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La raison de ce contraste leur parait causée par l'emploi des matériaux locaux, bois, terre battue et chaume qui se prêtent aux lignes courbes des faîtages, des lucarnes et des bords de la toiture; les maisons en saillie sur les étables, attenant en retrait, rompent l'uniformité des lignes droites et forment des angles abrités par l'énorme prolongation des toits du plus heureux effet; les mornes faîtières sont remplacées par des mottes gazonnées qui donnent naissance à une flore particulière qu'on pourrait appeler la flore de l'habitation et dont la végétation résiste, mieux que les tuiles, aux coups de vent et aux rafales. Bientôt, les bagages hissés, on s'enfonce dans la forêt, en suivant un chemin étroit, qui monte d'abord en zigzag, puis en ligne droite et que l'Antiquaire affirme être gaulois. Que d'hommes l'ont gravi avant nous! cavalerie éduenne, légions romaines, Vercingétorix, César, pèlerins, trafiquants, toute la Gaule, toute l'histoire a foulé ce sol, aujourd'hui livré à la forêt silencieuse. Nous suivons la trace de leurs pas : « Quacumque ingredimur, in aliquam historiam vestigium ponimus. » 1

Mais l'histoire aura plus tard sa place. Pour l'instant, c'est le dîner qui a tous les suffrages. L'Antiquaire a prié son hôte de le précéder pour faire préparer le repas. L'hôte, qui a conservé sa monture, pique en avant et atteint bientôt le plateau où fut Bibracte, campos ubi Troja. Là, sur un espace dégagé d'arbres, deux huttes en bois et, entre elles, un cottage en pierres, chaux et sable, recouvert de chaume; sur le côté, un hangar, divisé en deux, également couvert en chaume. Tel est l'aspect extérieur du campement de l'Antiquaire. Mais, quelques années auparavant, tout était beaucoup plus simple. D'abord, une seule hutte et un petit wigurum pour le serviteur; puis une deuxième hutte pour celui-ci. «< Mais il existe une loi qui gouverne tous les campements stationnaires » : c'est de cesser d'être un simple

1. Cicéron, De Finibus.

campement; peu à peu, la tente se solidifie; elle devient une hutte en bois, puis un cottage en pierres. C'est par ces transformations successives et fatales que passa le campement de l'Antiquaire, en attendant le dernier terme, le château, qui serait peut-être venu, avec les exigences qu'il comporte et le désenchantement qui les suit, mais qui ne vint pas.

A peine l'hôte a-t-il fait retentir le mot de passe « Pauchard », clamé d'une voix vigoureuse, que Pauchard se présente sur le seuil de la porte c'est un petit homme, petit, petit, robuste et râblé, et, au moral, trop bon Morvandiau, pour ne pas unir la ruse et la fidélité, dans une proportion difficile à démêler. C'est le maître-jacques de l'Antiquaire, à la fois surveillant des fouilles, cuisinier, commissionnaire, s'acquittant de ses fonctions multiples avec un flair, une rapidité, une discrétion au-dessus de toutes louanges; avec cela toujours de bonne humeur, toujours gai et débrouillard à en remontrer aux plus experts : en un mot, le serviteur modèle. A son nom, Pauchard a répondu par une mimique et des exclamations qui trahissent sa joie de l'arrivée du chef et de la reprise des fouilles. Sans tarder et avec son intuition des premiers besoins, il décroche spontanément ses casseroles et se met à la tâche.

Le cottage est une solide petite construction en granit, divisée en deux parts: l'une, plus grande, pour le maître; l'autre, plus petite, pour Pauchard et ses casseroles. Pas de parquet ni de plafond, mais un simple plancher en dessous et au dessus, celui-ci supporté par des solives de chêne; les murs couverts d'un enduit de mortier, sans aucune couche de plâtre ; une vaste cheminée en pierre; pour tables, quelques planches posées sur des tréteaux, deux armoires et quelques escabelles sans dossier, tel est le mobilier de l'Antiquaire qui a tout réduit au strict nécessaire. Les sièges paraissent sévères à l'hôte anglo-saxon qui, après les journées de marche dans la montagne, sollicitera de la

compassion de Pauchard une chaise pour appuyer ses membres endoloris. Pauchard, mieux partagé, possède en effet, dans sa cuisine, deux de ces témoignages de son sybaritisme; comme le plus riche de la terre, ne pouvant employer qu'un seul de ces meubles à la fois, il offrira magnifiquement l'autre à l'hôte étranger. Accroché au mur, un pan de vieille tapisserie, représentant une chasse en forêt, est le seul luxe de cette hospitalière demeure, la seule trace que l'Antiquaire ait voulu conserver de ses goûts d'art bien connus.

Après une journée de voyage et de conversation, l'eau est le premier besoin et, au Beuvray, l'eau est telle qu'on n'en boit jamais de semblable à Londres ni à Paris, on le croira sans peine. Tout près du cottage, coule une source pure et intarissable, qui s'échappe d'un petit bassin taillé dans le rocher et recouvert d'une voûte en maçonnerie. L'eau est aussi claire que l'air et d'une fraîcheur égale à sa pureté. Cette source et toutes celles qui sortent de la montagne sont un des charmes du lieu. Elles doivent à ce filtre merveilleux qu'est le granit, une limpidité qui fait de leur eau le breuvage le plus délicat et le plus exquis. Mais l'Antiquaire, qui est Bourguignon, n'apprécie peut-être pas sa fontaine à son prix. Tout en parlant de ses sources avec feu, il leur préfère, dans la pratique, certaine petite cave, gardée par une forte porte et où dorment maintes bouteilles issues des meilleurs crus. Qui le croirait? l'Anglo-Saxon boit plus d'eau, en une seule journée, que l'Antiquaire en six mois, mais il s'abreuve ainsi en secret pour ne pas encourir le mépris qui s'attache aux buveurs d'eau.

Malgré cette différence de goûts, le voyageur n'hésite pas à reconnaître que nul n'est un « hôte plus agréable que l'Antiquaire et que cette simplicité agreste de la vie sur le mont est singulièrement attrayante. » Mais, pendant l'examen du gîte, Pauchard a, sans bruit, accompli sa tâche de maîtrequeue expert et discret : « Ce n'est pas un de ces terribles.

cuisiniers français qui servent un nombre de plats trois fois supérieur aux besoins des convives. Il nous donne assez, mais pas trop voilà l'art parfait de rendre un dîner agréable. » Le service lui-même emprunte aux circonstances ses éléments principaux : « Carafes et bouteilles sont placées sur des fonds de poterie gauloise, exhumée des fouilles; des goulots d'amphore tiennent lieu de coquetiers; dans la cheminée, les chenets sont formés de trois pierres dérobées à une maison gauloise; le dernier coup de ciseau qu'elles ont reçu est antérieur à César, et le manteau est une tablette de pierre blanche, seuil sacré d'une habitation, avec deux trous, à chaque bout, destinés à recevoir les poteaux montants. » Quoiqu'on soit au mois de juin, une bonne flambée, toujours la bienvenue le soir, à ces hauteurs, jette son rire pétillant, en même temps qu'elle chasse l'humidité laissée par l'hiver. « A chaque soirée, note le voyageur, nous faisons des feux à étonner un Parisien. » A ces lueurs, les dessins hâtivement tracés sur les murs par les savants et les artistes qui ont visité la maison, prennent une allure fantastique. On se sent transporté hors du réel, en pleine vision. Le maître lui-même a tracé sur la cheminée, en caractères grecs

ET”PHÁNH,

ce qui est sa manière de dire à ses hôtes Pax vobiscum : « et, en vérité, la paix est ici, la paix de l'amitié et de la bonté, la paix aussi de la nature, loin du bruit des villes, »> loin du progrès crépitant, auquel on se sent heureux de se dérober.

L'hôte anglo-saxon était, on peut le dire, un habitué du Beuvray et, dans ses notes, il nous a laissé un récit de sa première visite, tout au début des fouilles. « Toujours je garderai le souvenir agréable de ma première visite au Mont, à pied, seul, avec un hâvre-sac et un bâton. Quand je fus arrivé au sommet, c'était aux dernières lueurs du

crépuscule, et la difficulté était de trouver la hutte de l'Antiquaire à cette époque, son campement ne consistait encore que dans une seule hutte. A l'aide d'un curieux mélange d'observation et de chance, je fus assez heureux pour arriver droit au coin où elle se cachait. Le souvenir du bonheur éprouvé dans les vieux campements des montagnes d'Écosse me revint à l'esprit, ce soir-là, et la hutte solitaire, au sommet de la colline, entourée de vastes forêts, avec des revolvers chargés, pendants aux murs, avait pour moi un intérêt romantique avec lequel le nouveau cottage ne rivalisera jamais. » Mais, depuis, à la suite de séjours fréquents et prolongés, le Mont, lui aussi, avait été atteint par la contagion du bien-être autant que par l'affluence des visiteurs. On ne se sentait plus transporté aussi loin en arrière. Le narrateur note, en effet, « qu'il n'y a pas maintenant dans le voisinage un lieu où vous ayez moins de chance de jouir d'un jour de solitude. »

Après avoir fait honneur aux talents culinaires de Pauchard, l'heure de la cigarette et des longues conversations est venue. Elle se prolonge invariablement jusqu'à minuit. Les deux amis cèdent alors la place à Pauchard et, pendant que celui-ci prépare les couchettes, ils font, non moins invariablement, une promenade sur le sommet du Mont. C'est une habitude prise et à laquelle aucun d'eux ne manquerait, à quelque prix que ce soit. Le charme de la nuit, de la solitude et du silence est si vif qu'ils ne peuvent s'en arracher et que la déambulation nocturne les retient souvent au delà d'une heure du matin. Et cependant, il faut être sur pied à cinq heures, sans défaillance. C'est la règle du lieu, et Pauchard ne permettrait pas qu'elle fût enfreinte. Il est vrai qu'un tub, pris à la fontaine, achève de mettre en fuite le sommeil. Déjà, le soleil a paru à l'horizon. Au couchant, la Loire promène son ruban argenté; au levant, Autun, tache grise, montre ses toits mélancoliques qui se dressent sur le fond sombre des montagnes

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