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Tout n'est pas rose, cependant, dans la vie de l'antiquaire. Dans la carrière, les déceptions se mêlent souvent aux découvertes les plus fortunées. Bien peu, même parmi les plus avertis, échappent à l'amorce tendue par les fraudeurs, tant ceux-ci savent se parer de fallacieuses garanties et accompagner leur récit de développements favorables. La supercherie était déjà pratiquée en 1840, quoique sur une échelle moindre et surtout moins lucrative qu'aujourd'hui. Comme beaucoup d'autres, Gabriel Bulliot tomba, une fois, dans le piège. C'était à propos d'une enseigne de la VIII légion Augusta, rapportée du Midi à Autun, par un professeur de dessin, quelque peu brocanteur : l'enseigne d'une légion, objet tentant entre tous et qui s'était offert, pour le prix dérisoire de 20 francs, à sa bourse naissante. Puis, le doute, que le possesseur crut ensuite suggéré par la jalousie, le décida à se dessaisir du précieux emblème en échange d'un tableau. Ses regrets s'accrurent quand il apprit qu'en 1845 l'enseigne avait été adjugée, en vente publique, au prix de 1,800 francs. La découverte, faite en 1883, d'un camp permanent de la VIII légion Augusta, près de Mirebeau, dans la Côte-d'Or, si près de nous, lui rappela sa prétendue bonne fortune et lui fournit l'occasion. de déplorer, une fois de plus, la crédulité qui l'avait induit à se séparer d'un objet aussi précieux 1. Les regrets étaient de trop. Les amis qui avaient averti Gabriel Bulliot de sa méprise ne s'étaient pas trompés sur la fausseté de l'enseigne et la jalousie n'avait eu aucune part dans l'affaire. Le procès a été jugé depuis par un juge aussi compétent dans la question que désintéressé.

La fouille du sol se prête moins au jeu des fraudeurs et laisse peu de place à leurs manœuvres. La découverte de nombreuses carrières de pierre, exploitées à l'époque

1. L'Enseigne de la huitième légion Augusta, dans les Mémoires de la Société Éduenne, t. XV, p. 315 à 321.

gallo-romaine pour la fabrication des cercueils, près du village de Saint-Émiland, désigné avant le seizième siècle sous le nom de Saint-Jean de Luze, fournit à Gabriel Bulliot l'occasion d'émettre une conjecture très vraisemblable sur l'origine et le sens de ce nom. S'appuyant sur ce fait que, dans plusieurs pays, et, en particulier, en Picardie, ces cercueils de pierre sont désignés sous le nom de luse, lusier, lusière; que la région de Saint-Émiland est anciennement appelée Lausa, Lause, Leusia, dont la forme se retrouve encore aujourd'hui dans le nom de Pierre Luzière que porte la forêt voisine; que du Cange applique aux carrières de dalles le nom de Lausa, Lauseria; que l'on trouve de nos jours, près de Saint-Émiland un grand nombre de ces cercueils en pierre du pays : l'auteur n'hésite pas à conclure que le vieux nom du pays a son origine dans les nombreuses carrières exploitées sur ce plateau1. On fabriquait aussi, au même lieu, des meules de moulin, dont l'une, encore en place et engagée dans la roche avant son dégagement complet, connue sous le nom, tout mérovingien, de pierre Guenachaire, a été l'origine de la légende des pains de saint Émiland.

Il n'était pas un coin où le sol fût remué sans que Gabriel Bulliot vînt l'interroger et lui demander son secret. Tout était matière à ses investigations, souvent couronnées de succès. L'une de celles-ci fut particulièrement intéressante. Il existe sous les murs nord-est de l'hospice d'Autun un vaste terrain triangulaire, limité des deux autres côtés par la rue de la Croix-Verte et le boulevard Mazagran, appartenant presque tout entier à cet établissement hospitalier et connu très anciennement sous le nom de terre aux orfèvres, qu'il doit au nom et à la profession de ses premiers possesseurs Robertus Aurifaber, en 1138; Petrus Aurifaber,

1. Les Carrières et les Carriers gallo-romains du plateau de Saint-Émiland, dans Mémoires de la Société Éduenne, t. XVI, p. 214 à 227.

en 1161; Robertus Aurifaber, en 1198; Girardus Aurifaber, qui donna ce champ à la léproserie de Fleury, en 1222, et leurs nombreux descendants dont on suit la trace jusqu'en 1281. Il se trouve que, par suite d'une circonstance qui n'est peut-être pas fortuite et que son nom justifie, ce champ, qui était autrefois traversé par la voie d'Agrippa, a été particulièrement fécond en en découvertes d'objets précieux. 1

Mais ces différents travaux n'étaient pour Gabriel Bulliot qu'un intermède. Sa pensée était ailleurs au Beuvray, dont il ne se séparait qu'avec regret et où nous allons le suivre dans sa vie de chaque jour.

28. La vie sur la montagne.

Il ne faudrait pas croire que cette évocation des races disparues et que ce contact permanent avec leurs restes portassent l'auteur à la tristesse et rendissent son humeur austère et chagrine. Rien de moins sombre que la vie sur la montagne; rien de plus empreint d'entrain et de gaieté que cette existence de recherches en plein air, à 800 mètres d'altitude, au milieu des bois; que cette chasse toujours récompensée. Nous en avons pour témoin véridique un Anglais qui a été, pendant plusieurs semaines d'été, l'hôte de Gabriel Bulliot au Beuvray et qui a fait de son séjour un récit sincère adressé à ses compatriotes. Nous emprunterons à son livre, the Mount, la Montagne, - une esquisse de la vie au Beuvray, telle que son fin crayon l'a tracée. L'Anglais voyageur 2 va chercher à Autun son ami qu'il

1. Note sur le Champ aux Orfèvres et sur les découvertes archéologiques qui y ont été faites, dans les Mémoires de la Société Éduenne, t. XVII, p. 441.

2. Ph.-G. Hammerton, écrivain et artiste, qui a longtemps habité l'Autunois, où il se plaisait plus que nulle part ailleurs, et qu'il a souvent décrit dans des pages remplies d'attrait et de fidélité.

trouve à la maison, « une des plus jolies de la petite cité, » située au fond d'un jardin ombragé de beaux arbres, et, entre autres, d'un superbe acacia, « certainement le plus beau » que le narrateur ait «< jamais rencontré » : véritable retraite du sage et de l'artiste. Dès l'entrée, il a la sensation de ne pas se trouver dans un logis banal. Même pour conduire le cheval à l'écurie, il faut traverser un véritable musée, plein de chapiteaux, de colonnes, d'énormes pierres avec inscriptions, de cheminées anciennes, et de mille autres objets encombrants que les antiquaires se plaisent à recueillir et à entasser, sans savoir souvent où les loger. On marchait véritablement dessus.

On nous juge souvent bien mal au dehors, avec cette légèreté qui nous est reprochée comme un défaut national, et sans grande connaissance de cause. C'est ainsi que l'auteur constate que les Français ont la réputation d'être «< une nation inhospitalière. » Il proteste contre ce fâcheux et immérité renom, en ajoutant bien vite que « si cela est la règle, c'est au moins une règle qui présente de nombreuses exceptions >> : exceptions parmi lesquelles il se hâte de ranger, avec raison, son ami, l'Antiquaire, ainsi qu'il le nomme dans son récit. La table de l'Antiquaire, en effet, n'est pas moins accessible et ouverte que sa maison. L'hôte en a bientôt fait l'agréable expérience, non dans la « grande salle à manger, ornée de vieilles sculptures en chêne et d'une belle collection d'anciennes faïences » réservée aux réceptions de cérémonie et d'apparat, mais dans une plus petite, destinée aux réunions de famille, et « meublée avec cette simplicité aimée des Français pour une salle où on mange. »

Le voyageur remarque encore que « toujours un Français paraît plus gai au déjeuner qu'au dîner et qu'il n'est jamais aussi hospitalier qu'à un déjeuner sans cérémonie. » Il apprécie aussi « la bonne cuisine de l'hôte et le service parfait, d'autant que nous allons avoir une existence plus

dure, et que nous disons adieu à ces raffinements d'une civilisation avancée. »

Recueillons encore quelques observations qui nous mettent en quelque sorte la vie de Gabriel Bulliot sous les yeux et qui sont d'autant plus précieuses qu'elles sont l'œuvre d'un étranger qui sait voir et comprendre : « Mon hôte, dit-il, est un de ces êtres, peu nombreux, qu'on peut envier par la façon idéale dont il arrange son existence. Cela peut n'être pas votre idéal à vous, lecteur; ce n'est pas exactement le mien non plus; car c'est la particularité de chaque vie vraiment idéale, qu'elle soit fortement personnelle et pas façonnée sur un modèle pouvant s'adapter à n'importe quelle vie. » Ce qui émerveille surtout l'Anglais voyageur, c'est que son hôte ne lit jamais de journaux. Il exagère, assurément. Je n'en veux pour témoin que certain quotidien. de la région lyonnaise, le mieux informé de tous, et qu'on trouvait, chaque matin, sur sa table de travail : en quelques minutes de lecture, il avait appris tout ce qu'il est utile de connaitre sous peine de se trouver étranger dans son propre pays, et ce n'était pas le cas. Nul, au contraire, n'était autant porté à s'émouvoir davantage en présence de tous les événements qui touchent la vie nationale. Ce serait peu le comprendre que de le représenter comme exclusivement attaché aux souvenirs du passé et comme insensible aux intérêts présents.

L'auteur est plus exact dans la suite de ses remarques sur le cadre dans lequel se déroule la vie de son ami, l'Antiquaire. « Dans sa maison, il y a ce qu'on peut appeler une suite d'appartements de cérémonie, meublés, comme par un artiste, au goût d'antiquaire, ou par un antiquaire au goût d'artiste. Il y a une certaine tendance vers la magnificence, mais jamais rien de commun, et chaque objet a son caractère et son histoire. Aucun fournisseur de meubles n'a eu affaire ici, mais le propriétaire a su réunir autour de lui des objets à la fois riches et beaux, ayant pour la

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