et en sa présence. Il avait choisi sa sépulture en l'église Notre-Dame du Châtel d'Autun, près d'un pilier soutenant le buffet des orgues, et au pied duquel il avait fait placer une large dalle portant son épitaphe 2. C'est là qu'aux jours prescrits dans ses nombreux testaments il se

1. Mémoires de la Société Éduenne, t. XI, p. 517-526.

2. Jehan Drouhot, curé de Saint-Quentin, chanoine de la collégiale de NotreDame du Chastel d'Autun, et ses Fondations, dans Mémoires de la Société Éduenne, t. X, p. 301 à 360.

rendait avec ses confrères du Chapitre de Notre-Dame et unissait sa voix aux prières psalmodiées en sa faveur. Il pouvait ainsi s'assurer que tout se passerait bien. Jehan Drouhot était, on le voit, un esprit avisé qui ne remettait pas les choses au hasard ni au lendemain. C'est avec Charles-Quint, croyons-nous, le seul personnage qui se soit plu à assister ainsi à ses obsèques : avec cette différence en sa faveur, qu'il y assista pendant quatorze ans et plusieurs fois chaque année. Était-ce ce goût excessif et peu commun pour les funérailles, qui avait charmé Gabriel Bulliot? ou le portrait du testateur, représenté en costume de chœur, à genoux au pied de la croix, lui inspira-t-il le désir de faire la biographie du personnage dont il avait l'effigie sous les yeux? Nous ne savons. Mais, en tous cas, le tableau, éclairé à la lumière des documents, a donné à l'auteur l'occasion d'une curieuse étude sur les sentiments qui animaient encore les esprits à cette heure dernière du moyen âge expirant. 1

C'était là un de ces travaux d'hiver, silencieusement accomplis au milieu de tous ces objets d'art dont le contact prépare et dispose l'esprit à l'intelligence des siècles passés. Il s'établit ainsi entre l'âme et les choses une communication qui facilite la tâche. A cet égard, Gabriel Bulliot s'était muni d'instruments de premier choix. Son cabinet était devenu un véritable musée qui eût encore gagné à un peu de jour laissé entre chaque chose et à une lutte plus soutenue contre l'encombrement. Mais c'était là un point sensible auquel il ne fallait pas toucher : toute sollicitation eût échoué.

La belle saison ramenait bien vite au Beuvray Gabriel Bulliot qui reprenait ses fouilles avec l'entrain accoutumé. L'été de 1882 fut employé à poursuivre l'exploration du̟ Parc aux Chevaux 2. Le bruit des découvertes avait mis le

1. G. Bulliot a fait don de ce précieux tableau à la Société Éduenne.

2. Mémoires de la Société Eduenne, t. XII, p. 93 à 123, t. XIII, p. 141 à 166.

Beuvray à la mode. De toutes parts on s'y rendait en caravanes joyeuses, plus ou moins avides de s'initier aux mystères de l'archéologie celtique. Assurément, ceux qui s'attendaient à voir paraître sous leurs yeux les merveilles de quelque Timgad gauloise éprouvaient un certain désenchantement. Quoi! ces habitations de troglodytes, ces murailles en pierres à peine unies par la terre battue, ces poteries grossières, ces monnaies à demi frustes et, pour la plupart, en potin, c'était là tout ce qui restait de l' « oppidum longe maximum et copiosissimum », tant vanté par César. C'est à peine si la vue des vastes retranchements, qui protégeaient l'accès de la forteresse, parvenait à rasséréner les visiteurs déçus dans leur attente. Mais pour tous, c'était une leçon de choses, la plus éloquente de toutes, prise sur place, sur les lieux, et commentée par une parole sûre d'elle-même et qui faisait naître la conviction dans les esprits les plus rebelles.

L'exploration accomplie en 1882 portait sur une vaste habitation, couvrant, avec ses dépendances, une superficie de 1,450 mètres. Comme la précédente, celle-ci était établie, d'après le plan et le modèle des constructions romaines, en quadrilatère régulier, avec atrium et portique autour desquels s'ouvraient les différentes cases d'appartements. Elle appartient certainement à la dernière période de l'indépendance, qui a immédiatement précédé la conquête. Sa structure est un témoignage manifeste de l'influence croissante exercée par les Romains sur les Gaulois et de la prompte aptitude de ceux-ci à s'inspirer des modèles et des exemples fournis par une civilisation plus développée. C'est ainsi que, peu à peu, l'oppidum livrait les secrets des phases successives de son existence. La campagne suivante porta sur l'exploration du Theurot de la Roche et de la Pierre Salvée. 1

1. Mémoires de la Société Éduenne, t. XIV, p. 1 à 23, et t. XVI, p. 233 à 247.

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