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ne parler que de celle-là. Mais la discussion devait se terminer moins tragiquement. Un grand vicaire s'étant plaint que le journal officieux de la localité n'insérait que des articles contraires au pouvoir temporel, le curé de NotreDame1 avait répondu que le rédacteur «veillait sans doute à son temporel. » Mais, ajoute plaisamment Gabriel Bulliot, « comme le temporel de la sous-préfecture n'est pas le même que celui de l'évêché, il est à craindre que les deux temporels ne se séparent. » La même imprimerie prêtait, en effet, ses presses à la sous-préfecture et à l'évêché, et on pouvait craindre que la querelle ne se terminât sur le dos et aux dépens de l'imprimeur.

A quelque temps de là, la présentation d'une épée d'honneur, offerte par la ville d'Autun au vainqueur de Magenta, fournit à Gabriel Bulliot l'occasion d'un voyage au camp de Châlons. Membre de la délégation chargée de présenter l'épée au maréchal de Mac Mahon 2, il a laissé dans ses lettres une intéressante relation de son voyage :

Nous venons d'offrir notre épée qui a été très bien accueillie. Le maréchal nous reçoit au camp. Deux voitures nous attendaient à la gare. On nous a préparé à chacun une tente; il y fait chaud et on s'y trouve parfaitement. Le maréchal a été très aimable. Il envoie chercher une voiture pour nous conduire au camp d'Attila avec un de ses aides de camp, qui est antiquaire. Nous avons déjà entamé avec le maréchal et lui une discussion sur Alise. Le capitaine, qui est Franc-Comtois, tient naturellement pour Alaise. Le maréchal nous a très cordialement reçus et sans façon. Le lieutenantcolonel Borel, celui qui, dans le tableau d'Horace Vernet, regarde l'Anglais d'un air narquois, s'est mis à notre service comme s'il nous connaissait depuis dix ans. Il nous a fourni, sous nos tentes, papier, plume et encre, et il a l'air d'un joyeux militaire et d'un bon enfant. Le jeune capitaine avec qui nous allons au camp d'Attila a l'air

1. L'abbé Antoine Violot, curé de Notre-Dame d'Autun, de 1830 à l'époque de sa mort, en 1886, ami particulier de Gabriel Bulliot.

2. Cette délégation était composée de MM. Rey, maire, Devoucoux, l'abbé Perrot, curé de la Cathédrale, Alexis Rérolle, Bulliot et Pinard. V. Annales de la Société Éduenne, 1862, 1864, p. 69.

instruit et intelligent. Nous avons semblé nous convenir de suite, malgré notre dissentiment archéologique. Le maréchal a apprécié l'épée. Il a vanté le travail et a été satisfait de ce qu'on avait évité l'effet cherché : il préfère la sévérité. '

Le même jour, au retour de la visite au camp d'Attila, Gabriel Bulliot, rentré sous sa tente, reprend la plume pour compléter son récit :

Je ne puis dormir avant de te dire quelques mots de la charmante journée que nous venons de passer. Il est impossible de trouver des hommes plus simples, plus affables et plus élevés que ceux avec qui nous avons vécu aujourdhui..... A peine arrivé, le capitaine Broye, officier d'ordonnance du maréchal, digne d'être Éduen (il est vrai qu'il est du Jura, voisin des Éduens), m'a offert de me conduire au camp d'Attila... « Dès ce matin, m'a-t-il dit, M. Joseph de Mac Mahon 2, m'ayant annoncé l'arrivée de la députation et que vous étiez archéologue, j'ai demandé de vous conduire à ce camp. » Rérolle s'est joint à nous, pendant que ces autres messieurs sont allés visiter le camp des troupes. Le maréchal a envoyé chercher pour nous une voiture à deux chevaux, car le camp d'Attila est à trois lieues, et nous sommes partis. Le capitaine est instruit, d'une intelligence ouverte à tous les sentiments élevés, simple, bienveillant, poli comme un gentilhomme. Sa conversation a été des plus intéressantes. Nous avons suivi tout le long du chemin une voie romaine. Je lui ai demandé s'il était à Malakoff; il m'a répondu timidement, et presque en baissant les yeux, que oui, changeant de suite de conversation. - L'armée, lui ai-je dit, a perdu ce jour-là un officier d'avenir, le colonel de la Tour-du-Pin. - Oui, m'a- t-il répondu avec simplicité : il a été frappé à côté de moi; le maréchal était à ma droite; lui, à gauche; un éclat d'obus l'a frappé à la jambe; le voyant s'affaisser, je l'ai ramassé, remis entre les mains de quelques zouaves qui nous suivaient, et nous avons continué notre course..... Nous avons parcouru les énormes terrassements du camp d'Attila, en discutant le travail et la bataille de Châlons avec des plans et un travail que nous avions emporté d'Autun. Cette question a semblé l'intéresser. En revenant, nous avons parlé beaucoup des invasions barbares, de M. Thierry 3 et autres historiens. Il connaît l'histoire en philosophe.

1. Du 19 juillet 1860.

2. Frère du maréchal, habitant le château de Riveau, près Autun. 3. Amédée Thierry, auteur de l'Histoire des Gaulois.

Il a appelé, en revenant, mon attention sur la nudité et la grandeur de la plaine de Châlons : Vous ne trouverez pas partout, a-t-il ajouté, cet aspect sévère et plein de tristesse mais que l'étendue élève à la beauté. Nous lui avons répondu que le sol semblait avoir conservé l'empreinte des désolations dont il avait été le théâtre et que le deuil de la nature avait survécu à celui des exterminations humaines. Ce terrain ne produit rien qu'à force d'engrais; les arbres n'y poussent pas, sauf quelques sapins, dont la taille ne dépasse jamais trois mètres. Tu penses comme nous étions amis. Au retour, nous nous sommes hâtés de changer et de nous rendre au diner. Le maréchal avait invité, en notre honneur, M. de Ballore1 et le capitaine Lafouge, jeune homme de Toulon-sur-Arroux, neveu de M. Guittet, qui étaient assez flattés de l'invitation; plus notre capitaine, le colonel Borel du tableau 3, et un jeune capitaine du génie, qui dirige la construction des fermes que l'empereur a établies dans ces terrains incultes. Il est archéologue et le maréchal m'a dit qu'il l'invitait à cause de moi; il nous a placés nommément à côté l'un de l'autre pour suivre nos voies romaines et parler des fouilles. J'avais à droite le colonel Borel, placé en face du maréchal. Nous sommes déjà une paire d'amis à la poignée de main, le colonel et moi. J'ai donc parlé fouille avec le capitaine du génie, et guerre avec le colonel, alternativement. Le dîner était superbe, avec des pièces d'argenterie placées sur des réchauds et dont les couvercles avaient, en guise de boutons, des oiseaux ciselés. Le colonel Borel, qui n'a rien de distingué au premier abord, et ne paraît que bienveillant et prévenant, s'anime en parlant; il prend alors une distinction de langage, une propriété d'expression et une élévation de sentiments qui le transfigurent. Il n'a pas quitté le maréchal depuis vingt-deux ans, dit nous en parlant de sa maison et dirait volontiers, à ce que dit M. Joseph de Mac Mahon, notre femme et nos enfants. Leur cordialité est touchante. Après diner, on s'est promené sur la belle esplanade qui s'étend devant la barraque du général, où il n'y a que deux ou trois pièces et où habitent avec lui ses deux officiers d'ordonnance. Un horizon immense s'étend au devant, mais l'aspect est triste quoique plein de grandeur. De légères ondulations, qu'on ne peut appeler montagnes, bornent la vue dans un lointain que les dernières lueurs du jour coloraient d'un reste de lumière. Les lignes

1. Le vicomte de Ballore, capitaine d'artillerie, que son mariage avait rattaché à une honorable famille d'Autun.

2. Receveur de l'enregistrement à Autun.

3. Du tableau de la prise de Malakoff, par Horace Vernet.

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blanches des tentes se groupaient, çà et là, comme des villages..... M. Rey et plusieurs de ces Messieurs se promenaient avec le maréchal; Rérolle et moi avec notre capitaine : Ce qui manque le plus dans l'armée, nous a-t-il dit, ce ne sont pas les hommes d'intelligence, mais les hommes de caractère. Tu penses si nous avons appuyé sur la chanterelle et parlé de nos Éduens illustres. Il nous a dit combien il appréciait cette vie au grand air, quoiqu'elle rendit un peu sauvage quand on rentrait dans les villes, qu'elle laissait l'homme se développer en dehors des petites conventions de la société et que celui qui vivait entouré par une grande nature se formait à d'autres idées que celui qui vivait dans un salon. Avant hier, il a fait vingt lieues à cheval avec le maréchal, dont vingtquatre kilomètres en cinquante minutes, et le maréchal trouvait que leurs chevaux ne marchaient pas.....1

Du camp de Châlons à l'hospice d'Autun, la distance est grande, mais avec Gabriel Bulliot il faut se résoudre aux contrastes que présente son existence et passer, sans transition, d'un milieu tout militaire à une pensée toute religieuse. On célébrait, au mois de septembre, le troisième centenaire de la mort de saint Vincent de Paul, et cet anniversaire était l'occasion, dans la chapelle de l'hospice, de prières et de prédications préparatoires à la fête. Gabriel Bulliot n'avait garde de négliger ces réunions propres à alimenter, à la fois, sa piété et sa charité. Bien que souvent retenu au loin par ses affaires, il trouve cependant le moyen de s'associer à ces pieux exercices :

Je me suis dérobé pour communier hier matin à la chapelle de l'hospice..... et j'ai tâché de prier de mon mieux pour vous tous, pour toi, tes enfants, ta mère, tes sœurs, tous en un mot, y compris ceux qui ne sont plus. Je me représentais saint Vincent de Paul tenant notre pauvre moucheron 2 comme ces petits orphelins qu'on place entre ses bras sur les tableaux, et l'offrant à Dieu pour nous sanctifier, en vous demandant à toutes 3 la même offrande. Depuis longtemps je n'avais pas prié avec tant de détachement et de calme intérieur. Mais, hélas! je ne sais pas profiter des grâces que contien

1. Du 19 juillet 1860.

2. L'auteur fait ici allusion à l'un de ses plus jeunes enfants.

3. A toutes les mères.

nent ces moments précieux, et le bourdonnement des distractions et des affaires couvre trop vite la voix du dedans. C'est la semence de l'Évangile qui est étouffée par les épines et périt avant de donner du fruit.....1

Cette ardente piété n'enlevait rien à Gabriel Bulliot de la liberté de son esprit et de l'indépendance de sa pensée. Dans toutes les questions qui laissaient place au doute, il restait maître de ses jugements et s'inquiétait peu de l'opinion commune. A la fin du discours de clôture, l'orateur 2 ayant fait << une courte mais sévère allusion aux événements présents et au rôle de la France qu'il a citée au tribunal de Dieu si elle ne rétablit pas le pouvoir temporel du pape, » Gabriel Bulliot n'hésite pas à se prononcer dans un sens tout opposé :

J'avoue que cette préoccupation de la question temporelle me touche peu. Probablement je vois mal, mais je me sens si peu porté à juger ces événements au point de vue du moment présent, je regarde comme tellement indispensable que la Révolution passe sur toutes les institutions religieuses et civiles de l'Italie, que je ne puis être ému de ce qui vous fait frissonner. Ce sera seulement lorsque les Italiens auront appris la sagesse à leurs dépens, lorsque les abus auront péri dans le chaos, que la main de Dieu sortira du nuage qui la cache. Alors on sera étonné d'avoir eu la vue si courte et on reconnaîtra que, même dans ce désordre apparent, la Providence agissait à notre insu. Le rétablissement par la force des anciennes institutions des États Romains n'aurait d'autre résultat que d'éterniser la révolte; il faut que cette nation jette sa gourme et que la papauté apparaisse dégagée de tout le bagage féodal qui la rend impopulaire et que son esprit de stabilité la condamne à ne pas renverser de ses propres mains. Bientôt, j'en ai la conviction, on redira: Jérusalem renaît plus brillante et plus belle, et cette restauration ne se fera pas attendre longtemps. Je vous entends vous écrier que je traite cette question en poète, mais, hélas! je n'y puis rien changer, et je prie Dieu de m'éclairer, vu ma bonne volonté, si je vois de travers. 3

1. Du 27 septembre 1860.

2. M. l'abbé Thomas, alors vicaire général d'Autun, puis évêque de la Rochelle, mort cardinal et archevêque de Rouen, en 1894.

3. Lettre du 27 septembre 1860.

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