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émotions peut-être qui l'agitaient au troisième et au quatrième siècle devant les luttes sanguinaires des jeux antiques. A défaut du spectacle, l'imagination fait les frais. Tu ne peux te figurer combien la vue des lieux facilite la résurrection des faits. Toute cette population romaine, ces femmes drapées, ces types que la statuaire nous a conservés, ces mœurs, que les écrivains latins nous ont révélées, prenaient vie presque à mon insu. Il me semblait voir les couples passer sous les portiques; les élégants faire volume pour atteindre leurs gradins; les femmes rire de ces hommes voués à la mort; les esclaves eux-mêmes, huchés sur les derniers degrés, insulter à ces victimes sorties de leurs rangs; les belluaires amenant dans les cages de fer le lion ou l'ours, et se dérobant dans un vide de la muraille, que l'on voit encore, en se faisant une barrière de la porte de fer. Quelques pierres portent la division des loges et le nom des familles. On lit sur l'une d'elles : SEVERINA.....1

En quittant Nîmes pour rendre visite à un courtier, le voyageur put, sans trop se détourner de son itinéraire, se rendre au pont du Gard, « cette autre merveille de l'art romain. » Le paysage ne l'intéresse pas moins que le monument lui-même, et il le décrit en artiste non moins accessible au spectacle de la nature qu'à celui de l'architec

ture.

C'est peut-être le monument le plus extraordinaire qui soit resté des temps anciens. Le site où il est élevé ajoute encore à la beauté de l'édifice. C'est une solitude complète, comme devaient les rechercher les premiers ermites. Cependant, malgré sa sévérité, ce paysage laisse une impression de calme et de recueillement. L'eau du Gardon, d'un vert transparent, coule sous des arches de 50 à 60 pieds de haut, et le sable, dont les flaques couvrent une partie de ses bords, témoignent suffisamment de ses nombreuses inondations. Son lit est littéralement encaissé entre deux chaînes de collines rocheuses dont les pentes crevassées sont couvertes d'arbustes qui mélangent leur verdure aux taches grises de la pierre. De grands saules et d'autres arbres que l'abri des montagnes, en les préservant du vent, a laissés croître à une taille inaccoutumée dans le midi, garnissent les deux bords. Quelques vallées du Morvan, entre autres celle de la Cure, au-dessous de Chastellux, ou celle de la Canche à Rous

1. Du 11 octobre 1860.

sillon, peuvent en donner l'idée. Aucune habitation n'existe dans cette vallée qui est livrée à la nature sans que le pas de l'homme y paraisse.

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L'année suivante ramène Gabriel Bulliot au pays d'Avignon, toujours pour un de ces voyages d'affaires (il ne s'en permettait alors pas d'autres), qui nous le font mieux connaître et dans lesquels l'accessoire l'emportait de beaucoup sur le principal. Après avoir rendu visite à une estimable. châtelaine« qui, pour rectification, a quatre-vingt-sept ans au lieu des quatre-vingts qu'elle consent à se donner », ses hôtes l'ont conduit chez leur neveu, M. Deloye, conservateur du musée homme d'un aspect un peu froid mais dont le visiteur ne tarde pas à faire la conquête :

Notre visite n'a pas semblé lui faire grand plaisir. Cependant il m'a offert de me conduire au musée et de m'y donner une heure. Il comprend la peinture et en visitant les tableaux ensemble et en échangeant quelques observations, il paraissait éprouver quelques lueurs de satisfaction tout intérieure. Il s'est montré alors plus expansif et m'a signalé toutes les choses remarquables avec beaucoup d'obligeance et m'a donné un second rendez-vous au bout d'une heure pour continuer notre inspection. Il y a mis la meilleure volonté du monde et, à la fin, c'était presque lui qui paraissait regretter de terminer la séance. Il m'a bien engagé à revenir voir les manuscrits et une salle d'antiques que nous n'avons pu visiter faute de temps....... Il a le parler très doux et un regard triste qui annonce une sorte d'affaissement et l'habitude de la contemplation, mystique peut-être. J'aurais grand plaisir, je crois, à entrer en plus intime connaissance avec lui, car les secondes vues m'attirent. Nous avons, entre autres, admiré ensemble une Vierge tenant l'Enfant Jésus, de l'école sinon de Raphaël lui-même; un petit paysage divin, composé d'une simple ligne de montagnes, d'un vert tendre à se pâmer, noyé dans un couchant méridional, occupe un petit cadre figuré dans l'appartement de la sainte Vierge. Notre contemplation a été l'étincelle électrique qui nous a rapprochés et nous a appris que nous étions frères. A dater de ce moment nos rapports ont été de mieux en mieux..... Ce tableau est véritablement merveilleux.

1. Du 11 octobre 1860.

J'ai occupé le reste de mon dimanche à admirer les effets du soleil sur les murs gris du château des papes.

Sa contemplation est troublée par la vue d'une statue de la Vierge, clinquante de dorure, que le mauvais goût local a récemment placée sur la tour carrée de la cathédrale, comme sur un piédestal. Ce n'est pas qu'à Avignon, hélas! que la même aberration a été commise :

Quand l'œil se repose sur les tons harmonieux et mélancoliques du vieux monument, la statue vous réveille et semble vous inviter à vous souvenir que vous vivez au dix-neuvième siècle qui, s'il n'a pas construit le château, y a du moins ajouté un hochet doré..... Le lundi matin, je suis allé, au pas de course, de l'autre côté du Rhône, visiter la belle tour de Villeneuve et le château de Saint-André..... L'enceinte existe encore avec des tours magnifiques, mieux dorées par le soleil que la statue par le clergé. La position, sur un point culminant d'où l'on domine le cours du Rhône et la ville d'Avignon, est des plus belles.....

Malgré les liens qui se forment avec les choses, il faut cependant partir, nunc linquenda tellus; malgré aussi les mains amicales qui s'unissent pour retenir le voyageur :

Je pense partir la nuit prochaine. Je m'arrêterai toutefois en route pour voir Vienne sur mon passage et espère arriver dimanche, sans préciser l'heure. On m'a fait toutes les instances pour me décider à faire demain la course de Vaucluse. Tout le monde m'offre ou me cherche des antiquités : qui, un pot; qui, une lampe; qui, un marbre; qui, un mortier, etc. Je crois qu'on défoncera des terres pour se procurer le plaisir de m'en offrir. M. E. va aujourd'hui à Orange pour demander un bas-relief à un de ses amis. Mais tout cela ne peut faire oublier le petit coin.

« Si antiquaire que l'on soit, » on conserve toujours au fond du cœur un sentiment qui domine et parle plus haut que les choses du passé. Mais après avoir touché barre à Autun et contribué, par ses démarches et son activité, au maintien de nos archives, menacées d'une déportation qui

1. Du 30 juillet 1861.

ne devait s'accomplir que vingt ans plus tard, il repart, appelé de nouveau par ces fameuses affaires qui se traitent comme nous avons vu. C'est encore Vaucluse qui est le centre de ses opérations. En route, le voyageur s'arrête pendant une journée à Lyon, non sans visiter le musée des antiques :

J'ai passé quelques heures au milieu des inscriptions antiques et j'en ai lu une élevée par ses enfants à leur mère tuée par son mari. Quoique le monde aille toujours en dégénérant, il paraît qu'autrefois les mauvais maris et les scélérats existaient déjà. Une observation m'a touché toutes les inscriptions dédiées par des maris à leurs femmes sont généralement d'une grande tendresse (pour des Romains), et ils ont bien soin de faire valoir que jamais ils n'ont eu à se plaindre de l'humeur de leur moitié. J'espère que sur ce point le monde n'a pas dégénéré. '

Mais est-ce aux inscriptions qu'il faut demander des exemples de sincérité? A l'égard des morts l'éloge est d'ailleurs aisé et on se montre facilement enclin à prodiguer en leur faveur les économies réalisées aux dépens des vivants.

La vue du Rhône et de la Saône, aperçus des hauteurs de Fourvière, lui semblent un spectacle merveilleux, mais la population lyonnaise n'a pas le don de satisfaire son esthétique « Elle ne brille ni par la distinction ni par l'élégance, ni par la dignité des types. Je ne crois pas avoir vu l'espèce humaine sous une apparence plus vulgaire.....; franchement c'est une vue qui ne relève pas l'esprit. » Après ce jugement, plutôt sévère, il ne lui restait plus qu'à quitter Lyon, mais c'était pour tomber sur une Marseillaise : « Pas celle de Rouget de Lisle, mais sur une vraie jeune Marseillaise, » qui a tout aussitôt déclaré « que nous ferions mauvais voyage, parce qu'elle n'apercevait que des ecclésiastiques depuis le matin et que, chaque fois qu'elle en rencontrait, il faisait mauvais temps; à quoi j'ai répondu que, cette année,

1. Du 9 octobre 1861.

le clergé tout entier de tous les diocèses et de toutes les parties du monde devait être en route, vu le peu de beaux jours qui nous arrivaient. »> Après cet échange de propos marseillais, il n'y avait plus de place que pour le sommeil, jusqu'à l'arrivée à Orange, à trois heures du matin, et au départ pour Sérignan, en compagnie « d'une Provençale et de quatre Provençaux qui parlent et gesticulent, » sans que notre voyageur comprenne un seul mot de leur conversation.

Les affaires l'appellent à Lunel-Vieil dont il décrit, avec agrément, l'aspect et les mœurs qui ont sans doute bien changé, depuis cette époque déjà lointaine.

Les puces, les moustiques, les punaises se réunissent pour m'empêcher de fermer l'œil. Il ne faudrait visiter ce pays qu'en hiver. J'ai fait route, depuis Nîmes, avec un Anglais qui, en me montrant ses mains couturées, m'expliquait la différence des piqûres deş moustiques et des punaises, en me demandant mon avis sur la réalité de ses observations. Le lendemain, je devais lui ressembler. J'ai passé la nuit d'hier sur ma chaise, et depuis deux heures du matin je recommence. Je vais tâcher de passer le plus de nuits possible en wagon; ce sera le meilleur moyen pour dormir. On expie bien la beauté des jours par les affreuses nuits. Ces bêtes me feront quitter le commerce, à moins qu'on ne trouve une enveloppe insecticide à l'usage des voyageurs. Je laisse ma bougie allumée toute la nuit, mais la lumière ne les effraie guère..... Je pense partir ce soir pour Montpellier où j'ai bien des chances de n'être pas plus heureux. Mais le soleil gâte les gens; ils ne s'occupent pas plus de leurs maisons que d'écuries, et souvent les deux se valent..... Le jour passe encore assez bien, quoiqu'il n'y ait pas grand charme à traverser les rues étroites et malpropres des villages, entrer chez des gens qui ne vous saluent pas et paraissent ébahis de recevoir une marque de politesse. Les femmes paraissent cependant meilleures que les hommes. Quelques-unes sont vives et même prévenantes si on leur adresse quelques mots obligeants. Leur reconnaissance me paraîtrait indiquer qu'elles ne sont point gâtées et qu'on leur parle souvent avec un autre ton que celui de la douceur. Il faut dire que le patois provençal ne semble s'employer que par des gens en colère... Les gens de la campagne observent le dimanche bien plus scrupuleusement que chez nous. Hommes et femmes vont à vêpres; les offices sont longs. Ils font à peine goûter du vin le dimanche, au soir TOME XXXII.

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