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Italiens, Conservatoire. Les concerts se donnent au cirque, le plus grand espace couvert de Paris. Il doit y tenir cinq ou six mille personnes, peut-être plus. Tout est comble et le silence le plus religieux ne cesse d'être observé durant tous les morceaux. La foule est attentive comme au Conservatoire. On a débuté par la Symphonie pastorale, de Beethoven, qui a été rendue d'une manière inattendue; puis est venu le Requiem, de Mozart; je dois dire que quelques strophes, surtout dans les choeurs, ont laissé à désirer, mais le Recordare, chanté par la première chanteuse des Italiens, et surtout le Lacrymosa dies illa arrachaient des larmes. Mlle Trebelli a chanté ensuite l'air de Stradella que Mme Roidot nous a joué sur le piano; c'est un des morceaux religieux les plus saisissants que je connaisse; tous les violons de l'orchestre accompagnaient seuls; il a été chanté d'une manière admirable, avec un sentiment profond, une délicatesse d'inflexions, auxquels je n'ai pu trouver une ombre. C'est ce qui m'a semblé le plus parfait comme chant. L'orchestre a joué ensuite un air de Haydn, que tu m'as entendu fredonner quelquefois; il a été rendu avec une telle finesse et une telle grâce qu'on s'est insurgé pour le faire jouer deux fois. On nous a gratifiés ensuite de quelques strophes du Stabat, de Rossini, qui ont été très bien dites, mais, franchement, on fera bien de ne jamais les faire exécuter après Mozart, Haydn et Beethoven; la comparaison ne lui est pas favorable. On a clos par un prélude de Sébastien Bach, qui m'a paru beau, mais il a été arrangé et j'aurais besoin de le réentendre pour être bien fixé. En sortant de là, nous sommes rentrés à pas lents, en parlant des hommes divins..... 1

Au mois de septembre suivant, il faut aller de nouveau s'approvisionner dans le Midi. La vendange a été retardée. Le voyageur est arrivé quelques jours trop tôt. Il les emploie << en excursions à outrance » :

J'ai escaladé les roches de Gigondas pour visiter les Chambres des Turcs, espèces de grottes façonnées de mains d'homme, dont l'origine se perd dans la nuit des temps..... Le village de Gigondas est, il me semble, la patrie de M. de Pontmartin, écrivain du Correspondant. On n'a pas d'idée de pareils villages en Bourgogne. La rue principale ressemble assez au passage de Breuil par la rue Chaffaud 2; on la suit par des espèces de marches tortueuses, usées

1. Du 19 avril 1862.

2. A Autun.

dans le roc, et, à chaque pluie, la terre et les pavés, c'est-à-dire les cailloux, roulent sur la pente. Les maisons, à toits plats et posées en cascade, semblent former la terrasse l'une de l'autre; l'église semble, au sommet, posée sur le dernier toit, et le reste lui servir de marches. Le tout est enfermé d'une vieille muraille et de tours bâties par les princes d'Orange. A côté de l'église, dans une ruine de chapelle ou cave, appelée le Saint-Sépulcre, habite une espèce d'ermite. Une autre masure voisine s'appelle l'Hôpital; là, une demoiselle, que j'ai eu le regret de ne pas voir et qui doit être intéressante, à en juger par le logis, soigne les malades, quand il s'en trouve, car pour le quart d'heure il n'y en avait pas... Nous sommes allés voir M. le curé à qui je voulais demander des renseignements et des antiquités, au besoin, mais ce n'est pas précisément son affaire. Ce pasteur est fait pour le lieu et pour son troupeau. Il habite, sous les murs du château, une petite maison glaciale, vu qu'elle est à moitié enterrée. C'est un vieillard, à cheveux blancs, qui pourrait demander si on bâtit encore des maisons. Il a l'air d'un saint mais peu archéologue. Le marteau de fer pour frapper à sa porte est antique..... M. le curé m'a dit que, depuis dix ou quinze ans qu'il habitait cette paroisse, il n'avait pas eu la curiosité de visiter la Grotte des Turcs et qu'il ne pouvait me renseigner.'

Plus curieux que le bon curé, qui ne se mobilisait pas pour si peu, Gabriel Bulliot était hanté par le désir de visiter ces fameuses Chambres des Turcs, qui lui trottaient dans la tête et surexcitaient son imagination. Enfin, une cousine de son hôtesse, qui habitait Gigondas, lui envoie pour guide son domestique, le seul être du pays qui connût bien les lieux et fût en état de piloter le voyageur :

Oh! si j'avais eu ses jambes. C'était un jeune homme bronzé et alerte, chaussé de souliers de toile à semelles de chanvre, qui, dans son enfance, avait été berger dans ces montagnes. Il en connaissait tous les sentiers et sautait, d'une roche à l'autre, comme un chevreuil, sans avoir l'air de faire le moindre effort. Les flancs de la montagne sont à pic, sans aucune végétation d'un côté, et avec des arbustes de l'autre. Au sommet est une chaussée de rochers assez étroite, dentelée comme une scie et trois ou quatre fois haute comme celle de Rome-Château 2. Je t'assure qu'on perd le souffle,

1. Du 24 septembre 1862.

2. Près de Nolay.

mais quelle vue magnifique on a de ces sommets sur les gorges profondes et déchirées qui les entourent! C'est une solitude majestueuse que rien ne trouble que les oiseaux de proie, et dont les sites décharnés élèvent l'esprit en attristant l'œil. Après avoir marché environ deux heures, mon conducteur m'a arrêté au pied d'un mur perpendiculaire de rocher, et en me faisant lever la tête m'a annoncé que là étaient les Chambres des Turcs. Je vis, en effet, une muraille de mains d'homme, suspendue en arcade sur le précipice, dans laquelle était une ouverture quelconque, naturelle ou non. Il me proposa d'y monter, mais je lui demandai par quel chemin. Il me désigna le mur perpendiculaire le long duquel rampe une roche à peu près comme la Roche fendue de Rome-Château, et me proposa de le suivre. Je le remerciai de son offre obligeante. Là-dessus, il me raconta que lui-même ayant roulé une fois en avait été quitte pour s'enfoncer la mâchoire qu'il me fit voir avec les traces de sa chute; que l'adjoint s'était brisé les épaules mais qu'on lui avait ouvert le dos et qu'en mettant une peau de mouton dedans on l'avait guéri. Il me montra ensuite des points où l'on arrive par des escaliers, de 10 à 15 centimètres de large, par lesquels on gravit sur la pointe de rochers, avec un précipice de chaque côté, littéralement perpendiculaire. '

Il fallut renoncer au plaisir d'atteindre les fameuses Chambres des Turcs et se contenter de la description due à la mémoire de son jeune compagnon dont il ne pouvait égaler l'aimable agilité.

Une autre passion, rarement satisfaite et d'autant plus vive, celle de la chasse, avait sur lui un non moins grand empire. Il eût tout quitté, je crois, livres, chartes, médailles, oppidum même, pour un lièvre ou un sanglier. Cette fois, c'était un loup: un loup, cet animal soupçonneux et inquiet, qui se sait haï et semble avoir le pressentiment d'une destinée tragique : la bête de chasse par excellence, devenue trop rare, sinon au gré des troupeaux au moins à celui des chasseurs. Qui n'a rêvé de tenir au bout de son fusil le redoutable carnassier? Or, l'avant-veille, à la Fontaine-de-la-Mère, les loups avaient, dit-on, mangé une oie

1. 24 septembre 1862.

hors ligne et quatre oisons: cheptel qui ne trouvant pas sa place dans la cour de la maison de ville avait été expédié à la maison des champs; le jour même, cas plus grave, une ouaille avait eu le même sort. Il n'y avait pas à hésiter : il fallait, sans retard, mettre un terme à de telles déprédations et en tirer une vengeance éclatante. Pouvait-on douter que les loups fussent là, puisque les oies et l'ouaille n'y étaient plus? D'ailleurs, la veille, on les avait entendus hurler toute la nuit. Accompagné d'un voisin, on part donc pour l'affût aux loups. A la chute du jour, en retenant leur souffle, les chasseurs s'embusquent à la lisière d'un bois, sur la chaussée d'un étang dont les premiers rayons de la lune font miroiter l'eau, sous un gros chêne aux branches tombantes, qui les couvre de son ombre. C'est par là que les loups doivent passer. Nul autre bruit que les derniers tintements de l'Angélus, au loin, les aboiements de quelques chiens, la rentrée au bois de quelques oiseaux attardés; c'est à peine si les merles, qui se moquent de tout et qui sont les esprits forts de la gent emplumée, font parfois entendre leur sifflement railleur.

C'était partout le silence réparateur que la nuit apporte à la nature fatiguée du travail du jour. La main sur le chien de leur fusil, les chasseurs, immobiles et muets, attendent dans l'ombre. Tout à coup, dans l'herbe, un léger bruit : c'était une famille de belettes en maraude. Un gland, tombant des chênes voisins et heurtant les feuilles au passage, avant d'atteindre le sol, et on frémissait. Puis, un froissement très fort se fait entendre dans le bois : cette fois, voilà les loups. Le cœur bat à se rompre. Mais, tout retombe dans le silence : c'était une chouette qui, de son vol un peu lourd, traversait l'étang, en poussant un cri plaintif, et qui, elle aussi, se mettait en chasse, à la recherche de sa nourriture. Puis..... plus rien. De loups, point. Pas d'autre bruit que celui de l'eau qui s'échappe du déchargeoir en produisant seule un murmure confus dans cette grande

scène muette. Cependant la nuit s'avance. Le chasseur fait sa prière au pied de son arbre, en pensant aux êtres absents. Une vapeur blanche s'élève du sol et répand une humidité glaciale. Sous peine d'encourir des rhumatismes, il faut regagner le gite où la bonne flambée et les frittes, préparées par un cousin prévoyant, font oublier les loups qui, suivant leur coutume incivile, avaient manqué au rendezvous1. Ainsi que je l'ai ouï-dire un jour à un vieux piqueur dépité : « La chasse est bougresse, » mot profond, sous sa forme triviale, et que tous les chasseurs comprendront.

L'année suivante, Gabriel Bulliot visite Gergovie dont la vue ne déjoue pas ses espérances:

J'ai quitté Roanne, dimanche soir, et suis arrivé hier matin, à Clermont. Après avoir vu la cathédrale et le musée en courant, je me suis mis en marche vers le plateau de Gergovie, la ville gauloise qui précède Clermont, comme le Beuvray Autun. J'avais lu dans un Guide que ce plateau était à quatre kilomètres de Clermont, mais j'ai marché, au pas accéléré, durant plus de deux heures et par une bonne route, pour les faire. C'était dix à douze qu'il fallait compter. J'ai été bien dédommagé de mes peines. J'ai vu là du moins une ville gauloise authentique. J'aurais pu me croire à Rome-Château ou au Beuvray, tant il y a de détails qui sont les mêmes. Je pense, plus que jamais, que Bibracte était au mont Beuvray. J'ai passé la journée sur ce sommet entouré de tous côtés de pentes à pic effrayantes, et je comprends que César n'ait pu en déloger les Gaulois. J'ai couru parmi tous les monceaux de pierres parsemées de tuiles à rebords et je suis rentré à Clermont après une petite course de dix heures..... Je suis arrivé ce matin, à Billom. L'église est bien intéressante et le pays très beau. Les ruines abondent sur toutes les crêtes de montagnes. Nous avons vu chez une femme une statue romaine représentant un guerrier à cheval. Elle est intéressante quoique grossière de travail. Quel dommage qu'elle soit un peu lourde! 2

Le commerce et l'archéologie ne sont pas seule cause de ses voyages. Il faut, hélas! aussi faire à la santé sa part.

1. Du 29 septembre 1863.

2. Du 12 avril 1864.

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