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provoque à faire appel à sa palette et à ses pinceaux. L'Antiquaire, qui ne renonce jamais au sujet de ses constantes préoccupations, a soin de lui faire remarquer, dans ces maisons, le même principe de construction, que les Gaulois ont pratiqué dans les murs de défense militaire, décrits par César poutres en chêne, dont les intervalles sont remplis par une maçonnerie en terre battue. La fidélité aux traditions anciennes n'est pas seule ici en cause. L'absence de toutes voies de communication et l'éloignement des matériaux de construction ne permettaient pas l'usage de la chaux, de la pierre de taille et de la tuile. Il fallait se contenter des éléments sommaires recueillis sur place. Cet état des choses laissait, à la fin du dix-neuvième siècle, subsister une vision de la Gaule, qui charmait à la fois l'artiste et l'Antiquaire, l'un et l'autre séduits à la pensée de se trouver reportés si loin en arrière.

Toujours attentif et prévoyant, l'Antiquaire ne laissait pas son hôte se disperser seul, avec son attirail de peintre, à travers les hameaux du voisinage. « Les paysans sont aimables et de bon naturel, mais quand ils voient un artiste qui travaille d'après nature, ils n'y comprennent rien et ce manque de compréhension les conduit à des conclusions déplorables. Comme il leur est impossible de concevoir l'objet d'une telle étude et que, cependant, il leur faut une explication ils se la donnent à leur niveau: - Alors vous êtes en train de dessiner une carte géographique, mais pourquoi ? et pour qui ? » Au lendemain de la guerre (1874), quel paysan eût cru que sa chaumière avait assez d'attrait pour inspirer un artiste et n'eût pas été tenté de voir en celui-ci le précurseur d'une nouvelle invasion? La présence de l'Antiquaire était une sauvegarde. Un tube à couleur, portant le nom de London, avec une inscription anglaise, faillit cependant tout gâter. Ramassé par un jeune paysan, le plus lettré du hameau, qui dit à ses camarades: -- C'est pas du français, c'est du prussien, - le malheureux tube inspira

les soupçons, la rumeur. L'artiste et l'Antiquaire durent coaliser les explications pour dissiper, au moins en partie, une défiance qui aurait pu mal tourner. Malgré l'incident, ce hameau ravit l'artiste qui demande combien Montmoret compte d'habitants. La question surprend tout le monde ; personne ne se l'était jamais posée. Mais en faisant le compte des maisons et celui des habitants de chacune, on arrive vite au chiffre de 118. « Dans un village comme celui-ci tous se connaissent et entre tous règne une camaraderie familiale qui est charmante, ou qui le serait si les jalousies et les haines entre voisins, souvent pour le motif le plus futile, ne venaient pas troubler la paix. La vie s'écoule dans ce petit coin tranquille dans le même sillon qu'il y a deux mille ans. »

La Roche-Millay, après Montmoret, c'est l'épopée qui succède à l'églogue, le monde des chevaliers à celui des pâtres et des laboureurs. Assis sur son rocher accessible d'un seul côté, le château dresse sa fière silhouette, à l'abri de ses enceintes multiples, bien déchues aujourd'hui de leur destination protectrice et qui, au lieu des sièges d'antan, ne soutiennent plus que des terrasses et de pacifiques espaliers. Quelque élève de Mansart et de Le Nôtre a passé par là. A son aspect rassurant, on sent qu'à une époque inquiète et troublée a succédé une période de paix et de sécurité. Du château fort, une seule tour subsiste elle suffit pour évoquer l'âge féodal et compléter le romantisme du lieu. Au milieu de cette nature sauvage, pour laquelle l'homme est comme un étranger, on est tout heureux de rencontrer un parterre bien discipliné qui, par son ordonnance régulière et par ses fleurs, rangées comme un régiment, nous fait croire, un instant, que l'exil n'est pas éternel et que le paradis terrestre a trouvé son image. De l'autre côté de la vallée, le pic boisé de Thouleur achève le tableau.

Mais il faut s'arracher aux charmes du Mont et songer au retour. Avec l'Antiquaire, les choses les plus simples se

compliquent souvent. On part donc. Mais au lieu de tendre droit au gîte, il faut se mettre en recherche d'une certaine paire de chenets dont on lui a dit merveille. Quoique la nuit fût venue, nul retard ne devait être mis à la poursuite d'un objet aussi ardemment désiré. On arrive au but. Les habitants sont couchés. Arrachés à leur premier sommeil, incertains des survenants, ils sont assez disposés à prendre l'Antiquaire et son compagnon pour de vulgaires cambrioleurs. On s'explique, on finit par s'entendre et, malgré l'heure tardive, l'Antiquaire demeure vainqueur des fameux chenets qui, pour n'avoir pas appartenu à MONSIEUR, frère du roi, ou à tout autre seigneur d'importance, ne présentaient pas un moindre intérêt.

Après ce long crochet, on se remet en route. Mais la nuit est sans lune et les lanternes de la voiture ne jettent qu'une lueur incertaine. Il n'y avait de lumineux que les idées de l'Antiquaire qui, pour abréger le trajet, quitte la grande route et se lance dans des chemins de traverse aussi ardus que peu frayés. Enfin, après de nombreux circuits, qui doivent tendre au but, par une voie abrégée, on arrive...... à Fontaine-la-Mère, maison de campagne appartenant à l'Antiquaire, distante d'Autun de seize kilomètres, et du Mont de quatre seulement. L'erreur était-elle tout à fait involontaire ou quelque peu préméditée? « Cela me reste à vous dire, » ainsi qu'on s'exprime dans le langage du pays. Mais il n'y a que demi-mal. Un gite, même médiocre, est toujours préférable à la belle étoile, et celui-là, malgré sa vétusté, n'avait rien de trop rébarbatif : « Nous voilà dans une grande cour de ferme avec un curieux pigeonnier en forme de tour, et, à côté, une maison rude à laquelle on accède par des escaliers extérieurs couverts d'herbes et de plantes sauvages. » On pourrait croire que personne ne les ait pas gravis, depuis un temps immémorial, tant ces herbes semblent à l'aise et en possession. « La maison paraît avoir été fermée depuis cent ans, sans

soupçon d'occupation humaine. L'Antiquaire me conduisit par un des escaliers et ouvrit une vieille porte en chêne, munie de clous à grosse tête, qui donnait accès dans une grande pièce désolée, garnie de plusieurs lits enfoncés dans des alcôves; trois autres pièces, présentant le même aspect, suivaient la première..... Il régnait dans ces chambres une curieuse odeur de vétusté, comme si les fenêtres n'eussent pas été ouvertes depuis un siècle. » Le premier soin des arrivants fut d'ouvrir toutes les fenêtres et d'allumer de grands feux pour renouveler l'air. L'auteur est surpris de l'indifférence avec laquelle les Français accumulent les lits dans la même chambre et du peu de prix qu'ils attachent à l'isolement dans les circonstances mêmes qui semblent en exiger le plus. L'Antiquaire lui explique que c'est là un dernier vestige des mœurs d'autrefois ; que jadis personne n'attachait le moindre prix à occuper seul une chambre, et que, dans les châteaux, comme de nos jours encore chez les paysans, toutes les pièces étaient meublées, à chaque angle, par un lit à rideaux, qui formait une sorte de tente propre à chacun, sans que nul ne fût troublé ni gêné par cette habitation en commun. Ce collectivisme dépasse la compréhension de l'hôte Anglo-Saxon qui ne peut admettre la possibilité d'une semblable existence.

Mais il est minuit et les voyageurs sont à jeun depuis leur repas de midi sur le Mont. La gardienne du logis a préparé un repas sommaire dont deux bouteilles de vieux et excellent vin comblent les lacunes. Ce n'est plus, hélas! la savante cuisine de Pauchard, mais la longueur du voyage, l'heure tardive, l'étrangeté du gîte ont disposé les convives à l'indulgence.

L'auteur a soin d'expliquer à ses lecteurs anglais la nature et la destination de la maison où il a trouvé asile. « L'explication de cette maison mystérieuse et inhabitée est bien simple : c'était le pied-à-terre de l'Antiquaire............

Un Français aime bien avoir son pied-à-terre : c'est-à-dire deux ou trois pièces où il peut s'établir à son aise, pendant quelques jours, dans une complète indépendance. Il ne lui est pas nécessaire que les pièces soient meublées avec luxe, pourvu qu'elles contiennent les objets indispensables à un séjour de courte durée. Ceux qui habitent la ville ont un pied-à-terre à la campagne, confié à la garde de leur fermier; tandis que ceux qui sont fixés à la campagne en possèdent un à la ville voisine. L'habitation principale de l'Antiquaire est à la ville, mais il a trois pied-à-terre à la campagne, où il peut s'installer pendant plusieurs semaines et même recevoir ses amis; l'un sur le Mont, un autre dans cette ferme et le dernier, dans un site bien différent, au milieu des vignes. Tous les trois sont à quelques heures de la ville et l'Antiquaire peut ainsi s'y établir chaque fois qu'il en éprouve le désir. Le système n'est pas dispendieux et il offre cet avantage qu'on est toujours chez soi et bien mieux qu'à l'auberge. » Le sentiment d'être sous son propre toit est, en effet, plein de charmes, même quand le toit est en chaume. >>

Nous arrêterons ici ces descriptions qui ont le mérite d'être l'œuvre d'un témoin et d'un observateur à l'esprit fin et aiguisé à qui rien n'a échappé. Son récit nous place, en quelque sorte, au cœur même de l'existence de Gabriel Bulliot pendant ses séjours annuels au Beuvray. Il nous fait vivre de sa vie et méritait bien de trouver place ici.

§ 9. Correspondance.

Gabriel Bulliot serait imparfaitement connu si nous limitions cette revue à l'examen de ses œuvres de littérature, d'histoire et d'archéologie œuvres toutes étudiées, destinées à la publicité et dans lesquelles un auteur ne se livre que dans la mesure qui lui convient. Cette connaissance plus complète de l'homme, que la Vie sur la Montagne nous

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